Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 21 janvier 2020 »

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'''Titre :''' Émission <em>Libre à vous !</em> diffusée mardi 21 janvier 2019 sur radio Cause Commune
 
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'''Intervenant·e·s :''' Marie-Odile Morandi -  à la régie
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'''Intervenant·e·s :''' Marie-Odile Morandi - Nicolas Vivant - Étienne Gonnu - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
 
 
 
 
 
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Version du 23 janvier 2020 à 20:10


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 21 janvier 2019 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Marie-Odile Morandi - Nicolas Vivant - Étienne Gonnu - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 21 janvier 2020

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou enregistrer le podcast

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.


Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
La politique logicielle libre et données publiques de la ville de Fontaine, c’est l’un des sujets de l’émission du jour. Avec également au programme la musique classique libérée et aussi « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur en pratique ».
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org. Vous y trouvez déjà une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi les points d’amélioration

Nous sommes mardi 21 janvier 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant le direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon #libreavous dédié à l’émission.

Nous allons maintenant passer au programme de l’émission du jour.
Nous commencerons par la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi qui va nous parler notamment de droit d’auteur, de licences et de musique classique libérée.
D’ici dix à quinze minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur la politique logicielle libre et données publiques de la ville de Fontaine.
En fin d’émission nous aurons la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur le thème « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur en pratique ».
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Aujourd’hui c’est la cinquantième émission. Depuis le lancement de la première émission le 29 mai 2018, avec des sujets très variés : on a parlé de directive droit d’auteur, du célèbre « Open Bar » Microsoft/Défense, de téléphonie mobile et libertés, de données publiques, de DRM, de distributions GNU/Linux, de Wikipédia, d’OpenStreetMap, de bureautique libre, d‘Open Food facts, des Espaces Publics Numériques, mais également des entreprises du Libre ; on a reçu aussi la Gendarmerie nationale, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, donc plein de personnes et évidemment les chroniques de notre équipe. Donc aujourd’hui, en 50 émissions, c’est environ 130 personnes invitées, une soixantaine de chroniques et également de la musique libre, environ 140 musiques libres diffusées dans l’émission. Voilà ! C’est la cinquantième, on est très contents d’assurer cette émission. On est très contents aussi de votre fidélité et d’être présents sur la radio Cause Commune, La Voix des possibles.

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi qui fait une rétrospective des chroniques « Pépites libres » de l’année 2019

Frédéric Couchet : Les choix, voire les coups de cœur de Marie-0dile Morandi qui met en valeur deux ou trois transcriptions dont elle conseille la lecture, c’est la chronique les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture de Marie-0dile Morandi animatrice du groupe de travail Transcriptions.
Bonjour Marie-Odile.

Marie-0dile Morandi : Bonjour.

Frédéric Couchet : Je te laisse la parole.

Marie-0dile Morandi : En début de nouvelle année, outre les vœux habituels, il est de coutume de revisiter l’année précédente et c’est ce que j’ai souhaité faire aujourd’hui en revenant sur les chroniques de Jean-Christophe Becquet intitulées « Pépites libres ».
Au cours de l’année 2019, Jean-Christophe, actuel président de l’April, a commis dix chroniques dont l’objectif est de présenter une ressource – œuvre d’art, ressource pédagogique, base de données – sous licence libre, sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Il y en a donc pour les goûts de toutes et tous, chacun selon ses centres d’intérêt.
Je ne vais pas revenir en détail sur chacune de ces chroniques, vous retrouverez sur la page des références concernant l’émission d’aujourd’hui le lien vers les podcasts et les relatives transcriptions, mais je vais insister sur celles qui m’ont particulièrement intéressée.

Jean-Christophe traite à chaque fois d’une ressource qui possède un auteur, un propriétaire et c’est justement parce que ce propriétaire a des droits sur son œuvre, droit moral et droit patrimonial, qu’il peut choisir de la partager sous licence libre. Comme il est dit dans une des chroniques, on se trouve devant un paradoxe : avec tous les services à disposition sur Internet, chaque individu est maintenant à la fois récepteur et émetteur de contenus. Les gens partagent volontiers en ligne leurs photos, leurs vidéos, les mettent en accès public et oublient que si rien n’est précisé c’est le droit d’auteur classique qui s’applique et à priori tout est interdit.
Le Libre est né avec le logiciel libre, Richard Stallman en 1984 et, avec le temps, des personnes ont eu envie de libérer des ressources autres que des logiciels – textes, images, livres, films et dessins animés. Ces personnes se sont mises à réfléchir à des licences adaptées à ces ressources non-logicielles, à ces œuvres immatérielles. Les licences Creative Commons particulièrement permettent de donner explicitement aux utilisateurs un droit d’usage décidé par l’auteur, droit d’utilisation, de copie, de réutilisation selon la licence choisie sans jamais oublier, bien entendu, de créditer l’auteur ! Cependant il existe encore un manque d’éducation sur cette nécessité d’indiquer clairement, de la part des créateurs, quels sont les droits qu’ils accordent sur leurs œuvres publiées sur Internet, c’est-à-dire cette nécessité d’indiquer une licence.

Dans sa première chronique de janvier 2019, Jean-Christophe nous permet grâce à la vidéo « Un Faible Degré d’Originalité » de Antoine Defoort, qu’il appelle une promenade culturelle, de découvrir l’histoire du droit d’auteur. Il nous explique que cette vidéo, initialement publiée avec la licence Creative Commons NC, qui limite les utilisations commerciales, donc une licence pas libre au sens strict du terme, est depuis, suite à ses échanges avec l’auteur, publiée sous licence Creative Commons BY-Share Alike, Partage à l’identique, clause qui permet sa copie et son utilisation, à condition de partager sous la même licence libre les éventuelles versions dérivées ou modifiées de la vidéo.

Dans la chronique intitulée « Copier n’est pas voler », du titre du dessin animé de l’artiste Nina Paley, il nous est rappelé qu’une œuvre de l’esprit est une ressource non rivale et que, puisque le coût de la copie est marginal, la copier à plusieurs endroits permet de renforcer sa diffusion et constitue une formidable opportunité donnée par les auteurs qui choisissent de partager leur travail sous licence libre.

Avec la chronique « 50 millions de photos libres sur Flickr », Jean-Christophe nous propose d’enrichir les communs, c’est-à-dire de déposer nos photos sur ce site web de partage de photographies et de vidéos.
Il nous conseille de les déposer aussi sur la médiathèque libre Wikimedia Commons, toujours afin d’augmenter leur visibilité et pourquoi pas, avec des photos de notre patrimoine architectural, participer au concours mondial de photos libres Wiki Loves Monuments, qui se déroule en septembre ou au concours Wiki Loves Earth, consacré au patrimoine naturel, qui se déroule au printemps. La licence Creative Commons Attribution – Partage à l'identique est requise pour ces œuvres.

Dans le registre de l’éducation qui me tient à cœur, nous entendons régulièrement que la formation des individus devra se poursuivre tout au long de leur vie professionnelle. Quoi de mieux donc que les MOOC, Massive Open Online Courses, ces cours en ligne ouverts et massifs. L’objectif de la plate-forme FUN-MOOC, lancée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en 2013, est donc de « diffuser la connaissance au plus grand nombre ». Sauf que, dénonce Jean-Christophe, la licence Creative Commons BY-NC-ND, utilisée pour la plupart de ces ressources, ne les libère pas : la clause NC interdit l’utilisation commerciale, ce qui est contraire à la liberté de copier et de réutiliser sans aucune restriction et pour quelque usage que ce soit ; la clause ND interdit la modification de ces ressources pour des usages destinés, par exemple, à des publics particuliers.
Frédéric, avec bon sens, tu nous as alors rappelé que quand un contenu est financé par nos impôts, c’est-à-dire de l’argent public, le choix d’une plateforme logicielle libre et de ressources libérées devrait s’imposer. Sauf que là, avec la restriction de l’utilisation commerciale et la restriction des modifications, on se prive d’un impact supplémentaire. En effet, la clause Partage à l’identique, SA, permet la réutilisation et la modification du travail, et assure en retour à l’auteur la possibilité de profiter des versions modifiées qui seraient alors publiées sous la même licence donc avec les mêmes libertés, ce qui enclenche un cercle vertueux qui bénéficie à la communauté.
La volonté de la plupart des formateurs et des structures d’enseignement qui ont ouvert un cours sur cette plateforme n’est-elle pas de toucher le plus grand nombre possible de personnes ? Rappelons que c’est là toute la philosophie du Libre, avec le titre de la chronique qui traite de ce sujet : « Ressources libres pour la formation en ligne – libérons les MOOC ».

