Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 12 novembre 2019 »

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===Open Food Facts===
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==Open Food Facts==
  
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur Open Food Facts, base de données sur les produits alimentaires, faite par tout le monde pour tout le monde. Avec nos invités, Anca Luca.
  
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<b>Anca Luca : </b>Bonjour.
  
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<b>Frédéric Couchet : </b>Et Pierre Slamich. Bonjour Pierre.
  
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<b>Pierre Slamich : </b>Bonjour Frédéric.
  
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<b>Frédéric Couchet : </b>De l’association Open Food Facts France. Avant de leur passer la parole pour une petite introduction et pour lancer la discussion, je ne sais pas si vous avez vu, il y en ce moment un pub pour une soupe industrielle qui passe à la télé et qui remercie les consommateurs et les consommatrices d’avoir fait grandir les soupes. Dans cette pub il y a plusieurs messages, le premier c’est « merci d’avoir râlé au sujet des soupes toutes prêtes ». On voit une personne qui mange une soupe et qui dit : « C’est tellement salé qu’on pourrait déneiger avec », une autre s’interroge : « E621, c’est quoi comme légume ? » Cette pub est là évidemment pour nous indiquer que le fabricant a amélioré la recette de ses soupes en mettant de l’eau, des bons légumes, des ingrédients naturels, enfin ! Si on en croit la pub évidemment ! Mais que nous dit l’étiquette ? Eh bien c’est l’un des sujets qu’on va aborder aujourd’hui avec Open Food Facts qui, comme je l’ai dit tout à l’heure, est une base de données sur les produits alimentaires, faite par tout le monde et pour tout le monde. Évidemment, les personnes qui nous écoutent vont être intéressées par l‘utilisation et éventuellement par la contribution.<br/>
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D’abord petite question personnelle, votre parcours. Est-ce que vous pourriez vous présenter ? On va commencer par Anca Luca.
  
