Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 09 février 2021

De April MediaWiki
Révision datée du 11 février 2021 à 09:23 par Morandim (discussion | contributions) (/* Le département informatique de l'université Paris 8 de Saint-Denis avec Anna Pappa, maîtresse de conférences en informatique, chercheuse en traitement automatique des langues naturelles, co-responsable de la licence informatique & vidéoludisme...)
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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 09 février 2021 sur radio Cause Commune

Intervenants : Isabella Vanni - - Anna Pappa - Pablo Rauzy - Frédécic Couchet- Patrick Creusot à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 09 février 2021

Durée : 1 h 30 min

Podcast provisoire

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Le département informatique de Paris 8 à Saint-Denis dans le 93, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique d’Isabella Vanni sur le groupe « InformÉthique » de l'association Les Amis de la Terre Belgique et également, en fin d’émission, la chronique d’Antanak sur le thème de la libération et mutualisation des pratiques. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’April c’est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 9 février 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour à tout le monde. Bon après-midi.

Frédéric Couchet : Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct à nos invités, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur le bouton « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Le libre fait sa comm' » d'Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l'April. Présentation du groupe de travail « InformÉthique » de l'association Les Amis de la Terre Belgique

Frédéric Couchet : Parler d’actions de type sensibilisation menés par l’April pou par d’autres structures, annoncer des évènements libristes à venir avec éventuellement des interviews de personnes qui organisent ces évènements c’est la chronique « Le libre fait sa comm' » d'Isabella Vanni, qui coordinatrice vie associative et responsable projets à l'April. Bonjour Isabella

Isabella Vanni : Bonjour.

Frédéric Couchet : Je te passe la parole pour ta chronique du jour.

Isabella Vanni : Merci. Aujourd'hui j'ai voulu échanger avec Rémi Letot du groupe « InformÉthique » de l'association Les Amis de la Terre Belgique. Rémi, bonjour.

Rémi Letot : Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Je te proposais de participer parce que votre groupe de travail InformÉthique a pour vocation de sensibiliser au logiciel libre et je souhaitais en savoir plus, ainsi que les personnes qui nous écoutent. Je te laisse présenter brièvement l'association Les Amis de la Terre Belgique.

Rémi Letot : Les Amis de la Terre Belgique c'est une association qui a pour but l'enseignement de l'écologie dans tous les aspects de la vie quotidienne. On parle au niveau privé mais pas seulement, on est aussi au niveau économique, social, politique ou même culturel. Ca fait parti d'un groupement international, il y a une association soeur en France qui s'appelle Les Amis de la Terre France. Au niveau organisation, en Belgique, il y a un siège central qui est à Namur (la ville où j'habite) et les membres de l'association sont organisés en groupes locaux qui sont disséminés partout sur le territoire et en groupes thématiques qui s'attaquent à des thèmes particuliers, comme le groupe InformÉthique dont je fais partie.

Isabella Vanni : Si j'ai bien compris, le groupe InformÉthique c'est quelque chose qui a été créé au niveau de l'administration centrale de l'association à Namur. C'est ça ?

Rémi Letot : Oui c'est ça tout à fait.

Isabella Vanni : Peux-tu m'en dire un peu plus ? Quand est-il né ? Pourquoi ? Quelles missions il se donne ?

Rémi Letot : Un des moyens d'atteindre le but de l'association c'est de promouvoir et de participer à la construction d'une économie soutenable, -----, équitable. Dans l'agriculture on a le bio, le local, en France vous avez les AMAP, en Belgique on les appelle autrement mais c'est le même principe, on a des producteurs locaux qui se transforment et qui se regroupent pour tenter de lutter contre les multinationales. Le parallèle avec le logiciel libre est presque parfait. Je dis souvent que le logiciel libre c'est le bio, le local de l'informatique, donc la promotion du logiciel libre rentre parfaitement dans les missions de l'association. Ici au siège à Namur effectivement ils utilisent le logiciel libre depuis longtemps - je pense même depuis le début, je ne suis pas certain - et ils se sont dit "Allons plus loin !". Comme c'est cohérent avec les missions de l'association, pourquoi ne pas promouvoir activement les solutions libres ? Il y a deux ans, je pense que c'était en Mars 2019, l'association a lancé un appel à volontaires pour créer un groupe de support et de diffusion des solutions et services libres.

