Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 19 novembre 2019 »

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===Chronique « Itsik Numérik » d'Emmanuel Revah===
 
===Chronique « Itsik Numérik » d'Emmanuel Revah===
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre avec la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah. On a initié en septembre le principe de chroniques courtes, prises de position, peut-être coups de gueule et Emmanuel nous fait le plaisir d’être présent aujourd’hui en studio.<br/>
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Dans cette chronique tu veux, je crois, faire un petit peu un coup de gueule sur le Libre, c’est bien ça ?
  
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre avec la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah.
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<b>Emmanuel Revah : </b>Ouais, un petit peu, le Libre ne va pas toujours très bien.
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<b>Frédéric Couchet : </b>OK. On t’écoute.
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<b>Emmanuel Revah : </b>Il existe un forum sur Reddit, ou un sous-reddit, qui s'appelle <em>Stallman was right</em>, en français « Stallman avait raison ». Non, je ne vais pas parler d’Epstein, tout ça. Sur ce forum, on voit passer des tas d'articles et des critiques contre les médias sociaux centralisés, Google et ces assistants virtuels que les gens s’achètent afin de participer, malgré eux, à une panoptique 2.0.
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L'autre jour, je suis tombé sur un post qui parlait d'une de ces télévisions modernes que les gens peuvent s'acheter de manière totalement volontaire. Quelqu’un a découvert et dénonce que sa télé intègre des publicités : son télécran affiche des pubs directement dans le menu de l'appareil ! Clairement Samsung est allé trop loin cette fois ! Trop de publicité ! La publicité ça gêne, ça distrait et ça prend de la place, en gros, c'est une nuisance <b>visible</b>, donc inacceptable.<br/>
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Je dis ça parce que dans cette discussion toute la partie espionnage et manipulation semble être au moins secondaire (???).
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La solution préconisée par la majorité des intervenants -- et je rappelle qu’on est sur un forum qui s'appelle « Stallman avait raison » -- c'est d'installer divers types de bloqueurs de pub ! Mais oui, continuez à acheter des Smart TV et ensuite achetez un autre ordinateur, genre un Raspberry Pi sur lequel il faut installer un résolveur DNS pour filtrer les noms de domaines des publicitaires. Il faudrait donc allumer un ordinateur de plus, juste parce qu’on ne peut pas installer un bloqueur de pub, comme uBlock Origin, sur les télés intelligentes ? C’est vrai, on ne peut rien installer sur ces télés ordinateurs sans la permission du fabricant.
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Le truc qui me désespère vraiment, c’est quand tu arrives sur le forum et que tu dis juste : « N'achetez pas de Smart TV » et problème résolu, on te répond des trucs du genre : « Ce n’est pas possible. Presque toutes les télés modernes sont des Smart TV. » Le bon vieil argument de Margaret Thatcher : « il n’y a pas d’alternative ».
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Comment ça, pas d’alternative ? Déjà, est-ce que l’achat d’un tel appareil est obligatoire ? Est-ce qu’une télé est vitale ? En plus, une télé qui vous espionne, qui utilise votre connexion internet pour télécharger la propagande consumériste, qui vous encombre à télécharger le réglage de la luminosité d’un appareil qui veut juste la fin de nos libertés ? Excusez-moi Frédéric, il faut que j’envoie un petit texto à HADOPI : « Chère HADOPI, je me dois de vous informer que je partage ma connexion avec Samsung, Google et Facebook. Par conséquent, je gère que dalle ! »
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Il y en a qui conseillent carrément d’acheter une Smart télé et après de démonter la chose pour ensuite déconnecter les modules Wifi et Bluetooth de l’intérieur. Bien sûr ! Le conseil c’est de débourser la plus grosse partie d’un SMIC dans une télé espion et de commencer la relation en lui montrant le côté sombre d’un fer à souder. Non mais sérieux ! Il ne faut pas dire ça aux gens. Il ne faut pas dire aux gens de prendre le risque de casser leur truc tout neuf, qui sent encore l'odeur de l’usine de la souffrance ! En plus, si jamais par chance ton truc tombe en panne avant la fin de la garantie, tu auras l’air fin ! Il ne te restera plus qu’à te racheter le même dans sa version dernier cri édition indémontable ou, comme on dit, Apple.
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Pendant ce temps, on parle de DOH, ou DNS via HTTPS, c’est-à-dire du DNS qui passe par le web. C’est censé aider à contourner la censure et à cacher les requêtes DNS du FAI, du fournisseur d’accès à Internet. En gros, le truc qui permet à des logiciels de résoudre des noms de domaine en contournant les filtres de DNS classiques. Tu sais, le truc qu’on nous a conseillé d’installer sur un Raspberry Pi pour essayer d’éviter de recevoir la publicité en premier lieu.<br/>
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On peut parier très vite qu’après une bonne mise à jour forcée du système d’exploitation de l’humanité, la télé pub va passer à ce système et le petit ordi qui tente en vain de protéger le peu d’espace privé qui nous reste va simplement ramasser de la poussière en clignotant de temps en temps.<br/>
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La Smart TV contournera les filtres DNS sans problème. Si la Smart TV veut t’afficher des pubs, eh bien  elle le fera, rien ne l’empêche de le faire, comme avec les DRM. En gros, on pourra vous obliger à connecter l’espion diffuseur de publicité à Internet pour qu’elle puisse fonctionner comme prévu sinon, pas de chocolat !