Et pourquoi ne pas libérer ces MOOC en allant jusqu’à la licence Creative Commons Zéro comme le fait Wikidata qui a dépassé les 70 millions d'enregistrements couvrant tous les champs de la connaissance de façon très structurée, ce qui permet d’obtenir des informations très précises grâce aux liens entre les éléments avec multiplication des opportunités d’utilisation. Retrouver la liste des œuvres réalisées par un artiste né dans une ville donnée est l’exemple proposé par Jean-Christophe dans la chronique « Wikidata, relier tous les savoirs du monde ».
Notons cependant un bémol au sujet de cette licence Creative Commons Zéro qui permet de réutiliser la base de données sans obligation de publier et de partager les versions dérivées sous licence libre : des acteurs du monde propriétaire peuvent alors récupérer ces données et en faire usage sans reverser au Libre les éventuelles améliorations apportées.

J’invite les auditeurs et auditrices à relire ces transcriptions et j’en arrive à la chronique que j’ai particulièrement appréciée puisqu’il s’agit de musique classique.
Je vais faire un aveu, quand je transcris une émission Libre à vous !, bien souvent, au moment des pauses musicales, je baisse le son… Nos goûts ne sont pas les mêmes, j’avais mis ça sur le compte de la différence de générations, mais il m’a été rappelé que la musique classique est intemporelle !

Donc le projet Musopen, lancé en 2005, puisque c’est de cela dont il s’agit, est une organisation américaine à but non lucratif dont l’objectif est de libérer les enregistrements de musique classique, en proposant à des musiciens professionnels d'enregistrer des œuvres pour les offrir au public.
Dans sa chronique « Musopen, la musique classique libérée », Jean-Christophe nous rappelle qu’en droit français le droit patrimonial interdit toute reproduction ou représentation de l'œuvre sans autorisation expresse jusqu’à 70 ans après la mort de l'auteur. Ensuite, les œuvres basculent ou s’élèvent, comme certains préfèrent le dire, dans le domaine public. Sauf que d'autres droits, les droits voisins du droit d'auteur, se superposent pour venir encore restreindre les usages. Dans le cas de la musique, les droits voisins recouvrent les droits des interprètes pour une durée de 70 ans après la première publication ou la première communication au public.
Grâce à des campagnes de financement participatif, les artistes qui se joignent au projet Musopen sont rémunérés au moment de l’exécution de l’œuvre puis donnent leur accord pour une diffusion libre en renonçant contractuellement à leurs droits voisins d'interprète.
Le site Musopen propose aujourd'hui un catalogue de plus de 5000 enregistrements partagés selon le régime du domaine public ou selon la licence Creative Commons Partage à l’identique. D'autres enregistrements sont soumis à des licences qui restreignent les utilisations commerciales ou la production de versions modifiées.
Une mention spéciale est dédiée à Florence Robineau, pianiste et professeure au conservatoire de Rungis, qui enregistre des morceaux de musique classique et les partage sous licence Creative Commons BY-Partage à l’identique.
Je remercie vraiment très sincèrement Jean-Christophe qui m’a permis, ainsi qu’à d’autres j’espère, de découvrir cette pépite libre.

Et pour terminer, permettez-moi un clin d’œil. Il y a bien longtemps, si on oublie les machines à écrire, les premiers logiciels de traitement de texte ont permis d’éliminer les documents papier en écriture manuscrite avec un énorme progrès sur leur lisibilité. Ce qui m’amuse et donne l’impression de clore une boucle, c’est d’avoir à disposition des polices d’écriture cursive à installer sur nos traitements de texte, qui imitent l’écriture manuscrite. Jean-Christophe nous indique l’existence pour l’école d’une police AA Cursive sous licence OFL, Open Font License, dans sa chronique du mois de décembre dernier intitulée « Les polices libres n'ont pas mauvais caractères ».

J’encourage vivement les personnes qui écoutent à lire ou relire ces transcriptions. Merci à Jean-Christophe Becquet de nous faire partager ses découvertes d’une grande valeur éducative. En 2020, le groupe Transcriptions de l’April continuera de transcrire la chronique « Pépites libres ».

Frédéric Couchet : Marie-Odile, merci et félicitations aussi, je pense au nom de tout le monde, pour ton travail. Le groupe Transcriptions a publié plus de 100 transcriptions dans l’année. Il y aura d’ailleurs bientôt, il y a eu l’annonce la semaine dernière, un site dédié aux transcriptions d’ici quelques semaines. Donc un grand merci pour ce travail. Tout à l’heure tu disais que lors des pauses musicales dans Libre à vous ! tu avais l’habitude de baisser le son, là je crois que tu vas monter le son car la pause musicale que tu as choisie c’est justement Florence Robineau que nous allons passer juste après ta chronique.

Marie-0dile Morandi : Au revoir.

Frédéric Couchet : Bonne journée et au mois prochain. On va faire une pause musicale.

[Virgule musicale ]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Chanson de gondolier vénitienne de Mendelssohn, joué par Florence Robineau. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune.

Pause musicale : Chanson de gondolier vénitienne de Mendelssohn, joué par Florence Robineau.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Chanson de gondolier vénitienne de Mendelssohn, joué par Florence Robineau, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune La voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale ]

Collectivités locales et le logiciel libre avec l'interview de Nicolas Vivant, directeur Nancy Ville Numérique

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec sujet principal qui va porter sur la politique de la ville de Fontaine en Isère, concernant le logiciel libre et les données publiques, avec notre invité Nicolas Vivant, directeur des systèmes d’information et, comme la semaine dernière, je vais passer la parole à mon collègue Étienne Gonnu pour cette discussion.

Étienne Gonnu : Merci Fred.
Effectivement, si vous avez été avec nous la semaine dernière ou que vous avez écouté le podcast, nous avons consacré notre première émission d’une série de deux dédiées aux collectivités qui œuvrent pour le logiciel libre. Nous avions échangé avec Olivier Simon, directeur Ville Numérique de Nancy. D’ailleurs j’en profite pour le remercier à nouveau pour l’échange passionnant qu’il nous a permis d’avoir ; je vous invite à retrouver le podcast ou à lire la transcription de Marie-Odile justement.
Dans la suite de cette émission nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui par téléphone Nicolas Vivant Directeur des systèmes d’information, donc DSI de la ville de Fontaine en Isère. Bonjour Nicolas.

Nicolas Vivant : Bonjour.

Étienne Gonnu : J’en profite également pour remercier Christophe Boissonade qui est délégué à la communication et à la ville numérique de Voisin-le-Bretonneux qui devait normalement se joindre à nous aujourd’hui, mais faute de transports il n’a pas pu. Je ne doute pas que nous aurons d’autres occasions d’échanger avec lui, mais comme ça, nous avons le plaisir d’avoir l’exclusivité de cet échange avec Nicolas Vivant, DSI de Fontaine. Fontaine qui est, on va dire, un cas d’école, une vitrine même pour les libristes, de migration réussie vers le logiciel libre. On se souviendra, pour les personnes qui suivent ce genre de sujet, en 2016 il y a eu de nombreux articles qui évoquaient Fontaine la libérée en référence à un évènement éponyme. Bien sûr, l’engagement date de bien avant ça et je pense que vous pourrez le confirmer Nicolas. Avant de vous passer la parole, je rappelle, puisqu’on a évoqué la semaine dernière le Territoire Numérique Libre qui est donc ce label initié par l’ADULLACT, l’Association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres pour les administrations et les collectivités territoriales, qui est destiné à mettre en valeur l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts au sein des collectivités territoriales, pour récompenser, justement, et mettre en valeur ces collectivités et Fontaine a eu trois années consécutives le niveau 4 sur 6, de 2015 à 2018, qui est une consécration, une preuve de la qualité de la politique menée en faveur des logiciels libres.
Donc Nicolas, bonjour à nouveau. Pouvez-vous nous présenter, en quelques mots, les motivations de cet engagement vers le Libre et pourquoi finalement Fontaine œuvre pour le logiciel libre ?

