Différences entre les versions de « Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 10 novembre 2020 »

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==Apprentissage de la programmation pour les femmes avec Chloé Hermary de Ada Tech School, Laïla Atrmouh de Ladies of Code Paris et Sonia Edouardoury de Django Girls Paris==
 
==Apprentissage de la programmation pour les femmes avec Chloé Hermary de Ada Tech School, Laïla Atrmouh de Ladies of Code Paris et Sonia Edouardoury de Django Girls Paris==
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur l’apprentissage de la programmation pour les femmes avec nos invitées donc Chloé Hermary de Ada Tech School. On va vérifier que Chloé est avec nous au téléphone. Bonjour Chloé.
  
<b>Frédéric Couchet : </b>Nous allons poursuivre avec notre sujet principal
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<b>Chloé Hermary : </b>Bonjour Fred.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Laïla Atrmouh de Ladies of Code Paris. Laïla est-ce que tu es avec nous ?
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Bonjour. Oui, je suis avec vous.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Et Sonia Edouardoury de Django Girls Paris. Sonia est-ce que tu es avec nous ?
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<b>Sonia Edouardoury : </b> Oui. Je suis avec vous.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Parfait. Évidemment, pour les personnes qui ont l’habitude d’écouter l’émission, ce n’est pas la première fois qu’on aborde ce sujet-là. Je vous renvoie à différents podcasts sur causecommune.fm sur les femmes et l’informatique, sur l’apprentissage de la programmation pour les enfants, sur le développement du logiciel libre avec une développeuse et sur l’émission consacrée à <em>Ada ou la beauté des nombres</em> dont on va peut-être parler tout à l’heure. C’est un sujet fondamental, donc on y revient évidemment avec trois personnes. On va commencer, avant d’aborder le fond de la question, par une petite présentation personne de chacune de nos personnes ce qui permettra aussi de reconnaître un petit peu les voix. Je propose qu’on commence par Chloé Hermary de Ada Tech School.
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<b>Chloé Hermary : </b>Oui. Bonjour. Moi c’est Chloé Hermary. J’ai 26 ans. Je suis la CIO et fondatrice d’Ada Tech School. Ce que ça veut dire c’est que je ne suis pas développeuse, je suis entrepreneure et j’ai créé une école d’informatique féministe en deux ans qui vise, du coup, à former, à ouvrir à toutes les diversités (???) notamment pour les femmes et c’est de l’informatique.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Très bien. Évidemment on va rentrer dans le détail tout à l’heure de ce qu’est cette école.<br/>
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Laïla Atrmouh, je te laisse te présenter.
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Je suis Laïla Atrmouh. J’ai 29 ans. Je suis développeuse web depuis maintenant quelques années et je fais partie des organisatrices de la communauté Ladies of Code Paris qui est une communauté qui encourage les femmes à s’intéresser à une carrière technique dans l’informatique, que ce soit des métiers de développeuses, ???, etc., et surtout à ce qu’il n’y ait pas de ??? une fois qu’elles y sont.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Dernière invitée, Sonia Edouardoury de Django Girls Paris. Sonia.
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<b>Sonia Edouardoury : </b>Bonjour. Je suis, comme vous dites, Sonia Edouardoury, je représente l’organisation qui s’appelle Django Girls Paris qui est une organisation partout dans le monde, basée à Londres. Mon domaine est plutôt pour le ???, ma carrière c’est plutôt en tant que <em>business analyst</em> dans les télécoms à Londres. J’ai créé une startup, je me suis retrouvée à faire ça et je serai ravie de vous en parler.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Très bien. En tout cas nous sommes ravis de vous avoir toutes les trois. Je précise les conditions techniques. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous ne sommes pas dans notre studio principal, nous sommes chez nos voisines et voisins d’Antanak et nos invitées sont par téléphone. Donc nous présentons nos excuses pour la qualité qui n’est pas habituelle par rapport à la diffusion. Olivier Grieco, le directeur d’antenne me dit que ça va, il a l’air content, il n’a pas l’air chafouin, donc ça va. Il est à côté de moi.<br/>
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On va commencer par une première question, qu’on va aborder pendant quand même pendant quelques minutes, qui est un petit peu le constat. En fait, pourquoi on fait ce genre d’émission et ce n’est pas la première qu’on consacre, hélas, précisément à l‘apprentissage de la programmation pour les femmes. J’aurais envie de vous poser la question : quels sont les problèmes ? Depuis quand ça existe ? Quel est le problème aujourd’hui concrètement ? Depuis quand ? Comment ça se manifeste, etc. ? Qui veut commencer ?
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<b>Chloé Hermary : </b>Si vous voulez je peux commencer.
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<b>Frédéric Couchet : </b>C’est Chloé, c’est ça ?
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<b>Chloé Hermary : </b>Oui, exactement, c’est Chloé et après je laisserai évidemment la parole à Sonia et Laïla qui pourront en dire plus.<br/>
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Je pense qu’avant de commencer, avant de parler des problèmes il faut peut-être parler des conséquences et, du coup, du contexte actuel. Aujourd’hui il y a peu de femmes qui codent, il y a peu de femmes qui se forment à la programmation, il y a peu de femmes qui programment en entreprise et, en fait, il y a aussi peu de femmes qui restent d’où l’importance de communautés comme celles de Laïla et de Sonia. On estime à peu près à entre 10 et 15 % le nombre de femmes en formation d’informatique et c’est à peu près un chiffre qu’on retrouve ensuite dans les entreprises. On peut se dire que c’est un problème pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’on peut être un fervent défenseur, une fervente défenseuse de la justice sociale, et se dire que ça n’a aucun sens que des métiers qui influencent notre société, qui sont des métiers de pouvoir soit financier, économique, etc., ne soient pas occupés par des femmes. Mais c’est aussi un problème qui est hyper pragmatiquement économique, tout simplement en fait puisque les entreprises cherchent des développeurs. Aujourd’hui on ne forme pas suffisamment de développeurs, donc on a une pénurie de talents et dans ce contexte de pénurie c’est quand même un petit peu dommage de se passer de 52 % de la population mondiale.<br/>
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Voilà en tout cas pour le contexte. Après je peux laisser un petit peu la parole à Sonia et Laïla.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Oui, on va faire des échanges. Laïla, sur cette partie-là, est-ce que tu veux réagir ou apporter des compléments, sur cette partie introductive ?
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Oui. Je pense qu’en termes de chiffres on n’est effectivement pas une population qui est très représentée dans les métiers techniques et encore plus dans les positions managériales. C’est un problème que je constate. Déjà moi, à l’époque où j’étais en école d’ingénieur, en fait il y avait déjà très peu de filles qui étaient présentes. En plus de ça, elles avaient tendance à abandonner plus vite que les garçons. Je me souviens de ma toute première année où on devait être une quarantaine, ce qui n’était quand même pas si mal sur une promo de 200 personnes, et, au final, l’année suivante, on s’est retrouvées à une dizaine de filles, on était un peu les survivantes. Il y a ce côté un peu où il y a vraiment un drop que ce soit à l’université où, en fait, des échos que j’avais de ces personnes-là qui changeaient de cursus, c’était vraiment « j’ai l’impression de ne pas être à ma place, d’arriver dans un monde où justement il y a tous les clichés qui persistent un peu ». Le cliché de quand tu es développeur, développeuse, tu passes ta journée entière devant des écrans, tu ne fais qu’écrire du code. Le cliché qui persiste où on est derrière nos ordinateurs et un peu des geeks dans leur cave. Donc je pense qu’il y a ce problème où, en fait, c’est un métier qui est empreint de clichés. En plus de ça, il y a un drop, en tout cas de ce que j’ai pu avoir, il y avait des personnes qui ne se sentaient pas à leur place quand elles arrivaient à l’université.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Dans une filière technique, c’est ça ?
