Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 19 janvier 2021 »

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==Échange avec le député Éric Bothorel sur son rapport « Pour une politique publique de la donnée »==
 
==Échange avec le député Éric Bothorel sur son rapport « Pour une politique publique de la donnée »==
  
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons poursuivre avec notre sujet principal
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<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur le rapport du député Éric Bothorel « Pour une politique publique de la donnée ».
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N’hésitez pas à participer à notre conversation soit en nous appelant au 09 72 51 55 46. En tout cas vous trouverez le numéro sur le site. Vous pouvez aussi nous rejoindre sur le salon web dédié à l’émission, sur causecommune.fm, bouton « chat ».
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Nous avons le plaisir, pour discuter de ce rapport, de recevoir par téléphone le député lui-même. Bonjour Éric Bothorel, vous êtes avec nous.
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<b>Éric Bothorel : </b>Bonjour. Je suis avec vous.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Bonjour. Merci de vous joindre à nous.<br/>
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Vous êtes député des Côtes d’Armor, membre du groupe majoritaire La République en marche et vous faites partie de cette poignée de députés qu’on peut considérer comme des spécialistes du numérique. Est-ce que ça vous convient comme étiquette ?
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<b>Éric Bothorel : </b>À partir du moment où elle m’est attribuée par d’autres je la prends et comme elle n’est pas insistante, je la prends deux fois.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Pour situer un petit peu notre échange, est-ce que vous pourriez nous dire, d’où vous vient cette expérience sur la thématique des technologies numériques ?
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<b>Éric Bothorel : </b>Elle vient probablement de mon parcours professionnel. J’ai d’abord fait un BTS de systèmes d’information et de gestion à Paris, en travaillant du Cobol, bien sûr. Je suis d’une génération qui est née en 1966, ça permet de situer le point de départ.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Le Cobol est un langage de programmation pour les personnes qui l’ignoreraient.
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<b>Éric Bothorel : </b>Oui. Mon premier sujet de mémoire c’est un sujet de gestion de cave de vins, que j’ai fait avec un binôme qui s’appelait Sixvins, ce n’est pas très original. J’ai commencé par ça et ensuite j’ai intégré une entreprise française et ensuite une entreprise américaine dans un espace de 25 à 30 ans, je n’ai plus les chiffres précis en tête, dans des fonctions commerciales, entreprises qui étaient plutôt au tout début de la micro qui venait révolutionner les architectures ??? et puis des offres bureautiques. La fonction de ces entreprises était de commercialiser ce qu’elles faisaient auprès des grands groupes. J’ai commencé à la base, comme assistant commercial, puis directeur d’agence et après directeur de région. Ensuite je suis parti rejoindre une entreprise américaine. À l’époque on faisait déjà un peu plus que du PC, on faisait du client-serveur, on commençait d’ailleurs avec une ??? d’applications qui étaient sur ??? vers des PC avec des systèmes de gestion type ERDS, on commercialisait ça sur des machines processeur Intel. Et puis bien évidemment on a fait l’infrastructure, on a vécu les heures du Web, Altavista. Ça c’est l’activité professionnelle. En parallèle de ça, j’étais aussi administrateur d’un tiers lieu qui s’appelle La:matrice à Saint-Brieuc, porté par l’association Kreizenn-dafar avec des fous furieux qui faisaient des ???, des hackathons et puis, j’allais dire, de la diffusion de la culture numérique au sens des valeurs qu’on va probablement aborder dans le cadre de l’émission qu’on va avoir maintenant.<br/>
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On peut difficilement s’arracher de son passé. Je n’avais pas rêvé d’être parlementaire, je n’avais pas ça à mon agenda. Les circonstances de la vie ont fait que la personne dont j’étais le suppléant, Corinne Erhel, pour ne parler que d’elle, est décédée le soir du 5 mai 2017 lors d’une réunion publique. J’étais son suppléant depuis deux mandats, je m’apprêtais à l’être pour son troisième mandat. Les ??? d’Emmanuel Macron m’ont demandé de prendre la suite, ??? ma famille, mes enfants, parce que ce n’est pas un pompon qu’on décroche au manège, et j’ai pris la décision de mettre entre parenthèses ma vie professionnelle pour me consacrer à ce mandat.<br/>
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J’essaye de résumer au mieux d’où je parle. Peut-être pour bien conforter l’idée que je fais partie de cette poignée de députés, un peu plus nombreux depuis 2017 qu’ils ne l’étaient avant, qui se saisissent de ces enjeux numériques dans les grandes largeurs sans balayer tous les <em>buzzwords</em> du moment entre la blockchain, l’IA, j’en passe et des meilleurs.<br/>
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Je viens plutôt, vous l’aurez compris, du monde de l’infra même si je suis un passionné, en fait, des usages. J’ai toujours eu cette difficulté de m’imaginer, je ne suis pas un naïf béat devant un serveur LAN ou un routeur, mais je suis curieux de voir qu’avec un modem Sportster US Robotics on peut se connecter au monde et ce qu’on peut en faire surtout. Voilà ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est la part de sérendipité qui existe dans le numérique
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<b>Étienne Gonnu : </b>Je pense que vous avez bien démontré votre intérêt pour cette matière, et je pense que le rapport, on va en discuter, montre effectivement quelle conception et quelle maîtrise vous avez des enjeux qui nous intéressent.<br/>
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J’avais une question avant qu’on rentre dans le détail de cette mission d’information et de ce rapport. De votre point de vue de législateur, pour vous, en quoi les enjeux de la technologie numérique sont justement des enjeux politiques et non pas simplement des enjeux techniques ? Autrement dit, comment la technique influe sur le politique et ainsi de suite ?
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<b>Éric Bothorel : </b>Le numérique a cette tendance à venir s’immiscer dans les interstices du droit qui n’est pas encore écrit pour essayer de faire surgir, pas pour bypasser le droit, pas pour se faire un malin plaisir finalement d’être en dehors du droit. Comme il n’est pas toujours très à l’aise dans des cadres très rigides et qu’on est sur quelque chose d’assez dynamique – là aussi sans employer des termes de type agile, statique –, mais ce qui caractérise le numérique c’est que c’est une matière vivante. Ce que je disais tout à l’heure, le regard que je posais il y a 30 ans et ce qu’on fait aujourd’hui, en termes d’usages on est assez proches, mais la puissance de calcul a été multipliée, la richesse ou la valeur ajoutée dans les applications ou les usages qui sont rendus au service des citoyens c’est sans aucune mesure avec ce qu’on faisait notamment si on regarde manière dont le numérique s’est investi sur le sujet des mobilités par exemple, en tout cas s’est saisi de l’opportunité de la mobilité pour déployer de nouvelles offres de services.<br/>
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Le numérique n’attend pas que le droit soit prêt. Le droit il faut un an, deux ans, parfois beaucoup plus de temps pour créer un texte de loi qui va écrire dans le marbre un certain nombre de grands principes, pas toujours très précis et c’est logique que le droit ne soit pas toujours très précis puisqu’il faut aussi laisser des marges de manœuvre au moment venu. Je sais bien qu’on s’époumone parfois à essayer, à coups d’amendements, d’aller dans les détails des choses, mais vous observerez comme moi, probablement, qu’il y a des textes de droit qui sont des textes de droit fondateurs de notre République, qui n’ont pas eu besoin de tant que ça d’aménagements ces dernières années qui résistent au temps et qui ont traversé tous les périls. Je ne suis pas un obsédé de la résolution des problèmes par la loi. Je l’ai dit très tôt d’ailleurs en prenant mon mandat. Je crois beaucoup aussi à la <em>soft law</em>, je crois beaucoup au côté jurisprudentiel des choses, à la manière dont on peut confronter les principes de réalité et les expériences. Je ne résume pas tout au droit.<br/>
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Ceci dit, après, il y a des grands principes à réinventer. C’est vrai qu’en 1905 on s’intéressait à la laïcité et moins à la protection des données personnelles, donc c’est logique que ces instances délibératives et représentatives de la population que sont les instances du type Assemblée nationale, Parlement au sens large, puissent, le moment venu, protéger des aspects de liberté en posant de nouveaux jalons à des acteurs qui viendraient proposer quelque chose, dont les dossiers ne sont pas forcément néfastes à l’origine, mais il y a toujours possiblement des externalités négatives à chaque innovation. Donc le droit a pour vertu, peut-être, de remettre sur les rails, en tout cas de remettre dans des espaces dont on fixe les limites de ce qui est permis, de ce qu’on a jusqu’à maintenant toléré et qui était le vivre ensemble. Créer ces espaces va permettre à ces innovations, finalement, de vivre et de ne pas venir empiéter sur d’autres sujets, qui peuvent être connexes, annexes, qui viendraient mettre en difficulté des principes auxquels, par ailleurs, nous sommes tous attachés.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Merci pour ce tour d’horizon sur ces questions. Là où je vous rejoins c’est effectivement sur ce qu’on pourrait appeler du bon droit qui tient dans le temps, se pense dans le temps, dans le temps long et pousse à proposer des principes structurants. D’ailleurs on y reviendra sans doute pendant notre échange, c’est pour ça qu’à l’April nous défendons une priorité au logiciel libre, non pas que ça va régler systématiquement et immédiatement toutes les questions, mais ça pose un principe structurant sur comment on pense l’usage des logiciels dans une démocratie.<b/>