Nicolas Vivant : Rebonjour. La raison principale est en fait une raison politique. Le mouvement a commencé en 2018 sous la houlette d’une majorité municipale différente et d’un élu qui s’appelle Laurent Thoviste et qui s’est intéressé lui-même à cette problématique du logiciel libre. Il était l’élu à l’informatique à l’époque et le conseiller municipal délégué aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, comme on disait, et il a souhaité lancer ce mouvement-là sur des bases politiques. C’est-à-dire qu’en fait, comme c’est le cas pour la plupart des élus je crois dans les communes, c’est la correspondance, même la similarité qu’il peut y avoir entre les valeurs du Libre d’une part et les valeurs du service public qui a motivé le lancement du projet. Il s’est ensuite appuyé sur la direction informatique, donc avec mon prédécesseur, pour lancer ce mouvement-là.

Étienne Gonnu : Vous avez dit « 2018 » ou j’ai peut-être mal entendu.

Nicolas Vivant : 2008.

Étienne Gonnu : 2008, OK, très bien. Ça fait quelques années effectivement.
Vous êtes DSI, il est peut-être intéressant de préciser, avant de voir justement comment se traduit cet engagement politique pour le logiciel libre, ce qu’est une DSI dans une collectivité comme Fontaine et quel est votre rôle dans cette politique.

Nicolas Vivant : La DSI c’est la direction des systèmes d’information. Elle gère toute la partie informatique de la ville, donc aussi bien l’approvisionnement en matériels qu’en logiciels, mais aussi la téléphonie fixe et mobile, également tout ce qui a trait au réseau, la sécurité informatique, enfin l’ensemble du domaine informatique au sein de la collectivité territoriale. Moi je suis le chef de service. On est une petite équipe, nous sommes sept personnes, nous gérons l’ensemble du spectre des systèmes d’information au sein de la ville.

Étienne Gonnu : Entendu. Du coup vous nous disiez que vous êtes arrivé en tant que DSI à Fontaine qui avait déjà, avant votre arrivée, initié cette politique logicielle libre. Vous êtes quand même reconnu comme la personne d’importance dans cette démarche. Comment c’est arrivé ? Quand vous êtes arrivé qu’est-ce que vous avez pu mettre en place, comment, finalement, on en est arrivé à cette situation de Fontaine la libérée comme titraient certains ?

Nicolas Vivant : À vrai dire c’est complètement accidentel puisque, avant d’arriver à la mairie de Fontaine, je travaillais dans le privé, dans des sociétés américaines. J’ai passé une vingtaine d’années dans de grandes sociétés américaines où le logiciel libre était présent mais à la marge et surtout sur des logiciels d’infrastructure, des choses un peu invisibles on va dire.
Quand j’arrive à la mairie de Fontaine, on est déjà dans une période un petit peu critique parce que le gros travail qui a été fait sur le logiciel libre jusqu’à présent l’a été fait sur des logiciels qui sont très importants pour la collectivité mais qui ne sont pas visibles pour les utilisateurs, je pense notamment au logiciel de messagerie et je ne parle pas du client de messagerie mais du logiciel qui est chargé d’envoyer et de recevoir les mails, je pense au serveur de fichiers qui est déjà sous Samba à l’époque, je pense au serveur d’annuaire, enfin tout un tas de logiciels qui ne sont pas directement visibles par les utilisateurs et donc le passage d’une solution propriétaire à une solution libre s’est fait sans difficulté puisque c’était complètement transparent pour les utilisateurs.
Quand j’arrive, un projet a démarré depuis quelques mois qui est le projet de passage d’une solution bureautique propriétaire, Microsoft Office pour ne pas la citer, à une solution libre, à l’époque Open Office. Et là, pour la première fois sur le poste de travail, l’utilisateur commence à être concerné, donc les premières résistances font jour, les premières difficultés commencent là. Donc c’est là qu’on commence à réfléchir à une stratégie un peu globale de passage au Libre qui permette de minimiser ces résistances, ces inquiétudes sur les changements à venir sur les postes clients.

Étienne Gonnu : C’est vrai qu’en entend souvent l’enjeu de cette politique, comment on accompagne ces évolutions. Vous parlez de résistances, ce sont souvent les mêmes d’ailleurs j’imagine, ça va être culturel, dans les usages, elles s’expriment comment ? Il y a une réticence en amont ou ce sont plutôt des difficultés techniques de changer les habitudes ?

Nicolas Vivant : Il y a deux choses. Dans une mairie, si vous voulez, tout le monde n’est pas informaticien, loin de là, il y a des métiers très divers et il y a des personnes qui ont connu l’avant informatique, le tout papier. Ces personnes-là ont mis du temps pour acquérir des compétences en informatique pour lesquelles, d’ailleurs, elles n’ont pas été forcément formées, il y avait quelques formations en bureautique, mais elles ont parfois mis du temps à obtenir cette compétence-là, donc elles ont l’impression qu’on remet en cause cette compétence, qu’on les met de nouveau en danger, de nouveau devant quelque chose qu’elles maîtrisent mal en changeant un outil qui est un outil de travail quotidien. Donc c’est une inquiétude qui est liée à la nouveauté en fait.
Je ne vous cache pas qu’à l’époque, quand j’arrive à Fontaine, je suis moi aussi habitué à la suite propriétaire, je suis DSI et je me dis qu’au pire, si je ne m’en sors pas avec Open Office, eh bien je réinstallerai les logiciels auxquels je suis habitué et je décide de jouer le jeu, donc de me mettre sur Open Office et de voir comment ça se passe. Je réalise qu’on peut tout à fait travailler dans des conditions plus que correctes, enfin aussi correctes qu’avec la suite propriétaire, et c’est comme, en fait, que je commence à être convaincu de l’utilité du Libre parce que je vois que ça fonctionne, je vois que ça fonctionne aussi bien et puis je vois surtout que je commence à faire des économies de coûts de licences et là je me dis qu’on tient quelque chose et que ça vaut le coup de se battre pour ce projet-là.
C’est vraiment une résistance culturelle, effectivement, c’est-à-dire qu’on est habitué à un outil et c’est compliqué d’en changer, surtout quand ce n’est pas notre métier.

Étienne Gonnu : C’est intéressant, surtout que vous avez vécu finalement vous-même cette évolution et ce besoin de progresser, d’expérimenter par la pratique l’intérêt du Libre. Je pense qu’on reviendra peut-être plus tard dans l’émission sur comment on mène ces politiques d’accompagnement avec les agents publics. OK, il y a une politique qui est menée, vous dites que vous êtes arrivé en tant que DSI. Je pense qu’il serait intéressant de voir, pour nos auditeurs et nos auditrices, comment s’articule la relation entre les services techniques qui doivent mettre en place une politique et les élus, les personnes qui projettent et qui mettent en place ces politiques pour le logiciel libre. Est-ce que c’est quelque chose qui s’est passé de manière assez fluide ? Est-ce qu’il y a eu des difficultés particulières ou non ?

Nicolas Vivant : Nous on a une chance c’est que l’initiative était politique au départ, donc l’adhésion des élus était acquise. Ensuite, la difficulté c’est de mettre en place quelque chose avec une migration qui se passe suffisamment bien et des conditions de travail qui restent parfaites pour qu’il n’y ait pas de remise en cause a posteriori s’il y a un changement politique ou simplement un nouvel élu sur la base d’un mécontentement des usagers en fait.
Sur la suite bureautique c’est passé par une façon de procéder, on va dire une stratégie de migration relativement simple. On a commencé, et ça a été la même chose pour le passage des postes sous Linux, on a commencé par les décideurs en fait. C’est-à-dire que les élus, le maire, la direction générale, le cabinet, on les a faits migrer les premiers les solutions libres. Pourquoi ? Parce que ce sont des décideurs, ce sont eux qui ont pris la décision, c’est une façon pour eux de montrer qu’ils l’assument et aussi parce que ce sont des utilisateurs exigeants : les tableaux les plus complexes sur les tableurs et les textes les plus pointus sont issus de ces services-là, que ce soit des élus, du cabinet, donc c’était intéressant de les migrer en premier pour qu’ils mesurent aussi l’effort que ça pouvait représenter pour d’autres utilisateurs.

Étienne Gonnu : Ça fait moins décision venue du haut et qui s’impose sans connaissance culturelle.

Nicolas Vivant : Tout à fait. À ce moment-là leur soutien c’est quelque chose qu’ils peuvent étayer au-delà de la simple décision politique en disant « attendez, moi je l’utilise, ça marche, donc c’est possible, on va faire le chemin ensemble. S’il y a des résistances on va les gérer, mais, en tout cas, nous-mêmes savons que c’est possible. » Évidemment ce n’est pas quelque chose que je leur ai imposé, c’est quelque chose qui a été discuté, mais qui a été, je crois, à la fois assez original et prépondérant dans la stratégie qui a été mise en place à Fontaine.