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Toute cette histoire est une bonne métaphore pour un truc horrible qu'on entend trop, trop souvent, même chez des libristes : « Il n’y a pas d’alternative. On n’a pas d’alternative. »<br/>
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Il n’y a pas d’alternative, je dois utiliser Gmail pour travailler avec les gens.<br/>
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Il n’y a pas d’alternative, si je n’ai pas de smartphone, je ne pourrai pas savoir l’heure.<br/>
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On n’a pas d’alternative pour sauver l’environnement, les droits des humains et toutes les autres choses que l’humanité ne mérite même plus trop. On doit absolument poster des images sur une plateforme qui censure de plus en plus ouvertement, dont l’objectif est de conquérir les marchés qui se trouvent  sous des régimes autoritaires et, au passage, nous habituer de plus en plus à la censure.
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Il est temps pour nous d’arrêter de faire des compromis, l'invasion du capitalisme de surveillance est allée bien trop loin et depuis bien trop longtemps. On perd notre énergie avec des rustines qui ne servent, finalement, qu'à soutenir la surveillance permanente. Ces rustines sont de plus en plus complexes, de plus en plus réservées à des personnes ayant des compétences avancées et surtout du temps à perdre.
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Il est temps d’arrêter les compromis. N’achetons pas de smartphone, n’achetons pas de Smart TV, arrêtons de soutenir les médias sociaux centralisés et, de manière générale, les GAFAM qui ont pour objectif de devenir les gouvernements 2,0, sinon, tous nos efforts jusqu’ici, seront compromis.
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Je vais terminer juste avec une phrase que j'adore, qui est plutôt le titre d’une chanson de Gil Scott-Heron  qui dit : <em>The Revolution Will Not Be Televised</em>, en français « La Révolution ne sera pas télévisée ».
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<b>Frédéric Couchet : </b>Merci Emmanuel. J’ai quand même envie de te poser une petite question : tu y crois vraiment que les gens seront capables de prendre ces décisions, de faire ces choix
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<b>Emmanuel Revah : </b>Je ne sais pas s’ils seront capables, mais c’est peut-être quelque chose qu’on doit faire si on veut rester libre, si on veut ne pas se sentir obligé d’avoir des smartphones, des Smart TV, tous ces appareils-là. À un moment donné, c’est peut-être à nous de faire ces choix qui ne sont pas toujours évidents, peut-être, mais qu’il faut faire.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Vu que tu es sur place on va en profiter un petit peu comme on a un petit peu de temps devant nous : tu es informaticien. Est-ce que tu te définis comme informaticien ? Peut-être ou peut-être pas d’ailleurs.
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<b>Emmanuel Revah : </b>Je dois me définir à un moment donné parce qu’on me pose toujours des questions et je commence à me définir en tant qu’informaticien militant.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Ton activité professionnelle principale aujourd’hui c’est de faire de l’informatique libre ? C’est ça ?
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<b>Emmanuel Revah : </b>C’est ça.
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<b>Frédéric Couchet : </b> Avec un public cible, c’est quoi ? C’est le grand public, ce sont les entreprises, ce sont les collectivités ?
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<b>Emmanuel Revah : </b>C’est plutôt le grand public, l’associatif éventuellement et quelques entreprises un peu éthiques. Maintenant je suis en Normandie. Je travaille avec une association qui fait la promotion de l’agriculture biologique, donc je leur développe des outils, je leur installe des ordinateurs sous système libre, je leur propose des solutions de travail libres. J’essaye aussi de faire un petit peu des conférences ou des choses comme ça, de faire de la sensibilisation ; j’ai pu faire deux/trois interventions dans les médiathèques autour de Granville et un tout petit peu à Rennes.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Le nom de ton activité professionnelle c’est Hoga.
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<b>Emmanuel Revah : </b>C’est ça.
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<b>Frédéric Couchet : </b> Hoga, le site web c’est quoi ?
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<b>Emmanuel Revah : </b>H, o, g, a point fr
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<b>Frédéric Couchet : </b>Point fr. J’ai l’impression que ton activité est à la fois professionnelle mais aussi militante. Je suppose que quand tu vas voir les gens ou les gens avec qui tu discutes, tu leur parles aussi de  ce dont tu viens de nous parler dans cette chronique. Comment ils réagissent ? Est-ce que ces personnes te demandent s’il y a des alternatives ? Est-ce que ces personnes t’expliquent qu’en fait elles ne peuvent pas se passer de Facebook pour être en relation avec leurs amis, avec leur famille ? Comment ça se passe ?
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<b>Emmanuel Revah : </b>Il y a deux choses. Il y a en effet d’un côté les gens qui disent qu’ils ont besoin de Facebook et ce genre de choses-là. Dans ces cas-là, ce qui est bien c’est que je vis dans un coin où je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent, je n’habite pas à Paris, c’est fini tout ça, donc j’ai aussi la possibilité de dire aux gens « si vous voulez installer un ordinateur sous Windows avec Skype et machin et machin », eh bien je ne suis pas obligé de le faire. Ça c’est vraiment la liberté que je me suis prise, c’est d’avoir le choix de ne pas faire des choses que je ne veux pas.<br/>