Isabella Vanni : L'idée c'est de promouvoir le logiciel libre déjà au sein des adhérents de l'association et aussi auprès du grand public. C'est bien ça ?

Rémi Letot : Oui tout à fait, le but c'est les adhérents, le grand public, les associations, toute personne qui pourrait être intéressée par le logiciel libre, pas seulement les adhérents de l'association.

Isabella Vanni : Est-ce que tu es membre de l'association Amis de la Terre Belgique ?

Rémi Letot : Non

Isabella Vanni : Donc ça veut dire que d'autres personnes externes à l'association peuvent participer à ce groupe de travail ?

Rémi Letot : Oui tout à fait. Il ne faut pas être nécessairement membre. Dans le groupe de travail on a des libristes, des pas libristes, des débutants, des confirmés, -------- 6'30 Il n'y a pas vraiment de compétences particulières à avoir, juste la volonté d'apprendre, de vouloir faire avancer les choses, et évidemment un peu de temps et d'énergie.

Isabella Vanni : Quand tu dis il y a des libristes et il y a aussi des pas libristes ça sonnait un peu bizarre dans mes oreilles parce que si on défend la cause du logiciel libre, pour moi, on est déjà libriste. Peut-être que tu voulais dire qu'il y a des informaticiens et des informaticiennes, et d'autres qui ne sont pas particulièrement geek. C'est peut-être ça que tu voulais dire ?

Rémi Letot : Les gens qui rejoignent le groupe de travail sont nécessairement sensibilisés au logiciel libre, mais ne sont pas forcément experts en logiciel libre. Ils ne connaissent pas nécessairement les solutions qu'on va utiliser.

Isabella Vanni : C'est aussi une façon d'en apprendre plus finalement 07'17

Le département informatique de l'université Paris 8 de Saint-Denis avec Anna Pappa, maîtresse de conférences en informatique, chercheuse en traitement automatique des langues naturelles, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l'Université Paris 8 et Pablo Rauzy, maître de conférences en informatique, chercheur en sécurité informatique et privacy, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l'Université Paris 8

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le département informatique de l'université Paris 8, donc à Saint-Denis, dans le 9-3 comme on dit, dans le 93, avec Anna Pappa maîtresse de conférences en informatique, chercheuse en traitement automatique des langues naturelles, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l'université Paris 8. Bonjour Anna.

Anna Pappa : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Également avec moi en studio Pablo Rauzy, maître de conférences en informatique, chercheur en sécurité informatique et privacy, donc vie privée, coresponsable de la licence informatique & vidéoludisme à l'université Paris 8. Bonjour Pablo.

Pablo Rauzy : Hello.

Frédéric Couchet : N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission. Vous allez sur le site causecommune.fm, bouton « chat », et vous nous rejoignez sur le salon si vous avez des questions ou des remarques pour nos deux invités.
Avant de leur passer la parole pour une présentation individuelle, je vais d’abord faire une petite introduction parce que c’est un grand plaisir d’animer aujourd’hui cet échange qui est d’ailleurs la 93e émission de Libre à vous ! ; pour parler d’une université qui se situe dans le 93 c’est bien choisi. Pourquoi c’est un grand plaisir ?, parce que j’ai bien connu le département d’informatique de Paris 8 pour y avoir fait mes études dans les années 90, pour y avoir passé des nuits, à l’époque la fac était ouverture 24 heures sur 24, notamment pour les départements d’informatique et d’art, je ne sais pas si c’est encore le cas, mais on verra tout à l’heure. C’était un univers particulier, sans mot de passe administration sur la plupart des machines, sauf sur certains serveurs. J’ai notamment découvert le logiciel libre.
La philosophie de Paris 8 c’était qu’on était libres de faire ce qu’on voulait sur les machines, on était là pour apprendre par la pratique. On a installé du logiciel libre pour nos besoins. J’ai rencontré des gens qui ont changé le cours de ma vie, notamment des personnes qui m’ont expliqué qu’on pouvait avoir un impact sur la société à partir de l’informatique, grâce à l’informatique et notamment Marc Detienne qui était chargé de cours et passait souvent des nuits avec nous, puis, plus tard, Richard Stallman, l’initiateur du mouvement du logiciel libre, qui est venu faire une conférence à Paris 8.
Assez naturellement, à la fin de mes études en 1996, avec quatre camarades j’ai créé l’April, pour faire comprendre, mais surtout connaître le logiciel libre. Donc les liens entre Paris 8 et l’April existent toujours, l’UFR est membre de l’association et nous y organisons nos assemblées générales depuis quelques années. La prochaine est prévue le 20 mars 2021, malheureusement je pense que ce sera en distanciel vu les conditions.
C’était une introduction, donc c’est une émission un petit peu particulière, en plus j’ai connu Anna à l’époque de nos études communes à Paris 8.