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Absolument. En école d’ingénieur en informatique. Après ça c’était un problème qu’il y avait en quelle année ? En 2010, ouais ! Ça fait dix ans. Pour avoir gardé contact justement avec mes directeurs et directrices d’école, etc., c’est quelque chose qui est en train de changer progressivement. Je pense notamment à la directrice du département informatique de l’unité Paris Descartes, madame Dirani, qui fait vraiment beaucoup d’efforts dans ce sens pour justement inciter les filles des promotions des unités en informatique à rester. Je suis quand même optimiste pour la suite, je me suis qu’il y a de plus en plus d’initiatives. J’ai confiance, tout simplement, dans le fait qu’on va réussir à faire basculer ce ratio.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Sonia sur cette introduction et après j’aurai une question par rapport à votre première partie, notamment sur le fait d’abandonner. Sonia sur cette introduction, sur le problème ou le constat en tout cas.
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<b>Sonia Edouardoury : </b>Je rejoins tout à fait l’avis de Chloé et de Laïla. C’est indiscutable, il n’y a pas assez de femmes représentées dans ce domaine. Au-delà de ça, ce que j’ai constaté, je ne suis pas développeuse de métier, j’ai rencontré ça de l’autre côté en ayant travaillé dans des métiers adjacents, dans tout ce qui est analytique et aussi en tant qu’entrepreneuse après. J’ai constaté ça, mais en soi, ce qui m’a beaucoup surprise, on va dire, ce sont toutes ces initiatives de femmes autour pour créer en fait ces organisations comme Django Girls Paris, Ladies of Code, en France mais aussi dans d’autres pays parce que ce phénomène, c’est sûr, il n’est pas que français, il est partout. Et surtout, ces dernières années où j’ai vécu 15 ans en Angleterre, c’est aussi le même problème peut-être un peu moins dans ces pays que la France parce qu’ils ont commencé ça au niveau éducation, ils ont vraiment changé leur curriculum d’éducation beaucoup plus tôt qu’en France. En tout cas c’est ce que je constate. Ce qui est beau c’est qu’en fait aujourd’hui il y a des initiatives, vraiment, pour que les femmes qui veulent puissent le faire par des organisations telles que celles qui sont là aujourd’hui. Ça c’est ce côté très positif du changement qui se passe par rapport à ça.
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<b>Frédéric Couchet : </b>On va venir sur les initiatives dans une deuxième partie, évidemment. Je voulais rester pour l’instant sur la partie constat. J’avais déjà une première question. Tout à l’heure, je ne sais plus si c’est Chloé ou Laïla qui parlait des filles qui ne se sentaient pas forcément à leur place et, sur le salon web, Marie-Odile pose la question : n’étaient-elles pas à leur place ou leur faisait-on sentir qu’elles n’étaient pas à leur place, ce qui, évidemment, n’est pas la même chose. Je rappelle qui vous pouvez participer à la discussion sur causecommune.fm, bouton « chat ». Est-ce qu’on vous faisait sentir que vous n’étiez pas à votre place et de quelle façon ?
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<b>Laïla Atrmouh : </b>C’est moi qui avais parlé de ça.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Donc Laïla.
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Laïla, c’est ça. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on nous a fait sentir qu’on n’était pas à notre place, après je ne pourrais pas m’exprimer pour ces personnes-là puisque, au final, j’ai persisté et je suis restée. En tout cas, je trouvais à l’époque qu’il y avait un petit côté où soit tu adores ce que tu fais, ce qui était mon cas, moi j’ai découvert la programmation quand j’étais gamine, donc je ne me voyais pas faire autre chose de ma vie, clairement. Ou alors tu débarquais un peu dans le domaine et, du coup, tu étais face soit à des gens qui étaient passionnés, pour qui c’était un feu en fait, qui adoraient ça et qui se prenaient des murs en tapant leurs premières lignes de code en voyant que ça ne marchait pas mais qui réessayaient. Ou alors il y avait des personnes qui s’étaient orientées dans l’informatique parce que ça les intéressait mais sans plus. Je pense qu’il y avait plus un côté, en tout de ce que je comprenais de ces personnes-là, où elles ne se sentaient pas à leur place parce que ça leur paraissait trop compliqué. En fait, elles se faisaient avoir peut-être par les clichés de « il faut être bon en maths, il faut être fort en logique, etc. ». Il y avait tout de suite un côté où effectivement les premières années en programmation, même quand on débute la programmation, c’est toujours un peu compliqué, ce sont de nouveaux concepts, il faut quand même s’accrocher pour comprendre.<br/>
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J’ai l’impression que c’était plus un sentiment où elles ne se sentaient pas à leur place. Je n’avais pas l’impression qu’il y avait du harcèlement, même s’il y avait aussi des histoires de harcèlement. J’ai eu vent de certaines écoles où il y avait du harcèlement sexuel, il me semble que c’est chez 42, mais je ne veux pas dire de bêtises.
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<b>Chloé Hermary : </b>Si je peux ajouter, du coup, parce que dans la création de Ada on a rencontré pas de mal de développeuses et ce qu’on observe ce sont un peu des histoires, des histoires un peu similaires à celle de Laïla qui sont aussi le fait que quand on est grande minorité dans une formation c’est vrai qu’on a tendance à se questionner. On est un peu la minorité visible, donc on se pose à la question est-ce que je suis vraiment à ma place. Quand on est la grande minorité on a aussi un peu le syndrome de représentation des autres, donc on se dit « si je suis nulle je suis nulle pour toutes les filles ». On va dire que c’est un fardeau qui peut être un peu lourd à porter, mais c’est un fardeau qui est personnel. Je pense, effectivement, que de l’autre côté il y a eu pas mal d’histoires dans 42, dans plein d’autres formations. Je sais que ???, qui est une association qui œuvre pour l’inclusion des femmes dans le numérique, avait sorti une statistique que 70 % des femmes en école d’informatique avait été victimes ou témoins d’actes sexistes ou de blagues sexistes, etc., donc c’est énorme, 7 femmes sur 10. Et ça, c’est également le fait d’être dans une position de grande minorité, parce qu’on est plus promptes à être victimes de ce genre de choses, ??? peut dériver plus facilement, etc.<br/>
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Je pense qu’il y a un peu des deux : le fait d’être une minorité on se sent comme un être à part et, de l’autre côté, les autres vous voient comme une minorité visible. C’est vrai que c’est quelque chose que parfois, malheureusement, l’effet moutonnier rend hyper-difficile.
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Je pourrais ajouter. On a aussi une compétition, parfois, qui existe notamment en école d’ingénieur. Je me souviens que sur les dernières années, et c’est un constat qui était aussi partagé par pas mal de personnes dans mon entourage, il y a souvent des stages qu’on peut être amenés à faire et beaucoup d’étudiants visent parfois des boîtes prestigieuses ou des expériences à l’étranger, etc. Je me souviens de commentaires que j’ai eus parce que j’avais eu l’occasion de faire mon stage de fin d’études à New-York et ça n’a pas loupé. Effectivement, j’ai eu beaucoup de remarques où c’était « tu as été prise parce que tu es une fille », sachant que c’était des postes où, évidemment, il y avait une trentaine d’étudiants qui postulaient parce que tout le monde avait envie de partir à l’étranger à cette époque-là. Donc il y avait aussi ce côté-là de compétition et parfois les autres pensent que le fait d’être une minorité c’est un atout alors que ça peut être un fardeau, comme disait Chloé.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Je crois qu’il y a Sonia qui voulait réagir. Vas-y Sonia.
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<b>Sonia Edouardoury : </b>Je voulais juste rebondir à ça de manière générale. Personnellement je n’ai pas vécu ces choses parce que je n’étais pas sur la programmation. Ayant vécu plus de 15 ans en Angleterre, ce que j’ai remarqué, en tout cas par rapport au monde éducationnel et comment les femmes étaient vues dans la technologie, ce que je constate ici en France, parce que je suis rentrée depuis peu, c’est que c’est vrai qu’on sent que c’est un domaine qui est très orienté vers les hommes du fait aussi que dans l’éducation les filières sont aussi très étroites. On parle essentiellement d’écoles d’ingénieur et je vois ça un peu comme un modèle j’ai envie de dire assez français. J’ai envie de dire que si la façon dont on enseigne la programmation ou le code de manière générale était un peu plus large il y a encore moins ces problèmes.<br/>
