Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 19 février2019 »

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'''Titre :''' <em>Émission Libre à vous !</em> diffusée mardi 19 février 2019 sur radio Cause Commune
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Publié [https://www.april.org/libre-a-vous-radio-cause-commune-transcription-de-l-emission-du-19-fevrier-2019 ici] - Février 2019
 
 
'''Intervenants :'''Stéphane Bortzmeyer - Frédéric Couchet, April
 
 
 
'''Lieu :''' Radio Cause commune
 
 
 
'''Date :''' 19 février 2019
 
 
 
'''Durée :''' 1 h 30 min
 
 
 
'''[https://media.april.org/audio/radio-cause-commune/libre-a-vous/emissions/20190219/libre-a-vous-20190219.ogg Écouter ou télécharger le podcast]'''
 
 
 
[https://www.april.org/emission-libre-a-vous-diffusee-mardi-19-fevrier-2019-sur-radio-cause-commune Page des références utiles concernant cette émission]
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :'''
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br />
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
Transcrit MO
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Voix off : </b><em>Libre à vous !</em>, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un <em>webchat</em>, vous pouvez utiliser votre navigateur web, vous rendre sur le site de la radio, cliquer sur « chat » et nous rejoindre sur le salon web.<br/>
 
Nous sommes mardi 19 février 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.
 
 
 
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de <em>Libre à vous !</em>, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Mon collègue Étienne Gonnu est actuellement en régie pour sa première donc merci Étienne et bonjour.<br/>
 
Je suis en studio avec Stéphane Bortzmeyer que j’aurai l’occasion de présenter d’ici une quinzaine de minutes et bientôt nous aurons au téléphone Aliette Lacroix pour parler du Pacte pour la Transition.
 
 
 
Le site web de l’April est april.org, a, p, r, i, l point org et vous retrouvez d’ores et déjà une page consacrée à l’émission du jour avec les références que nous allons citer dans l’émission et, si nous en citons des non prévues, eh bien on les rajoutera ultérieurement après l’émission. Vous pouvez aussi en profiter pour nous faire des retours, pour nous signaler ce qui vous a plu ou des points d’amélioration. Je vous souhaite une excellente écoute.
 
 
 
Voici maintenant le programme de cette émission.<br/>
 
Nous allons commencer par un échange avec Aliette Lacroix du collectif Pour une Transition Citoyenne qui va vous présenter le Pacte pour la Transition. Normalement Aliette est avec nous par téléphone. Bonjour Aliette. Non, donc Aliette n’est pas avec nous par téléphone pour le moment ; elle va sans doute appeler d’ici quelques instants.<br/>
 
D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur le livre de Stéphane Bortzmeyer, Stéphane sourit un petit peu parce que juste avant la prise d’antenne il nous disait qu’il préférait venir en studio plutôt qu’être par téléphone pour éviter les problèmes. Évidemment on va retrouver Aliette assez rapidement je pense. Notre sujet principal portera sur le livre de Stéphane Bortzmeyer <em>Cyberstructure. Internet, un espace politique</em>, Stéphane est avec nous en studio. Bonjour Stéphane.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>En fin d’émission nous ferons un point sur le projet de directive droit d’auteur et également un point sur le projet de loi pour une école de la confiance et notamment les amendements proposant d’inscrire dans la loi la priorité au logiciel libre dans l’Éducation.<br/>
 
Comme je le disais tout à l’heure, à la réalisation de l’émission mon collègue Étienne Gonnu assisté du directeur d’antenne Olivier Grieco.
 
 
 
==2’ 32==
 
 
 
Tout de suite place au premier sujet si nous avons Aliette Lacroix au téléphone. Non ! À ce moment-là ce qu’on va faire, on va changer l’ordre du jour. Alors Stéphane, tu es ingénieur réseau informatique, militant des libertés numériques et donc auteur du livre <em>Cyberstructure. Internet, un espace politique</em> qui parle des relations entre l’architecture technique de l’Internet et la politique dans le sens vie de la cité et notamment les droits humains.<br/>
 
Je cite tout de suite le site web sur lequel vous pouvez trouver des informations concernant le livre cyberstructure.fr. Il est publié aux éditions C&F Éditions, le site des éditions c’est cfeditions avec un « s » point com. Environ 270 pages, autour de 22 euros dans toutes les bonnes librairies et notamment les librairies de quartier, il y en a beaucoup à Paris et ailleurs. La version ePub devrait être disponible en mars 2019 donc bientôt. Stéphane le confirme.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Devrait.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Devrait et évidemment vous pourrez l’obtenir directement sur le site de l’éditeur.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Et sans DRM.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Frédéric Couchet : </b>Et sans DRM, donc sans menottes numériques qui empêchent un certain nombre de libertés fondamentales.<br/>
 