Étienne Gonnu : C’est très intéressant. On sait qu’il est à la fois nécessaire d’avoir une ambition, un objectif politique, mais s’il est déconnecté du réel ça ne peut pas aboutir correctement. C’est important d’avoir cette articulation.
Du coup cette stratégie s’appuie, j’imagine, sur certains piliers, sur certains objectifs, certains critères. Comment est-elle définie, finalement, cette stratégie ?

Nicolas Vivant : Un des problèmes auquel j’ai dû faire face c’est que dans les services il y a d’autres chefs de service, évidemment, qui sont mes alter égos dans d’autres domaines et qui ont les capacités, en termes de budget, d’acheter des logiciels s’ils le souhaitent. Une des premières choses qui a été faite par la direction générale c’est de centraliser absolument tous les budgets, tous les achats informatiques, au niveau du budget du service informatique. C’est-à-dire que les services n’ont plus la possibilité d’investir dans du logiciel ; ça a été la première chose.
La deuxième chose ça a été, dans un premier temps, de migrer des gens qui souhaitaient l’être, parce qu’il y avait quand même quelques personnes qui connaissaient la suite Open Office – depuis on est sur LibreOffice, on a évidemment changé –, mais il y avait quelques personnes qui connaissaient et qui étaient volontaires, on a commencé par elles évidemment. Puis, quand les gens ont vu que ces gens-là survivaient aussi bien qu’eux et surtout pouvaient échanger des documents, qu’il n’y avait pas de problèmes d’interopérabilité avec celles qui étaient toujours sur la suite propriétaire, à ce moment-là ce qu’on fait c’est qu’on a installé les nouveaux postes avec Open Office et seulement Open Office. Il n’y avait plus de Microsoft Office installé et puis on a également cessé d’acheter des licences Microsoft Office, donc c’est un renouvellement j’allais dire doux. On renouvelle environ 20 % du parc chaque année, donc la migration vers la suite libre s’est faite en cinq ans, 20 % par an, avec un programme d’accompagnement en termes de formation. C’est-à-dire qu’en fait des gens très mécontents demandaient d’avoir la suite propriétaire, alors parfois il y a vrais obstacles en termes de compatibilité avec des logiciels métier existants, c’est arrivé, peu, mais c’est arrivé. Parfois on était plus dans l’ordre soit de la méconnaissance soit de la peur du changement. Ce qu’on a fait, pour chaque personne qui exigeait d’avoir la suite Microsoft, je me rendais personnellement sur son poste et je regardais avec elle où était le point bloquant. Quand je voyais que c’était effectivement un problème culturel ou un problème de formation, on avait un site de formation avec des formations régulières auxquelles on inscrivait pour qu’ils puissent découvrir et monter en compétences sur la suite libre.

Étienne Gonnu : Il y avait des tendances spécifiques ? C’était des résistances, du coup, qui étaient très variables ou il y avait les mêmes des formes quand vous alliez voir spécifiquement ces utilisateurs, utilisatrices ? Vous voyiez des points communs ou c’était différent à chaque fois ?

Nicolas Vivant : C’était très variable. Et puis je crois qu’on souffrait aussi un petit peu de cette image : « c’est gratuit donc c’est moins bien ». C’est-à-dire qu’en fait c’était un peu, dans ce que me renvoyaient les gens, du sous Microsoft ce que faisait Open Office. C’est quelque chose qui est complètement derrière nous. Aujourd’hui c’est une évidence pour tout le monde on va dire. C’est la suite qu’on trouve partout en mairie et si quelqu’un sort un fichier en docx il est regardé comme un extraterrestre. Donc on a réussi à passer cet obstacle-là sans difficulté. Une autre chose que je tiens aussi à dire c’est qu’à aucun moment on a donné d’objectif chiffré ou daté. On n’a pas dit « il faut que dans quatre ans il faut que tout le monde soit passé sur Open Office », donc on a pris le temps de mettre les choses en place, de faire les choses à notre rythme, justement, pour pouvoir, de façon individuelle, aider les gens à s’y retrouver avec la nouvelle solution.

Étienne Gonnu : Du coup ça fait quelques années que vous avez initié ce processus. Vous me dites qu’il y a encore 20 % de renouvellement par an. J’imagine que maintenant les résistances se font moindre, peut-être par l’exemple. Comme vous êtes de plus en plus nombreux au sein de Fontaine à utiliser du logiciel libre peut-être que ça une influence bénéfique sur les autres personnes. Quel bilan tirez-vous après plusieurs années de politique favorable, de priorité au logiciel libre ?

Nicolas Vivant : Le bilan est très positif. LibreOffice est devenu une évidence aujourd’hui pour tous. Là où je suis très content c’est au sujet d’une autre qui a disparu : on nous demandait parfois de l’aide pour l’installation sur des machines personnelles de suite bureautique. Aujourd’hui, les gens installent LibreOffice chez eux, donc ça a essaimé au-delà de la mairie.

Étienne Gonnu : C’est un bel exemple.

Nicolas Vivant : Oui. En réalité, on a eu un peu la même chose avec le passage sous Linux. En fait on a des élus qui sont vraiment un soutien. Ils nous ont autorisé s’il y avait des demandes un peu particulières, type une directrice d’école qui souhaite installer Linux sur son portable personnel, à lui donner un coup de main.

Étienne Gonnu : On va peut-être préciser, quand vous parlez de Linux, qu’il s’agit du système d’exploitation, c’est finalement presque l’étape ultime quand un migre vers du logiciel libre, c’est d’avoir un système d’exploitation libre comme l’est GNU/Linux.

Nicolas Vivant : Tout à fait, c’est le remplaçant de Windows, donc là c’est effectivement l’énorme changement, c’est quelque chose qui arrive absolument en tout dernier. J’ai beaucoup parlé de la suite bureautique, mais on a aussi adopté Firefox depuis très longtemps comme navigateur par défaut sur l’ensemble des postes sous Windows ; on avait aussi adopté un client de messagerie lourd qui s’appelle Thunderbird comme messagerie principale sur les postes clients, VLC. Bref, on a commencé par installer des outils libres autant que possible sur l’ensemble des postes Windows et effectivement, le remplacement de Windows par autre chose, donc par Linux en l’occurrence, a été facilité par le fait que l’ensemble des logiciels que les gens étaient habitués à utiliser, ils les retrouvaient avec une interface évidemment un petit peu différente, mais des outils qui eux ne changeaient pas.

Étienne Gonnu : Oui, il y a une progressivité. Du coup c’est quelle distribution GNU/Linux ? Je ne sais pas si on a forcément toujours la même ou c’est variable ?

Nicolas Vivant : On a fait quelques tests. En fait ça aussi, en termes de stratégie de migration, ça a été quelque chose de très réfléchi. On a pris notre temps, on a passé énormément de temps à essayer de trouver l’interface graphique qui justement générait le moins de résistance, c’est-à-dire celle qui nous a semblé la plus ergonomique et que les gens s’appropriaient le plus simplement.
On a fait différents essais, notamment avec Ubuntu, ensuite Ubuntu avec un dock qui s’appelle Cairo Dock, qui permet d’avoir une espèce de barre équivalente à la barre des tâches sous Windows avec les applications favorites sous forme d’icônes.
Finalement on a opté pour une distribution qui s’appelle elementary OS qui, en termes d’ergonomie, est assez proche de ce que peut proposer Apple sur les Mac, donc avec un dock et un menu où les différentes applications sont classées par catégories et voilà !
Donc on a fait plusieurs tests et c’était manifestement l’interface graphique que les gens s’appropriaient le plus naturellement, donc c’est ce qui a expliqué notre choix. On a aussi beaucoup bossé sur l’intégration dans notre système d’information, notamment pour que quand les gens s’authentifient sur leur poste, quand ils se connectent avec leurs identifiant et mot de passe, eh bien ces identifiant et mot de passe permettent de s’identifier aussi bien sous une machine Windows que sur une machine Linux ; que les disques partagés, les disques réseau, soient remontés exactement de la même façon, donc avec une gestion de session exactement comparable à celle qu’on pouvait avoir sous Windows. Bref ! On a essayé vraiment de faire une intégration la plus transparente possible. Ça été aussi, je crois, une des conditions du succès du passage à Linux.

Étienne Gonnu : Vous évoquez un dock, est-ce que vous pouvez préciser, peut-être en deux mots, ce dont il s’agit ?