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Par exemple, en Angleterre, on peut apprendre la programmation, on peut apprendre à devenir ingénieur sans passer par une école d’ingénieur. Tout de suite, par exemple après leur niveau troisième, ils peuvent déjà s’orienter dans ce qu’on appelle dans des collèges. Par exemple on peut faire histoire et programmation, on peut faire sociologie et d’autres choses. Évidemment, on ne va pas être aussi spécialisé comme on peut l’être parfois dans les écoles d’ingénieur. Je pense qu’il y a aussi un profond débat sur comment est-ce qu’on peut déjà élargir ça. Je pense que ça vient aussi de ce côté- là : les filières sont assez serrées, assez étroites, ce qui fait que c’est un peu élitiste et il y a moins de place pour d’autres personnes. Il faut voir aussi le côté de notre monde de l’éducation, comment il offre cette opportunité aux autres, ??? d’autres façons.
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b>Frédéric Couchet : </b>Justement sur l’éducation, vous parlez, on va dire, des études supérieures, écoles d’ingénieur, mais j’ai envie de vous demander quelle est la situation avant ? Est-ce que le problème ne prend pas sa racine avant et finalement est assez parallèle avec les sciences. Tout à l’heure, je ne sais plus qui parlait du bac scientifique qui est réservé pour les garçons et les filles font littéraire, etc. Est-ce que le problème n’est pas plus ancien que ça ? Est-ce que les évolutions récentes, notamment autour de l’apprentissage du code à l’école, les enseignements d’informatique, de spécialité informatique, qui sont arrivés vont pouvoir corriger cette problématique-là ? Qui veut réagir là-dessus ? Laïla, vas-y. C’est Chloé, excusez-moi.
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<b>Chloé Hermary : </b>Bien sûr que si, on parle des problèmes, mais le problème est un peu plus insidieux et un peu plus systémique que ça. En fait c’est la société de genre, c’est comment et ce vers quoi on éduque nos petites filles et nos petits garçons. Dès les premiers âges on met des Lego, des jeux de construction dans les mains des garçons et on va mettre des cuisinières et des caisses enregistreuses dans celles des filles, qui sont des voies beaucoup plus fonctionnelles, au-delà de faire de la cuisine ce sont des objets qui sont vraiment vers le soin à l’autre et des objets qui sont fonctionnels. Donc on va avoir une façon d’éduquer nos enfants qui est différente en fonction de leur genre, qui va les amener, du coup, à développer une appétence sur une certaine façon de fonctionner, qui vont se convaincre qu’ils sont bons surtout dans les relations humaines et dans la littérature, etc. Du coup, au moment de l’orientation, à la fois il va y avoir cette construction sociale qui joue et il va y avoir aussi le regard de l’extérieur parce que ça serait sacrément bizarre pour un garçon de bonne famille de dire qu’il veut être esthéticienne et, de l’autre côté, d’une femme d’un milieu populaire de dire que, finalement, elle veut être ingénieure. Ce sont des choses qui vont être extrêmement conditionnées par d’où on vient et de notre entourage. ??? Je parle de leur entourage, comment ils vont vivre, etc.<br/>
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Ça c’est pour moi une chose qui doit être effectivement être résolue de manière systémique donc qui doit être résolue avec l’éducation et éducation on parle ici de l’Éducation nationale. Effectivement, aujourd’hui le code est descendu au niveau du collège et du lycée ce qui, je pense, est une très bonne chose parce que ça montre à la fois que coder, finalement, c’est un peu comme apprendre à lire, à écrire et à compter pour le XXIe siècle. Après, il va falloir se poser la question de qui enseigne à coder, avec quels biais. Si ce sont les mêmes que d’habitude qui disent qu’en fait cette discipline a été faite pour les petits garçons de leur classe ils vont peut-être l’enseigner différemment, ils vont dire aux filles « c’est un peu plus difficile pour vous ». Il va y avoir aussi, et je pense que c’est hyper-important, une formation des profs qui forment à la programmation au collège et au lycée pour pouvoir, justement, dé-biaiser ça. Le problème de l’orientation est un problème de biais de genre qu’on a tous qui, du coup, amène les jeunes femmes à moins se tourner vers ça. Je pense effectivement et ce que disait Sonia, c’est important de montrer que la programmation au lycée ne soit pas encore enseigner que par les profs de mathématiques. Qu’on n’entretienne pas ce traumatisme qu’on fait avec les mathématiques chez tout le monde et qu’on montre que la programmation c’est quelque chose de beaucoup plus ouvert, beaucoup plus créatif, beaucoup plus littéraire que cette vision peut-être un petit peu intimidante qu’on peut avoir en la liant systématiquement aux sciences, à la technique et aux mathématiques.
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<b>Frédéric Couchet : </b>Laïla et Sonia est-ce que vous voulez réagir sur cette partie et après on passera peut-être justement aux solutions ou, en tout cas, à vos initiatives ? Sur cette problématique de l’école ou peut-être des parents ou autres. Sonia.
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<b>Sonia Edouardoury : </b>Je rejoins complètement Chloé sur ce qu’elle disait. Vraiment, moi pour avoir étudié ici en France quand j’étais jeune et avoir continué mes études en Angleterre, j’ai vraiment vu, par exemple, le grand changement et c’est vrai que c’est une très bonne chose déjà avec ce que j’ai cru comprendre, avec le changement au niveau du bac cette année. Je pense que l’idée d’un petit peu arrêter de limiter les gens à trois filières, qui sont toutes différentes les unes des autres, il faut plutôt recréer un mode où les gens peuvent se retrouver dans des filières qu’ils veulent et s’ils veulent un peu de maths qu’ils utilisent un de maths, s’ils veulent un petit peu d’histoire qu’ils puissent les combiner, au lieu d’avoir à choisir de manière, on va dire, très différente l’une de l’autre. Ça c’est déjà un débat à gagner et un pas vers l’ouverture de l’Éducation à autre chose. Et je pense que la programmation va aller dans ce sens, plus on ouvre l’éducation aux jeunes et plus on va, je pense, avoir plus de profils divers.
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<b>Frédéric Couchet : </b>D’accord. Laïla sur cette partie-là, dernière intervention et après on va faire une pause musicale.
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<b>Laïla Atrmouh : </b>Je rejoins totalement ce qui a été dit. Après, j’ai peut-être une crainte sur le temps que ça va prendre côté Éducation nationale. Je crois qu’il avait eu une discussion selon quoi il y allait avoir une agrégation d’informatique. Aujourd’hui, je crois que c’est enseigné dans le cadre de la techno mais que, plus tard, ça allait être vraiment une matière à part. Donc j’ai un peu des craintes sur le temps que ça mettra à se faire, etc. Peut-être y aller plus par petites étapes, en ayant des petits modules, des modules d’initiation à la programmation dans un premier temps et laisser plus les enfants apprendre par eux-mêmes. Je pense que l’informatique et même le développement, c’est vraiment un milieu où, justement, on peut être autodidacte ; c’est une réalité, au contraire c’est limite encourager de jouer avec les outils qu’on a à disposition. Je pense que côté parental, je sais qu’il y a de nombreux parents qui sont un peu effrayés par rapport au temps d’écran que consomment leurs enfants. Je dirais qu’il faut faire attention à ce qu’ils ne soient pas simples consommateurs de réseaux sociaux ou de vidéos. Je le vois sur des enfants de mon entourage, c’est effarant le temps qu’ils peuvent passer sur YouTube ou d’autres réseaux sociaux de ce type, mais un temps d’écran où, vraiment, il y a quelque chose qui est construit, un temps d’écran un peu plus stimulant. Là je pense qu’il y a des choses à laisser faire en fait par les enfants. Les laisser un peu guider cet apprentissage-là.
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<b>Frédéric Couchet : </b>On va en reparler après la pause musicale. Effectivement, en plus en période actuelle de confinement, c’est encore pire. On va en parler justement de la partie fun, de la partie créative de la programmation, de l’informatique en général.<br/>
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On va se faire une petite pause musicale. On va rester avec l’artiste Glaciære. On va écouter<em>Floating on the water</em>. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune, la vois des possibles.
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<b>Pause musicale : </b><em>Floating on the water</em> par Glaciære.
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==Deuxième partie==
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<b>Frédéric Couchet : </b>Nous venons d’écouter <em>Floating on the water</em>