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Je vous propose à présent de commencer à rentrer dans le vif de notre sujet. Donc le 22 juin 2020, le Premier ministre vous confie une mission d’information dont l’objet, et je vais citer cette lettre de mission, « était d’analyser des opportunités stratégiques et financières ainsi que les freins à lever pour favoriser l’ouverture par défaut des données et des codes sources publics ». Sont associés à vos travaux Stéphanie Combe, directrice générale du Health Data Hub, et Renaud Vedel, coordonnateur national pour l’intelligence artificielle.<br/>
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Déjà je trouve intéressant, avant d’entrer dans les détails de cette mission, de voir, de s’arrêter un instant sur l’objet même d’une mission d’information. On le sait ou on ne le sait pas, mais le travail parlementaire ne se limite pas à la présence en hémicycle pour les questions au gouvernement ou pour les votes finaux sur les projets de loi, il y a d’autres modalités du travail parlementaire comme le sont les missions d’information et celle-ci, en particulier, qui est donc issue d’une lettre de mission du Premier ministre.<br/>
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Est-ce que vous pouvez nous préciser ce qu’est une mission d’information, la particularité d’une mission d’information confiée par un Premier ministre ?
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<b>Éric Bothorel : </b>Oui. D’abord vous avez bien fait de repréciser que le travail parlementaire ne se limite pas à être présent ou produire des amendements dans chacune des commissions dans lesquelles on peut siéger. Moi je siège dans deux commissions, c’est une exception, la plupart du temps on siège dans une seule. Sauf qu’il y a une commission qui est un peu à part, qui est une commission ??? qui est la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale à laquelle je suis aussi rattaché et membre en tant que commissaire et je suis aussi membre de la commission des affaires économiques. Il peut d’ailleurs exister des missions au sein de ces commissions. J’ai produit un certain nombre de rapports au sein de la commission des affaires européennes ou pour le compte de la commission affaires économiques avec ma collègue Laure de la Raudière, qui sera peut-être présidente de l’Arcep, on attendra le 20 janvier pour le savoir. Ces commissions sont légitimes à déclencher des missions d’information, des missions flash, qui vont permettre aux parlementaires avec des soutiens des administrateurs de l’Assemblée nationale de se pencher sur un sujet pour faire des propositions, réfléchir à un sujet donné, travailler en amont du ??? sur la couverture numérique du territoire. J’ai travaillé sur le Cybersecurity Act , j’ai travaillé sur ??? d’État, j’ai travaillé sur des sujets effectivement jamais très éloignés du numérique.<br/>
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Le sésame, entre nous soit dit, puisqu’on est dans cette émission on se dit tout, je dirais qu’un parlementaire aurait peut-être le sentiment d’avoir accompli son mandat s’il décroche une mission du Premier ministre ou une remise de son rapport au président de la République, c’était le cas d’un de mes collègues ??? sur la coopération internationale. Il y a une forme de hiérarchie des choses, Bref ! En fait, pour être tout à fait clair avec vous, je n’ai jamais insisté pour que ce soit le Premier ministre. Je crois savoir que certains parlementaires font la tête quand c’est seulement un ministre qui leur confie une mission, qui font la tête !, ils font la tète une minute, ce sont de grands adultes, après ils passent à autre chose ! Pour tout vous dire l’origine de cette mission c’est une discussion que j’ai eue avec Cédric O sur l’interopérabilité et la portabilité.<br/>
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On sait que c’est un sujet qu’il était nécessaire de revisiter à l’aune des questions d’actualité, des sujets d’actualité qui pourraient traverser nos sociétés, et c’est en discutant avec Cédric et en rajoutant un conseiller du président de la République et du Premier ministre que j’ai finalement décidé d’enrichir ce sujet de l’interopérabilité ou de la liberté de choix des outils, de devenir une forme de prolongation des réflexions qui avaient eu cours sur l’<em>open data</em>, les codes sources et les données d’intérêt général, ce qui permet d’aborder ces sujets-là par ailleurs. Par construction ça s’est fait comme ça, des semaines de discussion entre les parties pour savoir quel périmètre lui donner, ce qui a été donné, et puis au mois de juin dernier, effectivement, Édouard Philippe me confie cette mission qui sera remise à un autre Premier ministre puisqu’entre-temps, d’ailleurs une semaine après m’avoir remis la mission, Édouard Philippe était appelé à un autre destin.<br/>
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Là vous ne travaillez pas, bien évidemment, avec les services de l’Assemblée nationale, mais vous bénéficiez, comme Cédric Villani a pu l’avoir, d’allocation de moyens que sont notamment des personnes issues des différents corps d’inspection ; moi c’était une dizaine de personnes en plus de Stéphanie que vous avez mentionnée et de Renaud ; c’est à peu près la même taille d’équipe que ce dont a pu bénéficier Cédric Villani. Vous devez être vigilant au fait de ne pas excéder les six mois, en fait vous êtes détaché de l’Assemblée nationale pendant cette période, vous n’êtes plus tenu de siéger ni dans vos commissions ni à l’Assemblée nationale, donc vous n’apparaissez dans l’hémicycle évidemment. Quand on s’étonne de ne pas m’avoir vu dans l’hémicycle, en fait on a fait plus de 250 auditions entre septembre et la fin novembre. Il faut faire moins de six mois parce que sinon vous n’êtes plus parlementaire ; c’est six mois. On considère que vous n’êtes plus rattaché à l’Assemblée nationale, c’est pour ça qu’il y a <em>deadline</em> qui était précisément au mois de décembre, dans le délai de six mois maximum qui était celui qui était prévu à l’origine.<br/>
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Donc c’est une formidable aventure humaine. L’avantage que j’y ai vu c’est de travailler avec des gens extrêmement compétents, issus des différents corps d’inspection, quasiment en logique interministérielle, ce qui nous a d’abord pas mal mobilisés pour avoir des réunions assez tard le soir pour tenter d’atterrir sur des solutions et des recommandations pragmatiques. Ce qui est une formidable aide parce que, au moment de remettre le rapport au Premier ministre, finalement, entre nous, on avait trouvé les consensus et les compromis qui permettaient de ne pas avoir un tropisme d’une administration sur l’autre : l’économie contre l’environnement, l’environnement contre je ne sais quoi, la justice contre la sécurité. Il y avait des gens qui venaient des corps d’inspection, du ministère de l’Intérieur, de la direction générale des entreprises, de l’environnement et puis le soutien d’Etalab aussi qui nous a permis, entre autres choses, de faire le bon choix sur une plateforme qui a permis de lancer une consultation un peu plus large au-delà de cette mission, que nous avons pu faire, des benchmarks internationaux.<br/>
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Donc c’est une formidable aventure humaine ; c’est ce que je retiens.
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<b>Étienne Gonnu : </b>OK. Merci pour ces coulisses du travail parlementaire, C’est vrai que ce sont vraiment des aspects qu’on voit difficilement. C’est intéressant aussi de voir comment se construit le périmètre d’une mission comme la vôtre. Avec un regard extérieur, vous parliez, en termes d’ego, de se voir confier une mission par le Premier ministre plutôt que par un ministre, ça donne aussi et ça joue beaucoup sur le poids politique de l’objet, du rapport qui va en sortir, de l’objet qu’est cette mission d’information. Je pense que c’est aussi quelque chose qui est important sans doute à relever.<br/>
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Vous avez répondu notamment à une question que je me posais sur les moyens pour conduire vos travaux. Vous avez mené énormément d’auditions, plus de 200, je me crois me souvenir, si j’en crois les annexes du rapport, dont celle de l’April, audition en octobre, de mémoire, qu’importe, c’est par transparence. Vous avez également fait usage d’une plateforme de consultation publique, d’ailleurs vous avez utilisé une plateforme basée sur un logiciel libre, ce que nous ne pouvons que saluer, bien sûr. Pourquoi ça faisait sens pour vous de mener une consultation publique pour la conduite de vos travaux ?
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<b>Éric Bothorel : </b>J’avais fixé des lignes rouges, en tout cas des lignes fortes à l’équipe. Apparemment dans l’équipe j’avais un peu une situation à part dans la mesure où j’étais le parlementaire pour conduire cette mission, il me revenait donc aussi d’en fixer les orientations, de trouver là-dessus un accord. On peut partir dans tous les sens. Quand vous avez cette lettre de mission vous pouvez faire un inventaire de ce qui était ouvert, pas ouvert. Je ne voulais pas que ce soit un rapport de geek, de ??? si je puis dire, je l’avais formulé comme ça. Même si je sais qu’il y a des subtilités, des nuances dans la technologie qui font que même et surtout si on fait un effort trop important de vulgarisation, on perd l’essence même d’un certain nombre de substances de la technicité des choses qui rendent possibles certaines choses et impossibles d’autres, mais tendre vers une forme de vulgarisation, tendre vers une forme de rapport qui puisse être grand public. Ce qui veut dire, en tout cas ça n’influe pas directement, mais on a pris le parti aussi d’assumer que plutôt que de faire un large inventaire des choses, on s’est intéressés à des thèmes numériques. Et c’est par les ??? en fait qu’en auditionnant et en ré-auditionnant, on a fait du contradictoire, il y a parfois des gens qu’on a auditionnés trois fois parce que je partais du principe que ce n’est pas le dernier qui parle qui a raison et que vous avez des mines d’influence dans ces écosystèmes entre les donneurs d’ordre, ceux qui produisent, ceux qui collectent, ceux qui mettent à disposition, etc., et si vous n’écoutez qu’une seule facette vous pouvez dresser un état des lieux qui n’est pas fidèle à la réalité. On s’est attachés à essayer, finalement, d’avoir le constat le plus proche de la réalité des choses.<br/>