Anna Pappa : Exact.

Frédéric Couchet : Première question, justement une présentation individuelle. On va commencer par Anna qui est au téléphone avec nous, donc Anna Pappa.

Anna Pappa : Merci de cette invitation Fred. Effectivement ça me fait penser aux quelques années en arrière, quand nous étions étudiants en informatique. Moi j’ai poursuivi, si on peut dire ça, une voie académique. J’ai effectué mes études supérieures avec une thèse. Après j’ai poursuivi avec le parcours commun, ??? qualification ??? [21 min] à Paris 8. Donc j’ai eu un poste de maître de conférences à Paris 8, là où j’ai fait mes études, j’en suis très fière. Depuis j’enseigne, j’ai été responsable de différentes formations et depuis cette année, avec Pablo Rauzy, nous sommes coresponsables, enfin je l’aide dans la responsabilité de la licence informatique.

Frédéric Couchet : Merci Anna. Justement, Pablo Rauzy, petite présentation.

Pablo Rauzy : C’est déjà ce que tu as dit Fred. Je suis maître de conférences à Paris 8 depuis 2016. Avant ça, comme Anna l’a dit, j’ai fait post ??? [21 min 40], thèse, etc. Je suis chercheur en sécurité informatique et pivacy. J’aime bien dire que ce que je fais c’est de la sécurité informatique émancipatrice qui est vraiment au service des gens et pas des organisations privées ou des États. À part ça, et surtout d’ailleurs, je suis enseignant et responsable de la licence informatique de Paris 8 qu’on essaye de maintenir, autant que possible, dans un esprit qui est un peu celui que tu as décrit dans l’introduction.

Frédéric Couchet : D’accord. On va y revenir en détail tout à l’heure. On va d’abord commencer par un historique de Paris 8, un court historique de Paris 8, parce que les gens ne connaissent pas forcément l’historique de Paris 8 et je pense que ça joue clairement sur la façon dont les enseignements sont faits à Paris 8. Moi qui ai fait mes études, comme Anna, dans les années 90 c’était sans doute encore plus vrai.
Donc le nom officiel Paris 8 c’est Vincennes à Saint-Denis. Pablo, est-ce que tu veux nous faire un petit rappel historique pour cette première partie, l’historique de la création de Paris 8 ?

Pablo Rauzy : Oui, tout à fait. D’autant plus que c’était une des raisons principales de ma volonté d’avoir un poste dans cette université que je ne connaissais pas avant d’avoir regardé un peu son histoire. Il y avait un poste qui était ouvert l’année où je candidatais.
Paris 8 est effectivement une université qui a été ouverte d’abord comme centre universitaire expérimental dans le bois de Vincennes à la suite des évènements de mai 68 en fait. En gros, pour la faire courte, l’université de Paris s’est scindée à ce moment-là suite aux évènements qui se sont passés et tous les gauchistes se sont rassemblés dans le bois de Vincennes pour ouvrir une nouvelle université avec des façons alternatives d’enseigner. Par exemple, il n’y avait plus besoin d’avoir un bac, il y a des cours du soir pour les ouvriers, pour faire de la formation continue. Il y avait un rapport beaucoup moins hiérarchique entre enseignants et étudiants et étudiantes, beaucoup de choses comme ça. Notamment du coup, ils ont ouvert les premiers départements d’art en France qui, auparavant, n’était pas enseigné à l’université puisque que c’était dans les conservatoires qui, comme leur nom l’indique, sont conservateurs et d’autres choses nouvelles comme de l’urbanisme et de l’informatique puisque, à l’époque, il commençait à y en avoir, évidemment, c’était en 1968. Il faut savoir que le premier département d’informatique dans le monde c’est à l’université de Cordoue [???] en 1962 et le premier département d’informatique universitaire en France c’est celui de Paris 8.