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<b>Anca Luca : </b>Bonjour. Je suis ingénieure informatique à la base, c’est ça mon métier et j’ai fait du développement de logiciel libre pendant toute ma vie professionnelle depuis 12 ans maintenant et, depuis quelques années, j’ai découvert Open Food Facts. J’ai participé, j’ai fait des contributions de données libres au début. J’ai fait quelques contributions, très peu, de logiciel, de code ; après j’ai participé à la vie de l’association, j’ai tenu des stands, j’ai présenté le projet à plusieurs endroits. Depuis quelques mois je suis présidente de cette association.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Et tu travailles professionnellement pour une société qui s’appelle XWiki, qui fait du logiciel libre et qu’on salue au passage. Pierre Slamich.
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<b>Pierre Slamich : </b>Je ne suis pas du tout programmeur à la base. Dans une vie antérieure j’ai été dans la finance et dans la science politique et, en fait, je suis tombé sur le sujet de l’alimentation un peu par hasard. En 2012, on a constaté que c’était très compliqué de se repérer dans les supermarchés, donc on s’est dit « si on créait le Wikipédia des aliments ». On a cofondé l’association Open Food Facts pour apporter plus de transparence sur les produits quotidiens.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Donc tu l’as cofondée avec Stéphane Gigandet. On attaque directement après la présentation personnelle rapide avec la première question. Effectivement c’est de plus en plus connu, j’ai l’impression qu’on voit de plus en plus de gens dans les magasins avec leur tablette ou ordinateur enfin téléphone mobile pour scanner les aliments. C’est quoi une application mobile de base de données de produits alimentaires et la genèse du projet Open Food Facts ? Quel problème vous vouliez résoudre, en tout cas un des cofondateurs, Pierre on va commencer par toi. Pierre Slamich.
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<b>Pierre Slamich : </b>On s’était rendu compte, par exemple si on veut choisir les céréales de petit déjeuner pour ses enfants et qu’on va au supermarché, eh bien qu’on se retrouve face à un rayon qui fait dix mètres de long, où il va y avoir des dizaines et des dizaines de paquets, une quarantaine, une cinquantaine de paquets différents et, au final, on se demande « comment est-ce que je fais ? » Il faudrait retourner les paquets un à un, noter les ingrédients. Enfin en 2012 il fallait noter les ingrédients et ensuite comparer. Personnellement je n’ai jamais compris ce que voulait dire le tableau nutritionnel. L’idée c’était de voir si on pouvait collecter toutes ces données de manière citoyenne, de manière participative, et, du coup, de pouvoir en faire des choses utiles, on en parlera plus tard, calculer le Nutri-Score etce genre de choses.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Open Foods Facts le démarrage c’est donc 2012, c’est ça ?
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<b>Pierre Slamich : </b>C’est ça. On démarre en 2012 avec zéro produit et là on vient d’arriver à un million, donc beaucoup de chemin parcouru en quelques années.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Question avant de passer la parole à Anca, est-ce qu’il y avait à l’époque d’autres outils de ce même genre ? Est-ce qu’il en existait déjà ?
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<b>Pierre Slamich : </b>Les bases de données nutritionnelles ce n’est pas une idée neuve, il y en avait déjà sur le Minitel.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Je parle avec un téléphone mobile qui permet de scanner.
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<b> Pierre Slamich : </b>C’était une idée absolument nouvelle à l’époque, c’est-à-dire que non seulement il n’y avait pas de bases de données ouvertes, il y avait juste des bases qui appartenaient aux fabricants agroalimentaires et, en plus, on ne pouvait pas scanner le code barre pour obtenir, en un instant, une fraction de seconde, des résultats clairs et synthétiques. Donc ça a été une grosse nouveauté d’Open Food Facts et la deuxième grosse nouveauté d’Open Food Facts c’était que chacun pouvait participer à la révolution alimentaire en ajoutant des produits qui n’existaient pas encore dans la base.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. On va y revenir dans la partie contribution. En tout cas les objectifs c’est quoi ? Un meilleur bien-être ? C’est de consommer en toute connaissance de cause, quitte à consommer des choses qui sont peut-être nutritionnellement pas très bonnes mais gustativement très addictives. C’est quoi les objectifs au fond ? Par exemple toi qu’est-ce qui t’a intéressé à participer à ce projet et à partir de quand tu as participé à ce projet ?
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<b>Anca Luca : </b>Je vais parler pour moi seulement parce que je ne peux pas parler des objectifs de chacun. Open Food Facts, comme le nom le dit, il y a quand même le mot « Facts » dedans qui veut dire des faits. Donc on essaie de présenter les faits et de faire en sorte que les gens, que les citoyens, connaissent les faits sur les produits alimentaires. C’est assez difficile à trancher entre ce qui est un fait et ce qui est une opinion. On essaie de rester dans des choses qui sont très proches d’informations claires. C’est pour ça qu’aujourd’hui notre base de données est construite à partir des informations qui viennent des étiquettes de produits. Pour expliquer un peu comment ça marche pour les gens qui nous écoutent : on scanne un produit avec son téléphone mobile, donc on scanne le code barre de ce produit et, pour contribuer [ajouter] ce produit à la base de données, on prend des photos de l’emballage de ce produit, une photo du devant de l’emballage et après la liste des ingrédients, le tableau nutritionnel. Après on extrait ces informations de ces images et on les met dans la base de données. Pourquoi l’emballage du produit ? Parce que les lois agissent sur les emballages. Un producteur industriel qui produit des produits alimentaires est tenu par la loi à dire le maximum de vérité sur l’emballage. Je dis « maximum de vérité » parce que des fois on n’est pas sûr, mais bon ! Les lois agissent là-dessus et pas sur d’autres sources d’information.<br/>
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Donc mon objectif, tel que moi je le vois, c’est de fournir ces informations aux gens et de laisser la possibilité aux gens de se faire leur propre opinion en essayant de donner ce qui est connu et accepté comme étant vrai et pas forcément sujet à discussion. C’est assez flou, c’est assez large.
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Pourquoi je suis venue dans le projet, je pense que c’était 2014-2015, je ne rappelle plus.<br/>
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<b>Pierre Slamich : </b>2014.
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<b>Anca Luca : </b>2014 peut-être, c’est à cause des soupes, d’une marque.
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<b>Pierre Slamich : </b>Ces fameuses soupes !
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<b>Anca Luca : </b>Ces fameuses soupes !
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<b>Frédéric Couchet : </b>En fait j’avais préparé, je savais qu’Anca était venue par les soupes.
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<b>Anca Luca : </b>Tout à fait. Moi je suis arrivée par les soupes. J’ai croisé Stéphane Gigandet sur un salon, j’ai découvert le projet, j’ai installé l’application et après j’ai commencé à regarder un peu dans mon frigo, dans mon placard. Et, à cause des soupes : j’ai découvert qu’il y avait un additif dans une de ces briques de soupe, il y avait un additif qui n’était pas forcément un légume – je ne pense que c’était le même E de la pub, mais bon ! – et j’étais curieuse de savoir si cet additif se retrouvait dans toutes les soupes en brique. C’était notamment le glutamate monosodique, je ne sais pas exactement le nom, c’est un exhausteur de goût, donc je me suis dit « ça doit être normal parce que les légumes en brique n’ont pas trop de goût, donc il doit y en avoir dans toutes les soupes ». Je suis allée sur le site openfoodfacts.org et j’ai découvert que non, il y a des soupes en brique qui n’ont pas du tout cet additif, donc un meilleur choix est possible et après c’est à moi de faire ce choix-là. Je me suis dit « c’est très intéressant, tout le monde devrait avoir la possibilité de faire ce genre de chose, ce genre de recherche, de comparaison de produits et avoir l’accès à la donnée qui leur permettra de comprendre un peu plus ce qu’ils mangent ».
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. La question qui me vient, qui va être une question un peu centrale parce que je pense que c’est l’un des points que les gens qui nous écoutent doivent comprendre. Moi par exemple, la première fois que j’ai lancé Open Food Facts c’est un peu le truc qui m’a le plus perturbé, c’est qu’il y a deux notions, il y a deux systèmes de notation, en tout cas de valeur, je ne sais pas, qui sont le Nutri-Score et l’indice NOVA. Donc on va expliquer que quand on est dans un magasin, on scanne, comme l’a dit Anca, le code barre avec l’application Open Food Facts et là on a l’image, la photo du produit qui s’affiche et on a deux éléments qui apparaissent tout de suite : le Nutri-Score et l’indice NOVA.<br/>
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Pierre, est-ce que tu pourrais nous expliquer ces deux systèmes et à quoi ils servent exactement. Est-ce que l’un est plus important que l’autre ou pas ? Je ne sais. Pierre Slamich.
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<b>Pierre Slamich : </b>Comme vient de la dire Anca, un des buts d’Open Food Facts c’est vraiment de collecter cette information et d’offrir des clés de déchiffrage face à la complexité des étiquettes et on veut que ces clés de déchiffrage soient basées sur des faits, sur des travaux scientifiques éprouvés. Donc on affiche deux scores importants, très importants. Le Nutri-Score c’est cette note de A à E qu’on commence à voir apparaître sur les emballages et qu’on a calculé dès sa création, qui permet donc d’avoir la qualité nutritionnelle d’un produit. Ça prend en compte des choses comme les protéines, les fibres, donc les points positifs de ce genre de nutriments qui sont favorables à la santé et des points négatifs pour les choses un peu plus défavorables comme le sel, le sucre, le gras, etc. Donc c’est le Nutri-Score de A à E comme une note à l’école, ça permet vraiment de voir la qualité nutritionnelle.<br/>
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Et le deuxième indicateur qu’on affiche c’est le groupe NOVA, là ça va de 1 à 4 et ça indique le niveau de transformation d’un produit alimentaire. Est-ce qu’un produit alimentaire est brut, par exemple les légumes, les choses qu’on peut acheter sur le marché, ou est-ce qu’il est transformé, voire ultra-transformé, par exemple le cas de vos soupes, elles sont probablement NOVA 4.<br/>
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Le Nutri-Score est un score français créé par le professeur Hercberg, la personne qui a notamment créé les cinq fruits et légumes par jour qu’on connaît tous. Le NOVA est un score de recherche brésilien, par le professeur Monteiro, sur cette problématique de est-ce que les aliments qu’on mange sont ultra-transformés, sachant que le programme national Nutrition Santé recommande de réduire cette part d’aliments transformés dans l’alimentation parce que ça pose des problèmes au niveau de la santé.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Je viens d’ouvrir Open Food Facts. Je précise que pour la fameuse soupe dont on ne va pas citer la marque le Nutri-Score c’est B et l’indice NOVA c’est 4. En gros le Nutri-Score B c’est surtout parce qu’il y a du sel mais en quantité quand même modérée.
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<b>Pierre Slamich : </b>C’est déconcertant.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Justement, je vais en venir à la question. Je n’utilisais pas l’app, par contre, préparant l’émission j’ai appris qu’il y avait une autre application qui existait, ce sera peut-être l’occasion d’en parler sur le fonctionnement tout à l’heure, qui s’appelle Yuca. La personne à qui j’ai demandé de tester m’a dit : « Yuca, elle, affiche une note de 1 à 100 et une évaluation sur quatre critères – excellent très bon, moyen et insuffisant – quelque chose comme ça. En tout cas la personne m’a dit : « Ça c’est beaucoup plus clair, pour moi c’est facile à comprendre si c’est 80 sur 100 c’est que c’est bon ». En testant Open Food Facts, la personne m’a dit : « Je n’y comprends rien parce là tu as un Nutri-Score qui est à B, donc plutôt pas trop mal, et tu as un NOVA qui est 4 et, bien sûr, le NOVA 4 apparaît en rouge parce que c’est le pire ». C’est ce côté-là qui peut être un peu perturbant. Là-dessus, qu’est-ce que vous avez à répondre Pierre et Anca ?
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<b>Pierre Slamich : </b>C’est justement ça qui est très intéressant. On a choisi de montrer le paradoxe du produit. Je prends un exemple extrême : le Coca-Cola zéro va avoir un Nutri-Score B parce qu’effectivement il n’y a pas de sucre dans le Coca, il n’y a pas de graisses, etc., par contre il y a plein d’additifs dans le Coca zéro, il y en a même encore plus que dans le Coca classique, donc il va être NOVA 4, produit ultra transformé.<br/>
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On a choisi de ne pas tout agglomérer, littéralement de ne pas mélanger les fruits et les légumes, les pommes et les bananes ensemble, mais plutôt de montrer : ce produit va être bon nutritionnellement, par contre les ingrédients vont être bizarres. On affiche même, depuis peu, l’impact environnemental du produit, l’impact carbone du produit et des produits qui sont bons pour vous vont parfois être mauvais pour la planète. En fait ce sont des paradoxes et après on tient à donner les cartes en main aux gens pour leur permettre de faire leurs propres choix personnels : ne pas leur imposer, ne pas remplacer la confiance aveugle dans un label de qualité d’une marque ou le Label rouge sur des choses par la confiance aveugle dans une application, mais permettre aux gens de développer leur esprit critique et de prendre du recul face à ces applications qui font florès.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Avant de laisser la parole à Anca, j’avais une question de Pierre Bresson qui est la personne qui a développé l’application Cause Commune qui me demandait justement : concernant l’empreinte carbone des produits j’aimerais savoir quand cette fonctionnalité sera disponible. L’empreinte carbone est déjà disponible, Pierre ?
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<b>Pierre Slamich : </b>Oui. Elle est disponible. Il y a quelques limitations parce que l’empreinte carbone est quelque chose d’extrêmement complexe, ça se passe en fait sur les ingrédients. On essaye par exemple d’estimer le pourcentage de viande dans des lasagnes au bœuf. On a des données gouvernementales de l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] pour la France qui permettent de dire « un kilo de bœuf c’est tant de kilos de carbone », donc on fait ce calcul-là déjà sur les produits dont on a les ingrédients, typiquement les plats préparés à base de bœuf, de poisson. Ce n’est pas encore disponible sur tous les produits et ce n’est pas encore disponible dans tous les pays du monde.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Anca tu voulais compléter.