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L’autre ligne forte que j’ai fixée à l’équipe, c’est de dire on va évidemment rencontrer des obstacles, des objections, des difficultés, surtout n’y répondons pas en créant un comité ou une commission supplémentaire. Regardons avec distance, les extensions de périmètre, quel mouvement on peut opérer, évidemment ne pas avoir l’obsession répondre par la loi avec des textes de loi en permanence. Regardons ce qu’on peut tuner, ce qu’on peut bouger, ce qu’on peut faire accepter par les organisations en présence pour que les choses évoluent favorablement sur un terrain. On parlera tout à l’heure de la partie codes sources et logiciels libres, c’était une part extrêmement importante consacrée à la data, regarder comment faire mieux circuler la donnée.<br/>
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Je disais en commençant cette mission qu’on n’a pas entamé cette mission en se disant d’un côté les amish de la fermeture, de l’autre côté les ayatollahs de l’ouverture, tentons de réconcilier les deux. Il y a probablement des endroits où on ne pourra pas ouvrir les données, des endroits où c’est nécessaire de le faire, mais, entre les deux, il y a des modalités d’accès ou de partage de la donnée qui ne sont pas suffisamment explorées ce qui permettrait probablement certains usages, certains bénéfices, certaines innovations, complémentaires de celles qui existent mais en confiance, en transparence, en création de richesse. Et voilà. C’est la raison pour laquelle on s’est jetés à corps perdu dans un grand programme d’auditions, on a dit 200, mais on était probablement 250 si je compte ceux qu’on a écoutés et réécoutés, et vous n’avez pas vu tout le monde quand vous avez vu 250 personnes. Quand vous faites un benchmark international, vous avez des administrations qui sont assez nombreuses, si vous voulez encore avoir une vision un peu plus profonde des choses, ce qui paraissait légitime, qu’on puisse ouvrir encore plus largement à un public plus large le partage des constats qu’on avait pu dresser sur la première période. Il ne s’agissait pas de les faire travailler finalement sur l’état des lieux, sur lequel on avait pu déjà se forger une opinion, mais de les questionner sur la pertinence de l’état des lieux et commencer à leur proposer de nous dire, selon eux, quelle serait la meilleure façon de corriger les choses. Bref, cette articulation correspond probablement, et vous dresserez des liens, à ce je disais tout à l’heure de mon parcours professionnel, s’attacher finalement à traiter les causes plutôt que les conséquences. C’est tellement plus simple de faire les conséquences, à la limite on fait le constat, on voit qu’il y a un truc qui ne marche pas, on corrige effectivement ce qui ne marche pas. Corriger le truc qui ne marche pas en bref ça passe idéalement par le fait qu’on s’intéresse à la raison pour lesquelles les choses marchent pas, pour s’attaquer aux causes.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Merci. La consultation, et après on va passer au vif sujet qui est le rapport que vous avez remis en décembre, la consultation publique a quand même montré une très forte mobilisation en faveur des propositions relatives au logiciel lire, pour les citer je parle des propositions de l’April et du CNLL qui est l’Union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert qui ont été les plus soutenues. Est-ce que vous vous attendiez à cette mobilisation et quel regard vous portiez avant et après sur le logiciel libre ?
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<b>Éric Bothorel : </b>Je connais sa capacité à se mobiliser. Je participe de temps en temps, ici à Lannion, à Libre en Fête. C’est vrai qu’avec les écosystèmes qui, de près ou de loin, sont soit totalement dédiés à cette logique, soit, de façon très compatible, prennent part à cette vision du monde qui essaye de s’attacher à essayer d’en révéler les nuances et ne pas plonger dans les biais devant lesquels on veut s’enfermer, qu’on connaît tous, les zones de confort avec sa ??? qui voudraient finalement une vision du monde qui se construirait avec une forme d’impérialisme. Non il y a des choses sur lesquelles il y a parfois des gens qui peuvent être en désaccord, en même temps compatibles sur d’autres.<br/>
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Donc je connais la capacité de mobilisation des acteurs qui sont promoteurs des idées du Libre. Je n’ai pas été surpris qu’il y ait cette mobilisation sur la plateforme. Si c’était une autre ce n’est pas surprenant non plus. Ce n’est pas un indicateur pour moi. Ce qui est important c’était ce qui se disait pas forcément. Parfois vous pouvez avoir une personne, très discrète au fond d’une salle, qui a une idée géniale, c’est celle qu’il faut écouter. Comment dire, je ne suis pas perturbé par le bruit, je suis plus intéressé par le contenu et, pour le coup, le contenu était pertinent.
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<b>Étienne Gonnu : </b>On voit d’ailleurs l’accueil qu’a reçu votre rapport, et on va en parler justement, par les communautés libristes, que ce soit le CNLL ou l’April puisqu’on en parlait, notamment dans notre communiqué on montre qu’il y a une réception assez favorable du moins de votre rapport.<br/>
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Il y a pas mal de questions, quelques questions qui sont liées au déroulé des travaux, notamment un sujet qui a été un peu chaud en 2020, c’est celui du Health Data Hub. Sans forcément entrer dans les détails, une personne nous demande sur le <em>chat</em> comment s’est passée la collaboration avec Stéphanie Combe par rapport à son choix d’écrire sur Microsoft. Et toujours en lien avec Health Data Hub, est-ce que vous connaissez les initiatives comme InterHop qui promeut et soutient l’utilisation du logiciel libre dans le domaine de la santé.
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<b>Éric Bothorel : </b>On a auditionné Interhop et on a évoqué ensemble les différents choix d’architecture, d’informatique distribuée ou pas. Si je me souviens bien, les schémas d’InterHop doivent être à la troisième slide de leur présentation., j’ai encore en mémoire qu’on avait fait un partage d’écran.<br/>
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Je vais vous répondre sur Stéphanie, mais je vais vous faire un clin d’œil. Au début j’ai dit à mes équipes puisqu’on était en confinement on va donc devoir conduire des auditions à distance. Une mission sur le Libre, les codes sources, l’<em>open data</em>, on ne peut pas succomber et tomber sur Zoom. On a testé les outils qui n’étaient pas Zoom, qui n’étaient pas Google Meet ou je ne sais quoi encore, tentant d’être assez compatibles avec l’idée qu’on se fait, finalement, de la promotion d’outils différents de ceux qui sont proposés par les grandes plateformes américaines. Et puis on a été d’échec en échec en ayant balayé des dizaines d’outils, je n’ai plus la liste en tête, je pense qu’on a fait à peu près tout ce qui pouvait exister au moment où c’était disponible, parce qu’il fallait passer du temps à demander à changer de firewall, parce qu’il fallait passer du temps à demander à changer de navigateur, parce qu’il fallait changer des tas de choses, etc. On a fait 200-250 auditions, on commençait très tôt le matin, j’essayais malgré tout d’installer un break en matinée pour que chacun puisse fumer sa clope, faire d’autres choses, mais on ne pouvait se permettre de perdre un quart d’heure, 20 minutes, une demi-heure entre chaque audition parce que je vous assure qu’on a fait ça à un rythme soutenu, que les corps d’inspection étaient tous là. Donc on a où renoncer et c’était un crève-cœur et les copies d’écran de ce qu’on a tenté de rendre public le plus vite possible, même si on n’a pas rendu les auditions publiques et je pourrais revenir dessus si vous me posez une question, on les a conduites assez massivement, pour ne pas dire majoritairement, quasi uniquement sur Zoom. C’est un reproche qu’on pourrait me faire, c’est pour ça que je l’évacue tout de suite en donnant les explications. Je sais bien qu’ici ou là certains pourraient dire il y a tel ou tel outil qui marchent mal. Je vous assure, je pourrai vous faire la liste si nécessaire qu’on a bien testé d’autres solutions avec Stéphanie.
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<b>Étienne Gonnu : </b>Je ne peux que vous croire puisqu’avec l’April nous avons trouvé une autre solution, pour témoignage. C’est vrai que vous avez beaucoup utilisé Zoom, mais il faut bien reconnaître que vous avez fourni autant d’efforts que possible pour passer par une autre solution, pour contourner les problématiques. Avec l’April nous avons utilisé BigBlueButton et vous êtes intervenu par téléphone. Ça a été compliqué, mais vous avez fait cet effort et je ne peux que le saluer.<br/>
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Je vous propose, pour qu’on s’aère l’esprit avant de rentrer dans le sujet du rapport, de faire une courte pause musicale. Nous allons écouter un autre morceau de l’artiste Idyllic recommandé pour nous aujourd’hui par Éric Fraudain. Il s’agit de <em>Far Off Dreams</em>. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
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<b>Pause musicale : </b><em>Far Off Dreams</em> par Idyllic.
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<b>Voix off : </b>
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==Deuxième partie==
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<b>Étienne Gonnu : </b>Vous écoutez <em> Far Off Dreams </em> par Idyllic