Version du 12 novembre 2020 à 08:54


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 10 novembre 2020 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 10 novembre 2020

Durée : 1 h 30 min

[ Écouter ou enregistrer le podcast PROVISOIRE]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’apprentissage de la programmation pour les femmes, c’est le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme la chronique de Véronique Bonnet sur la documentation libre et une deuxième chronique d’Antanak sur téléphones mobiles et vie privée. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et en DAB+ et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’association c’est april.org.

Nous sommes mardi 10 novembre 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Olivier Grieco que je salue, mais il n’a pas de micro, donc il ne peut pas nous répondre. Je précise qu’aujourd’hui nous diffusons de chez nos voisins et voisines d’Antanak.

Si vous voulez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission #libreavous.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Avant de commencer, je vais vous poser une petite question, vous avez l’habitude du quiz, mais aujourd’hui ça va être simplement une petite question. Promouvoir le Libre sur les ondes et en podcast c’est beaucoup de plaisir, mais ça nous ferait chaud au cœur de savoir comment vous nous écoutez au petit déjeuner, dans le train ou pour accompagner vos siestes. Dites-nous tout. Vous pouvez même peut-être envoyer une petite photo comme les photos qu’on met en ligne sur le site de la radio causecommune.fm ou sur april.org. Vous pouvez proposer des réponses sur le salon web de la radio ou par tout autre moyen de nous contacter sur nos différents sites web. J’en profite pour faire un coucou notamment à Pierre, Jean et Patrick qui nous écoutent habituellement lors de trajets en voiture, à Thierry qui nous écoute le dimanche pour accompagner le repassage de la semaine, à Xavier quand il désassemble des trucs en bio-ingénierie, à Nicolas qui nous écoutait dans le car lors des trajets à vide puis le matin au réveil et maintenant quand il a l’esprit libre un moment et, bien entendu, on aimerait des réponses aussi d’autrices, bien sûr, car on sait qu’il y a des auditrices qui nous écoutent.