Frédéric Couchet : Celui de Paris 8 ? Ce n’est pas l’un des premiers, c’est vraiment le premier ?

Pablo Rauzy : C’est le premier. Il y avait déjà de l’informatique mais pas de département universitaire dédié à ça.

Frédéric Couchet : D’accord. Et Paris 8 arrive à Saint-Denis dans les années 80, c’est ça ?

Pablo Rauzy : C’est dix ans après. En fait, ce qui s’est passé, c’est que le bois de Vincennes est propriété de la mairie de Paris, à l’époque c’était Jacques Chirac qui était là-bas et tous ces gauchistes sur son territoire ça ne lui plaisait pas. Une phrase fameuse c’est, en gros : « On va les mettre à Saint-Denis, dans le 93, entre rue de la Liberté et l’avenue Lénine – ou je ne sais pas quoi –, ça leur fera les pieds ! »

Frédéric Couchet : Effectivement. De mémoire, je crois que c’est 1980 ou 1981.

Pablo Rauzy : C’est 1980. En fait, pour ne pas bouger l’université, il y a eu une grosse lutte par les étudiants, les usagers, les étudiantes et les enseignants-enseignantes de l’université, qu’ils ont perdue parce qu’ils se sont fait évacuer. Il y a plusieurs entreprises de démolition qui ont été convoquées par la mairie de Paris et, en une nuit, le campus a été entièrement détruit pour être sûrs qu’ils ne reviendraient pas occuper. Aujourd’hui c’est difficile, en étant sur place dans le bois de Vincennes, qu’il y avait une université là-bas.

Frédéric Couchet : Je n’ai pas du tout le nom en tête, mais on mettra les références sur le site de l’April et de Cause Commune, il y a un documentaire justement sur cette partie de Vincennes qui est passé récemment.

Pablo Rauzy : Vincennes l’université perdue ; très bien ce documentaire.

Frédéric Couchet : Vincennes l’université perdue, je crois que c’est Arte, en tout cas vous cherchez. On mettra le lien. Je l’ai vu récemment et c’est vraiment passionnant.
Ça c’était la partie effectivement Vincennes à Saint-Denis, comme tu le dis, ça a été envoyé dans le 9-3, donc le premier département d’informatique et aussi l’un des premiers départements d’art. D’ailleurs ce qui était marrant, au moment de nos études on voyait souvent les gens d’arts plastiques parce que, eux aussi, passaient des nuits là-bas.
Donc département informatique et Pablo explique que c’était le premier.

Anna Pappa : Ça aussi commencé aussi en même temps avec la création et, le nom qu’ils voulaient à l’époque c’était carrément intelligence artificielle. Les gens parlaient vraiment de faire de l’intelligence artificielle tout au début de la création, il n’y avait pas vraiment cette notion de département. Une des personnes que je connais comme fondateur, qui y était encore quand nous avons commencé nos études, au début en tout cas, c’était Yves Lecerf. Il fait partie des fondateurs de l’informatique à Paris 8, enfin à Vincennes, qui est devenue après Paris 8, évidemment, Vincennes Saint-Denis. C’est à ce moment-là que ça a attiré l’intérêt de différents informaticiens qui étaient peut-être attirés par cet esprit de savoir libre, d’interdisciplinarité, le fait que la linguistique tenait une position très importante à l’époque dans les savoirs à l’université Paris 8. Ils faisaient en sorte de mélanger les disciplines et les savoirs ; cette notion était très en vogue et ils voulaient la garder. L’informatique, en fait, était ouverte à tous. Tout le monde pouvait venir, quiconque ayant envie de jouer avec une machine pouvait se mettre à coder, pouvait se mettre derrière une machine. En tout cas, c’est cet esprit-là qui a animé les débuts de l’informatique à Paris 8.