Version du 21 janvier 2021 à 15:52


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 janvier 2021 sur radio Cause Commune

Intervenants : Véronique Bonnet - Éric Bothorel - Vincent Calame - Frédéric Couchet- Étienne Gonnu - Patrick Creusot à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 19 janvier 2021

Durée : 1 h 30 min

Écouter ou enregistrer le podcast provisoire

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Nous recevons aujourd’hui Éric Bothorel, député des Côtes d’Armor et auteur du rapport « Pour une politique publique de la donnée » ; ce sera notre sujet principal du jour. Avec également au programme « Install parties : comment réagir au pacte avec le diable » et « Des goûts et des couleurs », un hommage au travail des graphistes. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous y trouverez une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 19 janvier 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission Patrick. Salut Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour à tous et bonne émission.

Étienne Gonnu : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site web de la radio, causecommune.fm et cliquez sur « chat ». Retrouvez-nous ensuite sur le salon dédié à l’émission.
Vous pouvez aussi participer à nos échanges en appelant le 09 72 51 55 46, le numéro est bien sûr sur le site de la radio.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons commencer par notre premier sujet, la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet portant sur le texte de Richard Stallman « Install parties : comment réagir au pacte avec le diable », une chronique enregistrée le 13 janvier 2021 par mon collègue Frédéric Couchet.
Je vous propose d’écouter cette chronique. On se retrouve juste après en direct sur radio Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule musicale]

Chronique « Partager est bon » Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April, sur le thème « Install parties : comment réagir au pacte avec le diable »

Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeure de philosophie et vice-présidente de l’April. Bonjour Véronique.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Quel sujet vas-tu traiter aujourd’hui ?

Véronique Bonnet : Aujourd’hui je vais commenter un texte de Richard Stallman qui s’appelle « Install parties : comment réagir au pacte avec le diable ».

Frédéric Couchet : D’accord. Je vais juste préciser que les install parties sont des fêtes d’installation, ce sont des évènements pendant lesquels les gens viennent avec leur ordinateur ou leur téléphone portable pour se faire aider à se faire installer un système d’exploitation libre. Ça vient de l’anglais install party. Nous t’écoutons.

Véronique Bonnet : Très bien.
C’est un texte qui a été publié par Richard pour le LibrePlanet des 23 et 24 mars 2019. La traduction est de Axel Barquero et il y a eu une révision par trad-gnu de l’April qui est un de nos groupes de travail.

Si je regarde le titre, « Install parties : comment réagir au pacte avec le diable », c’est vrai que ce titre peut paraître surprenant. Richard Stallman utilise une image forte « vendre son âme au diable », c’est risquer de ne pas pouvoir en réchapper, de ne pas pouvoir récupérer son autonomie. Diabolo veut dire en grec calomnier, diabolos c’est celui qui raconte des histoires, qui fait passer des illusions pour la réalité, donc ici le pacte avec le diable désigne l’utilisation de l’informatique non libre qui donne l’illusion que l’utilisateur gouverne son ordinateur alors que, bien sûr, c’est l’ordinateur qui gouverne l’utilisateur.
Et là, Richard Stallman examine une difficulté qui peut être rencontrée dans les install parties lorsque des militants libristes veulent implémenter GNU/Linux sur des ordinateurs qui, jusque-là, tournaient avec des programmes non libres. On se demande bien où est le problème. Il se trouve que, en effet, il est parfois compliqué de réagir à ce pacte avec le diable, c’est-à-dire d’installer des outils de l’informatique libre à la place de ceux de l’informatique non libre. On ne s’attendrait pas du tout à ce que deux objectifs libristes, dans cette situation, puissent entrer en conflit et même deviennent inconciliables. Richard Stallman énonce clairement ces deux objectifs :

  • premier objectif : promouvoir les idées du logiciel libre ;
  • deuxième objectif : promouvoir l’utilisation de programmes libres.

Mais il se trouve que lorsque les utilisateurs se rendent à ces évènements ils viennent avec leur matériel, c’est-à-dire leurs ordinateurs. Or, rien ne dit qu’il sera possible de les faire tourner avec une distribution GNU/Linux complètement libre, parce qu’il se trouve que certains périphériques et processus peuvent ne fonctionner qu’avec des pilotes et des logiciels non libres, ce qui, bien sûr, est fait exprès. D’où une conséquence qui est très préjudiciable. Il se trouve que les deux objectifs, dans ce cas de figure, au lieu de se compléter harmonieusement, c’est-à-dire rendre possible la promotion des idées du logiciel libre et des usages du logiciel libre, entrent en conflit.
En effet, de deux choses l’une : si, pour défendre les idéaux du logiciel libre, on n’installe que des outils 100 % libre, il se peut qu’on ne puisse pas faire tourner l’ordinateur ou, en tout cas, ne pas le faire tourner complètement. En effet, puisqu’il y a des défenses dans l’ordinateur qui initialement a tourné sur du non libre, il se trouve qu’il peut n’y avoir aucun usage possible ou seulement un usage partiel et, dans ce cas-là, les utilisateurs repartiront déçus.
Deuxième cas de figure. Pour que les utilisateurs ne repartent pas déçus, pour éviter de faire qu’ils se détournent du logiciel libre, ceux qui installent peuvent vouloir à tout prix assurer 100 % des fonctionnalités et, pour y arriver, ils peuvent avoir la tentation – j’utilise exprès cette expression –, d’utiliser des outils non libres. Dans ce cas-là, évidemment, on ne réagit pas au pacte avec le diable, on ne sort pas de cette aliénation de nos libertés, on ne fait que s’y installer plus profondément.