Tout de suite par le premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur le thème de la documentation libre

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique de Véronique Bonnet, professeure de philosophie et présidente de l’April. La chronique a été enregistrée il y a quelques semaines. On se retrouve juste après.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par la chronique de Véronique Bonnet, professeure de philosophie et présidente de l’April. La chronique s’intitule « Partager est bon » et aujourd’hui Véronique va nous commenter un texte de Richard Stallman intitulé « Pourquoi le logiciel libre a besoin d’une documentation libre ». Véronique, je te passe la parole.

Véronique Bonnet :







[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : C’était la chronique de Véronique Bonnet enregistrée il y a quelques semaines.
Nous allons faire une pause musicale

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Aujourd’hui notre programmateur musical Éric Fraudin, du site auboutdufil.com, va nous faire découvrir Glaciære qui est un artiste suédois. On va avoir des thèmes de l’eau, de la glace, de l’été et ainsi une ambiance relaxante et reposante pendant les pauses musicales de l’émission.
On va écouter Relaxing in the hammock. On se retrouve juste après journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Relaxing in the hammock par Glaciære.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Relaxing in the hammock par Glaciære disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique y compris pour toute utilisation commerciale. Vous retrouverez les références sur april.org et sur causecommune.fm et une présentation de l’artiste sur le site auboutdufil.com.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 en Île-de-France et en DAB+ et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer au sujet suivant.

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Apprentissage de la programmation pour les femmes avec Chloé Hermary de Ada Tech School, Laïla Atrmouh de Ladies of Code Paris et Sonia Edouardoury de Django Girls Paris

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur l’apprentissage de la programmation pour les femmes avec nos invitées donc Chloé Hermary de Ada Tech School. On va vérifier que Chloé est avec nous au téléphone. Bonjour Chloé.

Chloé Hermary : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Laïla Atrmouh de Ladies of Code Paris. Laïla est-ce que tu es avec nous ?

Laïla Atrmouh : Bonjour. Oui, je suis avec vous.

Frédéric Couchet : Et Sonia Edouardoury de Django Girls Paris. Sonia est-ce que tu es avec nous ?

Sonia Edouardoury : Oui. Je suis avec vous.

Frédéric Couchet : Parfait. Évidemment, pour les personnes qui ont l’habitude d’écouter l’émission, ce n’est pas la première fois qu’on aborde ce sujet-là. Je vous renvoie à différents podcasts sur causecommune.fm sur les femmes et l’informatique, sur l’apprentissage de la programmation pour les enfants, sur le développement du logiciel libre avec une développeuse et sur l’émission consacrée à Ada ou la beauté des nombres dont on va peut-être parler tout à l’heure. C’est un sujet fondamental, donc on y revient évidemment avec trois personnes. On va commencer, avant d’aborder le fond de la question, par une petite présentation personne de chacune de nos personnes ce qui permettra aussi de reconnaître un petit peu les voix. Je propose qu’on commence par Chloé Hermary de Ada Tech School.

Chloé Hermary : Oui. Bonjour. Moi c’est Chloé Hermary. J’ai 26 ans. Je suis la CIO et fondatrice d’Ada Tech School. Ce que ça veut dire c’est que je ne suis pas développeuse, je suis entrepreneure et j’ai créé une école d’informatique féministe en deux ans qui vise, du coup, à former, à ouvrir à toutes les diversités (???) notamment pour les femmes et c’est de l’informatique.

Frédéric Couchet : Très bien. Évidemment on va rentrer dans le détail tout à l’heure de ce qu’est cette école.
Laïla Atrmouh, je te laisse te présenter.

Laïla Atrmouh : Je suis Laïla Atrmouh. J’ai 29 ans. Je suis développeuse web depuis maintenant quelques années et je fais partie des organisatrices de la communauté Ladies of Code Paris qui est une communauté qui encourage les femmes à s’intéresser à une carrière technique dans l’informatique, que ce soit des métiers de développeuses, ???, etc., et surtout à ce qu’il n’y ait pas de ??? une fois qu’elles y sont.

Frédéric Couchet : D’accord. Dernière invitée, Sonia Edouardoury de Django Girls Paris. Sonia.

Sonia Edouardoury : Bonjour. Je suis, comme vous dites, Sonia Edouardoury, je représente l’organisation qui s’appelle Django Girls Paris qui est une organisation partout dans le monde, basée à Londres. Mon domaine est plutôt pour le ???, ma carrière c’est plutôt en tant que business analyst dans les télécoms à Londres. J’ai créé une startup, je me suis retrouvée à faire ça et je serai ravie de vous en parler.

Frédéric Couchet : Très bien. En tout cas nous sommes ravis de vous avoir toutes les trois. Je précise les conditions techniques. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous ne sommes pas dans notre studio principal, nous sommes chez nos voisines et voisins d’Antanak et nos invitées sont par téléphone. Donc nous présentons nos excuses pour la qualité qui n’est pas habituelle par rapport à la diffusion. Olivier Grieco, le directeur d’antenne me dit que ça va, il a l’air content, il n’a pas l’air chafouin, donc ça va. Il est à côté de moi.
On va commencer par une première question, qu’on va aborder pendant quand même pendant quelques minutes, qui est un petit peu le constat. En fait, pourquoi on fait ce genre d’émission et ce n’est pas la première qu’on consacre, hélas, précisément à l‘apprentissage de la programmation pour les femmes. J’aurais envie de vous poser la question : quels sont les problèmes ? Depuis quand ça existe ? Quel est le problème aujourd’hui concrètement ? Depuis quand ? Comment ça se manifeste, etc. ? Qui veut commencer ?

Chloé Hermary : Si vous voulez je peux commencer.

Frédéric Couchet : C’est Chloé, c’est ça ?