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<b>Anca Luca : </b>Je voulais compléter sur cette question d’affichage qualificatif des aliments versus données différentes qui ont l’air contradictoires. C’est aussi parce que les choix alimentaires sont divers et personnels à chacun. Personnellement, c’est mon avis,, c’est très compliqué de dire ce qui est bon et ce qui n’est pas bon, pour les raisons que Pierre a expliquées : ce qui est bon pour soi peut être mauvais pour la planète, mais également parce que chacun fait ses choix en fonction de ses paramètres. Par exemple le Nutri-Score est intéressant parce qu’il y a des produits que vous allez trouver avec le Nutri-Score E et là, les gens ont plutôt tendance à fuir, à se dire « ah non, il ne faut pas toucher à ça parce qu’il y a un Nutri-Score E ». Ce n’est pas ça que veut dire Nutri-Score E. Nutri-Score E veut dire « ne mange pas que ça toute la journée, mais tu peux le toucher de temps en temps, il n’y a aucun problème ». Tu peux manger du chocolat. Je ne sais pas s’il y a un chocolat D, mais la plupart des chocolats ont des Nutri-Score dans les D et dans les E, ça voudrait dire qu’on ne touche plus jamais de chocolat. Ça veut juste dire : ne mangeons pas que ça et ne mangeons pas ça toute la journée. Donc les choix sont compliqués.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. J’ai une question sur le salon web de la radio : comment interpréter le fait que le Nutri-Score affiché sur un emballage soit différent du Nutri-Score donné par Open Food Facts. Il me semble être déjà tombé sur ce cas de figure, mais je n’en suis plus très sûr. Je ne sais pas si c’est le cas. Est-ce que sur certains emballages le Nutri-Score affiché est différent de celui que vous donnez ?
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<b>Pierre Slamich : </b>En fait le Nutri-Score est une série de calculs assez complexes qui se base sur les informations qu’on est capables de connecter sur les emballages. Il y a notamment le taux de fruits et légumes et le taux de fibres que, malheureusement, la législation n’impose pas aux fabricants d’afficher systématiquement sur les emballages. Parfois il peut se faire qu’on n’ait pas les données sur les fibres et les fruits et légumes ce qui va faire sauter le Nutri-Score de B à C par manque de données. Donc on affiche des avertissements et on encourage tous les producteurs, s’il y en a qui nous écoutent à l’antenne, à nous envoyer directement les données les plus précises possible avec les fruits et légumes et les fibres pour qu’on puisse calculer le Nutri-Score de la manière la plus précise possible. Mais généralement, dans 98 % des cas, c’est toujours le même.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Concernant le Nutri-Score toujours j’ai vu qu’il y avait une initiative citoyenne européenne pro Nutri-Score qui viserait à imposer l’affichage de cet étiquetage simplifié Nutri-Score sur tous les produits alimentaires. Donc deux questions : je suppose que ce n’est pas obligatoire aujourd’hui s’il y a une initiative citoyenne et est-ce que vous êtes en faveur de cette initiative ? Pierre, Anca, qui veut répondre ? Anca.
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<b>Anca Luca : </b>Je peux répondre assez rapidement. Moi je n’ai pas d’avis arrêté là-dessus ; c’est bien de fournir de l’information. En même temps, comme Pierre disait, le Nutri-Score ce n’est qu’un paramètre des produits qu’on choisit. Il y a plein d’autres paramètres, mais je pense que ça serait plutôt bénéfique de pouvoir voir plus rapidement l’évaluation d’un produit.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Pierre Slamich.
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<b>Pierre Slamich : </b>Oui. C’est-à-dire que dans un monde parfait Open food Facts n’existerait pas, donc on est pour que le Nutri-Score devienne obligatoire et qu’on n’ait pas à utiliser forcément une application, une béquille pour pouvoir faire son choix en rayon. C’est à-dire que devoir scanner les produits un à un pour voir le Nutri-Score, on commence à le voir en France, c’est tellement mieux quand on peut comparer d’un seul coup d’œil le soir quand on fait son marché. Effectivement le Nutri-Score et après, si les fabricants voulaient afficher des choses comme le NOVA ou l’impact carbone, ça serait génial.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Là on comprend mieux ce que sont le Nutri-Score et l’indice NOVA. On va passer rapidement à la partie comment on crée ce type d’application, à la fois sur la partie logicielle et aussi sur la partie base de données. Est-ce que ce sont des licences libres dans les deux cas ? Est-ce que c’est créé uniquement par des bénévoles ? Est-ce que vous avez des gens qui sont financés pour développer l’application et maintenir la base de données ? Et question annexe aussi : tout à l’heure, Pierre, tu as parlé un petit peu des fournisseurs, des fabricants, est-ce que vous êtes en contact avec des fabricants pour récupérer automatiquement, enfin qui vous envoient des informations nutritionnelles concernant les aliments ? Ça fait plein de questions. Qui veut commencer ? Pierre, peut-être, puisque tu as fondé, ou Anca, je ne sais pas.
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<b>Pierre Slamich : </b>Effectivement il y a plein de questions. J’essaye de me remémorer.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Sur la partie logicielle, la partie base de données. Comment vous faites ? Est-ce que ce ne sont que des bénévoles ? Est-ce qu’il y a des personnes qui sont financées pour développer la partie logicielle et peut-être la partie base de données ? Anca Luca.
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<b>Anca Luca : </b>D’un point de vue technique, on va dire qu’il y a trois composantes techniques. Il y a le code du serveur qui fait le site web, donc openfoodfacts.org et tout ça, c’est un logiciel libre, c’est écrit en Perl, s’il y a des gens qui veulent venir participer. Après il y a l’application mobile, plus précisément les applications mobiles parce qu’il y en a pour chaque plateforme ; je pense que les développements natifs aujourd’hui, si je me rappelle bien, c’est Android, iOS et c’est tout.
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<b>Pierre Slamich : </b>Ubuntu aussi.
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<b>Anca Luca : </b>Ubuntu aussi. On avait aussi Firefox OS, mais comme c’est mort ! Ce n’est pas mort, je pense qu’il est toujours maintenu par la communauté, donc je demande pardon aux gens qui font ça ! Désolée.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Un logiciel libre n’est jamais mort il est gelé. On attend le retour à la vie
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<b>Anca Luca : </b>Le Libre n’est jamais mort, c’est l’avantage du Libre !<br/>
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Et la troisième composante technique c’est la maintenance de tous les serveurs et toutes les opérations qui font que ça tient debout.<br/>
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Tous les logiciels sont libres, développés au début par des bénévoles, donc tout ce qui a été développé a été développé par des bénévoles sur leur temps libre et, depuis très peu de temps, on a du financement pour des projets auxquels on participe qui nous permettent de financer des personnes qui participent, qui font tourner l’association on va dire et aussi du développement par-ci par-là, je pense. Je ne pense pas qu’on a des permanents développeurs. Si ? Si on en a. Pardon ! Tu es permanent développeur.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Pierre Slamich.
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<b>Pierre Slamich : </b>Ça permet de faire le lien avec ce que tu mentionnes, justement sur les financements. On parlait des producteurs, ça nous permet typiquement de créer une plateforme qui va permettre à tous les producteurs d’importer leurs données directement dans Open Food Facts. Effectivement on a des producteurs quasiment depuis le début du projet qui nous disent : « C’est génial, comment on met nos données, comment on met nos produits dans Open Food Facts ? » Là on est en train de mettre en place une plateforme qui nous permettra justement d’avoir des données à jour, complètes et plus détaillées sur les produits, du coup grâce au soutien de Santé publique France qui est l’organisme qui s’occupe de la prévention de la santé en France.
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<b>Frédéric Couchet : </b>On a parlé de la partie logicielle, ce sont des logiciels libres. La partie base de données, une spécificité, c’est qu’elle est disponible sous une licence libre spécifique aux bases de données.
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<b>Pierre Slamich : </b>Voilà. Logiciel libre, données ouvertes et tout est gratuit. Ça ce sont des grands principes de l’association. Effectivement on a les logiciels qui permettent de générer ces données ouvertes. D’ailleurs on l’appelle le <em>product opener</em>, c’est-à-dire décapsuleur en français, et, du coup, on a ce logiciel qui permet de générer les données. Après les données sont reversées sous forme d’export, sous forme d’API.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Interface de programmation.
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<b>Pierre Slamich : </b>C’est-à-dire qu’on a une API, une interface de programmation logicielle qui permet à d’autres applications, d’autres services, de pouvoir bâtir sur Open Food Facts des expériences logicielles dédiées par exemple à des diabétiques, à des publics…
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<b>Frédéric Couchet : </b>Des publics végans par exemple ?
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<b>Pierre Slamich : </b>Oui, effectivement on a des applications basées sur Open Food Facts pour les végans. D’ailleurs on va même bientôt lancer, c’est déjà disponible pour les gens qui sont sur F-doid et bientôt sur Play Store, la détection des produits végans, végétariens et avec de l’huile de palme.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Je précise que F-Droid c’est un magasin d’applications libres. Je vous encourage à l’installer comme ça vous aurez plein d’applications libres dont Open Food Facts et plein d’autres, vous avez OpenStreetMap et compagnie.<br/>
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Sur la partie modèle économique, les coûts c’est l’hébergement des serveurs et vous avez des financements via des partenariats qui permettent de financer de gens qui vont contribuer techniquement.
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<b>Pierre Slamich : </b>Il faut voir que de 2012 jusqu’à cette année, on a fait tourner l’association avec un budget de 600 euros par an. Ça paraît un peu fou mais c’était essentiellement les coûts serveur, un petit serveur pour faire tourner le projet, et on est arrivé comme ça à libérer des centaines de milliers de produits. Là on a cette chance de pouvoir vraiment accélérer grâce au soutien de Santé Publique France sur plus de sujets, dans plus de pays. On a effectivement les deux premiers permanents, Stéphane et moi, et on peut se consacrer à 100 % à pouvoir faire grandir l’association, encadrer : on a de plus en plus de développeurs qui veulent investir du temps pour améliorer les applications mobiles, on est aussi en train de faire de l’intelligence artificielle pour pouvoir extraire les informations automatiquement des étiquettes, donc ce sont plein de choses qu’il faut arriver à pouvoir accompagner, faire grandir pour suivre l’augmentation ; on a plus d’un million et demi d’utilisateurs, donc il faut arriver à tenir en termes humains la croissance du projet.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est une excellente nouvelle. Je ne savais pas du tout que vous étiez, Stéphane et toi, permanents et c’est une excellente nouvelle. J’ai une remarque sur le salon web et peut-être une demande d’évolution de l’application, je ne sais pas si c’est possible, mais je vais la relayer. C’est mu_man dit : « Le seul souci que j’ai avec l’appli mobile c’est qu’elle a besoin d’être connectée, donc sur ma tablette ça ne marche pas. » Est-ce qu’il est prévu, est-ce qu’il est techniquement possible d’avoir une version déconnectée d’Open Food Facts, c’est-à-dire avec la base de données téléchargées directement, un peu comme OpenStreetMap le fait avec je ne sais plus quelle application. Est-ce que c’est faisable ? Qui veut répondre ?
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<b>Anca Luca : </b>Ce n’est pas uniquement faisable, c’est fait !
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<b>Pierre Slamich : </b>C’est à moitié fait !
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<b>Frédéric Couchet : </b>Attention !Écoute bien mum_man, c’est fait !
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<b>Pierre Slamich : </b>On va commencer par un troll. Ça veut dire que mu_man n’est pas sur iPhone parce que les utilisateurs d’iPhone ont déjà la possibilité de scanner leur connexion et, sur Android, ça arrive, comme le dit Anca, effectivement ça arrive. On a des premiers prototypes, donc on est arrivé à comprimer le million de produits d’Open Food Facts sur l’équivalent de quatre selfies, donc on est arrivé à réduire la taille, à comprimer ça sur un téléphone, c’est assez fou ! On a besoin d’aide. Si vous voulez rejoindre l’équipe Android pour aller plus vite sur les fonctionnalités, n’hésitez pas ! Mais ça arrive, on est en train de travailler dessus.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Il confirme effectivement qu’il n’est pas sur iPhone. Il le confirme directement. La base de données représente quelle taille ? Vous avez une idée ? Tu dis que ça compresse en quatre selfies, mais la base originale ? Mais si tu n’a pas d’idée, ce n’est pas grave !
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<b>Pierre Slamich : </b>Je crois que ça se compte en gigaoctets.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Sur un téléphone, effectivement, on arrive vite à saturer.
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<b>Pierre Slamich : </b>Et là ce n’est que le texte, que la base de données textuelles, mais on a aussi des millions de photos et là ce sont des millions de téraoctets de photos, donc c’est un terrain de jeu absolument formidable pour les gens qui s’intéressent à l’intelligence artificielle. La vision sur ordinateur assure deux choses parce que, du coup, on a un impact absolument démesuré quand on travaille sur Open Food Facts.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Vas-y Anca.
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<b>Anca Luca : </b>Je voudrais aussi ajouter, puisqu’on parle de la taille de cette base de données et de tout ça, on n’a pas complètement expliqué comment ça s’est passé. Ce sont des contributions des gens qui ont téléchargé l’application, scanné des produits, envoyés des photos, rempli des fiches de produits au début, avec l’aide des bases de données que les industriels ont pu nous envoyer pour les importer et participer à la base de données, mais à la base il y a énormément de contributions des utilisateurs qu’on remercie. C’est comme ça qu’on est arrivé à un million de produits, on en est très fier.
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<b>Frédéric Couchet : </b>La contribution, on va y revenir en détail juste après la pause musicale, mais je crois que vous venez de gagner un développeur parce que mu_man, qui continue sur le salon web, a dit : « Il faut dire que la base mériterait peut-être d’être un peu structurée aussi : sur beaucoup de champs il y a plein de doublons parce que ce sont des champs en texte libre ». Comme mu_man sait développer, je vous enverrai ses coordonnées. Je pense que vous avez gagné un contributeur. Il nous répondra directement sur le salon.
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<b>Pierre Slamich : </b>À bientôt !
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<b>Frédéric Couchet : </b>On va faire une pause musicale. On va écouter <em>Scully's Reel</em> par Sláinte. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
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<b>Pause musicale : </b><em>Scully's Reel</em> par Sláinte.
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==Deuxième partie==
  