Pire encore, comme cet arbitrage qui ne peut pas être satisfaisant, parce que, effectivement si des systèmes verrouillent l’ordinateur, il sera difficile d’avoir 100 % de fonctionnalités avec 100 % de logiciels libres, donc pire encore, cet arbitrage est fait par les libristes, ceux qui aident l’utilisateur et pas par l’utilisateur lui-même. Dans ce cas-là, cette compromission est assumée par les installateurs et non pas par les utilisateurs. Les utilisateurs restent en dehors de ce dilemme éthique, de cette hésitation entre deux objectifs qui se contredisent.

Quelles propositions de la part de Richard Stallman ?
Déjà il serait préférable de ne jamais dissimuler la difficulté et même de l’exposer pour que l’utilisateur prenne conscience de ces entraves à sa liberté. Si on n’expose pas ces difficultés, on ajoute de l’illusion à l’illusion au lieu de la dissiper. D’où deux préconisations :
la première : installer uniquement du logiciel libre, 100 % libre ;
deuxième préconisation : rendre visible le diable. C’est-à-dire, pourquoi pas, mettre une pancarte, demander à quelqu’un qui installe de mettre une panoplie du diable et celui-là proposerait d’installer des logiciels non libres pour faire fonctionner l’ordinateur. Ce qui, bien évidemment, serait présenté comme une contradiction.

Bien sûr on n’a pas à exagérer. Vendre son âme n’est pas à prendre à la lettre, mais simplement au sens de rogner sur ses libertés.
Au lieu de camoufler une contradiction, il est essentiel de la mettre à jour. Ceci relève de la transparence, de l’éthique du Libre. Parfois on dit que le diable est dans les détails et là il me semble, Fred, que le diable n’est pas du tout un détail !

Frédéric Couchet : Non c’est loin d’être un détail. En tout cas c’est une très belle explication de ce qu’il est important de faire lors des fêtes d’installation. On reconnaît bien là, comme toujours, Richard Stallman pour qui le libre choix de la personne utilisatrice est important et qu’elle doit avoir toutes les informations, en toute connaissance de cause. C’est un très beau texte et j’espère que bientôt il y aura à nouveau des fêtes d’installation parce que, malheureusement, la période actuelle empêche ces évènements. Les personnes qui seraient intéressées par ce genre d’évènements peuvent se renseigner sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, sur lequel elles peuvent retrouver les organisations libristes en France et ailleurs et les prochains évènements qui seront organisés. D’ailleurs certains sont peut-être organisés actuellement malgré les conditions sanitaires, peut-être en plus petit comité. En tout cas c’était effectivement un nouveau très beau texte de Richard Stallman.
Je vais rappeler le site du projet GNU, c’est gnu.org et, comme tu l’as dit, le groupe de travail trad-gnu de l’April traduit la plupart des textes du site gnu.org en français. Vous pouvez rejoindre ce groupe si vous avez des compétences pour la traduction de l’anglais vers le français ; vous allez sur april.org et vous aurez les informations utiles.
Tu as également cité l’évènement LibrePlanet. Peut-être préciser que LibrePlanet c’est l’évènement annuel de la Fondation pour le logiciel libre, que la prochaine édition aura lieu les 20 et 21 mars 2021 entièrement à distance. Ça permet, en fait, à toute personne de pouvoir suivre ces conférences. Le site c’est libreplanete.org, je répète les 20 et 21 mars.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose Véronique ?

Véronique Bonnet : Je trouve vraiment que ton accentuation de ce souci de transparence du Libre est totalement essentielle.

Frédéric Couchet : Ça a toujours été le cas. Beaucoup de personnes, au sujet de Richard Stallman, ont souvent employé le terme « intégriste » ou autre mais en fait, je pense que quand on le connaît bien et qu’on lit ses textes, on se rend compte que ce n’est pas du tout ça, qu’il présente les problématiques notamment en mettant en avant et au centre la liberté des personnes utilisatrices. Après, les personnes sont libres de faire leurs propres choix mais de façon éclairée. C’est ce qu’on a toujours fait, mais, des fois, il y a des compromis à faire. Je crois d’ailleurs que tu as déjà expliqué un texte de Richard Stallman sur cette notion de compromis si je me souviens bien.

Véronique Bonnet : Oui.

Frédéric Couchet : En tout cas, Véronique, je te remercie. C’était la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet.
Je te souhaite une belle fin de journée.

Véronique Bonnet : Belle fin de journée à toi Fred.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, présidente de l’April, portant sur le texte de Richard Stallman « Install parties : comment réagir au pacte avec le diable », une chronique enregistrée le 13 janvier 2021 par mon collègue Frédéric Couchet. Vous retrouverez la référence de ce texte sur le site april.org.

Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Aujourd’hui notre programmateur musical Éric Fraudain, du site auboutdufil.com, nous fait découvrir l’artiste Idyllic, un artiste américain originaire du Wisconsin. Le premier morceau qu’il nous propose, Light, est une musique instrumentale relaxante, aussi subtile qu’intense, aussi mélancolique qu’apaisante, aussi complexe qu’onirique ; du chillstep nous précise Éric sur site auboutdufil.com. Vous retrouverez d’ailleurs le détail de son texte sur ce morceau sur son site.

Nous allons à présent découvrir Light de Idyllic. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Light par Idyllic.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Vous êtes toujours sur Cause Commune, la voix des possibles. Le morceau musical semble s’être arrêté prématurément. Ce n’est pas grave. J’espère que nous sommes toujours diffusés en FM.
Nous venons d’écouter un extrait, du coup, de Light par Idyllic, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation y compris commerciale à condition, bien sûr, de créditer l’artiste.
Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org. Vous trouverez également une présentation de l’artiste, comme je vous le disais, sur le site auboutdufil.com.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Je suis Étienne Gonnu chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Passons maintenant à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Échange avec le député Éric Bothorel sur son rapport « Pour une politique publique de la donnée »

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur le rapport du député Éric Bothorel « Pour une politique publique de la donnée ». N’hésitez pas à participer à notre conversation soit en nous appelant au 09 72 51 55 46. En tout cas vous trouverez le numéro sur le site. Vous pouvez aussi nous rejoindre sur le salon web dédié à l’émission, sur causecommune.fm, bouton « chat ».

Nous avons le plaisir, pour discuter de ce rapport, de recevoir par téléphone le député lui-même. Bonjour Éric Bothorel, vous êtes avec nous.

Éric Bothorel : Bonjour. Je suis avec vous.

Étienne Gonnu : Bonjour. Merci de vous joindre à nous.
Vous êtes député des Côtes d’Armor, membre du groupe majoritaire La République en marche et vous faites partie de cette poignée de députés qu’on peut considérer comme des spécialistes du numérique. Est-ce que ça vous convient comme étiquette ?

Éric Bothorel : À partir du moment où elle m’est attribuée par d’autres je la prends et comme elle n’est pas insistante, je la prends deux fois.

Étienne Gonnu : Pour situer un petit peu notre échange, est-ce que vous pourriez nous dire, d’où vous vient cette expérience sur la thématique des technologies numériques ?

Éric Bothorel : Elle vient probablement de mon parcours professionnel. J’ai d’abord fait un BTS de systèmes d’information et de gestion à Paris, en travaillant du Cobol, bien sûr. Je suis d’une génération qui est née en 1966, ça permet de situer le point de départ.

Étienne Gonnu : Le Cobol est un langage de programmation pour les personnes qui l’ignoreraient.