Chloé Hermary : Oui, exactement, c’est Chloé et après je laisserai évidemment la parole à Sonia et Laïla qui pourront en dire plus.
Je pense qu’avant de commencer, avant de parler des problèmes il faut peut-être parler des conséquences et, du coup, du contexte actuel. Aujourd’hui il y a peu de femmes qui codent, il y a peu de femmes qui se forment à la programmation, il y a peu de femmes qui programment en entreprise et, en fait, il y a aussi peu de femmes qui restent d’où l’importance de communautés comme celles de Laïla et de Sonia. On estime à peu près à entre 10 et 15 % le nombre de femmes en formation d’informatique et c’est à peu près un chiffre qu’on retrouve ensuite dans les entreprises. On peut se dire que c’est un problème pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’on peut être un fervent défenseur, une fervente défenseuse de la justice sociale, et se dire que ça n’a aucun sens que des métiers qui influencent notre société, qui sont des métiers de pouvoir soit financier, économique, etc., ne soient pas occupés par des femmes. Mais c’est aussi un problème qui est hyper pragmatiquement économique, tout simplement en fait puisque les entreprises cherchent des développeurs. Aujourd’hui on ne forme pas suffisamment de développeurs, donc on a une pénurie de talents et dans ce contexte de pénurie c’est quand même un petit peu dommage de se passer de 52 % de la population mondiale.
Voilà en tout cas pour le contexte. Après je peux laisser un petit peu la parole à Sonia et Laïla.

Frédéric Couchet : Oui, on va faire des échanges. Laïla, sur cette partie-là, est-ce que tu veux réagir ou apporter des compléments, sur cette partie introductive ?

Laïla Atrmouh : Oui. Je pense qu’en termes de chiffres on n’est effectivement pas une population qui est très représentée dans les métiers techniques et encore plus dans les positions managériales. C’est un problème que je constate. Déjà moi, à l’époque où j’étais en école d’ingénieur, en fait il y avait déjà très peu de filles qui étaient présentes. En plus de ça, elles avaient tendance à abandonner plus vite que les garçons. Je me souviens de ma toute première année où on devait être une quarantaine, ce qui n’était quand même pas si mal sur une promo de 200 personnes, et, au final, l’année suivante, on s’est retrouvées à une dizaine de filles, on était un peu les survivantes. Il y a ce côté un peu où il y a vraiment un drop que ce soit à l’université où, en fait, des échos que j’avais de ces personnes-là qui changeaient de cursus, c’était vraiment « j’ai l’impression de ne pas être à ma place, d’arriver dans un monde où justement il y a tous les clichés qui persistent un peu ». Le cliché de quand tu es développeur, développeuse, tu passes ta journée entière devant des écrans, tu ne fais qu’écrire du code. Le cliché qui persiste où on est derrière nos ordinateurs et un peu des geeks dans leur cave. Donc je pense qu’il y a ce problème où, en fait, c’est un métier qui est empreint de clichés. En plus de ça, il y a un drop, en tout cas de ce que j’ai pu avoir, il y avait des personnes qui ne se sentaient pas à leur place quand elles arrivaient à l’université.

Frédéric Couchet : Dans une filière technique, c’est ça ?

Laïla Atrmouh : Absolument. En école d’ingénieur en informatique. Après ça c’était un problème qu’il y avait en quelle année ? En 2010, ouais ! Ça fait dix ans. Pour avoir gardé contact justement avec mes directeurs et directrices d’école, etc., c’est quelque chose qui est en train de changer progressivement. Je pense notamment à la directrice du département informatique de l’unité Paris Descartes, madame Dirani, qui fait vraiment beaucoup d’efforts dans ce sens pour justement inciter les filles des promotions des unités en informatique à rester. Je suis quand même optimiste pour la suite, je me suis qu’il y a de plus en plus d’initiatives. J’ai confiance, tout simplement, dans le fait qu’on va réussir à faire basculer ce ratio.

Frédéric Couchet : D’accord. Sonia sur cette introduction et après j’aurai une question par rapport à votre première partie, notamment sur le fait d’abandonner. Sonia sur cette introduction, sur le problème ou le constat en tout cas.

Sonia Edouardoury : Je rejoins tout à fait l’avis de Chloé et de Laïla. C’est indiscutable, il n’y a pas assez de femmes représentées dans ce domaine. Au-delà de ça, ce que j’ai constaté, je ne suis pas développeuse de métier, j’ai rencontré ça de l’autre côté en ayant travaillé dans des métiers adjacents, dans tout ce qui est analytique et aussi en tant qu’entrepreneuse après. J’ai constaté ça, mais en soi, ce qui m’a beaucoup surprise, on va dire, ce sont toutes ces initiatives de femmes autour pour créer en fait ces organisations comme Django Girls Paris, Ladies of Code, en France mais aussi dans d’autres pays parce que ce phénomène, c’est sûr, il n’est pas que français, il est partout. Et surtout, ces dernières années où j’ai vécu 15 ans en Angleterre, c’est aussi le même problème peut-être un peu moins dans ces pays que la France parce qu’ils ont commencé ça au niveau éducation, ils ont vraiment changé leur curriculum d’éducation beaucoup plus tôt qu’en France. En tout cas c’est ce que je constate. Ce qui est beau c’est qu’en fait aujourd’hui il y a des initiatives, vraiment, pour que les femmes qui veulent puissent le faire par des organisations telles que celles qui sont là aujourd’hui. Ça c’est ce côté très positif du changement qui se passe par rapport à ça.

Frédéric Couchet : On va venir sur les initiatives dans une deuxième partie, évidemment. Je voulais rester pour l’instant sur la partie constat. J’avais déjà une première question. Tout à l’heure, je ne sais plus si c’est Chloé ou Laïla qui parlait des filles qui ne se sentaient pas forcément à leur place et, sur le salon web, Marie-Odile pose la question : n’étaient-elles pas à leur place ou leur faisait-on sentir qu’elles n’étaient pas à leur place, ce qui, évidemment, n’est pas la même chose. Je rappelle qui vous pouvez participer à la discussion sur causecommune.fm, bouton « chat ». Est-ce qu’on vous faisait sentir que vous n’étiez pas à votre place et de quelle façon ?

Laïla Atrmouh : C’est moi qui avais parlé de ça.

Frédéric Couchet : Donc Laïla.