 
===Chronique de Vincent Calame ===
 
===Chronique de Vincent Calame ===

Version du 14 novembre 2019 à 16:08


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 12 novembre 2019 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : - Frédéric Couchet - à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 12 novembre 2019

Durée : 1 h 30 min

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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.


Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.



[Virgule musicale]

Chronique de Jean-Christophe Becquet « Pépites libres »

Frédéric Couchet : Textes, images, vidéos ou bases de données, sélectionnés pour leur intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile, Jean-Christophe Becquet, président de l’April, nous présente une ressource sous une licence libre. Les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur, c’est la chronique « Pépites libres ». Jean-Christophe, tu es normalement avec nous au téléphone depuis Digne-les-Bains.

Jean-Christophe Becquet : Oui. Bonjour Fred, bonjour à tous, bonjour à toutes.

Frédéric Couchet : Bonjour Jean-Christophe. Le sujet du jour c’est la musique, le domaine public, les droits voisins et Musopen, la musique classique libérée.

Jean-Christophe Becquet : En effet. Le droit d'auteur réserve au créateur d'une œuvre un monopole temporaire sur l'exploitation de son travail. Ce privilège, qu'on appelle le droit patrimonial, interdit toute reproduction ou représentation de l'œuvre sans l'autorisation expresse de l'auteur. En droit français, cette restriction se prolonge 70 ans après la mort de l'auteur. Ensuite, les œuvres basculent dans ce que l’on appelle le domaine public.
Le domaine public désigne donc l'ensemble des œuvres pour lesquelles les droits patrimoniaux ont expiré et dont le public devrait pouvoir profiter librement. Malheureusement, c'est un petit peu plus compliqué que cela et d'autres droits se superposent au droit d'auteur pour venir restreindre encore les usages. Ce sont, entre autres, les droits voisins du droit d'auteur. Dans le cas de la musique, les droits voisins recouvrent les droits des producteurs et des interprètes.

Ainsi, pour la musique classique, s'il ne fait aucun doute que les compositions de Mozart, Beethoven ou Chopin appartiennent au domaine public, la plupart des enregistrements sont encore sous le joug de restrictions pour plusieurs décennies. En effet, la durée des droits voisins des interprètes a été prolongée de 50 à 70 ans par le Parlement européen en 2011. Cette directive a été transposée dans le droit français en 2015.

C'est pour dépasser ces restrictions qu'Aaron Dunn a lancé en 2005 le projet Musopen, ma pépite du jour. Musopen est une organisation américaine à but non lucratif dont l’objectif est de libérer les enregistrements de musique classique. Comment ? Eh bien en proposant à des musiciens professionnels d'enregistrer des œuvres pour les offrir au public. Musopen sollicite le soutien à travers des campagnes de financement participatif. Les artistes sont rémunérés. Simplement, au lieu d'une rente basée sur la diffusion de chaque enregistrement, ils perçoivent une rétribution pour leur travail au moment de son exécution. Ensuite, on leur demande de donner leur accord pour une diffusion libre, donc de renoncer contractuellement à leurs droits voisins d'interprète.

En 2012, le projet Musopen a par exemple levé 68 000 dollars, environ 62 000 euros, six fois l'objectif initialement fixé, auprès de plus de 1 200 contributeurs. Cet argent a permis de financer l'Orchestre symphonique de Prague pour enregistrer des œuvres de Beethoven, Brahms ou Tchaïkovski. En partageant librement les fruits de ce travail, Musopen a contribué à rendre accessibles à tous ces trésors de notre patrimoine musical.

Le site Musopen propose aujourd'hui un catalogue musical riche de plus de 5000 enregistrements partagés selon le régime du domaine public ou une licence libre, la licence Creative Commons BY-SA. D'autres enregistrements sont sous des licences de libre diffusion, c'est-à-dire qu'elles restreignent les utilisations commerciales ou la production de versions modifiées, licences Creative Commons NC ou ND, on ne peut donc pas les considérer comme libres. Pour chaque fichier, Musopen indique de manière très claire sous quelle licence il est disponible. On peut donc faire des recherches en filtrant selon la licence.
Musopen propose aussi un espace de partage de partitions musicales d'œuvres également passées dans le domaine public.
Musopen propose un accès gratuit mais limité aux téléchargements. Pour bénéficier de l'ensemble des services, il faut souscrire un abonnement payant. Notons que ce n'est absolument antinomique avec les licences libres que d'exiger une participation financière, par exemple, dans le cas de Musopen, pour télécharger plus de cinq fichiers par jour. Comme pour les logiciels, le gratuit n'est pas automatiquement libre et libre n'est pas forcément gratuit !

On trouve d'autres initiatives similaires comme Open Goldberg Variations qui a permis de libérer l'enregistrement et la partition des Variations Goldberg, une œuvre pour clavecin composée par Jean-Sébastien Bach.
Citons également Florence Robineau, pianiste et professeure au conservatoire de Rungis. Elle enregistre des morceaux de musique classique et les partage sous licence libre Creative Commons BY-SA.

Ces projets constituent un bel exemple d'utilisation des licences libres. Il est important de rappeler que ces licences s'appuient sur le droit d'auteur. En effet, dans le cas des interprétations musicales libérées par Musopen, Open Goldberg Variations ou Florence Robineau, c'est précisément parce que l’Internet [l'interprète, NdT] dispose d'un privilège sur son œuvre qu'il peut choisir de la partager sous licence libre.

Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. En fait ce n’était pas « l’Internet », c’est « l’interprète », même Étienne rigole en régie ; je trouve que ce lapsus est assez révélateur. Je précise qu’on a écouté un extrait d’Open Goldberg Variations, de mémoire c’était l’émission du 9 juillet 2019, les références sont sur April et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm. On rajoutera aussi le site de Florence Robineau qui partage ses musiques [interprétations] sous licence libre. C’est assez marrant parce que juste avant le début de l’émission je parlais avec Pierre Slamich, qui est l’un des invités pour le sujet d’après, justement de cette difficulté à trouver des morceaux de musique classique sous licence libre. J’espère que ta chronique permet aux gens de comprendre qu’en dehors du droit d’auteur il y a les fameux droits voisins ce qui fait que ça rend aujourd’hui effectivement, alors que, comme tu le dis, toutes ces musiques, toutes ces partitions sont dans le domaine public, le fait de trouver des interprétations disponibles librement très compliqué.

Jean-Christophe Becquet : Oui, en effet. Je rajouterai sur la page de l’émission les références du site Musopen, musopen.org, les Open Goldberg Variations, le site de Florence Robineau et quelques articles de presse, notamment sur Numerama, qui expliquent un petit peu la genèse et le succès de ces projets, notamment la levée de fonds dont je parlais tout à l’heure pour le projet Musopen.

Frédéric Couchet : Excellent. Comme tu parles de musique classique et de Musopen on va faire une pause musicale qui est intégrée dans ta chronique. Tu nous as suggéré d’écouter Peer Gynt, Morning Mood composé par Edvard Grieg. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : Morning Mood, suite no. 1, Op. 46 interprétée par Peer Gynt composée par Edvard Grieg.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Peer Gynt, Morning Mood composé par Edvard Grieg, disponible sous licence libre marque du domaine public et vous retrouverez les informations sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio causecommune.fm.

Vous écoutez l’émission toujours Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons maintenant attaquer notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Open Food Facts

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur Open Food Facts, base de données sur les produits alimentaires, faite par tout le monde pour tout le monde. Avec nos invités, Anca Luca.

Anca Luca : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et Pierre Slamich. Bonjour Pierre.

Pierre Slamich : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : De l’association Open Food Facts France. Avant de leur passer la parole pour une petite introduction et pour lancer la discussion, je ne sais pas si vous avez vu, il y en ce moment un pub pour une soupe industrielle qui passe à la télé et qui remercie les consommateurs et les consommatrices d’avoir fait grandir les soupes. Dans cette pub il y a plusieurs messages, le premier c’est « merci d’avoir râlé au sujet des soupes toutes prêtes ». On voit une personne qui mange une soupe et qui dit : « C’est tellement salé qu’on pourrait déneiger avec », une autre s’interroge : « E621, c’est quoi comme légume ? » Cette pub est là évidemment pour nous indiquer que le fabricant a amélioré la recette de ses soupes en mettant de l’eau, des bons légumes, des ingrédients naturels, enfin ! Si on en croit la pub évidemment ! Mais que nous dit l’étiquette ? Eh bien c’est l’un des sujets qu’on va aborder aujourd’hui avec Open Food Facts qui, comme je l’ai dit tout à l’heure, est une base de données sur les produits alimentaires, faite par tout le monde et pour tout le monde. Évidemment, les personnes qui nous écoutent vont être intéressées par l‘utilisation et éventuellement par la contribution.
D’abord petite question personnelle, votre parcours. Est-ce que vous pourriez vous présenter ? On va commencer par Anca Luca.

Anca Luca : Bonjour. Je suis ingénieure informatique à la base, c’est ça mon métier et j’ai fait du développement de logiciel libre pendant toute ma vie professionnelle depuis 12 ans maintenant et, depuis quelques années, j’ai découvert Open Food Facts. J’ai participé, j’ai fait des contributions de données libres au début. J’ai fait quelques contributions, très peu, de logiciel, de code ; après j’ai participé à la vie de l’association, j’ai tenu des stands, j’ai présenté le projet à plusieurs endroits. Depuis quelques mois je suis présidente de cette association.

Frédéric Couchet : D’accord. Et tu travailles professionnellement pour une société qui s’appelle XWiki, qui fait du logiciel libre et qu’on salue au passage. Pierre Slamich.

Pierre Slamich : Je ne suis pas du tout programmeur à la base. Dans une vie antérieure j’ai été dans la finance et dans la science politique et, en fait, je suis tombé sur le sujet de l’alimentation un peu par hasard. En 2012, on a constaté que c’était très compliqué de se repérer dans les supermarchés, donc on s’est dit « si on créait le Wikipédia des aliments ». On a cofondé l’association Open Food Facts pour apporter plus de transparence sur les produits quotidiens.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc tu l’as cofondée avec Stéphane Gigandet. On attaque directement après la présentation personnelle rapide avec la première question. Effectivement c’est de plus en plus connu, j’ai l’impression qu’on voit de plus en plus de gens dans les magasins avec leur tablette ou ordinateur enfin téléphone mobile pour scanner les aliments. C’est quoi une application mobile de base de données de produits alimentaires et la genèse du projet Open Food Facts ? Quel problème vous vouliez résoudre, en tout cas un des cofondateurs, Pierre on va commencer par toi. Pierre Slamich.

Pierre Slamich : On s’était rendu compte, par exemple si on veut choisir les céréales de petit déjeuner pour ses enfants et qu’on va au supermarché, eh bien qu’on se retrouve face à un rayon qui fait dix mètres de long, où il va y avoir des dizaines et des dizaines de paquets, une quarantaine, une cinquantaine de paquets différents et, au final, on se demande « comment est-ce que je fais ? » Il faudrait retourner les paquets un à un, noter les ingrédients. Enfin en 2012 il fallait noter les ingrédients et ensuite comparer. Personnellement je n’ai jamais compris ce que voulait dire le tableau nutritionnel. L’idée c’était de voir si on pouvait collecter toutes ces données de manière citoyenne, de manière participative, et, du coup, de pouvoir en faire des choses utiles, on en parlera plus tard, calculer le Nutri-Score etce genre de choses.

Frédéric Couchet : D’accord. Open Foods Facts le démarrage c’est donc 2012, c’est ça ?

Pierre Slamich : C’est ça. On démarre en 2012 avec zéro produit et là on vient d’arriver à un million, donc beaucoup de chemin parcouru en quelques années.

Frédéric Couchet : D’accord. Question avant de passer la parole à Anca, est-ce qu’il y avait à l’époque d’autres outils de ce même genre ? Est-ce qu’il en existait déjà ?

Pierre Slamich : Les bases de données nutritionnelles ce n’est pas une idée neuve, il y en avait déjà sur le Minitel.

Frédéric Couchet : Je parle avec un téléphone mobile qui permet de scanner.

Pierre Slamich : C’était une idée absolument nouvelle à l’époque, c’est-à-dire que non seulement il n’y avait pas de bases de données ouvertes, il y avait juste des bases qui appartenaient aux fabricants agroalimentaires et, en plus, on ne pouvait pas scanner le code barre pour obtenir, en un instant, une fraction de seconde, des résultats clairs et synthétiques. Donc ça a été une grosse nouveauté d’Open Food Facts et la deuxième grosse nouveauté d’Open Food Facts c’était que chacun pouvait participer à la révolution alimentaire en ajoutant des produits qui n’existaient pas encore dans la base.

Frédéric Couchet : D’accord. On va y revenir dans la partie contribution. En tout cas les objectifs c’est quoi ? Un meilleur bien-être ? C’est de consommer en toute connaissance de cause, quitte à consommer des choses qui sont peut-être nutritionnellement pas très bonnes mais gustativement très addictives. C’est quoi les objectifs au fond ? Par exemple toi qu’est-ce qui t’a intéressé à participer à ce projet et à partir de quand tu as participé à ce projet ?

Anca Luca : Je vais parler pour moi seulement parce que je ne peux pas parler des objectifs de chacun. Open Food Facts, comme le nom le dit, il y a quand même le mot « Facts » dedans qui veut dire des faits. Donc on essaie de présenter les faits et de faire en sorte que les gens, que les citoyens, connaissent les faits sur les produits alimentaires. C’est assez difficile à trancher entre ce qui est un fait et ce qui est une opinion. On essaie de rester dans des choses qui sont très proches d’informations claires. C’est pour ça qu’aujourd’hui notre base de données est construite à partir des informations qui viennent des étiquettes de produits. Pour expliquer un peu comment ça marche pour les gens qui nous écoutent : on scanne un produit avec son téléphone mobile, donc on scanne le code barre de ce produit et, pour contribuer [ajouter] ce produit à la base de données, on prend des photos de l’emballage de ce produit, une photo du devant de l’emballage et après la liste des ingrédients, le tableau nutritionnel. Après on extrait ces informations de ces images et on les met dans la base de données. Pourquoi l’emballage du produit ? Parce que les lois agissent sur les emballages. Un producteur industriel qui produit des produits alimentaires est tenu par la loi à dire le maximum de vérité sur l’emballage. Je dis « maximum de vérité » parce que des fois on n’est pas sûr, mais bon ! Les lois agissent là-dessus et pas sur d’autres sources d’information.
Donc mon objectif, tel que moi je le vois, c’est de fournir ces informations aux gens et de laisser la possibilité aux gens de se faire leur propre opinion en essayant de donner ce qui est connu et accepté comme étant vrai et pas forcément sujet à discussion. C’est assez flou, c’est assez large. Pourquoi je suis venue dans le projet, je pense que c’était 2014-2015, je ne rappelle plus.