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Quand les gens me disent : « J’ai besoin de Facebook, j’ai besoin de ça », je leur dis : « Très bien, faites sans moi » et évidemment on me demande toujours des alternatives. Je peux parler de Framasphère et Mastodon qui peuvent remplacer une partie des fonctionnalités de Facebook. J’essaie aussi d’être honnête, de dire sur Mastodon il n’y a pas autant de personnes que sur Twitter. En revanche sur Mastodon, les gens qui sont là sont peut-être plus ouverts à des propositions éthiques et originales, etc., ce n’est pas une plateforme commerciale. Donc on lâche quelque chose et on gagne autre chose.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. On va préciser que Mastodon est un réseau décentralisé de microblogage, des messages courts même s’ils sont plus longs que sur Twitter. Ça fait écho : j’étais récemment à un forum sur les médias associatifs, médias indépendants et associatifs, qui parlaient un peu de leur dépendance à Facebook, aux outils Google, etc., et une des personnes intervenantes, je ne sais plus du tout de quel média elle était, a cité Mastodon et justement peut-être le besoin d’être aussi présent sur Mastodon pour voir comment ça fonctionne, pour s’approprier l’outil, en plus d’être présent sur Twitter. Il y a un écho dans ces milieux-là et avec des outils qui sont développés de plus en plus. Il y a Mastodon, il y a  Framasphère.
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<b>Emmanuel Revah : </b>C’est Diaspora.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est ça, c’est Diaspora donc un outil de réseau social, on va dire, en Libre. Et puis Framasoft développe d’outils. Par exemple, sur les vidéos, il y a aussi PeerTube. Quand je parlais tout à l’heure, juste avant, de l’Ubuntu Party, les vidéos qui sont tournées sur l’Ubuntu Party sont téléchargés sur une instance PeerTube. Une instance PeerTube c’est un réseau décentralisé de vidéos, évidemment pour offrir une alternative décentralisée, loyale à YouTube.<br/>
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Donc toi, dans le cadre de tes demandes, est-ce que tu as des gens qui te demandent vraiment de leur installer par exemple un PeerTube ou de les former à ça, de leur expliquer ?
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<b>Emmanuel Revah : </b>La demande pour des instances de PeerTube, il n’y en a pas encore trop, mais j’en parle puisque je fréquente un peu, il y a quelques artistes dans le coin où j’habite, j’essaye de les amener vers ces choses-là. J’ai quand même installé une instance Mastodon et PeerTube et mon instance Mastodon est sur invitation. L’idée c’est d’avoir des gens du coin, parce que sur Mastodon on a une vision globale du réseau fédéré, mais on peut aussi avoir une vision locale.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Tout à fait
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<b>Emmanuel Revah : </b>Ça peut être intéressant pour lier la vie locale.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Ça permet de lier la vie locale, mais ça permet aussi de lier des vies par rapport à leurs centres d’intérêt donc de ne pas être soumis à la censure d’une seule entreprise qui est, en l’occurrence, Twitter.<br/>
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Dernière question parce qu’après on va faire la pause musicale, je crois que tu fais aussi ou tu as commencé à faire des conférences gesticulées.
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<b>Emmanuel Revah : </b>Oui.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Est-ce que tu peux nous en dire deux mots ? Quel est l’objectif de ces conférences gesticulées ?
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<b>Emmanuel Revah : </b>L’objectif c’est justement de sensibiliser le grand public aux différents problématiques, notamment le truc un petit peu fait tourner ça s’appelle <em>Le prix du gratuit</em>. Au début j’ai développé cette conférence pour une association à Rennes. Ça a pour objectif de rendre plus transparent ce qui se passe derrière les géants du Web. On parle toujours de Facebook, Google et Apple, Amazon, machin, les GAFAM, mais en fait ça c’est la partie visible de l’iceberg et derrière il y a toutes les entreprises dont le grand public ne connaît pas le nom. L’idée c’est vraiment de lui montrer ça et de montrer comment on fait pour gagner des élections aux États-Unis ou en Angleterre, etc. Le côté caché de tout ça, ça touche un plus les gens ; c’est vraiment ça l’objectif.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. On va rappeler qu’une conférence gesticulée ça mélange des savoirs chauds et des savoirs froids. Si des gens veulent t’inviter à faire une conférence, ils peuvent te contacter.
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<b>Emmanuel Revah : </b>Tout à fait.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Sur Hoga.fr
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<b>Emmanuel Revah : </b>C’est ça. Exactement. Merci
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<b>Frédéric Couchet : </b>OK. Merci Emmanuel. C’était la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah ; son site hoga.fr, hoga avec un « h », h, o, g, a.<br/>
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On va faire une pause musicale.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons écouter <em>Hill</em> par Hungry Lucy. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
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<b>Pause musicale : </b><em>Hill</em> par Hungry Lucy.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d’écouter <em>Hill</em> par Hungry Lucy, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les informations sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio Cause Commune, causecommune.fm.
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Vous écoutez toujours l’émission <em>Libre à vous !</em> sur radio Cause commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.<br/>
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Nous allons passer maintenant au sujet principal de l’émission.
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[Virgule musicale]
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===<em>Ada ou la beauté des nombres</em>, interview de son auteure Catherine Dufour===