Laïla Atrmouh : Laïla, c’est ça. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on nous a fait sentir qu’on n’était pas à notre place, après je ne pourrais pas m’exprimer pour ces personnes-là puisque, au final, j’ai persisté et je suis restée. En tout cas, je trouvais à l’époque qu’il y avait un petit côté où soit tu adores ce que tu fais, ce qui était mon cas, moi j’ai découvert la programmation quand j’étais gamine, donc je ne me voyais pas faire autre chose de ma vie, clairement. Ou alors tu débarquais un peu dans le domaine et, du coup, tu étais face soit à des gens qui étaient passionnés, pour qui c’était un feu en fait, qui adoraient ça et qui se prenaient des murs en tapant leurs premières lignes de code en voyant que ça ne marchait pas mais qui réessayaient. Ou alors il y avait des personnes qui s’étaient orientées dans l’informatique parce que ça les intéressait mais sans plus. Je pense qu’il y avait plus un côté, en tout de ce que je comprenais de ces personnes-là, où elles ne se sentaient pas à leur place parce que ça leur paraissait trop compliqué. En fait, elles se faisaient avoir peut-être par les clichés de « il faut être bon en maths, il faut être fort en logique, etc. ». Il y avait tout de suite un côté où effectivement les premières années en programmation, même quand on débute la programmation, c’est toujours un peu compliqué, ce sont de nouveaux concepts, il faut quand même s’accrocher pour comprendre.
J’ai l’impression que c’était plus un sentiment où elles ne se sentaient pas à leur place. Je n’avais pas l’impression qu’il y avait du harcèlement, même s’il y avait aussi des histoires de harcèlement. J’ai eu vent de certaines écoles où il y avait du harcèlement sexuel, il me semble que c’est chez 42, mais je ne veux pas dire de bêtises.

Chloé Hermary : Si je peux ajouter, du coup, parce que dans la création de Ada on a rencontré pas de mal de développeuses et ce qu’on observe ce sont un peu des histoires, des histoires un peu similaires à celle de Laïla qui sont aussi le fait que quand on est grande minorité dans une formation c’est vrai qu’on a tendance à se questionner. On est un peu la minorité visible, donc on se pose à la question est-ce que je suis vraiment à ma place. Quand on est la grande minorité on a aussi un peu le syndrome de représentation des autres, donc on se dit « si je suis nulle je suis nulle pour toutes les filles ». On va dire que c’est un fardeau qui peut être un peu lourd à porter, mais c’est un fardeau qui est personnel. Je pense, effectivement, que de l’autre côté il y a eu pas mal d’histoires dans 42, dans plein d’autres formations. Je sais que ???, qui est une association qui œuvre pour l’inclusion des femmes dans le numérique, avait sorti une statistique que 70 % des femmes en école d’informatique avait été victimes ou témoins d’actes sexistes ou de blagues sexistes, etc., donc c’est énorme, 7 femmes sur 10. Et ça, c’est également le fait d’être dans une position de grande minorité, parce qu’on est plus promptes à être victimes de ce genre de choses, ??? peut dériver plus facilement, etc.
Je pense qu’il y a un peu des deux : le fait d’être une minorité on se sent comme un être à part et, de l’autre côté, les autres vous voient comme une minorité visible. C’est vrai que c’est quelque chose que parfois, malheureusement, l’effet moutonnier rend hyper-difficile.

Laïla Atrmouh : Je pourrais ajouter. On a aussi une compétition, parfois, qui existe notamment en école d’ingénieur. Je me souviens que sur les dernières années, et c’est un constat qui était aussi partagé par pas mal de personnes dans mon entourage, il y a souvent des stages qu’on peut être amenés à faire et beaucoup d’étudiants visent parfois des boîtes prestigieuses ou des expériences à l’étranger, etc. Je me souviens de commentaires que j’ai eus parce que j’avais eu l’occasion de faire mon stage de fin d’études à New-York et ça n’a pas loupé. Effectivement, j’ai eu beaucoup de remarques où c’était « tu as été prise parce que tu es une fille », sachant que c’était des postes où, évidemment, il y avait une trentaine d’étudiants qui postulaient parce que tout le monde avait envie de partir à l’étranger à cette époque-là. Donc il y avait aussi ce côté-là de compétition et parfois les autres pensent que le fait d’être une minorité c’est un atout alors que ça peut être un fardeau, comme disait Chloé.

Frédéric Couchet : Je crois qu’il y a Sonia qui voulait réagir. Vas-y Sonia.

Sonia Edouardoury : Je voulais juste rebondir à ça de manière générale. Personnellement je n’ai pas vécu ces choses parce que je n’étais pas sur la programmation. Ayant vécu plus de 15 ans en Angleterre, ce que j’ai remarqué, en tout cas par rapport au monde éducationnel et comment les femmes étaient vues dans la technologie, ce que je constate ici en France, parce que je suis rentrée depuis peu, c’est que c’est vrai qu’on sent que c’est un domaine qui est très orienté vers les hommes du fait aussi que dans l’éducation les filières sont aussi très étroites. On parle essentiellement d’écoles d’ingénieur et je vois ça un peu comme un modèle j’ai envie de dire assez français. J’ai envie de dire que si la façon dont on enseigne la programmation ou le code de manière générale était un peu plus large il y a encore moins ces problèmes.
Par exemple, en Angleterre, on peut apprendre la programmation, on peut apprendre à devenir ingénieur sans passer par une école d’ingénieur. Tout de suite, par exemple après leur niveau troisième, ils peuvent déjà s’orienter dans ce qu’on appelle dans des collèges. Par exemple on peut faire histoire et programmation, on peut faire sociologie et d’autres choses. Évidemment, on ne va pas être aussi spécialisé comme on peut l’être parfois dans les écoles d’ingénieur. Je pense qu’il y a aussi un profond débat sur comment est-ce qu’on peut déjà élargir ça. Je pense que ça vient aussi de ce côté- là : les filières sont assez serrées, assez étroites, ce qui fait que c’est un peu élitiste et il y a moins de place pour d’autres personnes. Il faut voir aussi le côté de notre monde de l’éducation, comment il offre cette opportunité aux autres, ??? d’autres façons.

b>Frédéric Couchet : Justement sur l’éducation, vous parlez, on va dire, des études supérieures, écoles d’ingénieur, mais j’ai envie de vous demander quelle est la situation avant ? Est-ce que le problème ne prend pas sa racine avant et finalement est assez parallèle avec les sciences. Tout à l’heure, je ne sais plus qui parlait du bac scientifique qui est réservé pour les garçons et les filles font littéraire, etc. Est-ce que le problème n’est pas plus ancien que ça ? Est-ce que les évolutions récentes, notamment autour de l’apprentissage du code à l’école, les enseignements d’informatique, de spécialité informatique, qui sont arrivés vont pouvoir corriger cette problématique-là ? Qui veut réagir là-dessus ? Laïla, vas-y. C’est Chloé, excusez-moi.