Pierre Slamich : 2014.

Anca Luca : 2014 peut-être, c’est à cause des soupes, d’une marque.

Pierre Slamich : Ces fameuses soupes !

Anca Luca : Ces fameuses soupes !

Frédéric Couchet : En fait j’avais préparé, je savais qu’Anca était venue par les soupes.

Anca Luca : Tout à fait. Moi je suis arrivée par les soupes. J’ai croisé Stéphane Gigandet sur un salon, j’ai découvert le projet, j’ai installé l’application et après j’ai commencé à regarder un peu dans mon frigo, dans mon placard. Et, à cause des soupes : j’ai découvert qu’il y avait un additif dans une de ces briques de soupe, il y avait un additif qui n’était pas forcément un légume – je ne pense que c’était le même E de la pub, mais bon ! – et j’étais curieuse de savoir si cet additif se retrouvait dans toutes les soupes en brique. C’était notamment le glutamate monosodique, je ne sais pas exactement le nom, c’est un exhausteur de goût, donc je me suis dit « ça doit être normal parce que les légumes en brique n’ont pas trop de goût, donc il doit y en avoir dans toutes les soupes ». Je suis allée sur le site openfoodfacts.org et j’ai découvert que non, il y a des soupes en brique qui n’ont pas du tout cet additif, donc un meilleur choix est possible et après c’est à moi de faire ce choix-là. Je me suis dit « c’est très intéressant, tout le monde devrait avoir la possibilité de faire ce genre de chose, ce genre de recherche, de comparaison de produits et avoir l’accès à la donnée qui leur permettra de comprendre un peu plus ce qu’ils mangent ».

Frédéric Couchet : D’accord. La question qui me vient, qui va être une question un peu centrale parce que je pense que c’est l’un des points que les gens qui nous écoutent doivent comprendre. Moi par exemple, la première fois que j’ai lancé Open Food Facts c’est un peu le truc qui m’a le plus perturbé, c’est qu’il y a deux notions, il y a deux systèmes de notation, en tout cas de valeur, je ne sais pas, qui sont le Nutri-Score et l’indice NOVA. Donc on va expliquer que quand on est dans un magasin, on scanne, comme l’a dit Anca, le code barre avec l’application Open Food Facts et là on a l’image, la photo du produit qui s’affiche et on a deux éléments qui apparaissent tout de suite : le Nutri-Score et l’indice NOVA.
Pierre, est-ce que tu pourrais nous expliquer ces deux systèmes et à quoi ils servent exactement. Est-ce que l’un est plus important que l’autre ou pas ? Je ne sais. Pierre Slamich.

Pierre Slamich : Comme vient de la dire Anca, un des buts d’Open Food Facts c’est vraiment de collecter cette information et d’offrir des clés de déchiffrage face à la complexité des étiquettes et on veut que ces clés de déchiffrage soient basées sur des faits, sur des travaux scientifiques éprouvés. Donc on affiche deux scores importants, très importants. Le Nutri-Score c’est cette note de A à E qu’on commence à voir apparaître sur les emballages et qu’on a calculé dès sa création, qui permet donc d’avoir la qualité nutritionnelle d’un produit. Ça prend en compte des choses comme les protéines, les fibres, donc les points positifs de ce genre de nutriments qui sont favorables à la santé et des points négatifs pour les choses un peu plus défavorables comme le sel, le sucre, le gras, etc. Donc c’est le Nutri-Score de A à E comme une note à l’école, ça permet vraiment de voir la qualité nutritionnelle.
Et le deuxième indicateur qu’on affiche c’est le groupe NOVA, là ça va de 1 à 4 et ça indique le niveau de transformation d’un produit alimentaire. Est-ce qu’un produit alimentaire est brut, par exemple les légumes, les choses qu’on peut acheter sur le marché, ou est-ce qu’il est transformé, voire ultra-transformé, par exemple le cas de vos soupes, elles sont probablement NOVA 4.
Le Nutri-Score est un score français créé par le professeur Hercberg, la personne qui a notamment créé les cinq fruits et légumes par jour qu’on connaît tous. Le NOVA est un score de recherche brésilien, par le professeur Monteiro, sur cette problématique de est-ce que les aliments qu’on mange sont ultra-transformés, sachant que le programme national Nutrition Santé recommande de réduire cette part d’aliments transformés dans l’alimentation parce que ça pose des problèmes au niveau de la santé.

Frédéric Couchet : D’accord. Je viens d’ouvrir Open Food Facts. Je précise que pour la fameuse soupe dont on ne va pas citer la marque le Nutri-Score c’est B et l’indice NOVA c’est 4. En gros le Nutri-Score B c’est surtout parce qu’il y a du sel mais en quantité quand même modérée.

Pierre Slamich : C’est déconcertant.

Frédéric Couchet : Justement, je vais en venir à la question. Je n’utilisais pas l’app, par contre, préparant l’émission j’ai appris qu’il y avait une autre application qui existait, ce sera peut-être l’occasion d’en parler sur le fonctionnement tout à l’heure, qui s’appelle Yuca. La personne à qui j’ai demandé de tester m’a dit : « Yuca, elle, affiche une note de 1 à 100 et une évaluation sur quatre critères – excellent très bon, moyen et insuffisant – quelque chose comme ça. En tout cas la personne m’a dit : « Ça c’est beaucoup plus clair, pour moi c’est facile à comprendre si c’est 80 sur 100 c’est que c’est bon ». En testant Open Food Facts, la personne m’a dit : « Je n’y comprends rien parce là tu as un Nutri-Score qui est à B, donc plutôt pas trop mal, et tu as un NOVA qui est 4 et, bien sûr, le NOVA 4 apparaît en rouge parce que c’est le pire ». C’est ce côté-là qui peut être un peu perturbant. Là-dessus, qu’est-ce que vous avez à répondre Pierre et Anca ?

Pierre Slamich : C’est justement ça qui est très intéressant. On a choisi de montrer le paradoxe du produit. Je prends un exemple extrême : le Coca-Cola zéro va avoir un Nutri-Score B parce qu’effectivement il n’y a pas de sucre dans le Coca, il n’y a pas de graisses, etc., par contre il y a plein d’additifs dans le Coca zéro, il y en a même encore plus que dans le Coca classique, donc il va être NOVA 4, produit ultra transformé.
On a choisi de ne pas tout agglomérer, littéralement de ne pas mélanger les fruits et les légumes, les pommes et les bananes ensemble, mais plutôt de montrer : ce produit va être bon nutritionnellement, par contre les ingrédients vont être bizarres. On affiche même, depuis peu, l’impact environnemental du produit, l’impact carbone du produit et des produits qui sont bons pour vous vont parfois être mauvais pour la planète. En fait ce sont des paradoxes et après on tient à donner les cartes en main aux gens pour leur permettre de faire leurs propres choix personnels : ne pas leur imposer, ne pas remplacer la confiance aveugle dans un label de qualité d’une marque ou le Label rouge sur des choses par la confiance aveugle dans une application, mais permettre aux gens de développer leur esprit critique et de prendre du recul face à ces applications qui font florès.

Frédéric Couchet : Avant de laisser la parole à Anca, j’avais une question de Pierre Bresson qui est la personne qui a développé l’application Cause Commune qui me demandait justement : concernant l’empreinte carbone des produits j’aimerais savoir quand cette fonctionnalité sera disponible. L’empreinte carbone est déjà disponible, Pierre ?

Pierre Slamich : Oui. Elle est disponible. Il y a quelques limitations parce que l’empreinte carbone est quelque chose d’extrêmement complexe, ça se passe en fait sur les ingrédients. On essaye par exemple d’estimer le pourcentage de viande dans des lasagnes au bœuf. On a des données gouvernementales de l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] pour la France qui permettent de dire « un kilo de bœuf c’est tant de kilos de carbone », donc on fait ce calcul-là déjà sur les produits dont on a les ingrédients, typiquement les plats préparés à base de bœuf, de poisson. Ce n’est pas encore disponible sur tous les produits et ce n’est pas encore disponible dans tous les pays du monde.

Frédéric Couchet : D’accord. Anca tu voulais compléter.