Nicolas Vivant : C’est ce que j’expliquais, c’est l’équivalent de la barre des tâches sur une machine sous Microsoft, c’est-à-dire que c’est cette barre que vous avez en bas sur laquelle vous avez des icônes qui vous permettent de lancer vos applications favorites.

Étienne Gonnu : Entendu. Du coup, ce que je retiens de ce que vous dites et c’est ce qu’on observe souvent, vous pourrez me corriger, mais on voit que le nerf de la guerre c’est de prendre le temps de le faire et surtout de le faire en partant des utilisateurs et des utilisatrices plutôt que d’imposer sans prendre en compte les réalités de leur travail, de leur pratique, sinon ça ne peut pas fonctionner en fait.

Nicolas Vivant : Tout à fait. En fait on a passé trois mois sur l’interface graphique, l’intégration dans notre système d’information, ça a été trois mois de boulot pour arriver à avoir une interface dont on était satisfaits. Ensuite on est passé par une période de bêta-test qui concernait les décideurs encore une fois – élus, direction générale, cabinet – qui a duré trois mois, où on a eu de nombreux retours qui nous ont permis de mettre la dernière main à notre interface pour que tout soit fonctionnel, que l’ensemble des fichiers soit correctement lu, que l’ensemble des pilotes de tous les périphériques qu’il peut y avoir autour d’un ordinateur, imprimantes et tout ça, soit correctement géré, et c’est seulement après cette période de trois mois qu’on a avancé dans la migration. Là aussi ça a été très progressif et ça a été un travail global.
Quel que soit le passage au Libre qu’on envisage, que ce soit sur une suite bureautique ou un passage de Windows à Linux, il y a une chose très importante c’est de bien prendre en compte l’ensemble du système d’information, vérifier par exemple que tout ce qui est impression fonctionne correctement avec les nouveaux logiciels, avec le nouveau système. Il ne faut vraiment pas que ce genre de chose soit un frein. Les gens ont déjà l’inquiétude d’un changement de système si, en plus, ils rencontrent de difficultés qu’ils ne rencontraient pas auparavant, là ça peut vraiment compliquer les choses.

Étienne Gonnu : D’accord. Vous avez dressé un beau bilan, vous avez bien tout expliqué. C’est quoi les prochaines étapes ? Est-ce qu’il y a des prochaines étapes ou des ambitions ?

Nicolas Vivant : Là où on avance beaucoup c’est sur les logiciels métier. On commence à avoir des logiciels libres maintenant.
Ce que j’appelle logiciels métier ce sont des logiciels liés à une fonction particulière. Typiquement, quelqu’un qui fait de l’urbanisme au sein d’une mairie, qui va gérer tout ce qui est permis de construire ou ce genre de choses, utilise aujourd’hui un logiciel propriétaire parce qu’on est sur une législation qui évolue en permanence et très rapidement et qu’on a besoin d’avoir des logiciels qui prennent en compte ces nouvelles législations très rapidement. Typiquement, sur l’urbanisme, on n’a pas trouvé de logiciel libre permettant de gérer correctement tout ce qui est droit des sols, toute cette problématique-là.
La nouveauté c’est que de plus en plus, sur la gestion de tout ce qui est enfance, petite enfance, jeunesse, activités, centre sociaux, gestion du personnel, gestion financière, on voit qu’on a des logiciels qui montent en puissance et qui peuvent être utilisables dans le cadre d’une entreprise comme dans le cadre d’une collectivité. Ça je crois que c’est le dernier effort à fournir, c’est ce passage des logiciels métier, de solutions propriétaires à des solutions libres.

Étienne Gonnu : On entend souvent qu’il y a un enjeu assez spécifique sur les logiciels métier parce qu’ils sont beaucoup plus proches, peut-être, des pratiques, des besoins très spécifiques des agents en fonction de leur mission. Du coup vous diriez que c’est quoi la proportion de logiciels métier que vous avez pu passer au Libre, si c’est estimable d’ailleurs ?

Nicolas Vivant : On n’a pas énormément de logiciels métier, mais on doit être à moins de 50 %, je pense. On est à moins de 50 %. En revanche on réfléchit et on reste attentif à tous les nouveaux logiciels qui peuvent soit évoluer soit être créés et qui sont utilisables. On a pas mal bossé sur des services qui sont des projets récents dans lesquels on s’est inscrits, je pense notamment à PeerTube, ce système qui permet de remplacer YouTube pour la diffusion de vidéos. Quand PeerTube est sorti, on s’est assez rapidement mis dessus, c’était encore une version bêta et on a très rapidement adopté cette solution-là pour l’ensemble des diffusions des vidéos de la ville.
Donc c’est un travail permanent, en fait, de recherche et d’adoption de nouveaux logiciels quand des logiciels se présentent et qu’ils correspondent à l’ensemble des besoins qui sont les nôtres.

Étienne Gonnu : En effet, c’est un enjeu qu’il est important d’identifier et effectivement faire de la veille.
Avant de continuer, je pense qu’on va faire une petite pause musicale. Peut-être juste pour préciser : vous avez évoqué PeerTube qui est un logiciel qui a été développé par nos amis de Framasoft en alternative à YouTube et qui est donc un très beau projet que nous soutenons bien sûr. Il est intéressant que des municipalités comme Fontaine se saisissent de ces outils-là comme vous le faites.
On va faire une pause musicale.

Frédéric Couchet : Nous allons effectivement faire une pause musicale.
Juste avant ça. Comme il est souvent question du terme « Linux », je rappelle que nous préférons largement le terme « GNU/Linux » à la fois pour créditer l’importance du projet GNU et pour créditer l’importance des libertés. Pour en apprendre sur les distributions GNU/Linux, notamment Debian, Ubuntu, etc., je vous renvoie au podcast de l’émission Libre à vous ! du 30 avril 2019, soit sur april.org, soit sur causcommune.fm.
Nous allons donc faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Rolling Seasong par Kevin Hartnell. On se trouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, La voix des possibles.

Pause musicale : Rolling Seasong par Kevin Hartnell

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Rolling Seasong par Kevin Hartnell, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Le site de l’artiste c’est kevinhartnell.com. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, La voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous discutons actuellement de la stratégie logicielle libre de la ville de Fontaine. N’hésitez pas à nous rejoindre pour participer à la conversation sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm. Je repasse la parole à Nicolas Vivant, DSI de la ville de Fontaine et à Étienne Gonnu de l’April.

Étienne Gonnu : Merci Fred.
On a beaucoup parlé, Nicolas, de logiciel. Nous, à l’April, on défend une priorité au logiciel libre. Il serait peut-être intéressant d’avoir votre retour. J’imagine que vous avez une politique d’acquisition de logiciels ou une manière d’acquérir des logiciels lorsque vous identifiez un besoin. Comme cela se passe-t-il et comment faites-vous en sorte d’utiliser justement principalement du logiciel libre ?

Nicolas Vivant : C’est en ça qu’un passage au logiciel libre est un projet global et pas juste un projet informatique : à partir du moment où on a fait le choix de passer au Libre, on a fait aussi le choix, dès que l’occasion nous en était donnée, de recruter des gens qui avaient des compétences dans le Libre. C’est-à-dire qu’au fur et à mesure qu’on a migré vers les outils libres, on a eu aussi une montée en compétence de l’équipe au sein du service informatique pour gagner en autonomie sur la gestion des logiciels. Et puis, parce qu’on ne devient pas spécialiste du jour au lendemain, on a prestataire qui est une SCOP locale de gens qui sont compétents pour ne pas dire très pointus sur tous les logiciels libres, notamment sur la partie serveur, sur la partie messagerie quand on rencontre des problèmes vraiment importants, qui viennent nous donner un coup de main en troisième niveau. C’est une prestation à laquelle on fait de moins en moins appel parce qu’on monte en compétence et qu’on est de plus en plus autonomes sur nos solutions, mais c’est indispensable.
À ce sujet, je tiens à dire qu’un des énormes avantages du logiciel libre c’est justement ce cercle vertueux qui se met en place quand on passe au logiciel libre. C’est-à-dire que là où quand on est sur du logiciel propriétaire en général on n’est pas seulement coincé en termes de logiciel, mais on est également coincé en termes de maintenance, c’est-à-dire que la société qui vend le logiciel est également celle qui fournit la maintenance et personne d’autre, avec potentiellement des revenus pour cette entreprise qui partent à la maison mère en Irlande, aux États-Unis ou que sais-je. Là on rentre dans un système où on va avoir tendance à faire appel à des prestataires locaux, c’est-à-dire des gens qui sont des habitants du territoire, qui logent, qui se nourrissent, qui bénéficient de l’ensemble des infrastructures de la commune et en fait on participe à l’animation économique du territoire. Parce que, évidemment, il serait absurde, pour obtenir une prestation autour d’un logiciel libre, de faire appel à un prestataire qui est situé à 500 kilomètres de là alors qu’on a plusieurs entreprises ou SCOP [Société coopérative et participative] qui maillent le territoire et qui permettent d’obtenir une assistance de qualité.