Version du 20 novembre 2019 à 17:45


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 novembre 2019 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : - Charlotte - Tr4sK - Emmanuel Revah - Catherine Dufour - Magali Garnero - Frédéric Couchet - Patrick Cresusot à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 19 novembre 2019

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou enregistrer le podcast PROVISOIRE

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile.

Merci d’être avec nous aujourd’hui pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Nous sommes mardi 19 novembre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

La radio dispose d’un salon web, utilisez votre navigateur web préféré, vous pouvez vous rendre sur le site causecommune.fm, cliquer sur « chat » et ainsi nous retrouver sur le salon dédié à l’émission pour interagir en direct avec nous.

Le site web de l’April c’est april.org et vous y retrouverez une page consacrée à l’émission avec les références sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons passer au programme de l’émission du jour.
Nous allons commencer par trois courtes interviews réalisées à l’Ubuntu Party du week-end dernier.
Ensuite ce sera la chronique « Itsik Numérik » d'Emmanuel Revah qui nous fait le plaisir d’être avec nous aujourd’hui.
D’ici une vingtaine de minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le livre Ada ou la beauté des nombres avec l’interview de son autrice, Catherine Dufour.
En fin d’émission nous aurons l’interview de Romain Pierronnet pour l'événement Le Libre sur la Place qui se déroule à Nancy le 26 novembre 2019.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot. Bonjour Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour tout le monde et bonne émission.

Frédéric Couchet : Place tout de suite au premier sujet.

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Frédéric Couchet : Nous allons commencer par trois courtes interviews réalisées à l’occasion de l’Ubuntu Party qui s’est déroulée à la Cité des sciences et de l’industrie les 16 et 17 novembre 2019. J’ai également fait une présentation sur l’émission, la vidéo devrait être bientôt disponible sur le site ubuntu-party.org et j’ai profité de cette conférence pour faire trois interviews. Nous allons donc les écouter et on se retrouve juste après.

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Interviews réalisées lors de l'Ubuntu Party de Paris

Frédéric Couchet : Nous sommes en direct de l’Ubuntu Party de Paris, donc le 17 novembre 2019. Je suis avec Tony. Je voudrais savoir pourquoi tu es venu à l’Ubuntu Party aujourd’hui ?

Tony : Je suis venu à l’Ubuntu Party parce que j’ai eu beaucoup de chance : un ami m’a fait découvrir le monde du Libre. Au début je ne jurais que par Windows parce que j’ai été formaté à l’école à l’utilisation de Windows et j’avais peur d’essayer un autre système. Il m’a fait découvrir un autre système qui m’a beaucoup aidé parce que j’ai eu un grave accident de la route et en fait, grâce à ce système-là, je peux utiliser l’informatique parce qu’il est facile d’entretien et beaucoup plus rapide que d’autres systèmes comme Windows où il faut mettre à jour le système ce qui prend beaucoup de temps, mettre à jour les pilotes, les logiciels alors que là tout se fait en une seule phase : vous appuyez sur un bouton pour mettre à jour, éventuellement passer par le terminal pour taper quelques formules, mais si on ne le fait le système fonctionne très bien. Ça m’a rendu un immense service, ça m’a donné une autonomie administrative.
Je viens régulièrement à l’Ubuntu Party pour pouvoir découvrir ce qui se fait de nouveau, apprendre des nouvelles choses et puis j’aimerais un peu m’informer parce que j’aimerais pouvoir trouver une solution pour rendre le système Ubuntu accessible à d’autres genres de handicap comme le handicap visuel, de façon à ce qu’une personne aveugle puisse installer le DVD dans un ordinateur comme monsieur et madame Tout-le monde et qu’elle puisse directement avoir un système qui soit vocalisé, l’utiliser directement et toujours avec de l’autonomie aussi. Malheureusement les logiciels qui sont utilisés par les personnes malvoyantes sont coûteux et, au niveau des droits de propriété, ce n’est pas terrible, elles ne font pas ce qu’elles veulent. Il y a des personnes qui réalisent qu’elles ont acheté quelque chose qui fonctionne sur Windows 7, mais qui, malheureusement, ne fonctionne plus sur Windows 10, donc elles sont obligées de repayer. Du coup elles sont extrêmement contraintes ! Ce serait bien que le Libre permette aussi de rendre les choses encore plus accessibles pour les personnes qui en ont le plus besoin pour acquérir de l’autonomie dans leurs difficultés quotidiennes.

Frédéric Couchet : D’accord. Je ne sais pas s’il y en a côté Ubuntu, mais je crois que côté Debian il y a des versions qui sont adaptées pour les personnes souffrant de problèmes visuels. Tu as déjà eu l’occasion d’en tester toi ?

Tony : J’ai regardé sur HandyLinux, mais malheureusement ce sont des versions qui ne sont pas entretenues très longtemps. J’ai essayé de tester, mais ça ne m’a pas l’air de bien fonctionner. Pour l’instant, pour tout ce qui est lié au handicap, une version spéciale handicap dans le monde du Libre ça n’existe pas encore et je pense que c’est quelque chose à créer. Malheureusement je ne suis pas programmeur, j’aimerais bien savoir programmer pour pouvoir mettre ma pierre à l’édifice. Ça serait quelque chose à développer pour démocratiser.
Je pense que pour pouvoir démocratiser les logiciels libres et tout ça, ça serait de s’inspirer un peu de ce qu’a fait Microsoft : ils ont imposé directement Windows dans les ordinateurs à l’école et, du coup, on a été formatés comme ça et ce qui serait bien ce serait de pouvoir récupérer des PC. Par exemple, les entreprises de La Défense ont recyclé des PC à des sociétés, j’ai vu un reportage récemment, qui se retrouvaient sur les côtes africaines en train de polluer des terres là-bas. Ça serait bien justement de pouvoir récupérer ces PC-là, d’installer un système libre dessus, Ubuntu ou Debian, et de pouvoir les distribuer à des personnes qui ont de faibles ressources ou qui ont des problèmes de santé ou de handicap. L’informatique c’est difficile et pouvoir démocratiser l’accès à informatique ça serait une bonne promotion pour le logiciel libre, en fait s’inspirer de ce qu’a fait Windows à l’école, mais le faire en distribuant les ordinateurs gratuitement ou pour une somme modique et éventuellement assurer une formation à la personne puisque quand on ne connaît ça fait peur, mais une fois qu’on a découvert on est déjà accroc.