L’objectif de Stéphane, à travers ce livre, c’est de parler des parties moins visibles de l’Internet, celles dont on parle un peu moins souvent et notamment de son infrastructure. C’est forcément un peu technique, mais ce livre n’est pas, normalement, destiné justement aux informaticiens et aux informaticiennes, mais il est destiné à l’ensemble du grand public. Il comporte une première moitié d’explications sur le fonctionnement de l’Internet et la seconde moitié est composée d’une série d’études de cas sur des sujets politiques dont tu trouves qu’ils ne sont pas forcément suffisamment traités, perdus aujourd’hui dans les débats entre Google, Facebook, Twitter et autres.<br/>
 
Stéphane, tu tiens un blog de références depuis je ne sais pas combien d’années d’ailleurs.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Sous sa forme actuelle, ça doit faire 15 ans, mais certains textes étaient déjà faits avant.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Une quinzaine d’années. Le site c’est bortzmeyer.org. C’est un site de référence parce que pour tous ceux, pour toutes les personnes qui s’intéressent aux sujets techniques de l’Internet, on trouve des explications très détaillées et très accessibles qui vont souvent même jusqu’au détail pour que ça intéresse les personnes les plus pointues de la ligne de commande.<br/>
 
Première question : finalement pourquoi as-tu eu envie de publier un livre qui plus est un livre papier alors que tu tiens un blog depuis une quinzaine d’années sur ces sujets-là ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>En fait l’idée ne vient pas de moi, mais de mon éditeur Hervé Le Crosnier. Ça fait plusieurs années qu’il insiste pour que je publie un livre parce que quand il m’entend, quand il m’entendait me plaindre de ce qu’on ne parlait pas bien d’Internet ou pas assez ou pas des bonnes choses ou pas de la bonne façon, il me disait : « Mais justement, il ne tient qu’à toi que ça change, tu devrais faire un livre et je l’éditerai ». J’ai hésité pendant longtemps, ça fait du travail et puis c’est un monde que je ne connais pas bien. Mais je crois que ce qui est surtout intéressant dans le processus d’un livre c’est que c’est un travail collectif. Le livre est écrit par l’auteur, mais il est discuté avec l’éditeur, il est relu par plusieurs relecteurs et relectrices qui ont fait un très bon travail, très incisif. Il est mis en page par un professionnel. C’est donc un objet différent d’un blog où il y a une seule personne qui fait tout, ce qui limite un peu la qualité du travail qui peut être produit. Pour un livre, indépendamment du fait qu’il soit sous forme papier ou numérique, c’est surtout un contenu qui reflète un travail d’équipe.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>OK. Et en plus ça permet d’atteindre un public qui ne consulte pas forcément, en fait, ton blog ; c’est un peu aussi l’objectif de ce livre : c’est de mettre à portée de tout le monde des concepts techniques sur Internet et les relations avec la partie, on va dire politique et les droits humains.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>J’espère que ça sera comme ça mais malheureusement le marché du livre et la façon dont il est structuré c’est difficile. On peut commander ce livre dans toutes les librairies, effectivement, mais il faut le commander, à part dans quelques librairies exceptionnelles comme A Livr'Ouvert.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Qui est dans le 11e arrondissement de Paris.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Oui. Mais sinon il n’est pas disponible directement, donc il ne peut pas y avoir d’achat d’impulsion ou de gens qui, en traînant, en surfant, tombent dessus. Il faut que les gens le commandent, ça limite les possibilités de diffusion, mais bon ! tout le monde ne peut pas être Michel Houellebecq donc ce n’est pas grave.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>En tout cas on encourage les personnes qui écoutent cette émission et qui auront envie de lire le livre à le commander auprès de leur libraire de quartier car, comme tu le dis, on ne le trouve pas forcément en rayon directement.<br/>
 
Je comprends bien, évidemment, l’intérêt d’écrire un livre sur ce sujet-là qui est un complément de ce blog et ce travail collectif avec Hervé Le Crosnier qui est quelqu’un qui est depuis très longtemps impliqué dans, on va dire, le mouvement de la culture libre et qui, en plus je crois, était récemment interviewé dans un documentaire qui va passer sur Arte autour de la révolution justement <em>Internet ou la révolution du partage</em>, je dis le titre de mémoire, donc peut-être que je me trompe. Première question : comment tu définirais justement Internet, pour des gens pour qui, en fait pour beaucoup, le mot-clef c’est Web ou les autres mots-clefs c’est Google, Facebook, Amazon ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Du point de vue de l’utilisateur c’est le réseau sur lequel il peut y avoir des services comme le site web de la radio causecommune.fm qui permet de l’écouter en ligne ou d’autres services plus ou moins sympathiques ou plus ou moins utiles.<br/>
 