Éric Bothorel : Oui. Mon premier sujet de mémoire c’est un sujet de gestion de cave de vins, que j’ai fait avec un binôme qui s’appelait Sixvins, ce n’est pas très original. J’ai commencé par ça et ensuite j’ai intégré une entreprise française et ensuite une entreprise américaine dans un espace de 25 à 30 ans, je n’ai plus les chiffres précis en tête, dans des fonctions commerciales, entreprises qui étaient plutôt au tout début de la micro qui venait révolutionner les architectures ??? et puis des offres bureautiques. La fonction de ces entreprises était de commercialiser ce qu’elles faisaient auprès des grands groupes. J’ai commencé à la base, comme assistant commercial, puis directeur d’agence et après directeur de région. Ensuite je suis parti rejoindre une entreprise américaine. À l’époque on faisait déjà un peu plus que du PC, on faisait du client-serveur, on commençait d’ailleurs avec une ??? d’applications qui étaient sur ??? vers des PC avec des systèmes de gestion type ERDS, on commercialisait ça sur des machines processeur Intel. Et puis bien évidemment on a fait l’infrastructure, on a vécu les heures du Web, Altavista. Ça c’est l’activité professionnelle. En parallèle de ça, j’étais aussi administrateur d’un tiers lieu qui s’appelle La:matrice à Saint-Brieuc, porté par l’association Kreizenn-dafar avec des fous furieux qui faisaient des ???, des hackathons et puis, j’allais dire, de la diffusion de la culture numérique au sens des valeurs qu’on va probablement aborder dans le cadre de l’émission qu’on va avoir maintenant.
On peut difficilement s’arracher de son passé. Je n’avais pas rêvé d’être parlementaire, je n’avais pas ça à mon agenda. Les circonstances de la vie ont fait que la personne dont j’étais le suppléant, Corinne Erhel, pour ne parler que d’elle, est décédée le soir du 5 mai 2017 lors d’une réunion publique. J’étais son suppléant depuis deux mandats, je m’apprêtais à l’être pour son troisième mandat. Les ??? d’Emmanuel Macron m’ont demandé de prendre la suite, ??? ma famille, mes enfants, parce que ce n’est pas un pompon qu’on décroche au manège, et j’ai pris la décision de mettre entre parenthèses ma vie professionnelle pour me consacrer à ce mandat.
J’essaye de résumer au mieux d’où je parle. Peut-être pour bien conforter l’idée que je fais partie de cette poignée de députés, un peu plus nombreux depuis 2017 qu’ils ne l’étaient avant, qui se saisissent de ces enjeux numériques dans les grandes largeurs sans balayer tous les buzzwords du moment entre la blockchain, l’IA, j’en passe et des meilleurs.
Je viens plutôt, vous l’aurez compris, du monde de l’infra même si je suis un passionné, en fait, des usages. J’ai toujours eu cette difficulté de m’imaginer, je ne suis pas un naïf béat devant un serveur LAN ou un routeur, mais je suis curieux de voir qu’avec un modem Sportster US Robotics on peut se connecter au monde et ce qu’on peut en faire surtout. Voilà ce qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est la part de sérendipité qui existe dans le numérique

Étienne Gonnu : Je pense que vous avez bien démontré votre intérêt pour cette matière, et je pense que le rapport, on va en discuter, montre effectivement quelle conception et quelle maîtrise vous avez des enjeux qui nous intéressent.
J’avais une question avant qu’on rentre dans le détail de cette mission d’information et de ce rapport. De votre point de vue de législateur, pour vous, en quoi les enjeux de la technologie numérique sont justement des enjeux politiques et non pas simplement des enjeux techniques ? Autrement dit, comment la technique influe sur le politique et ainsi de suite ?

Éric Bothorel : Le numérique a cette tendance à venir s’immiscer dans les interstices du droit qui n’est pas encore écrit pour essayer de faire surgir, pas pour bypasser le droit, pas pour se faire un malin plaisir finalement d’être en dehors du droit. Comme il n’est pas toujours très à l’aise dans des cadres très rigides et qu’on est sur quelque chose d’assez dynamique – là aussi sans employer des termes de type agile, statique –, mais ce qui caractérise le numérique c’est que c’est une matière vivante. Ce que je disais tout à l’heure, le regard que je posais il y a 30 ans et ce qu’on fait aujourd’hui, en termes d’usages on est assez proches, mais la puissance de calcul a été multipliée, la richesse ou la valeur ajoutée dans les applications ou les usages qui sont rendus au service des citoyens c’est sans aucune mesure avec ce qu’on faisait notamment si on regarde manière dont le numérique s’est investi sur le sujet des mobilités par exemple, en tout cas s’est saisi de l’opportunité de la mobilité pour déployer de nouvelles offres de services.
Le numérique n’attend pas que le droit soit prêt. Le droit il faut un an, deux ans, parfois beaucoup plus de temps pour créer un texte de loi qui va écrire dans le marbre un certain nombre de grands principes, pas toujours très précis et c’est logique que le droit ne soit pas toujours très précis puisqu’il faut aussi laisser des marges de manœuvre au moment venu. Je sais bien qu’on s’époumone parfois à essayer, à coups d’amendements, d’aller dans les détails des choses, mais vous observerez comme moi, probablement, qu’il y a des textes de droit qui sont des textes de droit fondateurs de notre République, qui n’ont pas eu besoin de tant que ça d’aménagements ces dernières années qui résistent au temps et qui ont traversé tous les périls. Je ne suis pas un obsédé de la résolution des problèmes par la loi. Je l’ai dit très tôt d’ailleurs en prenant mon mandat. Je crois beaucoup aussi à la soft law, je crois beaucoup au côté jurisprudentiel des choses, à la manière dont on peut confronter les principes de réalité et les expériences. Je ne résume pas tout au droit.
Ceci dit, après, il y a des grands principes à réinventer. C’est vrai qu’en 1905 on s’intéressait à la laïcité et moins à la protection des données personnelles, donc c’est logique que ces instances délibératives et représentatives de la population que sont les instances du type Assemblée nationale, Parlement au sens large, puissent, le moment venu, protéger des aspects de liberté en posant de nouveaux jalons à des acteurs qui viendraient proposer quelque chose, dont les dossiers ne sont pas forcément néfastes à l’origine, mais il y a toujours possiblement des externalités négatives à chaque innovation. Donc le droit a pour vertu, peut-être, de remettre sur les rails, en tout cas de remettre dans des espaces dont on fixe les limites de ce qui est permis, de ce qu’on a jusqu’à maintenant toléré et qui était le vivre ensemble. Créer ces espaces va permettre à ces innovations, finalement, de vivre et de ne pas venir empiéter sur d’autres sujets, qui peuvent être connexes, annexes, qui viendraient mettre en difficulté des principes auxquels, par ailleurs, nous sommes tous attachés.

Étienne Gonnu : Merci pour ce tour d’horizon sur ces questions. Là où je vous rejoins c’est effectivement sur ce qu’on pourrait appeler du bon droit qui tient dans le temps, se pense dans le temps, dans le temps long et pousse à proposer des principes structurants. D’ailleurs on y reviendra sans doute pendant notre échange, c’est pour ça qu’à l’April nous défendons une priorité au logiciel libre, non pas que ça va régler systématiquement et immédiatement toutes les questions, mais ça pose un principe structurant sur comment on pense l’usage des logiciels dans une démocratie. Je vous propose à présent de commencer à rentrer dans le vif de notre sujet. Donc le 22 juin 2020, le Premier ministre vous confie une mission d’information dont l’objet, et je vais citer cette lettre de mission, « était d’analyser des opportunités stratégiques et financières ainsi que les freins à lever pour favoriser l’ouverture par défaut des données et des codes sources publics ». Sont associés à vos travaux Stéphanie Combe, directrice générale du Health Data Hub, et Renaud Vedel, coordonnateur national pour l’intelligence artificielle.
Déjà je trouve intéressant, avant d’entrer dans les détails de cette mission, de voir, de s’arrêter un instant sur l’objet même d’une mission d’information. On le sait ou on ne le sait pas, mais le travail parlementaire ne se limite pas à la présence en hémicycle pour les questions au gouvernement ou pour les votes finaux sur les projets de loi, il y a d’autres modalités du travail parlementaire comme le sont les missions d’information et celle-ci, en particulier, qui est donc issue d’une lettre de mission du Premier ministre.
Est-ce que vous pouvez nous préciser ce qu’est une mission d’information, la particularité d’une mission d’information confiée par un Premier ministre ?