Frédéric Couchet : D’accord. Écoute merci Tony et à la prochaine Ubuntu Party. Au revoir.

Tony : OK. Merci beaucoup. Au revoir.

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Frédéric Couchet : Nous sommes toujours à l’Ubuntu Party du 17 novembre 2019 à la Cité des sciences. Nous sommes avec Charlotte. Charlotte, tu participes aux Ubuntu Party. Pourquoi tu participes ? Qu’est-ce que tu y fais ?

Charlotte : Pourquoi je participe ? Par habitude ! Ça fait deux ans que j’y participe et je travaille (???) avec le groupe Ubuntu depuis un petit moment. En fait, ce qui m’intéresse c’est que c’est la façon la plus facile de parler avec le grand public parce que Ubuntu c’est un système d’exploitation, c’est très facile à montrer sur un ordinateur. On montre : « Cet ordinateur que tu vois fonctionne avec un logiciel libre. » Et là-dessus : « Oui, mais qu’est-ce que c’est qu’un logiciel libre ? » et là-dessus on enchaîne, on parle de Gimp, de tous les autres logiciels qui existent. « Qu’est-ce que tu fais ? – Tu fais de la musique, il y a Audacity, etc. »
Donc l’Ubuntu Party c’est une bonne excuse pour parler au grand public comme je viens de dire. Il y a des gens qui viennent qui ne connaissent pas du tout Ubuntu. Il y a des gens qui sont un peu à l’étape supérieure, qui veulent qu’on les aide à installer Ubuntu, donc c’est tout à fait possible et c’est un grand succès. Après il y a les gens qui connaissent déjà, qui sont habitués, et pour eux il y a des conférences ou des ateliers s’ils veulent apprendre plus de choses. Dans les conférences, il y a par exemple une conférence sur l’asso FDN et ça c’est valable pour les gens qui connaissent déjà un peu ; ils sont beaucoup intéressés par ça. C’est un mélange de plusieurs types de public, ce qui est assez intéressant.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu fais aussi les images de communication de l’Ubuntu Party ? Non ?

Charlotte : Oui et ça me fait très plaisir. Effectivement, il y a tous les trucs à faire pour un évènement : les affiches, les images pour les réseaux sociaux, la signalétique une fois à l’intérieur et, comme c’est mon taf, c’est bien, je suis utile là-dessus, enfin j’espère. Donc effectivement c’est un peu mon taf, mon travail attitré à l’Ubuntu Party.

Frédéric Couchet : D’accord. Merci Charlotte et à la prochaine Ubuntu Party.

Charlotte : Merci beaucoup.

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Frédéric Couchet : Maintenant nous sommes avec Tr4sK, l’un des organisateurs de l‘Ubuntu Party de 2019 à la Cité des sciences. Bonjour Tr4sK, est-ce que tu peux nous faire un petit retour sur cette édition de novembre 2019 ?

Tr4sK : Bonjour Frédéric. Ça c’est très bien passé. C’était une très bonne Ubuntu Party. On a eu des super conférences sur FDN, sur les opérateurs Internet, sur la blockchain, que j’ai bien aimées, et des ateliers sur comment se libérer des GAFAM, comment installer un bon Ad Blocker et un petit peu d’explications sur comment gérer les cookies et quoi faire avec ses cookies sur un ordinateur.

Frédéric Couchet : Donc pour ne pas être tracé, pour bloquer les pubs.

Tr4sK : Exactement.

Frédéric Couchet : Le principe de l’Ubuntu Party c’est aussi la fête d’installation, donc les gens viennent avec un ordinateur, se font installer Ubuntu ?

Tr4sK : C’est ça, on a fait, je crois, une quarantaine d’installations hier ou peut-être 80, 40 je crois, donc on doit être à une centaine sur deux jours, ce qui est plutôt pas mal. C’est 100 nouveaux ubunteros cette année, pour cette édition. On en a deux par an, ça nous fait 200 ubunteros en plus par an.

Frédéric Couchet : En tout cas c’est une action qui fonctionne et encore maintenant parce que j’ai croisé quelqu’un, une dame qui demandait « est-ce que je peux venir avec ma tablette ? » Typiquement elle viendra soit à la prochaine Ubuntu Party soit au Premier samedi du Libre.

Tr4sK : Qui a lieu aussi à La Villette.

Frédéric Couchet : Là c’est le rangement, donc content de l’édition de novembre 2019 ?

Tr4sK : Content.

Frédéric Couchet : Fatigué ?

Tr4sK : Fatigué.

Frédéric Couchet : OK. On va te laisser te reposer. À bientôt.

Tr4sK : Il faut ranger. Merci. Merci d’être venu.