Frédéric Couchet : C’est important ce que tu précises, notamment cette multidisciplinarité. Quand j’ai fait mes études, comme toi, à l’époque ça s’appelait un DEUG, un diplôme universitaire d’études générales, DEUG MASS, donc mathématiques appliquées aux sciences sociales, mais en fait, à Paris 8 on avait, en gros, une majeure informatique, une dominante informatique et, à côté, on devait choisir entre maths, ce qui peut paraître logique et j’aurai tout à l’heure une question sur le lien avec les maths, mais ce qui peut paraître moins logique pour nous, étudiants qui débarquions, c’était qu’on pouvait aussi choisir soit linguistique soit littérature. En fait il y avait des étudiants qui faisaient effectivement informatique et linguistique, d’autres informatique et littérature, d’autres informatique et maths. Ça c’est vraiment très intéressant et c’est un peu l’historique, forcément, de Vincennes. À l’époque il y avait encore des enseignants qui venaient de Vincennes. C’était une fac un peu particulière et c’est vrai. D’ailleurs Marc Detienne disait : « Les gens qui survivent à Paris 8 sont forcément des bons parce que c’est une fac tellement particulière ! ». Je pense qu’on y reviendra tout à l’heure.

Anna Pappa : Les conditions n’étaient pas toujours faciles j’imagine. On peut dire aussi qu’à ce moment-là c’était quand même le début d’un centre universitaire expérimental. Ils voulaient des gens assoiffés de savoir sans se préoccuper s’ils avaient, par exemple, un baccalauréat ou pas. Tout le monde était sur un même pied d’égalité, que ça soit un enseignant que ça soit quelqu’un qui travaille dans l’administration, que ça soit un étudiant, tout le monde était pareil, tout le monde était dans l’égalité. Cette notion d’égalité, le fait qu’on pouvait très bien aller suivre des cours de littérature, d’informatique, de psychanalyse parce qu’il y a quand même des disciplines qui ont été créées à Paris 8, qui n’existaient pas ailleurs, c’est ce qui faisait cette particularité. Les gens qui n’avaient pas le bac mais qui avaient envie d’apprendre pouvaient aller suivre des cours.
Le fait qu’il y avait toujours cette notion de « on ne fait pas de cours magistraux », les gens voulaient faire des petits groupes, la question de cette proximité. Il y a des philosophes très connus qui enseignaient là-bas, qui enseignaient à Paris 8, comme Deleuze, toujours dans des petites salles. Tout le monde se précipitait, il y a des photos qui le montrent avec tous les micros devant lui. C’est parce que, effectivement, il y avait cette notion de petits groupes, on faisait des travaux dirigés sur un pied d’égalité, on ne faisait pas de cours magistraux et on était tous autour des tables, on est tous égaux. Voilà.

Frédéric Couchet : On va justement détailler ces spécificités, mais ce que j’avais noté c’était pas de cours en amphi, une approche allant de la pratique à la théorie plutôt que l’inverse, proximité des enseignantes et enseignants avec les étudiants et étudiantes. Et aussi, bien sûr, le logiciel libre, on y reviendra. Sur le salon web il y a une question, je ne sais pas si vous saurez répondre, Sarah demande s’il y a des liens avec les lycées expérimentaux, les lycées XP. Est-ce que l’un de vous deux serait capable de rejoindre ? Pablo.