Éric Bothorel : Oui. D’abord vous avez bien fait de repréciser que le travail parlementaire ne se limite pas à être présent ou produire des amendements dans chacune des commissions dans lesquelles on peut siéger. Moi je siège dans deux commissions, c’est une exception, la plupart du temps on siège dans une seule. Sauf qu’il y a une commission qui est un peu à part, qui est une commission ??? qui est la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale à laquelle je suis aussi rattaché et membre en tant que commissaire et je suis aussi membre de la commission des affaires économiques. Il peut d’ailleurs exister des missions au sein de ces commissions. J’ai produit un certain nombre de rapports au sein de la commission des affaires européennes ou pour le compte de la commission affaires économiques avec ma collègue Laure de la Raudière, qui sera peut-être présidente de l’Arcep, on attendra le 20 janvier pour le savoir. Ces commissions sont légitimes à déclencher des missions d’information, des missions flash, qui vont permettre aux parlementaires avec des soutiens des administrateurs de l’Assemblée nationale de se pencher sur un sujet pour faire des propositions, réfléchir à un sujet donné, travailler en amont du ??? sur la couverture numérique du territoire. J’ai travaillé sur le Cybersecurity Act , j’ai travaillé sur ??? d’État, j’ai travaillé sur des sujets effectivement jamais très éloignés du numérique.
Le sésame, entre nous soit dit, puisqu’on est dans cette émission on se dit tout, je dirais qu’un parlementaire aurait peut-être le sentiment d’avoir accompli son mandat s’il décroche une mission du Premier ministre ou une remise de son rapport au président de la République, c’était le cas d’un de mes collègues ??? sur la coopération internationale. Il y a une forme de hiérarchie des choses, Bref ! En fait, pour être tout à fait clair avec vous, je n’ai jamais insisté pour que ce soit le Premier ministre. Je crois savoir que certains parlementaires font la tête quand c’est seulement un ministre qui leur confie une mission, qui font la tête !, ils font la tète une minute, ce sont de grands adultes, après ils passent à autre chose ! Pour tout vous dire l’origine de cette mission c’est une discussion que j’ai eue avec Cédric O sur l’interopérabilité et la portabilité.
On sait que c’est un sujet qu’il était nécessaire de revisiter à l’aune des questions d’actualité, des sujets d’actualité qui pourraient traverser nos sociétés, et c’est en discutant avec Cédric et en rajoutant un conseiller du président de la République et du Premier ministre que j’ai finalement décidé d’enrichir ce sujet de l’interopérabilité ou de la liberté de choix des outils, de devenir une forme de prolongation des réflexions qui avaient eu cours sur l’open data, les codes sources et les données d’intérêt général, ce qui permet d’aborder ces sujets-là par ailleurs. Par construction ça s’est fait comme ça, des semaines de discussion entre les parties pour savoir quel périmètre lui donner, ce qui a été donné, et puis au mois de juin dernier, effectivement, Édouard Philippe me confie cette mission qui sera remise à un autre Premier ministre puisqu’entre-temps, d’ailleurs une semaine après m’avoir remis la mission, Édouard Philippe était appelé à un autre destin.
Là vous ne travaillez pas, bien évidemment, avec les services de l’Assemblée nationale, mais vous bénéficiez, comme Cédric Villani a pu l’avoir, d’allocation de moyens que sont notamment des personnes issues des différents corps d’inspection ; moi c’était une dizaine de personnes en plus de Stéphanie que vous avez mentionnée et de Renaud ; c’est à peu près la même taille d’équipe que ce dont a pu bénéficier Cédric Villani. Vous devez être vigilant au fait de ne pas excéder les six mois, en fait vous êtes détaché de l’Assemblée nationale pendant cette période, vous n’êtes plus tenu de siéger ni dans vos commissions ni à l’Assemblée nationale, donc vous n’apparaissez dans l’hémicycle évidemment. Quand on s’étonne de ne pas m’avoir vu dans l’hémicycle, en fait on a fait plus de 250 auditions entre septembre et la fin novembre. Il faut faire moins de six mois parce que sinon vous n’êtes plus parlementaire ; c’est six mois. On considère que vous n’êtes plus rattaché à l’Assemblée nationale, c’est pour ça qu’il y a deadline qui était précisément au mois de décembre, dans le délai de six mois maximum qui était celui qui était prévu à l’origine.
Donc c’est une formidable aventure humaine. L’avantage que j’y ai vu c’est de travailler avec des gens extrêmement compétents, issus des différents corps d’inspection, quasiment en logique interministérielle, ce qui nous a d’abord pas mal mobilisés pour avoir des réunions assez tard le soir pour tenter d’atterrir sur des solutions et des recommandations pragmatiques. Ce qui est une formidable aide parce que, au moment de remettre le rapport au Premier ministre, finalement, entre nous, on avait trouvé les consensus et les compromis qui permettaient de ne pas avoir un tropisme d’une administration sur l’autre : l’économie contre l’environnement, l’environnement contre je ne sais quoi, la justice contre la sécurité. Il y avait des gens qui venaient des corps d’inspection, du ministère de l’Intérieur, de la direction générale des entreprises, de l’environnement et puis le soutien d’Etalab aussi qui nous a permis, entre autres choses, de faire le bon choix sur une plateforme qui a permis de lancer une consultation un peu plus large au-delà de cette mission, que nous avons pu faire, des benchmarks internationaux.
Donc c’est une formidable aventure humaine ; c’est ce que je retiens.

Étienne Gonnu : OK. Merci pour ces coulisses du travail parlementaire, C’est vrai que ce sont vraiment des aspects qu’on voit difficilement. C’est intéressant aussi de voir comment se construit le périmètre d’une mission comme la vôtre. Avec un regard extérieur, vous parliez, en termes d’ego, de se voir confier une mission par le Premier ministre plutôt que par un ministre, ça donne aussi et ça joue beaucoup sur le poids politique de l’objet, du rapport qui va en sortir, de l’objet qu’est cette mission d’information. Je pense que c’est aussi quelque chose qui est important sans doute à relever.
Vous avez répondu notamment à une question que je me posais sur les moyens pour conduire vos travaux. Vous avez mené énormément d’auditions, plus de 200, je me crois me souvenir, si j’en crois les annexes du rapport, dont celle de l’April, audition en octobre, de mémoire, qu’importe, c’est par transparence. Vous avez également fait usage d’une plateforme de consultation publique, d’ailleurs vous avez utilisé une plateforme basée sur un logiciel libre, ce que nous ne pouvons que saluer, bien sûr. Pourquoi ça faisait sens pour vous de mener une consultation publique pour la conduite de vos travaux ?