Frédéric Couchet : Merci à toi.

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Frédéric Couchet : Vous avez écouté trois courtes interviews réalisées dimanche 17 novembre 2019 à la Cité des sciences et de l’industrie dans le cadre de l’Ubuntu Party. Il y a eu pas mal de conférences et d’ateliers. On me signale que les vidéos sont en train d’être téléchargées et seront disponibles assez rapidement. L’adresse c’est « videos » avec un « s » point ubuntu tiret paris point org, videos.ubuntu-paris.org. On mettra évidemment les références sur le site de l’April et sur le site de Cause commune. Je voulais aussi préciser que Charlotte qui était interviewée, qui est bénévole dans les Ubuntu Party anime avec Olive chaque lundi l’émission Dissonances sur Cause commune de 12 heures à 13 heures 30 ; ça parle de musique, d’histoire, de science, de politique ; ils animent aussi avec André qui parle souvent de musique. Je vous encourage à écouter sur Cause Commune FM 93.1.
On va passer au sujet suivant.

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Chronique « Itsik Numérik » d'Emmanuel Revah

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah. On a initié en septembre le principe de chroniques courtes, prises de position, peut-être coups de gueule et Emmanuel nous fait le plaisir d’être présent aujourd’hui en studio.
Dans cette chronique tu veux, je crois, faire un petit peu un coup de gueule sur le Libre, c’est bien ça ?

Emmanuel Revah : Ouais, un petit peu, le Libre ne va pas toujours très bien.

Frédéric Couchet : OK. On t’écoute.

Emmanuel Revah : Il existe un forum sur Reddit, ou un sous-reddit, qui s'appelle Stallman was right, en français « Stallman avait raison ». Non, je ne vais pas parler d’Epstein, tout ça. Sur ce forum, on voit passer des tas d'articles et des critiques contre les médias sociaux centralisés, Google et ces assistants virtuels que les gens s’achètent afin de participer, malgré eux, à une panoptique 2.0.

L'autre jour, je suis tombé sur un post qui parlait d'une de ces télévisions modernes que les gens peuvent s'acheter de manière totalement volontaire. Quelqu’un a découvert et dénonce que sa télé intègre des publicités : son télécran affiche des pubs directement dans le menu de l'appareil ! Clairement Samsung est allé trop loin cette fois ! Trop de publicité ! La publicité ça gêne, ça distrait et ça prend de la place, en gros, c'est une nuisance visible, donc inacceptable.
Je dis ça parce que dans cette discussion toute la partie espionnage et manipulation semble être au moins secondaire (???).

La solution préconisée par la majorité des intervenants -- et je rappelle qu’on est sur un forum qui s'appelle « Stallman avait raison » -- c'est d'installer divers types de bloqueurs de pub ! Mais oui, continuez à acheter des Smart TV et ensuite achetez un autre ordinateur, genre un Raspberry Pi sur lequel il faut installer un résolveur DNS pour filtrer les noms de domaines des publicitaires. Il faudrait donc allumer un ordinateur de plus, juste parce qu’on ne peut pas installer un bloqueur de pub, comme uBlock Origin, sur les télés intelligentes ? C’est vrai, on ne peut rien installer sur ces télés ordinateurs sans la permission du fabricant.

Le truc qui me désespère vraiment, c’est quand tu arrives sur le forum et que tu dis juste : « N'achetez pas de Smart TV » et problème résolu, on te répond des trucs du genre : « Ce n’est pas possible. Presque toutes les télés modernes sont des Smart TV. » Le bon vieil argument de Margaret Thatcher : « il n’y a pas d’alternative ».

Comment ça, pas d’alternative ? Déjà, est-ce que l’achat d’un tel appareil est obligatoire ? Est-ce qu’une télé est vitale ? En plus, une télé qui vous espionne, qui utilise votre connexion internet pour télécharger la propagande consumériste, qui vous encombre à télécharger le réglage de la luminosité d’un appareil qui veut juste la fin de nos libertés ? Excusez-moi Frédéric, il faut que j’envoie un petit texto à HADOPI : « Chère HADOPI, je me dois de vous informer que je partage ma connexion avec Samsung, Google et Facebook. Par conséquent, je gère que dalle ! »

Il y en a qui conseillent carrément d’acheter une Smart télé et après de démonter la chose pour ensuite déconnecter les modules Wifi et Bluetooth de l’intérieur. Bien sûr ! Le conseil c’est de débourser la plus grosse partie d’un SMIC dans une télé espion et de commencer la relation en lui montrant le côté sombre d’un fer à souder. Non mais sérieux ! Il ne faut pas dire ça aux gens. Il ne faut pas dire aux gens de prendre le risque de casser leur truc tout neuf, qui sent encore l'odeur de l’usine de la souffrance ! En plus, si jamais par chance ton truc tombe en panne avant la fin de la garantie, tu auras l’air fin ! Il ne te restera plus qu’à te racheter le même dans sa version dernier cri édition indémontable ou, comme on dit, Apple.