Pablo Rauzy : Déjà je ne suis pas sûr de ce que sont les lycées expérimentaux et ça répond à la question : non, il n’y a pas de liens spécifiques avec ces lycées-là, même si c’est vrai que ça pourrait être intéressant pour recruter des profils un peu atypiques, et tout ça, qui pourraient nous intéresser. Je pense par exemple au lycée autogéré de Paris, je pense effectivement que ça pourrait nous amuser d’avoir des liens, même peut-être d’accueillir, si on a les moyens – en ce moment non de toute façon – des classes de lycée pour une demi-journée, par exemple pour qu’ils voient un peu comment c’est la fac, tout ça.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Juste préciser aussi, tout à l’heure quand Anna disait qu’on n’avait pas forcément besoin du bac pour accéder à Paris 8, on n’avait pas non plus forcément besoin de papiers.

Anna Pappa : À l’époque.

Frédéric Couchet : À l’époque, je parle bien de l’époque, on reviendra sur les évolutions. À l’époque, effectivement, tout le monde était le bienvenu, papiers, sans papiers, baccalauréat, pas de baccalauréat.

Anna Pappa : Exactement, les étrangers, tout le monde.

Frédéric Couchet : C’est ce qui faisait la richesse incroyable de cette université et ce qui fait d’ailleurs la richesse de la ville de Saint-Denis, ce cosmopolitisme. Je précise que j’habite toujours à Saint-Denis.

Pablo Rauzy : Tout à fait. Moi aussi et je viens de Marseille à la base.

Frédéric Couchet : Toi aussi. Ah oui, moi je viens du 9-2. Tu vois ! Ceci dit, là on a fait une petite introduction un peu plus longue que prévu, mais ce n’est pas grave parce que c’est très important, sur les liens entre Vincennes et Saint-Denis et le démarrage du département informatique.
Le problème, je m’excuse pour les gens qui sont en régie, j’ai de la buée sur mes lunettes je ne vois pas forcément tout. Je viens de voir une question.

Pablo Rauzy : Les masques !

Frédéric Couchet : Il y a une question d’Étienne qui demande quel est le lien entre l’apprentissage de l’informatique et l’émancipation et il poursuit « dans quelle mesure ça a changé depuis 1968 ? ». Pablo.

Pablo Rauzy : Hou là ! Le lien entre l’apprentissage de l’informatique et l’émancipation ? C’est quelque chose que tu as dit à un moment donné dans ton introduction, il y a un fort lien entre maîtriser cette technologie qui est partout aujourd’hui, même si c’est un peu bateau de dire ça, et faire les codes de ce qui nous entoure, faire les codes avec un jeu de mots justement du coup de programmer et qu’est-ce que sont les règles, qu’est-ce que c’est la loi ? Ce que j’explique souvent aux étudiants c’est imaginer que la loi vous autorise, par exemple, à suivre, je ne sais pas, mettons dix cours, mais que le logiciel qu’utilise l’université ne permet d’en rentrer que huit. À votre avis qu’est-ce qui s’applique ? Je crois que c’est Cory Doctorow qui disait Code is Law ou c’est Lawrence Lessig ?

Frédéric Couchet : Non, c’est Lawrence Lessig.

Pablo Rauzy : Je confonds les deux. C’est Lawrence Lessig qui disait Code is Law, c’est quelque chose qui est très vrai. En fait il y a un double aspect émancipateur d’apprendre comment ces choses-là qui, finalement, nous contrôlent fonctionnent et le revers de ça c’est, du coup, la responsabilité qu’on a quand c’est nous qui devenons les gens qui développons ces choses-là.

Frédéric Couchet : D’accord.

Pablo Rauzy : Le lien avec la société c’est quelque chose qui nous tient à cœur, c’est quelque chose qu’on veut vraiment transmettre à nos étudiants et étudiantes dans la formation. On est par exemple, je pense, une des seules, voire la seule formation en informatique où il y a un cours d’histoire de l’informatique qui est obligatoire et qui est l’occasion de parler énormément de politique, de social, d’écologie et, justement, de contextualiser politiquement, socialement, ce rôle d’informaticien, d’informaticienne et de la technologie qui, malheureusement, est beaucoup plus asservissante qu’émancipatrice aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Tout à fait. À mon époque, on avait des cours de maths vraiment maths-maths et il y avait des cours d’histoire des mathématiques.

Pablo Rauzy : Il y a toujours .

Frédéric Couchet : Il y a toujours ? C’est très bien !