Étienne Gonnu : C’est intéressant ce que vous dites. C’est aussi quelque chose qu’on essaie beaucoup de mettre en avant à l’April dans nos actions, c’est que finalement le logiciel libre par son fonctionnement, par le fait que ça passe par des prestataires, est bien plus souvent inscrit dans les tissus économiques locaux.
De la manière dont vous nous parlez, on a presque l’impression que vous nous parlez du bio, avec un côté où il y a du lien, où il y a, finalement, quelque chose de plus sain pour les communautés. D’ailleurs je parle de communautés, on sait que la notion de communautés est très importante dans le monde du logiciel libre. D’ailleurs est-ce que vous avez des liens avec les communautés du logiciel libre ?

Nicolas Vivant : Oui, bien sûr. D’abord on a des liens avec d’autres collectivités qui entament ce même type de chemin et qui, de temps en temps, nous contactent pour avoir des coups de main ou des informations sur une solution ou une autre, donc il y a ce travail qui est assez régulier et des villes qui peuvent être assez éloignées ; en fait on se contacte assez fréquemment. Il y a évidemment la participation à un certain nombre d’évènements ou l’adhésion à des associations type l’April, l’ADULLACT. Et puis il y a des contributions directes à certains logiciels, soit par le biais de patchs – ça nous est arrivé de publier des patchs – et par le biais de rapports de bugs sur des logiciels un peu neufs comme PeerTube. Au début du projet j’ai été très actif sur des demandes de fonctionnalités, sur des rapports de bugs. On a contribué aussi à la traduction d’un certain nombre de logiciels, notamment dans les logiciels proposés pour elementary, mais pas seulement, sur un certain nombre de logiciels qui existaient en anglais, pour lesquels on n’avait pas de traduction en français. On a aussi contribué à une vingtaine de logiciels dans leur traduction en français.

Étienne Gonnu : C’est une précision importante que vous faites. D’ailleurs on a eu la même conversation la semaine dernière avec Olivier Simon. Vous n’êtes pas seulement, on va dire, utilisateur passif de logiciels, mais vous contribuez aussi à améliorer. C’est tout l’intérêt du logiciel libre, c’est que tout utilisateur participe à améliorer le logiciel qu’il utilise, le bien commun quelque part. Donc vous avez, du coup, une politique inscrite de contribution ? Formalisée ? Ou c’est quelque chose que vous faites ?

Nicolas Vivant : D’abord c’est quelque chose qu’on fait un peu naturellement, ça nous semble juste normal. Et il faut noter que c’est quelque chose qui s’est fait dans un second temps. Il ne faut pas non plus avoir honte de faire le choix du logiciel libre même si on sait qu’on ne pourra pas contribuer. Parce que, dans un premier temps, c’était notre cas, le temps qu’on monte en compétence, qu’on se les approprie et qu’on comprenne comment fonctionnent les différentes communautés, qu’on comprenne comment on peut contribuer, eh bien il y a eu une période où on était des utilisateurs et exclusivement des utilisateurs. Après non, ce n’est pas formalisé.

Étienne Gonnu : OK ! Vous avez raison de préciser qu’il est normal d’avoir une progressivité, de ne pas sauter les étapes et il n’y a pas honte à avoir.
On me signale qu’il y a des questions qui arrivent sur notre salon web. Une première question, à savoir vous mentionnez une SCOP, est-ce qu’il s’agit de Demo-TIC ?

Nicolas Vivant : Non !La SCOP n’est pas Demo-TIC. On connaît Demo-TIC et on a eu l’occasion d’échanger avec eux sur tout un tas de solutions qu’on utilisait, mais non la SCOP ce n’est pas Demo-TIC, la SCOP s’appelle ???. Demo-TIC est d’ailleurs une association, ce n’est pas une SCOP. À un moment ils voulaient se transformer en ???, mais je crois que Demo-TIC reste une association. Ça aurait pu être eux, effectivement, mais non ce n’est pas eux.

Étienne Gonnu : D’accord. Autre question : comment réagissent les nouveaux employés qui découvrent qu’ils devront utiliser du logiciel libre dans leur nouveau travail ? Ce qui me fait penser à une question qui va dans le même sens : quand vous recrutez, est-ce que vous recrutez plus facilement des libristes ? Est-ce que le fait que vous utilisiez du logiciel libre vous permet, pour prendre un terme classique, d’attirer des talents ?

Nicolas Vivant : Dans le service informatique clairement oui, pas seulement par le fait qu’on utilise des logiciels libres, mais il y a, comment dire, un bénéfice collatéral de l’utilisation des logiciels libres, j’en ai parlé un petit peu, c’est qu’on a gagné en autonomie au niveau du service. C’est-à-dire que le travail qui est fait au sein du service informatique de Fontaine ce n’est pas un travail de gestion de prestataire, c’est un vrai travail de gestion de réseau, de gestion de systèmes, de gestion de la sécurité. Donc c’est un vrai un travail d’informaticien en gros avec des solutions à trouver. Par exemple, j’ai un stagiaire en ce moment. On a différentes solutions de monitoring de notre réseau pour nous assurer que l’ensemble de nos équipements, de nos serveurs principaux et tout ça fonctionne correctement. Là on a décidé d’essayer une solution qui s’appelle ???, qui est solution libre de monitoring du réseau. J’ai mis un stagiaire là-dessus., il est ravi ! Il est ravi puisqu’il fait absolument tout : il récupère le logiciel, il l’installe, il lit la doc, il construit les premières cartes, on travaille ensemble pour mettre en place.

Étienne Gonnu : C’est beaucoup plus formateur qu’un usage passif de logiciel privateur. J’imagine bien !

Nicolas Vivant : Tout à fait. Et on a beaucoup de projets comme ça. Il y a des solutions qu’on a construites nous-mêmes, par exemple pour la prise de main à distance facilitée des postes. Donc il débarque et puis il y a un côté atelier et innovant qui est très sympa.
Quand on a mis en place, c’était peu de temps après mon arrivée, la synchronisation des smartphones des élus et des décideurs avec notre agenda partagé et nos carnets d’adresses partagés, c’est pareil, ça a été un projet passionnant à mener, parce que c’est quelque chose qu’on a fait en complète autonomie et qui fonctionne très bien.
Donc au niveau du service informatique c’est clair, ce sont surtout des libristes. Ensuite au niveau des autres services, non. En revanche ce qui est très intéressant, ça s’est produit à plusieurs reprises ces dernières années, c’est quand quelqu’un arrive chez nous, typiquement un nouveau chef de service, qui arrive d’un environnement qui fonctionnait exclusivement sur du logiciel propriétaire, eh bien on y va toujours doucement en disant « écoute, chez nous c’est un petit peu différent. Qu’est-ce que tu veux faire ? Est-ce que, par exemple, tu préfères un poste sous Windows dans un premier et ensuite on voit. » J’ai plusieurs nouveaux recrutés qui m’ont dit : « Non, essayons et puis on verra bien ! » Et c’est toujours une immense satisfaction de voir que ça se passe bien, qu’ils adoptent et qu’il n’y a aucun problème. On voit des gens s’adapter très rapidement et c’est un bonheur !
Le meilleur retour que j’ai vraiment, celui qui me fait le plus plaisir quand j’installe un nouveau poste sous Linux, typiquement, parce que c’est vraiment ça le plus gros changement dans notre infrastructure, c’est quand quelqu’un qui bossait depuis dix ans sous Windows passe sous Linux et me dit : « Finalement ça ne change pas énormément ! » Ça je crois que c’est vraiment le but à atteindre. C’est le retour qui me fait le plus plaisir.