Maintenant, du point de vue des gens qui le construisent, la caractéristique principale d’Internet et qui est à la base de beaucoup de questions politiques qui sont liées, c’est que c’est un réseau de réseaux. Ça n’est pas un réseau qui aurait été fait d’en bas (haut ???) par une entreprise ou un État qui aurait dit « tiens ! faisons un réseau, embauchons des gens, faisons des plans, trouvons un budget, faisons des réunions et finalement réalisons-le ». C’est plein de gens, plein d’acteurs qui ont construit leur bout de réseau et tous ces bouts sont fédérés entre eux, échangent du trafic et peuvent communiquer. Aujourd’hui quelqu’un qui est en France abonné à SFR peut regarder le site web de l’université d’Oulan-Bator en Mongolie, ça fonctionne et on ne s’étonne même plus que ça fonctionne ! En fait le miracle de l’Internet c’est qu’on ne s’étonne même plus que ça fonctionne alors que quand on sait ce qu’il y a derrière, on va au bureau tous les matins en se disant « c’est quand même dingue, ça marche encore ! »
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Ça marche encore ! Le réseau construit d’en haut tu pensais par exemple au Minitel, quelque chose comme ça ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Par exemple, oui, ou au réseau téléphonique traditionnel, fait d’en haut et géré d’en haut. Internet lui ne l’est pas et ça a un tout un tas de propriétés qui viennent de là, alors des bonnes et des mauvaises. Les bonnes c’est par exemple l’innovation sans permission. On va fêter le mois prochain le trentième anniversaire du Web ou, plus exactement, le trentième anniversaire de la première publication parlant du Web. Tim Berners-Lee et Cailliau n’ont pas eu à demander une autorisation particulière.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Ils ont eu une idée, ils l’ont mise en œuvre et ça a fonctionné.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Ils ont eu une idée, ils l’ont réalisée. Et ça c’est fait également avec beaucoup d’autres grands succès de l’Internet, je cite BitTorrent, par exemple, le système de distribution de fichiers. Ça ce sont les aspects positifs. Il y a des aspects négatifs aussi ou, en tout cas délicats, c’est qu’il n’est pas possible d’avoir une décision prise une bonne fois pour toutes et qui serait appliquée par tout le monde. Il faut convaincre tout un tas d’acteurs qui n’ont pas les mêmes intérêts, qui peuvent même être concurrents et donc dans des domaines comme la sécurité, par exemple, c’est extrêmement difficile d’obtenir que tout le monde fasse quelque chose.<br/>
 
C’est un avantage aussi : ça rend difficile à certains d’appliquer à l’Internet le niveau de contrôle qu’ils voudraient. Mais c’est aussi un inconvénient et régulièrement les professionnels d’Internet se disent « Ah zut ! Ça serait quand même plus simple s’il pouvait y avoir un dictateur et que tout le monde applique ses ordres », mais l’Internet, pour le meilleur et pour le pire, ne fonctionne pas comme ça.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’ailleurs c’est un des intérêts du livre de voir ces points de tension entre côtés positifs et négatifs de la technique, on va y revenir, et aussi du mode de fonctionnement. Internet est un réseau de réseaux géré par de multiples organisations, comme tu le dis, et non pas par une seule organisation.<br/>
 
Il y a un deuxième point qui me paraît important et que tu cites dans le livre, je crois, ou c’est dans l’introduction, la préface qui a été écrite par Zythom, c’est qu’Internet est un réseau qui relie des gens, des êtres humains entre eux et ça c’est fondamental, des gens qui ont envie de faire des choses, de lancer des projets, de partager. Ça c’est quelque chose, c’est sans doute le premier outil, mais on pourra y revenir tout à l’heure, qui permet de redonner le pouvoir et notamment la liberté d’expression et de créer des choses grâce à Internet. Sans Internet il n’y aurait sans doute pas de logiciel libre ou de Wikipédia. Sans logiciel libre il n’y aurait peut-être pas aussi l’Internet tel qu’on le connaît. Mais en tout cas c’est sans doute une des forces d’Internet cette mise en relation de personnes.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Oui. Pour le logiciel libre, ça existait avant.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Ça existait avant.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Je me souviens de l’époque où Richard Stallman mettait des bandes magnétiques dans une enveloppe qu’il envoyait moyennant un paiement couvrant les coûts. Ce n’était pas super pratique. Je me souviens aussi d’un collègue qui m’avait raconté comment il avait rapporté de Berkeley deux bandes magnétiques avec Unix BSD pour les installer sur une machine en France. Il fallait prendre l’avion et ramener les bandes magnétiques. L’Internet a changé tout ça. Ça n’a pas inventé le logiciel libre qui existait avant.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Non, mais ça a permis sa diffusion.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Ça a permis une diffusion beaucoup plus large et beaucoup plus grande et ça a contribué à son développement important.<br/>
 