Pendant ce temps, on parle de DOH, ou DNS via HTTPS, c’est-à-dire du DNS qui passe par le web. C’est censé aider à contourner la censure et à cacher les requêtes DNS du FAI, du fournisseur d’accès à Internet. En gros, le truc qui permet à des logiciels de résoudre des noms de domaine en contournant les filtres de DNS classiques. Tu sais, le truc qu’on nous a conseillé d’installer sur un Raspberry Pi pour essayer d’éviter de recevoir la publicité en premier lieu.
On peut parier très vite qu’après une bonne mise à jour forcée du système d’exploitation de l’humanité, la télé pub va passer à ce système et le petit ordi qui tente en vain de protéger le peu d’espace privé qui nous reste va simplement ramasser de la poussière en clignotant de temps en temps.
La Smart TV contournera les filtres DNS sans problème. Si la Smart TV veut t’afficher des pubs, eh bien elle le fera, rien ne l’empêche de le faire, comme avec les DRM. En gros, on pourra vous obliger à connecter l’espion diffuseur de publicité à Internet pour qu’elle puisse fonctionner comme prévu sinon, pas de chocolat !

Toute cette histoire est une bonne métaphore pour un truc horrible qu'on entend trop, trop souvent, même chez des libristes : « Il n’y a pas d’alternative. On n’a pas d’alternative. »
Il n’y a pas d’alternative, je dois utiliser Gmail pour travailler avec les gens.
Il n’y a pas d’alternative, si je n’ai pas de smartphone, je ne pourrai pas savoir l’heure.
On n’a pas d’alternative pour sauver l’environnement, les droits des humains et toutes les autres choses que l’humanité ne mérite même plus trop. On doit absolument poster des images sur une plateforme qui censure de plus en plus ouvertement, dont l’objectif est de conquérir les marchés qui se trouvent sous des régimes autoritaires et, au passage, nous habituer de plus en plus à la censure.

Il est temps pour nous d’arrêter de faire des compromis, l'invasion du capitalisme de surveillance est allée bien trop loin et depuis bien trop longtemps. On perd notre énergie avec des rustines qui ne servent, finalement, qu'à soutenir la surveillance permanente. Ces rustines sont de plus en plus complexes, de plus en plus réservées à des personnes ayant des compétences avancées et surtout du temps à perdre.

Il est temps d’arrêter les compromis. N’achetons pas de smartphone, n’achetons pas de Smart TV, arrêtons de soutenir les médias sociaux centralisés et, de manière générale, les GAFAM qui ont pour objectif de devenir les gouvernements 2,0, sinon, tous nos efforts jusqu’ici, seront compromis.

Je vais terminer juste avec une phrase que j'adore, qui est plutôt le titre d’une chanson de Gil Scott-Heron qui dit : The Revolution Will Not Be Televised, en français « La Révolution ne sera pas télévisée ».

Frédéric Couchet : Merci Emmanuel. J’ai quand même envie de te poser une petite question : tu y crois vraiment que les gens seront capables de prendre ces décisions, de faire ces choix

Emmanuel Revah : Je ne sais pas s’ils seront capables, mais c’est peut-être quelque chose qu’on doit faire si on veut rester libre, si on veut ne pas se sentir obligé d’avoir des smartphones, des Smart TV, tous ces appareils-là. À un moment donné, c’est peut-être à nous de faire ces choix qui ne sont pas toujours évidents, peut-être, mais qu’il faut faire.

Frédéric Couchet : Vu que tu es sur place on va en profiter un petit peu comme on a un petit peu de temps devant nous : tu es informaticien. Est-ce que tu te définis comme informaticien ? Peut-être ou peut-être pas d’ailleurs.

Emmanuel Revah : Je dois me définir à un moment donné parce qu’on me pose toujours des questions et je commence à me définir en tant qu’informaticien militant.

Frédéric Couchet : D’accord. Ton activité professionnelle principale aujourd’hui c’est de faire de l’informatique libre ? C’est ça ?

Emmanuel Revah : C’est ça.

Frédéric Couchet : Avec un public cible, c’est quoi ? C’est le grand public, ce sont les entreprises, ce sont les collectivités ?

Emmanuel Revah : C’est plutôt le grand public, l’associatif éventuellement et quelques entreprises un peu éthiques. Maintenant je suis en Normandie. Je travaille avec une association qui fait la promotion de l’agriculture biologique, donc je leur développe des outils, je leur installe des ordinateurs sous système libre, je leur propose des solutions de travail libres. J’essaye aussi de faire un petit peu des conférences ou des choses comme ça, de faire de la sensibilisation ; j’ai pu faire deux/trois interventions dans les médiathèques autour de Granville et un tout petit peu à Rennes.

Frédéric Couchet : D’accord. Le nom de ton activité professionnelle c’est Hoga.

Emmanuel Revah : C’est ça.

Frédéric Couchet : Hoga, le site web c’est quoi ?

Emmanuel Revah : H, o, g, a point fr

Frédéric Couchet : Point fr. J’ai l’impression que ton activité est à la fois professionnelle mais aussi militante. Je suppose que quand tu vas voir les gens ou les gens avec qui tu discutes, tu leur parles aussi de ce dont tu viens de nous parler dans cette chronique. Comment ils réagissent ? Est-ce que ces personnes te demandent s’il y a des alternatives ? Est-ce que ces personnes t’expliquent qu’en fait elles ne peuvent pas se passer de Facebook pour être en relation avec leurs amis, avec leur famille ? Comment ça se passe ?