Étienne Gonnu : Pour aller plus loin, est-ce que vous avez eu des retours peut-être d’agents publics justement qui ont même découvert des usages, des choses qu’ils ne pouvaient pas faire ? C’est-à-dire avoir des besoins et des adaptations pour que le logiciel réponde encore plus précisément à leurs besoins ou parce qu’ils se rendent compte, qu’ils comprennent peut-être aussi l’intérêt politique du logiciel libre. Est-ce qu’il y a des gens qui, au-delà de se rendre compte que ça ne les bloquait pas dans leur travail, ça leur apportait quelque chose de plus ? C’est peut-être difficile à dire.

Nicolas Vivant : Oui. Indirectement oui. Typiquement il y a des logiciels propriétaires qui coûtent très, très cher, donc qu’on retrouve forcément en nombre limité dans une collectivité, simplement parce que le coût de licence est prohibitif. Je vais vous donner un exemple avec un logiciel que je vais nommer, qui s’appelle AutoCAD, qui est un logiciel qui permet de faire des plans, très utilisé dans les bâtiments mais aussi dans la conception de pièces en 2D ou en 3D. AutoCAD est un logiciel qui coûte une fortune. Quand on utilisait AutoCAD – à mon arrivée c’était le cas – eh bien on avait, je ne sais plus, peut-être deux ou trois licences et chaque fois qu’il fallait les renouveler je pleurais ! Aujourd’hui on utilise LibreCAD, on le déploie à autant de personnes que nécessaire, y compris à des gens qui l’utilisent de façon épisodique on installe LibreCAD sans aucune difficulté. Et c’est ça, plus que de nouveaux usages, c’est comment des usages peuvent être beaucoup plus larges, finalement, avec le logiciel libre.
Un autre exemple qui est intéressant je crois, c’est qu’on était à la recherche d’un logiciel de gestion du recrutement à Fontaine. On s’est mis à utiliser Odoo, qui s’appelait auparavant Open ERP, qui est un logiciel de gestion d’entreprise en fait, qui intègre un module de gestion des ressources humaines donc de recrutement. On a mis ça en place au sein de notre service ressources humaines à Fontaine. En fait, les retours ont été tellement bons au sein de notre service que ça s’est su dans d’autres communes et finalement on a aidé quatre autres communes à installer ce logiciel et c’est devenu aujourd’hui le logiciel de gestion du recrutement de quatre autres grosses communes sur l’agglomération grenobloise. Ça aussi c’est quelque chose qu’on ne voit pas. On se donne des conseils entre DSI, évidemment, on peut discuter de solutions, « j’ai acheté tel outil, il est vraiment très bien » ou « on rencontre des difficultés ». Mais arriver sur un besoin, on va dire nouveau, à équiper à un coût qui est quasiment nul d’autres collectivités, je trouve que ça s’inscrit parfaitement à la fois dans les valeurs du Libre et dans les valeurs du service public. C’est de l’argent public bien…

Étienne Gonnu : Bien employé, oui.

Nicolas Vivant : C’est ça !

Étienne Gonnu : C’est intéressant comme exemple, c’est une très belle illustration de l’intérêt en termes de mutualisation, d’ailleurs pas seulement technique, en termes d’échange de pratiques, d’expérience et de mise en commun. Oui, C’est très intéressant.
Je vois que le temps avance et je pense qu’il serait peut-être intéressant, même rapidement, d’évoquer la question des données publiques, de leur ouverture, de leur réutilisation potentiellement par les habitants et habitantes, les entreprises locales. Est-ce qu’il y a une politique à Fontaine ? Souvent on parle d’open data, c’est un peu le terme consacré.

Nicolas Vivant : Oui, parce que, de toute façon, on y est contraint légalement, mais pas seulement. Le principe de l’ouverture des données et de l’accès au public des données publiques est un principe qui est bon ; là-dessus il n’y a rien à dire ! La mise en place d’un portail permettant de mettre à disposition des usagers ces données-là est coûteuse et on a la chance, nous, d’avoir au niveau de la métropole, c’est-à-dire notre communauté de communes de l’agglomération grenobloise, donc la métro, un portail qu’elle a mis en place, qu’elle partage avec les communes qui le souhaitent pour mettre à leur disposition leurs données publiques. Ça c’est une très bonne chose et on va mettre en ligne nos premiers jeux de données très bientôt sur ce portail-là.
En revanche, on a été un petit peu réticents, je ne vous le cache pas, on ne s’est pas jetés tout de suite dans la bataille parce que l’open data ce n’est pas du Libre, en fait c’est vraiment très différent et j’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre pourquoi on les associe systématiquement. L’open data c’est la mise à disposition de tous des données publiques. Les données publiques ont été produites par le public. Ça coûté de l’argent, cet argent a été investi par le public pour produire les données. Une fois que ces données sont produites, quand on les met à disposition, il faut faire très attention à ce qu’on permet en termes d’utilisation de ces données. C’est-à-dire que si on permet la privatisation de ces données publiques pour qu’elles soient éventuellement revendues aux usagers, ça veut dire que les usagers payent deux fois ces données-là : une première fois sous forme d’impôt, c’est ce qui va permettre aux collectivités territoriales de produire ces données et, une seconde fois, à l’entreprise privée qui les aura remises en forme, qui en aura fait quelque chose de sexy ou qui les aura croisées et qui va alors les revendre. Et ça, ça pose un vrai problème politique. D’autant qu’au départ, quand on a commencé à s’intéresser à l’open data, je crois que c’était autour de 2013/2014, la licence recommandée par l’organisme d’État qui pousse à l’open data, donc le fameux data.gouv.fr, c’est ce qu’on appelle la licence ouverte qui, non seulement, autorise la réutilisation commerciale des données, mais encourage ainsi le privé à la réutilisation de ces données-là.

Étienne Gonnu : On avait travaillé avec eux. C’est intéressant ; vous évoquez quelque chose qui, en fait, était au centre de la chronique précédente d’ouverture de Marie-Odile Morandi, c’est l’importance de ce qu’on appelle la clause Share Alike, c’est comme ça qu’elle s’exprime dans les Creative Commons, c’est-à-dire un peu les licences à hérédité et qui imposent que les réutilisations conservent la licence libre. On voit effectivement l’importance que ça peut avoir. Je ne vais pas vous paraphraser, en termes de maintien les données librement accessibles et librement réutilisables. Effectivement il y a des problématiques très spécifiques, le point commun c’est cette éthique du partage, la réutilisation : ce qui est produit doit rester dans le pot commun puisque c’est produit, justement, avec les moyens communs.
Il nous reste deux minutes maximum, vous avez peut-être un dernier point que vous souhaitiez évoquer avant qu’on conclue notre échange ?

Nicolas Vivant : Il y a une chose que je n’ai pas dite pour que les gens se rendent compte, c’est que Fontaine est une ville de 23 000 habitants et que le service informatique représente un peu plus de 600 postes, pour que les gens aient un peu une idée de l’échelle dont on parle. Disons qu’on est une grosse PME ; on n’est pas Lyon ou Paris ; on n’est pas non plus une toute petite commune avec une dizaine de postes. C’était juste pour préciser ça.

Étienne Gonnu : Oui. Il n’y a pas besoin que ce soit une grande commune, une grande collectivité dans l’administration pour pouvoir s’engager comme vous le faites pour le logiciel libre, mutualiser avec d’autres communes comme vous avez pu le faire avec l’exemple que vous donniez. Je pense que c’est important également de le rappeler. On parlait de Territoire Numérique Libre, il y a des très petites communes qui ont montré leur engagement pour le logiciel libre. Je pense que c’est effectivement quelque chose d’important à rappeler.
En tout cas un grand merci Nicolas Vivant, DSI de Fontaine, pour cet échange. Je vous souhaite une très bonne fin de journée.

Nicolas Vivant : Merci beaucoup. Bonne journée à vous.

Frédéric Couchet : Merci à Nicolas. Pour ceux et celles qui voudraient voir la tête de Nicolas et le voir en vidéo, je vous invite à consulter le site de l’April, april.org et causecommune.org, vous y retrouverez un lien vers un bonus de La Bataille du Libre qui est un documentaire dans lequel était interviewé Nicolas Vivant et la vidéo a été transcrite, évidemment, par Marie-Odile Morandi, donc on fait le lien avec la première chronique. Merci Étienne. Merci Nicolas Vivant. On va faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Sometimes par Minda Lacy. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Sometimes par Minda Lacy

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Sometimes par Minda Lacy, sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.

Vous écouter toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm.
Nous allons passer au sujet suivant.