Mais il y a aussi d’autres réalisations collectives de l’Internet qui touchent peut-être un public plus large, l’exemple classique c’est Wikipédia, c’est un exemple un peu facile, mais en même temps c’est vrai que c’est remarquable.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Qui a fêté récemment ses 18 ans je crois, 2001.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Donc il est majeur maintenant !
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Voilà !
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b> Il est responsable maintenant.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Dans ce livre, il y a une bonne part de technique et ton point de départ c’est qu’il faut un minimum de compréhension de la technique pour pouvoir comprendre la deuxième partie qui est la partie politique et la partie sociale. Un peu de façon provocatrice, mais tu emploies la comparaison dans le livre, en quoi Internet est différent d’un réfrigérateur ? Pourquoi il faut comprendre un peu la technique et tu rentres quand même assez dans les détails de la technique, pourquoi il est important de comprendre la technique de l’Internet ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Nos réfrigérateurs, en général on en sait pas du tout comment ils fonctionnent, mais on connaît quand même deux ou trois trucs sur le réfrigérateur : quelque chose d’aussi simple que le fait qu’il doit être branché, par exemple, pour fonctionner. Souvent en informatique, malheureusement, on a un niveau de non-connaissance qui est abyssal ; une vielle blague est que quand on signale une panne il faut d’abord demander : « Vérifiez si l’ordinateur est bien branché ». On n’en est plus vraiment là mais pendant longtemps ça a été le cas. Mais surtout, la grosse différence avec le réfrigérateur, c’est qu’une partie de nos vies, toutes nos activités ne passent pas par le frigo. Il y a une activité importante, manger, qui dépend du frigo, et encore pas dans tous les cas, tout ce qu’on mange n’est pas passé par un frigo et le frigo n’a que peu de possibilités d’action. Il peut refroidir plus ou moins, mais il ne peut pas donner son avis sur ce qu’on y met ou décider d’accepter certaines choses ou pas ; ça changera peut-être dans le futur d’ailleurs ; la tendance à des objets connectés est assez inquiétante de ce point de vue là parce que, dans le futur, on pourrait avoir effectivement, on pourrait imaginer un frigo qui, par exemple, signale à la police ce qu’on mange, des choses de ce genre, ou le genre de médicament qu’on stocke. Pour l’instant ce n’est pas le cas, pour l’instant le frigo est un objet passif, donc qu’on ait un frigo de telle marque ou telle autre n’a pas une grande importance sur la vie.<br/>
 
Internet c’est complètement différent. D’abord toutes nos activités passent par là : le travail, la distraction, le militantisme, toutes les activités de relations simplement sociales, discussions avec les gens, tout passe par Internet. Donc déjà il a un rôle dans notre vie beaucoup plus important que le frigo. L’autre différence aussi c’est que pour accéder à Internet on passe par tout un tas d’acteurs intermédiaires, des fournisseurs d’accès à Internet aux plateformes de service que certaines personnes utilisent pour communiquer, en passant bien sûr par les logiciels qu’on utilise qui sont aussi un intermédiaire, et ces intermédiaires peuvent et en pratique des fois interviennent dans la communication, autorisant certaines, bloquant d’autres, modifiant les informations. Donc on est dans un rôle très différent du frigo. Le frigo qui poserait les mêmes genres de problèmes politiques ça serait par exemple celui qui, je l’ai dit, refuserait certains aliments ou modifierait les aliments qu’on a mis. L’Internet en est là. Le fait qu’on soit obligé de passer par ces intermédiaires est un peu au cœur de tout un tas de problèmes de l’Internet.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Le rôle des intermédiaires, on va y revenir dans les exemples qu’on va aborder ultérieurement, est évidemment un rôle fondamental.<br/>
 