Chloé Hermary : Bien sûr que si, on parle des problèmes, mais le problème est un peu plus insidieux et un peu plus systémique que ça. En fait c’est la société de genre, c’est comment et ce vers quoi on éduque nos petites filles et nos petits garçons. Dès les premiers âges on met des Lego, des jeux de construction dans les mains des garçons et on va mettre des cuisinières et des caisses enregistreuses dans celles des filles, qui sont des voies beaucoup plus fonctionnelles, au-delà de faire de la cuisine ce sont des objets qui sont vraiment vers le soin à l’autre et des objets qui sont fonctionnels. Donc on va avoir une façon d’éduquer nos enfants qui est différente en fonction de leur genre, qui va les amener, du coup, à développer une appétence sur une certaine façon de fonctionner, qui vont se convaincre qu’ils sont bons surtout dans les relations humaines et dans la littérature, etc. Du coup, au moment de l’orientation, à la fois il va y avoir cette construction sociale qui joue et il va y avoir aussi le regard de l’extérieur parce que ça serait sacrément bizarre pour un garçon de bonne famille de dire qu’il veut être esthéticienne et, de l’autre côté, d’une femme d’un milieu populaire de dire que, finalement, elle veut être ingénieure. Ce sont des choses qui vont être extrêmement conditionnées par d’où on vient et de notre entourage. ??? Je parle de leur entourage, comment ils vont vivre, etc.
Ça c’est pour moi une chose qui doit être effectivement être résolue de manière systémique donc qui doit être résolue avec l’éducation et éducation on parle ici de l’Éducation nationale. Effectivement, aujourd’hui le code est descendu au niveau du collège et du lycée ce qui, je pense, est une très bonne chose parce que ça montre à la fois que coder, finalement, c’est un peu comme apprendre à lire, à écrire et à compter pour le XXIe siècle. Après, il va falloir se poser la question de qui enseigne à coder, avec quels biais. Si ce sont les mêmes que d’habitude qui disent qu’en fait cette discipline a été faite pour les petits garçons de leur classe ils vont peut-être l’enseigner différemment, ils vont dire aux filles « c’est un peu plus difficile pour vous ». Il va y avoir aussi, et je pense que c’est hyper-important, une formation des profs qui forment à la programmation au collège et au lycée pour pouvoir, justement, dé-biaiser ça. Le problème de l’orientation est un problème de biais de genre qu’on a tous qui, du coup, amène les jeunes femmes à moins se tourner vers ça. Je pense effectivement et ce que disait Sonia, c’est important de montrer que la programmation au lycée ne soit pas encore enseigner que par les profs de mathématiques. Qu’on n’entretienne pas ce traumatisme qu’on fait avec les mathématiques chez tout le monde et qu’on montre que la programmation c’est quelque chose de beaucoup plus ouvert, beaucoup plus créatif, beaucoup plus littéraire que cette vision peut-être un petit peu intimidante qu’on peut avoir en la liant systématiquement aux sciences, à la technique et aux mathématiques.

Frédéric Couchet : Laïla et Sonia est-ce que vous voulez réagir sur cette partie et après on passera peut-être justement aux solutions ou, en tout cas, à vos initiatives ? Sur cette problématique de l’école ou peut-être des parents ou autres. Sonia.

Sonia Edouardoury : Je rejoins complètement Chloé sur ce qu’elle disait. Vraiment, moi pour avoir étudié ici en France quand j’étais jeune et avoir continué mes études en Angleterre, j’ai vraiment vu, par exemple, le grand changement et c’est vrai que c’est une très bonne chose déjà avec ce que j’ai cru comprendre, avec le changement au niveau du bac cette année. Je pense que l’idée d’un petit peu arrêter de limiter les gens à trois filières, qui sont toutes différentes les unes des autres, il faut plutôt recréer un mode où les gens peuvent se retrouver dans des filières qu’ils veulent et s’ils veulent un peu de maths qu’ils utilisent un de maths, s’ils veulent un petit peu d’histoire qu’ils puissent les combiner, au lieu d’avoir à choisir de manière, on va dire, très différente l’une de l’autre. Ça c’est déjà un débat à gagner et un pas vers l’ouverture de l’Éducation à autre chose. Et je pense que la programmation va aller dans ce sens, plus on ouvre l’éducation aux jeunes et plus on va, je pense, avoir plus de profils divers.

Frédéric Couchet : D’accord. Laïla sur cette partie-là, dernière intervention et après on va faire une pause musicale.

Laïla Atrmouh : Je rejoins totalement ce qui a été dit. Après, j’ai peut-être une crainte sur le temps que ça va prendre côté Éducation nationale. Je crois qu’il avait eu une discussion selon quoi il y allait avoir une agrégation d’informatique. Aujourd’hui, je crois que c’est enseigné dans le cadre de la techno mais que, plus tard, ça allait être vraiment une matière à part. Donc j’ai un peu des craintes sur le temps que ça mettra à se faire, etc. Peut-être y aller plus par petites étapes, en ayant des petits modules, des modules d’initiation à la programmation dans un premier temps et laisser plus les enfants apprendre par eux-mêmes. Je pense que l’informatique et même le développement, c’est vraiment un milieu où, justement, on peut être autodidacte ; c’est une réalité, au contraire c’est limite encourager de jouer avec les outils qu’on a à disposition. Je pense que côté parental, je sais qu’il y a de nombreux parents qui sont un peu effrayés par rapport au temps d’écran que consomment leurs enfants. Je dirais qu’il faut faire attention à ce qu’ils ne soient pas simples consommateurs de réseaux sociaux ou de vidéos. Je le vois sur des enfants de mon entourage, c’est effarant le temps qu’ils peuvent passer sur YouTube ou d’autres réseaux sociaux de ce type, mais un temps d’écran où, vraiment, il y a quelque chose qui est construit, un temps d’écran un peu plus stimulant. Là je pense qu’il y a des choses à laisser faire en fait par les enfants. Les laisser un peu guider cet apprentissage-là.

Frédéric Couchet : On va en reparler après la pause musicale. Effectivement, en plus en période actuelle de confinement, c’est encore pire. On va en parler justement de la partie fun, de la partie créative de la programmation, de l’informatique en général.
On va se faire une petite pause musicale. On va rester avec l’artiste Glaciære. On va écouterFloating on the water. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause commune, la vois des possibles.

Pause musicale : Floating on the water par Glaciære.

Deuxième partie

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Floating on the water