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Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet

Frédéric Couchet : Une lecture d’information et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique bonnet, professeur de philosophie et administratrice de l’April. Pour cette nouvelle chronique qui a été enregistrée il y a quelques semaines, Véronique nous commente un texte de Benjamin Mako Hill intitulé « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur, en pratique ».

Frédéric Couchet : Je suis en compagnie de Véronique Bonnet, vice-présidente de l’April et professeur de philosophie pour sa chronique « Partager est bon ». Bonjour Véronique.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Quel sujet vas-tu aborder aujourd’hui dans le cadre de ta chronique ?

Véronique Bonnet : Toujours dans les textes de la philosophie GNU, je vais m’intéresser à un texte qui a été intégré à la philosophie GNU en 2013 qui, cette fois, n’est pas de Richard Stallman, mais qui est de Benjamin Mako Hill et ce texte s’appelle « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur, en pratique ». Son titre anglais c’est When Free Software Isn't Better, ça part d’une intervention à LibrePlanet. L’activiste Benjamin Mako Hill, qui fait partie du staff de la FSF [Free Software Foundation], qui a travaillé au projet Debian, qui est membre des instances de la FSF, est professeur à l’université de Washington. Il se trouve que ce texte est dans la lignée de beaucoup de réflexions de Richard Stallman qui s’interroge sur la différence entre une efficacité pratique, effectivement un logiciel peut être puissant, peut être très pertinent, peut avoir des effets tout à fait précis et être utilisable sans pour autant s’inscrire dans une logique d’émancipation.

Je dirais que dans ce texte de Benjamin Mako Hill, il y a déjà la manifestation que Richard Stallman, dans la philosophie GNU, fait appel à des théoriciens, il ne verrouille pas tout ce qui manifeste une confiance dans les savoir-faire des développeurs, des speakers – il se trouve que Benjamin Mako Hill, est un speaker – va dans le sens de ce travail collaboratif qu’est le projet GNU. Il ne s’agit pas de faire de la philosophie GNU une chasse gardée, puisque le logiciel libre a besoin de tous les savoirs pour s’inscrire dans une humanité qui est créative. Le logiciel libre est une affaire sérieuse, comme tu le sais, donc il faut s’y mettre tous.

Je vais partir du titre « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur en pratique », je trouve qu’il y a une grande humilité dans ce titre. Comme le free sofware met l’émancipation au-dessus de tout , c’est sûr que dans un premier temps, comme il faut écrire du code, comme il faut atteindre une certaine maturité technologique, il y a des formes d’efficacité qui sont visées mais qui, pour autant, sont des moyens, ne sont pas fins en elles-mêmes. Le logiciel propriétaire, lui, s’inscrit dans une recherche d’efficacité pure et simple, dans une puissance et même une puissance sur les intelligences, une mainmise sur les usages, donc je dirais que se trouve arbitrée, dans ce texte de Benjamin Mako Hill, une question de priorité.

Je vais lire d’abord le tout début de ce texte qui concerne l’open source, open source qui a l’air de s’offusquer de la recherche d’efficacité des logiciels rapaces, des logiciels propriétaires, mais qui, en réalité, comme ces logiciels propriétaires, met la question d’autonomie entre parenthèses. Je lis : « Les promesses de l’open source sont de meilleure qualité, une plus grande fiabilité, davantage de flexibilité, un moindre coût et la fin d’une situation permettant à des fournisseurs rapaces de verrouiller leurs produits. » Donc il y a, certes, la prise en compte d’une tentative de l’open source de ne pas entrer dans une logique strictement prédatrice. À ceci près, et là c’est la phrase suivante, vous avez de la part de Benjamin Mako Hill la question : où est passée la question de la liberté ? Si on vise l’efficacité, après tout, si on ne vise que l’efficacité, pourquoi ne pas s’en tenir à la rapacité de logiciel propriétaire ? Donc si l’open source se place seulement sur le terrain de la technicité, après tout pourquoi est-ce que ce mouvement n’avoue pas qu’il est dans la même logique de la recherche d’usages qui ne sont pas nécessairement des usages autonomes, qui vont être des usages peut-être facilités mais qui ne s’inscriront pas dans la tentative du free software de responsabiliser les utilisateurs.

Benjamin Mako Hill se réfère à Richard Stallman aussitôt après : « Les développeurs de logiciels privateurs ne sont pas forcément incompétents. Parfois ils produisent un programme qui est puissant et fiable, bien qu'il ne respecte pas la liberté des utilisateurs. » Question, et je reviens au titre lui-même « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur, en pratique », ne faut-il pas dire qu’il est en tout cas supérieur au sens d’une exigence qui est éthique puisqu’au moins le logiciel libre vise la liberté. Voilà ce qu’écrit Benjamin Mako Hill : « L'amélioration en qualité due à la maturation d'un projet n'est que la cerise sur le gâteau ». La technicité, la fiabilité sont comme une cerise sur le gâteau, certes très appréciables par les utilisateurs, mais l’essentiel est défini par les quatre libertés de l’utilisateur. D’où la conséquence, Benjamin Mako Hill montre que l’open source, finalement, n’a pas grand-chose à dire, n’a pas grand-chose à dire puisque ce mouvement est privé de la préoccupation éthique du logiciel libre. Donc la majorité des projets libres ne sont même pas collaboratifs, j’ajoute la majorité des projets « dits libres », ceux de l’open source et là on peut se demander à quoi bon l’open source ? Alors que dans le free software la liberté est bien le but et l’efficacité est bien un moyen de ce but.

Pourquoi m’attarder sur la conclusion de cet argumentaire qui, progressivement, rapproche le logiciel open source du logiciel propriétaire en montrant que tous les deux méconnaissent l’autonomie comme finalité ultime. La conclusion est limpide : « Dans le cadre du libre, les logiciels de haute qualité existent comme un moyen plutôt que comme une fin en soi. Les développeurs de logiciels libres doivent s'efforcer de créer des logiciels fonctionnels, flexibles, qui servent bien leurs utilisateurs. Mais ceci n'est pas le seul moyen de progresser vers la réalisation d'un objectif qui est à la fois plus simple et bien plus important : respecter et protéger leurs libertés. »

Je ferai ici le lien, puisque la philosophie est mon activité, ma profession, entre le projet GNU et un projet qui a engagé un certain groupuscule de philosophes, c’était au 18e, c’était le projet de l’Encyclopédie. Lorsque Diderot et D’Alembert ont publié les planches des machines – des machines à tisser, des outils qui étaient utilisés dans les premières manufactures – bien sûr il était important que les dessins soient efficaces, il était important que les outils soient bien représentés, que les articles de l’Encyclopédie soient clairs, il a été vraiment fait appel aux meilleures plumes de l’époque, beaucoup ont collaboré à l’Encyclopédie, mais je dirais que au-delà, l’essentiel de l’essentiel c’était l’esprit qui réunissait tous ces intellectuels qui ne voulaient plus qu’il y ait d’un côté ce qu’on appelle les arts libéraux, ceux qui étaient réservés à l’élite, ceux qui pouvaient étudier la mathématique, l’astronomie, la musique, et de l’autre les arts dits serviles, l’artisanat, les savoir-faire extraordinaires de ceux dont on ne reconnaissait pas la compétence. Donc analogie avec le projet GNU puisque si on représente les mécanismes qui sont dévoilés dans l’Encyclopédie, si on amène les contemporains à s’approprier ces savoir-faire, il y a quelque chose des libertés du free software au sens où les planches de l’Encyclopédie permettent d’étudier, connaître, éventuellement améliorer – puisque l’Encyclopédie voyage en l’Europe, il y a une très large diffusion – pour rendre plus performants, plus compréhensibles des savoir-faire qui sont extraordinaires et respectables, l’esprit c’est vraiment le respect.
Donc je dirais, pour terminer cette chronique, que faire de la liberté ce qui est au-dessus et qui est même au-dessus de la performance, C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau, c’est la faute au projet GNU.

Frédéric Couchet : Merci Véronique pour cette belle conclusion. Le titre de l’article du professeur Benjamin Mako Hill c’est « Quand le logiciel libre n’est pas supérieur, en pratique » il est sur le site de GNU, gnu.org – g, n, u point org – à fois en anglais et en français et même dans d’autres langues. Les références sont également sur le site de l’April.
C’était la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Merci Véronique et belle journée.

Véronique Bonnet : Belle journée à toi Fred.

Frédéric Couchet : Merci.
C’était la chronique enregistrée il y a quelques semaines par Véronique Bonnet que nous retrouverons sans doute le mois prochain et, sans doute, en direct dans le studio.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces

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