Dernière question plus générale sur le livre avant d’aborder trois-quatre sujets en détail. Ce livre s’adresse à toute personne à priori ? Est-ce qu’il faut des connaissances techniques préalables ? Ou une personne qui n’a pas de connaissances spéciales peut lire ce livre, selon toi ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Normalement il est fait pour pouvoir être lu par des gens qui ne sont pas du tout informaticiens ; c’est l’objectif. Maintenant tous les gens qui ont essayé de faire de la vulgarisation savent que c’est un art très difficile. L’autre jour je discutais avec l’auteur d’un livre qui parle d’informatique en l’occurrence de cybersécurité et où il y avait beaucoup d’énormités dans le livre. Je lui reprochais ça et il me disait : « C’est pour un grand public ! » Je trouve cette excuse très mauvaise parce que précisément, quand on écrit pour des gens qui ne connaissent pas, il faut être plus rigoureux et pas moins rigoureux parce que la personne en face ne pourra pas corriger d’elle-même et croira aveuglément tout ce qu’on raconte. La vulgarisation c’est très difficile parce qu’il faut être à la fois extrêmement rigoureux, plus même que quand on s’adresse à des experts, tout en étant pédagogique, tout en expliquant ce qui se passe. La partie de mon livre qui explique la technique pour qu’on comprenne la partie politique est à l’origine prévue pour être le tiers du livre, elle a grossi, elle en fait plutôt la moitié, au fur et à mesure que mon éditeur ou des relecteurs me disaient : « Là tu parles d’adresse IP trois fois et tu n’as jamais expliqué ce que c’est qu’une adresse IP ». Ma première réaction c’était : « Ah bon ! Il faut expliquer ça aussi ? »
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Tout le monde sait ce qu’est une adresse IP.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Eh ben non ! Tout le monde ne sait pas, donc il faut l’expliquer aussi. Et quand on explique un concept, il y en a un autre qui vient. Une des conséquences de ce livre c’est que j’admire beaucoup plus les gens qui font de la vulgarisation, de la bonne vulgarisation, parce que je savais que c’était difficile, mais je me rends compte que c’est vraiment difficile.<br/>
 
Savoir si j’ai atteint l’objectif, que ça soit lisible par un vaste public, je ne sais pas. L’auteur est mal placé pour en juger, j’attends l’avis des lecteurs là-dessus.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’ailleurs sur le site de Stéphane, donc bortzmeyer.org, n’hésitez pas à faire des retours. Moi j’ai lu le livre, mais j’ai quelques connaissances techniques, mais j’ai appris quand même beaucoup de choses parce que tu abordes énormément de sujets. Franchement je ne sais pas si tu abordes tous les sujets que tu voulais aborder, mais en tout cas tu abordes énormément de sujets avec des exemples très précis à chaque fois. Quand il a fallu sélectionner quels sujets on allait aborder aujourd’hui je me suis dit « tiens, de quoi on va parler ? Parce qu’il nous faudrait trois ou quatre heures si on veut tout aborder ». Donc n’hésitez pas à faire des retours et en tout cas à conseiller ce livre aussi à d’autres personnes parce que je pense que notamment toute l’explication sur la partie adresse IP et autres ou le routage des paquets sur Internet c’est quand même assez essentiel. Dans ton livre il y a cyberstrucure, droits humains. Les droits humains, en quelques mots, c’est quoi les droits humains ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Les droits humains, leur incarnation la plus évidente c’est la Déclaration universelle qui s’appelait des droits de l’homme à l’époque, on l’appelle plutôt des droits humains aujourd’hui.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Des droits humains aujourd’hui. 1948 si je ne me trompe pas,
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Votée en 1948 par les Nations-Unies et qui, en théorie, est partagée par tout le monde puisque tous les pays membres des Nations-Unies, c’est-à-dire à peu près tout le monde, l’ont signée. Ça c’est la théorie.<br/>
 
Les points importants des droits humains c’est qu’ils fixent des limites à ce qu’un État, ou un autre groupe d’ailleurs, pourrait faire. C’est important, ça permet d’éviter par exemple la tyrannie de la majorité ou un groupe qui dise : « On est majoritaire donc on a droit de faire ce qu’on veut et on va persécuter voire massacrer les autres ». Le principe des droits humains c’est qu’il y a des droits qui sont universels, qui concernent tous les êtres humains indépendamment de leur couleur de peau, de leur culture, de leur pays, de leur genre, et qui sont automatiques : du seul fait qu’on est un être humain on a ces droits-là.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>On est un être humain, on est né, on a ces droits-là.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Voilà. La politique ne nous réduit pas à ça, il y a des domaines vastes et il y a bien d’autres aspects, mais il me semble qu’aujourd’hui c’est un socle minimum qui permet de regarder les problèmes politiques qui se passent sur Internet en ayant une certaine cohérence, c’est-à-dire est-ce que tel ou tel changement qu’on envisage de faire, tel ou tel progrès ou telle ou telle nouveauté, est-ce que ça aide et renforce les droits humains ou est-ce qu’au contraire ça les menace ?<br/>
 
C’est clair que les droits humains ne sont pas tout. La Déclaration universelle est rédigée en des termes assez vagues, assez généraux, forcément puisqu’elle est faite par des pays qui sont très différents, mais c’est un point de départ et, malheureusement aujourd’hui, plutôt menacés.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Il y a un vieux débat dont tu parles dans le livre, c’est la neutralité de la technique, c’est-à-dire est-ce que la technique est neutre ? Est-ce que l’infrastructure d’Internet doit jouer un rôle dans la protection de ces droits humains ou ne doit pas jouer un rôle ? Tu expliques, d’ailleurs, qu’il y a un document officiel donc de l’IETF, alors tu nous expliqueras ce qu’est l’IETF [Internet Engineering Task Force], où il y a différentes positions par rapport à ça.<br/>
 