Anca Luca : Je voulais compléter sur cette question d’affichage qualificatif des aliments versus données différentes qui ont l’air contradictoires. C’est aussi parce que les choix alimentaires sont divers et personnels à chacun. Personnellement, c’est mon avis,, c’est très compliqué de dire ce qui est bon et ce qui n’est pas bon, pour les raisons que Pierre a expliquées : ce qui est bon pour soi peut être mauvais pour la planète, mais également parce que chacun fait ses choix en fonction de ses paramètres. Par exemple le Nutri-Score est intéressant parce qu’il y a des produits que vous allez trouver avec le Nutri-Score E et là, les gens ont plutôt tendance à fuir, à se dire « ah non, il ne faut pas toucher à ça parce qu’il y a un Nutri-Score E ». Ce n’est pas ça que veut dire Nutri-Score E. Nutri-Score E veut dire « ne mange pas que ça toute la journée, mais tu peux le toucher de temps en temps, il n’y a aucun problème ». Tu peux manger du chocolat. Je ne sais pas s’il y a un chocolat D, mais la plupart des chocolats ont des Nutri-Score dans les D et dans les E, ça voudrait dire qu’on ne touche plus jamais de chocolat. Ça veut juste dire : ne mangeons pas que ça et ne mangeons pas ça toute la journée. Donc les choix sont compliqués.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une question sur le salon web de la radio : comment interpréter le fait que le Nutri-Score affiché sur un emballage soit différent du Nutri-Score donné par Open Food Facts. Il me semble être déjà tombé sur ce cas de figure, mais je n’en suis plus très sûr. Je ne sais pas si c’est le cas. Est-ce que sur certains emballages le Nutri-Score affiché est différent de celui que vous donnez ?

Pierre Slamich : En fait le Nutri-Score est une série de calculs assez complexes qui se base sur les informations qu’on est capables de connecter sur les emballages. Il y a notamment le taux de fruits et légumes et le taux de fibres que, malheureusement, la législation n’impose pas aux fabricants d’afficher systématiquement sur les emballages. Parfois il peut se faire qu’on n’ait pas les données sur les fibres et les fruits et légumes ce qui va faire sauter le Nutri-Score de B à C par manque de données. Donc on affiche des avertissements et on encourage tous les producteurs, s’il y en a qui nous écoutent à l’antenne, à nous envoyer directement les données les plus précises possible avec les fruits et légumes et les fibres pour qu’on puisse calculer le Nutri-Score de la manière la plus précise possible. Mais généralement, dans 98 % des cas, c’est toujours le même.

Frédéric Couchet : D’accord. Concernant le Nutri-Score toujours j’ai vu qu’il y avait une initiative citoyenne européenne pro Nutri-Score qui viserait à imposer l’affichage de cet étiquetage simplifié Nutri-Score sur tous les produits alimentaires. Donc deux questions : je suppose que ce n’est pas obligatoire aujourd’hui s’il y a une initiative citoyenne et est-ce que vous êtes en faveur de cette initiative ? Pierre, Anca, qui veut répondre ? Anca.

Anca Luca : Je peux répondre assez rapidement. Moi je n’ai pas d’avis arrêté là-dessus ; c’est bien de fournir de l’information. En même temps, comme Pierre disait, le Nutri-Score ce n’est qu’un paramètre des produits qu’on choisit. Il y a plein d’autres paramètres, mais je pense que ça serait plutôt bénéfique de pouvoir voir plus rapidement l’évaluation d’un produit.

Frédéric Couchet : Pierre Slamich.

Pierre Slamich : Oui. C’est-à-dire que dans un monde parfait Open food Facts n’existerait pas, donc on est pour que le Nutri-Score devienne obligatoire et qu’on n’ait pas à utiliser forcément une application, une béquille pour pouvoir faire son choix en rayon. C’est à-dire que devoir scanner les produits un à un pour voir le Nutri-Score, on commence à le voir en France, c’est tellement mieux quand on peut comparer d’un seul coup d’œil le soir quand on fait son marché. Effectivement le Nutri-Score et après, si les fabricants voulaient afficher des choses comme le NOVA ou l’impact carbone, ça serait génial.

Frédéric Couchet : D’accord. Là on comprend mieux ce que sont le Nutri-Score et l’indice NOVA. On va passer rapidement à la partie comment on crée ce type d’application, à la fois sur la partie logicielle et aussi sur la partie base de données. Est-ce que ce sont des licences libres dans les deux cas ? Est-ce que c’est créé uniquement par des bénévoles ? Est-ce que vous avez des gens qui sont financés pour développer l’application et maintenir la base de données ? Et question annexe aussi : tout à l’heure, Pierre, tu as parlé un petit peu des fournisseurs, des fabricants, est-ce que vous êtes en contact avec des fabricants pour récupérer automatiquement, enfin qui vous envoient des informations nutritionnelles concernant les aliments ? Ça fait plein de questions. Qui veut commencer ? Pierre, peut-être, puisque tu as fondé, ou Anca, je ne sais pas.

Pierre Slamich : Effectivement il y a plein de questions. J’essaye de me remémorer.

Frédéric Couchet : Sur la partie logicielle, la partie base de données. Comment vous faites ? Est-ce que ce ne sont que des bénévoles ? Est-ce qu’il y a des personnes qui sont financées pour développer la partie logicielle et peut-être la partie base de données ? Anca Luca.

Anca Luca : D’un point de vue technique, on va dire qu’il y a trois composantes techniques. Il y a le code du serveur qui fait le site web, donc openfoodfacts.org et tout ça, c’est un logiciel libre, c’est écrit en Perl, s’il y a des gens qui veulent venir participer. Après il y a l’application mobile, plus précisément les applications mobiles parce qu’il y en a pour chaque plateforme ; je pense que les développements natifs aujourd’hui, si je me rappelle bien, c’est Android, iOS et c’est tout.

Pierre Slamich : Ubuntu aussi.

Anca Luca : Ubuntu aussi. On avait aussi Firefox OS, mais comme c’est mort ! Ce n’est pas mort, je pense qu’il est toujours maintenu par la communauté, donc je demande pardon aux gens qui font ça ! Désolée.

Frédéric Couchet : Un logiciel libre n’est jamais mort il est gelé. On attend le retour à la vie

Anca Luca : Le Libre n’est jamais mort, c’est l’avantage du Libre !
Et la troisième composante technique c’est la maintenance de tous les serveurs et toutes les opérations qui font que ça tient debout.
Tous les logiciels sont libres, développés au début par des bénévoles, donc tout ce qui a été développé a été développé par des bénévoles sur leur temps libre et, depuis très peu de temps, on a du financement pour des projets auxquels on participe qui nous permettent de financer des personnes qui participent, qui font tourner l’association on va dire et aussi du développement par-ci par-là, je pense. Je ne pense pas qu’on a des permanents développeurs. Si ? Si on en a. Pardon ! Tu es permanent développeur.

Frédéric Couchet : Pierre Slamich.

Pierre Slamich : Ça permet de faire le lien avec ce que tu mentionnes, justement sur les financements. On parlait des producteurs, ça nous permet typiquement de créer une plateforme qui va permettre à tous les producteurs d’importer leurs données directement dans Open Food Facts. Effectivement on a des producteurs quasiment depuis le début du projet qui nous disent : « C’est génial, comment on met nos données, comment on met nos produits dans Open Food Facts ? » Là on est en train de mettre en place une plateforme qui nous permettra justement d’avoir des données à jour, complètes et plus détaillées sur les produits, du coup grâce au soutien de Santé publique France qui est l’organisme qui s’occupe de la prévention de la santé en France.

Frédéric Couchet : On a parlé de la partie logicielle, ce sont des logiciels libres. La partie base de données, une spécificité, c’est qu’elle est disponible sous une licence libre spécifique aux bases de données.

Pierre Slamich : Voilà. Logiciel libre, données ouvertes et tout est gratuit. Ça ce sont des grands principes de l’association. Effectivement on a les logiciels qui permettent de générer ces données ouvertes. D’ailleurs on l’appelle le product opener, c’est-à-dire décapsuleur en français, et, du coup, on a ce logiciel qui permet de générer les données. Après les données sont reversées sous forme d’export, sous forme d’API.

Frédéric Couchet : Interface de programmation.

Pierre Slamich : C’est-à-dire qu’on a une API, une interface de programmation logicielle qui permet à d’autres applications, d’autres services, de pouvoir bâtir sur Open Food Facts des expériences logicielles dédiées par exemple à des diabétiques, à des publics…

Frédéric Couchet : Des publics végans par exemple ?

Pierre Slamich : Oui, effectivement on a des applications basées sur Open Food Facts pour les végans. D’ailleurs on va même bientôt lancer, c’est déjà disponible pour les gens qui sont sur F-doid et bientôt sur Play Store, la détection des produits végans, végétariens et avec de l’huile de palme.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise que F-Droid c’est un magasin d’applications libres. Je vous encourage à l’installer comme ça vous aurez plein d’applications libres dont Open Food Facts et plein d’autres, vous avez OpenStreetMap et compagnie.
Sur la partie modèle économique, les coûts c’est l’hébergement des serveurs et vous avez des financements via des partenariats qui permettent de financer de gens qui vont contribuer techniquement.

Pierre Slamich : Il faut voir que de 2012 jusqu’à cette année, on a fait tourner l’association avec un budget de 600 euros par an. Ça paraît un peu fou mais c’était essentiellement les coûts serveur, un petit serveur pour faire tourner le projet, et on est arrivé comme ça à libérer des centaines de milliers de produits. Là on a cette chance de pouvoir vraiment accélérer grâce au soutien de Santé Publique France sur plus de sujets, dans plus de pays. On a effectivement les deux premiers permanents, Stéphane et moi, et on peut se consacrer à 100 % à pouvoir faire grandir l’association, encadrer : on a de plus en plus de développeurs qui veulent investir du temps pour améliorer les applications mobiles, on est aussi en train de faire de l’intelligence artificielle pour pouvoir extraire les informations automatiquement des étiquettes, donc ce sont plein de choses qu’il faut arriver à pouvoir accompagner, faire grandir pour suivre l’augmentation ; on a plus d’un million et demi d’utilisateurs, donc il faut arriver à tenir en termes humains la croissance du projet.