Emmanuel Revah : Il y a deux choses. Il y a en effet d’un côté les gens qui disent qu’ils ont besoin de Facebook et ce genre de choses-là. Dans ces cas-là, ce qui est bien c’est que je vis dans un coin où je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent, je n’habite pas à Paris, c’est fini tout ça, donc j’ai aussi la possibilité de dire aux gens « si vous voulez installer un ordinateur sous Windows avec Skype et machin et machin », eh bien je ne suis pas obligé de le faire. Ça c’est vraiment la liberté que je me suis prise, c’est d’avoir le choix de ne pas faire des choses que je ne veux pas.
Quand les gens me disent : « J’ai besoin de Facebook, j’ai besoin de ça », je leur dis : « Très bien, faites sans moi » et évidemment on me demande toujours des alternatives. Je peux parler de Framasphère et Mastodon qui peuvent remplacer une partie des fonctionnalités de Facebook. J’essaie aussi d’être honnête, de dire sur Mastodon il n’y a pas autant de personnes que sur Twitter. En revanche sur Mastodon, les gens qui sont là sont peut-être plus ouverts à des propositions éthiques et originales, etc., ce n’est pas une plateforme commerciale. Donc on lâche quelque chose et on gagne autre chose.

Frédéric Couchet : D’accord. On va préciser que Mastodon est un réseau décentralisé de microblogage, des messages courts même s’ils sont plus longs que sur Twitter. Ça fait écho : j’étais récemment à un forum sur les médias associatifs, médias indépendants et associatifs, qui parlaient un peu de leur dépendance à Facebook, aux outils Google, etc., et une des personnes intervenantes, je ne sais plus du tout de quel média elle était, a cité Mastodon et justement peut-être le besoin d’être aussi présent sur Mastodon pour voir comment ça fonctionne, pour s’approprier l’outil, en plus d’être présent sur Twitter. Il y a un écho dans ces milieux-là et avec des outils qui sont développés de plus en plus. Il y a Mastodon, il y a Framasphère.

Emmanuel Revah : C’est Diaspora.

Frédéric Couchet : C’est ça, c’est Diaspora donc un outil de réseau social, on va dire, en Libre. Et puis Framasoft développe d’outils. Par exemple, sur les vidéos, il y a aussi PeerTube. Quand je parlais tout à l’heure, juste avant, de l’Ubuntu Party, les vidéos qui sont tournées sur l’Ubuntu Party sont téléchargés sur une instance PeerTube. Une instance PeerTube c’est un réseau décentralisé de vidéos, évidemment pour offrir une alternative décentralisée, loyale à YouTube.
Donc toi, dans le cadre de tes demandes, est-ce que tu as des gens qui te demandent vraiment de leur installer par exemple un PeerTube ou de les former à ça, de leur expliquer ?

Emmanuel Revah : La demande pour des instances de PeerTube, il n’y en a pas encore trop, mais j’en parle puisque je fréquente un peu, il y a quelques artistes dans le coin où j’habite, j’essaye de les amener vers ces choses-là. J’ai quand même installé une instance Mastodon et PeerTube et mon instance Mastodon est sur invitation. L’idée c’est d’avoir des gens du coin, parce que sur Mastodon on a une vision globale du réseau fédéré, mais on peut aussi avoir une vision locale.

Frédéric Couchet : Tout à fait

Emmanuel Revah : Ça peut être intéressant pour lier la vie locale.

Frédéric Couchet : Ça permet de lier la vie locale, mais ça permet aussi de lier des vies par rapport à leurs centres d’intérêt donc de ne pas être soumis à la censure d’une seule entreprise qui est, en l’occurrence, Twitter.
Dernière question parce qu’après on va faire la pause musicale, je crois que tu fais aussi ou tu as commencé à faire des conférences gesticulées.

Emmanuel Revah : Oui.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux nous en dire deux mots ? Quel est l’objectif de ces conférences gesticulées ?

Emmanuel Revah : L’objectif c’est justement de sensibiliser le grand public aux différents problématiques, notamment le truc un petit peu fait tourner ça s’appelle Le prix du gratuit. Au début j’ai développé cette conférence pour une association à Rennes. Ça a pour objectif de rendre plus transparent ce qui se passe derrière les géants du Web. On parle toujours de Facebook, Google et Apple, Amazon, machin, les GAFAM, mais en fait ça c’est la partie visible de l’iceberg et derrière il y a toutes les entreprises dont le grand public ne connaît pas le nom. L’idée c’est vraiment de lui montrer ça et de montrer comment on fait pour gagner des élections aux États-Unis ou en Angleterre, etc. Le côté caché de tout ça, ça touche un plus les gens ; c’est vraiment ça l’objectif.

Frédéric Couchet : D’accord. On va rappeler qu’une conférence gesticulée ça mélange des savoirs chauds et des savoirs froids. Si des gens veulent t’inviter à faire une conférence, ils peuvent te contacter.

Emmanuel Revah : Tout à fait.

Frédéric Couchet : Sur Hoga.fr

Emmanuel Revah : C’est ça. Exactement. Merci

Frédéric Couchet : OK. Merci Emmanuel. C’était la chronique « Itsik Numérik » d’Emmanuel Revah ; son site hoga.fr, hoga avec un « h », h, o, g, a.
On va faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Hill par Hungry Lucy. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : Hill par Hungry Lucy.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Hill par Hungry Lucy, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les informations sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio Cause Commune, causecommune.fm.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons passer maintenant au sujet principal de l’émission.

[Virgule musicale]

Ada ou la beauté des nombres, interview de son auteure Catherine Dufour