Quelle est ta position par rapport à ce rôle que doit jouer l’infrastructure, la technique, les outils, les logiciels par rapport, justement, à cette protection de ces droits humains ? Est-ce que ça doit jouer un rôle, un rôle mineur, majeur, fondamental ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>En caricaturant on peut dire qu’il y a deux positions extrêmes : l’une qui dit que la technique est complètement neutre et donc, par exemple, les ingénieurs, les gens qui écrivent des logiciels, ne doivent pas se soucier de la question ; quelqu’un qui programme, il programme et il ne pense pas aux droits humains parce que, de toute façon, son logiciel pourra être utilisé par des gentils et par des méchants.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Donc la responsabilité sera sur la personne qui utilise.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Voilà. Ça c’est une position extrême. Il y en a une autre qui serait de dire qu’il faudrait faire une infrastructure technique, une cyberstructure qui rendrait impossibles certaines actions et qui, par exemple, dans le cas des droits humains, rendrait impossible leur violation. Ou au contraire, si on a un point de vue plus fasciste, rendrait impossible de critiquer le pouvoir en place.<br/>
 
Quelque part les deux positions sont fausses parce qu’elles oublient qu’il y a une interaction entre les outils et ce qu’on en fait. D’abord on ne crée pas des outils au hasard, ça prend du temps de développer du logiciel, développer une infrastructure comme Internet encore plus, donc on ne crée aussi que ce qu’on demande et ce pourquoi il y a une demande des gens prêts à travailler. Ensuite les outils qu’on fait, à leur tour, changent le point de vue qu’on a, changent ce qu’on pouvait faire. Bien sûr que ni les inventeurs de l’Internet, enfin en même temps que la notion existe, ni les gens qui ont travaillé au début de l’Internet, ni ceux qui ont travaillé au début du Web, là on voit un peu mieux qui c’est, je ne pense pas qu’ils prévoyaient tout ce que ça donnerait.<br/>
 
Les premiers plans qui étaient faits explicitement pour l’usage de l’Internet au début c’était de se connecter à distance sur un gros ordinateur pour y taper des commandes et, à l’extrême rigueur, de se passer des fichiers.<br/>
 
Le succès d’une invention se mesure souvent au fait qu’elle a dépassé ses inventeurs et qu’elle est utilisée dans un but imprévu. Donc cette interaction compliquée entre les outils et l’usage qu’on en fait, fait que les deux positions extrêmes sont aussi fausses l’une que l’autre. La technique n’est pas neutre parce qu’elle influence, déjà, ce qu’on peut faire, ce qu’on permet qu’on ne pouvait pas avant Internet. Quelqu’un qui avait des idées dans un pays donné ne pouvait pas diffuser ses idées sur toute la planète ; c’était tout simplement impossible. Donc la technique l’a rendu possible, mais elle n’a pas non plus fait que ça marcherait automatiquement. Les gens peuvent ne pas se saisir de cet outil, ne pas s’en servir.<br/>
 