Éric Bothorel : J’avais fixé des lignes rouges, en tout cas des lignes fortes à l’équipe. Apparemment dans l’équipe j’avais un peu une situation à part dans la mesure où j’étais le parlementaire pour conduire cette mission, il me revenait donc aussi d’en fixer les orientations, de trouver là-dessus un accord. On peut partir dans tous les sens. Quand vous avez cette lettre de mission vous pouvez faire un inventaire de ce qui était ouvert, pas ouvert. Je ne voulais pas que ce soit un rapport de geek, de ??? si je puis dire, je l’avais formulé comme ça. Même si je sais qu’il y a des subtilités, des nuances dans la technologie qui font que même et surtout si on fait un effort trop important de vulgarisation, on perd l’essence même d’un certain nombre de substances de la technicité des choses qui rendent possibles certaines choses et impossibles d’autres, mais tendre vers une forme de vulgarisation, tendre vers une forme de rapport qui puisse être grand public. Ce qui veut dire, en tout cas ça n’influe pas directement, mais on a pris le parti aussi d’assumer que plutôt que de faire un large inventaire des choses, on s’est intéressés à des thèmes numériques. Et c’est par les ??? en fait qu’en auditionnant et en ré-auditionnant, on a fait du contradictoire, il y a parfois des gens qu’on a auditionnés trois fois parce que je partais du principe que ce n’est pas le dernier qui parle qui a raison et que vous avez des mines d’influence dans ces écosystèmes entre les donneurs d’ordre, ceux qui produisent, ceux qui collectent, ceux qui mettent à disposition, etc., et si vous n’écoutez qu’une seule facette vous pouvez dresser un état des lieux qui n’est pas fidèle à la réalité. On s’est attachés à essayer, finalement, d’avoir le constat le plus proche de la réalité des choses.
L’autre ligne forte que j’ai fixée à l’équipe, c’est de dire on va évidemment rencontrer des obstacles, des objections, des difficultés, surtout n’y répondons pas en créant un comité ou une commission supplémentaire. Regardons avec distance, les extensions de périmètre, quel mouvement on peut opérer, évidemment ne pas avoir l’obsession répondre par la loi avec des textes de loi en permanence. Regardons ce qu’on peut tuner, ce qu’on peut bouger, ce qu’on peut faire accepter par les organisations en présence pour que les choses évoluent favorablement sur un terrain. On parlera tout à l’heure de la partie codes sources et logiciels libres, c’était une part extrêmement importante consacrée à la data, regarder comment faire mieux circuler la donnée.
Je disais en commençant cette mission qu’on n’a pas entamé cette mission en se disant d’un côté les amish de la fermeture, de l’autre côté les ayatollahs de l’ouverture, tentons de réconcilier les deux. Il y a probablement des endroits où on ne pourra pas ouvrir les données, des endroits où c’est nécessaire de le faire, mais, entre les deux, il y a des modalités d’accès ou de partage de la donnée qui ne sont pas suffisamment explorées ce qui permettrait probablement certains usages, certains bénéfices, certaines innovations, complémentaires de celles qui existent mais en confiance, en transparence, en création de richesse. Et voilà. C’est la raison pour laquelle on s’est jetés à corps perdu dans un grand programme d’auditions, on a dit 200, mais on était probablement 250 si je compte ceux qu’on a écoutés et réécoutés, et vous n’avez pas vu tout le monde quand vous avez vu 250 personnes. Quand vous faites un benchmark international, vous avez des administrations qui sont assez nombreuses, si vous voulez encore avoir une vision un peu plus profonde des choses, ce qui paraissait légitime, qu’on puisse ouvrir encore plus largement à un public plus large le partage des constats qu’on avait pu dresser sur la première période. Il ne s’agissait pas de les faire travailler finalement sur l’état des lieux, sur lequel on avait pu déjà se forger une opinion, mais de les questionner sur la pertinence de l’état des lieux et commencer à leur proposer de nous dire, selon eux, quelle serait la meilleure façon de corriger les choses. Bref, cette articulation correspond probablement, et vous dresserez des liens, à ce je disais tout à l’heure de mon parcours professionnel, s’attacher finalement à traiter les causes plutôt que les conséquences. C’est tellement plus simple de faire les conséquences, à la limite on fait le constat, on voit qu’il y a un truc qui ne marche pas, on corrige effectivement ce qui ne marche pas. Corriger le truc qui ne marche pas en bref ça passe idéalement par le fait qu’on s’intéresse à la raison pour lesquelles les choses marchent pas, pour s’attaquer aux causes.

Étienne Gonnu : Merci. La consultation, et après on va passer au vif sujet qui est le rapport que vous avez remis en décembre, la consultation publique a quand même montré une très forte mobilisation en faveur des propositions relatives au logiciel lire, pour les citer je parle des propositions de l’April et du CNLL qui est l’Union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert qui ont été les plus soutenues. Est-ce que vous vous attendiez à cette mobilisation et quel regard vous portiez avant et après sur le logiciel libre ?

Éric Bothorel : Je connais sa capacité à se mobiliser. Je participe de temps en temps, ici à Lannion, à Libre en Fête. C’est vrai qu’avec les écosystèmes qui, de près ou de loin, sont soit totalement dédiés à cette logique, soit, de façon très compatible, prennent part à cette vision du monde qui essaye de s’attacher à essayer d’en révéler les nuances et ne pas plonger dans les biais devant lesquels on veut s’enfermer, qu’on connaît tous, les zones de confort avec sa ??? qui voudraient finalement une vision du monde qui se construirait avec une forme d’impérialisme. Non il y a des choses sur lesquelles il y a parfois des gens qui peuvent être en désaccord, en même temps compatibles sur d’autres.
Donc je connais la capacité de mobilisation des acteurs qui sont promoteurs des idées du Libre. Je n’ai pas été surpris qu’il y ait cette mobilisation sur la plateforme. Si c’était une autre ce n’est pas surprenant non plus. Ce n’est pas un indicateur pour moi. Ce qui est important c’était ce qui se disait pas forcément. Parfois vous pouvez avoir une personne, très discrète au fond d’une salle, qui a une idée géniale, c’est celle qu’il faut écouter. Comment dire, je ne suis pas perturbé par le bruit, je suis plus intéressé par le contenu et, pour le coup, le contenu était pertinent.

Étienne Gonnu : On voit d’ailleurs l’accueil qu’a reçu votre rapport, et on va en parler justement, par les communautés libristes, que ce soit le CNLL ou l’April puisqu’on en parlait, notamment dans notre communiqué on montre qu’il y a une réception assez favorable du moins de votre rapport.
Il y a pas mal de questions, quelques questions qui sont liées au déroulé des travaux, notamment un sujet qui a été un peu chaud en 2020, c’est celui du Health Data Hub. Sans forcément entrer dans les détails, une personne nous demande sur le chat comment s’est passée la collaboration avec Stéphanie Combe par rapport à son choix d’écrire sur Microsoft. Et toujours en lien avec Health Data Hub, est-ce que vous connaissez les initiatives comme InterHop qui promeut et soutient l’utilisation du logiciel libre dans le domaine de la santé.

Éric Bothorel : On a auditionné Interhop et on a évoqué ensemble les différents choix d’architecture, d’informatique distribuée ou pas. Si je me souviens bien, les schémas d’InterHop doivent être à la troisième slide de leur présentation., j’ai encore en mémoire qu’on avait fait un partage d’écran.
Je vais vous répondre sur Stéphanie, mais je vais vous faire un clin d’œil. Au début j’ai dit à mes équipes puisqu’on était en confinement on va donc devoir conduire des auditions à distance. Une mission sur le Libre, les codes sources, l’open data, on ne peut pas succomber et tomber sur Zoom. On a testé les outils qui n’étaient pas Zoom, qui n’étaient pas Google Meet ou je ne sais quoi encore, tentant d’être assez compatibles avec l’idée qu’on se fait, finalement, de la promotion d’outils différents de ceux qui sont proposés par les grandes plateformes américaines. Et puis on a été d’échec en échec en ayant balayé des dizaines d’outils, je n’ai plus la liste en tête, je pense qu’on a fait à peu près tout ce qui pouvait exister au moment où c’était disponible, parce qu’il fallait passer du temps à demander à changer de firewall, parce qu’il fallait passer du temps à demander à changer de navigateur, parce qu’il fallait changer des tas de choses, etc. On a fait 200-250 auditions, on commençait très tôt le matin, j’essayais malgré tout d’installer un break en matinée pour que chacun puisse fumer sa clope, faire d’autres choses, mais on ne pouvait se permettre de perdre un quart d’heure, 20 minutes, une demi-heure entre chaque audition parce que je vous assure qu’on a fait ça à un rythme soutenu, que les corps d’inspection étaient tous là. Donc on a où renoncer et c’était un crève-cœur et les copies d’écran de ce qu’on a tenté de rendre public le plus vite possible, même si on n’a pas rendu les auditions publiques et je pourrais revenir dessus si vous me posez une question, on les a conduites assez massivement, pour ne pas dire majoritairement, quasi uniquement sur Zoom. C’est un reproche qu’on pourrait me faire, c’est pour ça que je l’évacue tout de suite en donnant les explications. Je sais bien qu’ici ou là certains pourraient dire il y a tel ou tel outil qui marchent mal. Je vous assure, je pourrai vous faire la liste si nécessaire qu’on a bien testé d’autres solutions avec Stéphanie.

Étienne Gonnu : Je ne peux que vous croire puisqu’avec l’April nous avons trouvé une autre solution, pour témoignage. C’est vrai que vous avez beaucoup utilisé Zoom, mais il faut bien reconnaître que vous avez fourni autant d’efforts que possible pour passer par une autre solution, pour contourner les problématiques. Avec l’April nous avons utilisé BigBlueButton et vous êtes intervenu par téléphone. Ça a été compliqué, mais vous avez fait cet effort et je ne peux que le saluer.
Je vous propose, pour qu’on s’aère l’esprit avant de rentrer dans le sujet du rapport, de faire une courte pause musicale. Nous allons écouter un autre morceau de l’artiste Idyllic recommandé pour nous aujourd’hui par Éric Fraudain. Il s’agit de Far Off Dreams. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Far Off Dreams par Idyllic.

Voix off :

Deuxième partie

Étienne Gonnu : Vous écoutez Far Off Dreams par Idyllic