Frédéric Couchet : C’est une excellente nouvelle. Je ne savais pas du tout que vous étiez, Stéphane et toi, permanents et c’est une excellente nouvelle. J’ai une remarque sur le salon web et peut-être une demande d’évolution de l’application, je ne sais pas si c’est possible, mais je vais la relayer. C’est mu_man dit : « Le seul souci que j’ai avec l’appli mobile c’est qu’elle a besoin d’être connectée, donc sur ma tablette ça ne marche pas. » Est-ce qu’il est prévu, est-ce qu’il est techniquement possible d’avoir une version déconnectée d’Open Food Facts, c’est-à-dire avec la base de données téléchargées directement, un peu comme OpenStreetMap le fait avec je ne sais plus quelle application. Est-ce que c’est faisable ? Qui veut répondre ?

Anca Luca : Ce n’est pas uniquement faisable, c’est fait !

Pierre Slamich : C’est à moitié fait !

Frédéric Couchet : Attention !Écoute bien mum_man, c’est fait !

Pierre Slamich : On va commencer par un troll. Ça veut dire que mu_man n’est pas sur iPhone parce que les utilisateurs d’iPhone ont déjà la possibilité de scanner leur connexion et, sur Android, ça arrive, comme le dit Anca, effectivement ça arrive. On a des premiers prototypes, donc on est arrivé à comprimer le million de produits d’Open Food Facts sur l’équivalent de quatre selfies, donc on est arrivé à réduire la taille, à comprimer ça sur un téléphone, c’est assez fou ! On a besoin d’aide. Si vous voulez rejoindre l’équipe Android pour aller plus vite sur les fonctionnalités, n’hésitez pas ! Mais ça arrive, on est en train de travailler dessus.

Frédéric Couchet : Il confirme effectivement qu’il n’est pas sur iPhone. Il le confirme directement. La base de données représente quelle taille ? Vous avez une idée ? Tu dis que ça compresse en quatre selfies, mais la base originale ? Mais si tu n’a pas d’idée, ce n’est pas grave !

Pierre Slamich : Je crois que ça se compte en gigaoctets.

Frédéric Couchet : Sur un téléphone, effectivement, on arrive vite à saturer.

Pierre Slamich : Et là ce n’est que le texte, que la base de données textuelles, mais on a aussi des millions de photos et là ce sont des millions de téraoctets de photos, donc c’est un terrain de jeu absolument formidable pour les gens qui s’intéressent à l’intelligence artificielle. La vision sur ordinateur assure deux choses parce que, du coup, on a un impact absolument démesuré quand on travaille sur Open Food Facts.

Frédéric Couchet : Vas-y Anca.

Anca Luca : Je voudrais aussi ajouter, puisqu’on parle de la taille de cette base de données et de tout ça, on n’a pas complètement expliqué comment ça s’est passé. Ce sont des contributions des gens qui ont téléchargé l’application, scanné des produits, envoyés des photos, rempli des fiches de produits au début, avec l’aide des bases de données que les industriels ont pu nous envoyer pour les importer et participer à la base de données, mais à la base il y a énormément de contributions des utilisateurs qu’on remercie. C’est comme ça qu’on est arrivé à un million de produits, on en est très fier.

Frédéric Couchet : La contribution, on va y revenir en détail juste après la pause musicale, mais je crois que vous venez de gagner un développeur parce que mu_man, qui continue sur le salon web, a dit : « Il faut dire que la base mériterait peut-être d’être un peu structurée aussi : sur beaucoup de champs il y a plein de doublons parce que ce sont des champs en texte libre ». Comme mu_man sait développer, je vous enverrai ses coordonnées. Je pense que vous avez gagné un contributeur. Il nous répondra directement sur le salon.

Pierre Slamich : À bientôt !

Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale. On va écouter Scully's Reel par Sláinte. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.

Pause musicale : Scully's Reel par Sláinte.

Deuxième partie

Chronique de Vincent Calame

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April. Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour.

Frédéric Couchet : Alors aujourd'hui, tu souhaites nous parler de la clause «Pas d'usage commercial» de certaines licences Creative Commons.

Vincent Calame : Oui tout à fait. Pour cette chronique, j'ai un peu marché sur les plates-bandes de Jean-Christophe Becquet qui tient ici même une chronique «Pépite libre» qui présente des ressources justement sous licence libre. Et dans sa toute première chronique que l'on peut télécharger sur le site de l'April, il évoquait le cas d'une vidéo d'une conférence qui était sous licence Creative Commons mais qui ne pouvait pas rééutiliser dans une formation parce que ce n'est pas cette clause et qu'est-ce qu'elle avait justement cette clause usage non commercial. Et donc, dans sa chronique il parle de l'échange qu'il a eu avec l'auteur pour lui faire retirer cette clause. Et c'est ça dont je voudrais parler aujourd'hui.

Frédéric Couchet : Alors : clause, licence, Creative Commons... Trois mots de jargon d'un coup, explique nous ça.

Vincent Calame : Voilà alors, les habitués connaissent ça par coeur mais il faut préciser pour les personnes qui nous rejoignent. La licence c'est un document juridique qui indique les conditions d'utilisation d'un logiciel ou de toute autre production. Je parle sous contrôle. Vous savez, c'est souvent ce long texte que vous faites défiler rapidement sans lire pour faire activer le bouton «J'accepte» sans poser de questions. Il y a donc de très nombreuses licences différentes. Et dans le cas des logiciels libres, on dit qu'un logiciel est libre quand l'auteur lui a attaché une licence qui assure à l'utilisateur donc quatres libertés : la liberté d'utilisation, la liberté d'examen du code, de modification du code et de distribution de codes modifiés. La plus célèbre des licences libres et la première c'est la GNU GPL. Ces licences qui sont très utilisées dans le monde du logiciel libre ont inspiré d'autres licences plus adaptées à d'autres productions intellectuelles comme les textes et les vidéos. Et une des plus connues c'est la Creative Commons.

Frédéric Couchet : Attention Vincent, attention ! On ne dit pas la licence Creative Commons mais les licences Creative Commons.

Vincent Calame : Voilà, parce que nous approchons du problème. En fait, le système des Creative Commons, c'est une famille de licences. Et quand vous avez votre document, vous êtes l'auteur, vous voulez le mettre sous licence Creative Commons, vous choisissez un certain nombre de clauses parmi celles disponible. Il y a par exemple, la clause attribution qui demande que l'auteur initial soit bien cité, la clause «Partage à l'identique» qui impose de distribuer les modifications sous les mêmes conditions et la clause NC pour Non-Commercial qui interdit l'usage commercial.

Frédéric Couchet : Alors nous y sommes. Alors pourquoi pose-t-elle problème cette clause «Pas d'usage commercial» ?

Vincent Calame : Alors parce que une licence Creative Commons avec cette clause est une licence non libre. En effet, la première liberté des licences libres c'est celle de la liberté d'utilisation donc y compris dans un usage commercial. Et donc, avec une clause non commercial, vous limitez la liberté de l'utilisateur. Le problème en fait de cette clause, c'est que elle apparaît comme assez naturelle même très naturelle en particulier pour une association qui en France est régie par la fameuse loi de 1901.

Frédéric Couchet : Donc la loi qui parle d'associations à but non lucratif.

Vincent Calame : Exactement. Et pour les associations, il y a une légitime fierté à faire partie d'un secteur non marchand. Du coup, je pense qu'elles ont le sentiment que la clause NC est faite pour elles. Donc la difficulté du côté des millitants du libre, c'est de montrer en quoi cette clause est un frein à la diffusion de leurs productions. Donc un exemple, une photo ne peut pas être mise dans une production papier même si cette production a été vendue à un prix coûtant, juste au prix de l'impression. Je pense que pour les associations aussi, cette clause rassure parce que derrière ça, il y a quelqu'un, la crainte que quelqu'un profite du travail. Qu'il se fasse de l'argent dans le dos de l'association.

Frédéric Couchet : Oui oui. Ça c'est un fantasme en fait. Non ?

Vincent Calame : Oui. Je pense que oui dans le sens où moi je n'ai pas d'exemple concret d'un vol de données, d'informations ou de quelque chose qui serait de l'argent là-dessus. Mais je pense qu'il n'y a pas d'exemple concret mais en revanche il y a un environnement dont il faut être conscient quand on est aussi millitant du libre dans le sens où le monde associatif est en ce moment soumis à une très forte pression de rentabilité. Il y a des suppressions de subventions, il y a des exigences de redevabilité excessives, de rendre les comptes, des évalutations comptables et très tatillonnes et très financières, il faut faire du chiffre. Il y a également ce phénomène dans certains secteurs qui relève de l'économie sociale et solidaire comme les aides à la personne, à l'insertion etc,