Donc la réalité est quelque part dans une interaction entre l’outil et l’usage et qui fait, en tout cas, qu’on ne peut pas dire que la technique soit neutre. On ne peut pas dire que la technique soit neutre puisque si elle l’était on ne pourrait pas justifier tout le budget qu’on développe, qu’on dépense pour développer ces techniques. Si on dépense autant d’argent c’est bien parce que ces techniques servent à quelque chose. Elles ont un rôle, donc elles ne peuvent pas être neutres.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Donc elle est souple quelque part, je crois que tu emploies ce terme à un moment dans le livre, et finalement la responsabilité est partagée entre les personnes qui créent cette technique et les personnes qui l’utilisent donc entre les techniciens techniciens et les utilisateurs, utilisatrices, c’est un petit peu ta position.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Oui. Par exemple les auteurs de logiciels ne sont pas responsables de tout ce qui est fait avec leurs logiciels, mais ils ne peuvent pas non plus dire je suis complètement irresponsable.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>On va continuer sur la neutralité, peut-être un peu en détail, parce que c’est sujet important dont beaucoup de gens parlent et notamment je crois que c’est un sujet vaste et que beaucoup de gens le résument souvent au fait de faire payer Google, comme tu le dis ou comme d’autres, notamment le gouvernement actuel et les précédents, enfin pas que Google, d’ailleurs tous les autres. Il y a tout un chapitre dans le livre avec une analogie, notamment, que je n’avais jamais entendue, que je ne connaissais pas sur l’époque de Cro-Magnon et de la rivière. Donc cette notion de neutralité des réseaux, est-ce que tu peux nous la présenter, notamment les impacts que ça a concrètement aujourd’hui pour les personnes qui utilisent Internet ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Si je me souviens bien en plus, l’histoire de Cro-Magnon venait d’une discussion avec Andréa Fradin qui était journaliste à Rue89, je crois que c’était elle qui l’avait suggérée.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Et qui s’est reconvertie en développeuse depuis.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Oui. Le mot neutralité effectivement désigne beaucoup de débats différents. Je voudrais déjà partir de ce qui est le plus évident et le plus souvent oublié : la base de l’idée de neutralité de l’Internet, de neutralité du réseau, c’est de dire que l’Intermédiaire ne doit pas abuser de son pouvoir, ne doit pas modifier la communication ou l’arrêter selon ses intérêts à lui. Ça sera plus facile à expliquer par un contre-exemple. Il y a quelques mois les internautes clients d’Orange en Tunisie se sont aperçus qu’Orange modifiait les pages web qui étaient envoyées d’une machine à l’autre en y insérant des publicités. Petit aparté technique : pour les pages qui n’étaient pas en https, bien sûr, les autres ça aurait été plus difficile ; fin de l’aparté technique. Donc quelqu’un, le gérant du site web, décidait d’envoyer un certain contenu vers l’internaute ; l’internaute voulait accéder à ce contenu et, sur le trajet, un troisième homme, un intermédiaire, se permettait de modifier ce qu’il y avait, comme si la poste qui envoie les exemplaires de mon livre en province enlevait certaines pages, rajoutait des notes, raturait, des choses comme ça.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Ou comme s’ils ouvraient le courrier des gens pour ajouter de la publicité ; c’est exactement ça.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Exactement. Ça c’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire et l’idée de base de la neutralité c’est que ce genre de chose ne doit pas être permis. Ça ne devrait même pas avoir besoin d’être expliqué parce que quand on dit aux gens : « C’est comme si la poste ouvrait les lettres, mettait un prospectus publicitaire, refermait la lettre », les gens disent : « Ça serait scandaleux ! » Eh bien oui, c’est aussi scandaleux pour Internet ! Comme beaucoup de débats complexes, l’intensité du débat, le nombre d’arguments échangés, fait qu’on oublie souvent les fondamentaux et là, les fondamentaux sont extrêmement simples pour la neutralité d’Internet c’est : bas les pattes ! Bas les pattes ! Je veux que le réseau transporte mes données d’une machine à l’autre, d’une personne à l’autre, et que la personne ou l’organisation qui est en position d’intermédiaire n’en profite pas pour le modifier. Ça c’est le premier point important dans l’histoire de neutralité et qu’on oublie toujours parce que le débat, après, se complexifie, il y a plein d’autres aspects, mais ça ne doit pas faire perdre de vue le socle de base.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>L’intermédiaire ne doit pas sortir de son rôle qui est un rôle d’intermédiaire, donc de transporter de l’information sans y toucher.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Exactement.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Il y a plusieurs catégories de neutralité, on parle de la neutralité de l’Internet, les plateformes, laquelle aujourd’hui est-ce que tu peux nous prendre un exemple ? Tu viens de nous prendre un exemple concret avec Orange en Tunisie, mais est-ce qu’il y a d’autres exemples de remise en question, justement, de cette neutralité ? Et deuxième question : quelle est la position au niveau gouvernement français, au niveau européen ? Est-ce qu’il y a une défense de la neutralité des réseaux ou, au contraire, est-ce qu’on laisse faire les intermédiaires techniques ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Il y a d’autres aspects derrière le discours sur la neutralité. Il y a par exemple le problème, effectivement, de : est-ce qu’on peut faire une offre d’accès à Internet qui ne donnerait accès qu’à certains services qui, par exemple, auraient payé pour ça ? D’ailleurs des projets dans ce genre-là ont eu lieu, il y en a eu beaucoup. Le plus connu est le projet de Facebook internet.org, rebaptisé Free Basics après, qui était de faire un accès à Internet qui soit gratuit mais qu’on ne puisse accéder qu’à Facebook.<br/>
 
Après, dans la deuxième itération, Facebook a dit : « Ah non  ! Facebook et Wikipédia », pour pouvoir répondre aux critiques qui avaient eu lieu. On peut aussi imaginer un fournisseur d’accès qui ne donnerait accès non pas à tout l’Internet mais simplement à certains services qui ont payé le fournisseur d’accès. Ce qui permettrait au fournisseur d’accès d’être payé à la fois par ses clients et par les services auxquels il donne accès. Et ce genre de projet risque d’arriver. Il aurait des conséquences très graves, notamment parce qu’il bloquerait cette innovation qui est la caractéristique de l’Internet. C’est-à-dire que si on veut demain qu’il y ait une meilleure solution que Google, par exemple, au début ça sera un truc petit, pas capable de rivaliser directement avec Google et pour qu’il ait des chances, il faut que cette future organisation puisse être présente, accessible par les internautes. Aujourd’hui si je crée un système concurrent de Google, j’ai à peu près les mêmes possibilités : les internautes peuvent accéder à mon service comme à celui de Google et ils peuvent choisir. Si on n’a pas la neutralité de l’Internet, on pourrait avoir des fournisseurs d’accès qui n’offrent accès qu’à ceux qui les ont payés pour ça et, de ce point de vue-là, les gros en place payeront et ils seront accessibles et les petits, rien du tout ! C’est un autre aspect de la neutralité de l’Internet.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Est-ce que cette neutralité de l’Internet est mise plus en danger sur les mobiles que sur l’informatique telle qu’on la connaît anciennement ? Parce que j’ai l’impression que sur les mobiles il y a plus, justement, de violation de cette neutralité des réseaux.
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Oui, beaucoup plus. La grande majorité des cas documentés de violation dde la neutralité l’ont été sur les réseaux mobiles ou sur les abonnements au réseau mobile. Il y a plusieurs raisons à ça. Il y en a une qui est que les machines terminales – l’ordiphone, le smartphone dans le cas du mobile – c’est beaucoup plus fermé que ce qui existe dans le monde de l’informatique traditionnelle sur le bureau ou sur les genoux. Donc étant plus fermé, il y a moins de possibilités pour l’utilisateur de voir ce qu’il fait. Il y a aussi des arguments, une rhétorique différente qui est que l’espace dans lequel se font les communications sur le mobile, la radio, est un espace partagé, donc il est nécessaire de prendre des mesures, évidemment faites par le fournisseur à accès à Internet, par l’opérateur, décidées tout seul sans concertation et des mesures pour assurer une meilleure gestion de cet espace. Donc on a effectivement des menaces plus grandes là-dessus. C’est aussi qu’il y a moins de compétition. En France il y a quatre opérateurs de réseau mobile ; les opérateurs virtuels ne comptent pas puisqu’ils ne peuvent pas décider de ce qui se passe sur le réseau, alors que des fournisseurs d’accès à Internet sur des réseaux fixes il y en a beaucoup plus. À la limite même, chaque université est un fournisseur d’accès pour ses étudiants. Donc il y a beaucoup plus de possibilités qu’il n’y a pas dans le monde du mobile. Quand il n’y a pas de vraie concurrence, la tentation est forte de s’entendre pour bloquer ensemble. Donc oui, globalement la neutralité est beaucoup plus menacée en accès mobile sans qu’il n’y ait aucune raison technique valable pour ça.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Dernière question avant la pause musicale, est-ce qu’il y a une défense de la neutralité du Net par les gouvernements, français, européens ou, est-ce qu’au contraire, il y a un laisser-faire ?
 
 
 
<b>Stéphane Bortzmeyer : </b>Un des éléments du problème c’est que les fournisseurs d’accès, les opérateurs de mobiles sont plutôt locaux, alors que les services auxquels accèdent les internautes sont souvent étrangers, souvent étasuniens. Donc il y a souvent une tentation de favoriser ses capitalistes nationaux plutôt que les capitalistes étrangers ce qui peut mener, effectivement, à des violations de la neutralité. Quand j’entends des gens dire qu’il faut prendre des mesures pour éviter que Google capte trop de la valeur, de la part de gens qui, par ailleurs, dans leurs discours politiques, se prétendent libéraux, c’est-à-dire disent qu’il faudrait qu’il y ait moins de règles, qu’il y ait moins de contraintes et qu’ils donnent explicitement comme justification à leur politique un résultat – on veut favoriser telle entreprise et pas telle autre – c’est effectivement un peu inquiétant. D’autant plus que c’est aussi parfois justifié par les mauvaises pratiques bien réelles des gros opérateurs de service étasuniens, mais, comme on l’a vu, les opérateurs nationaux ne font pas mieux quand ils en ont la possibilité.
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Nous allons faire une pause musicale, nous allons écouter <em>Energía Fulminante</em> de Javiera Barreau Ensamble et on se retrouve après.
 
 
 
Pause musicale :<em>Energía Fulminante</em> de Javiera Barreau Ensamble.
 
 
 
<b>Voix off : </b>Cause Commune 93.1
 
 
 
==35’ 30==
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Vous venez d’écouter <em>Energía Fulminante</em>
 
 
 
==1 h 06' 28==
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d'écouter
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
==1 h 13' 33==
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons maintenant aborder les deux derniers sujets
 
 
 
 
 
 
 
 
 
==1 h 17' 55==
 
 
 
<b>Frédéric Couchet : </b>Maintenant dernier sujet
 

Dernière version du 25 février 2019 à 10:32


Publié ici - Février 2019