Pablo Rauzy : Le département de mathématiques de Paris 8 est toujours beaucoup focalisé sur l’histoire des mathématiques.

Frédéric Couchet : D’accord.
On va parler un petit peu des spécificités de cette formation, on va commencer par la première, en tout cas celle que j’ai choisie en premier parce que c’est celle qui m’a le plus impressionné à l’époque, c’est que dès la première année, on fait de l’informatique, on travaille sur des machines, on voit un peu de théorie mais, en fait, c’est d’abord la pratique. Comme je le disais tout à l’heure en introduction, lors de la séance d’accueil que j’avais eue, les enseignants qui étaient là expliquaient : « Il n’y a pas de mot de passe administration sur la plupart des machines parce que vous êtes là pour apprendre, donc vous faites ce que vous voulez, éventuellement avec des risques, mais vous êtes là pour apprendre ». Cet aspect pratique fondamental est important. Qui veut commencer sur ce sujet-là ? Anna.

Anna Pappa : Si vous voulez. Je peux rappeler un peu le moment, si tu veux Fred, où effectivement à notre époque en tout cas, je ne sais pas si tu te souviens, c’était quand même des étudiants qui géraient le bocal, le fameux bocal, la salle sans fenêtre où on se retrouvait tous avec des machines, bref !, on passait des nuits à coder et effectivement cette histoire de ne pas avoir de mot de passe administrateur, ça a permis à beaucoup parmi nous de participer à la gestion du bocal, n’est-ce pas ? Tu te souviens de comment c’était à l’époque. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On a des ??? [36 min] avec des mots de passe, mais ça reste quand même l’esprit bocal, le fait, pour les étudiants, de pouvoir se retrouver dans une salle, de travailler ensemble ou même donner des cours qui dépassent le périmètre des étudiants de ce cours, où il y en a d’autres qui travaillent à côté sur des machines et qui peuvent suivre un peu, etc., et ça reste toujours d’actualité.

Frédéric Couchet : D’accord. En pratique, comment ça se passe aujourd’hui Pablo ?

Pablo Rauzy : Effectivement, c’est quelque chose qu’on ne peut plus faire parce que l’environnement est beaucoup plus hostile. J’ai une comparaison très foireuse qui me vient, mais, effectivement, on pouvait imaginer dans les années 60, de ne pas avoir besoin de préservatifs ; aujourd’hui ce n’est plus possible. Eh bien j’ai envie de dire que c’est un peu pareil pour l’informatique et le réseau : ne plus avoir de mots de passe sur les machines, de mot de passe administrateur sur les machines, aujourd’hui ce serait le Far West et les machines ne dureraient que deux jours, pas à cause des étudiants mais à cause du réseau évidemment.
Pour revenir à ce que tu disais, effectivement aujourd’hui c’est une formation très pratique, c’est assez unique dans le paysage. Il faut savoir que dans la plupart des licences il y a une espèce de portail scientifique commun en première année et ce n’est qu’à partir de la deuxième année qu’on se spécialise vraiment en informatique. À Paris 8 on a fait le choix de garder cet aspect spécifique, de dire que dès la première année on peut faire à 100 % de l’informatique si on a envie. On a toujours un système de majeure-mineure, comme tu le décrivais, avec une majeure informatique et une mineure qui peut être prise en mathématiques, comme tu le disais, et on a des accords avec les départements d’art. On a une étudiante qui fait une mineure en philosophie, et aussi cinéma, musicologie.

Frédéric Couchet : Ce principe existe toujours.

Pablo Rauzy : Ce principe existe toujours et la mineure qu’on propose en interne, par défaut, c’est une mineure qui s’appelle « conception et programmation de jeux vidéos » parce que le jeu vidéo est un objet d’étude qui permet justement de mettre les mains dans le cambouis et de toucher à un peu tout, c’est-à-dire du graphisme, de la programmation réseau, de l’intelligence artificielle, ça touche à beaucoup de sujets de l’informatique.

Frédéric Couchet : L’objectif ce n’est pas que les gens deviennent développeurs ou développeuses de jeux vidéos, sauf s’ils ont envie, mais qu’ils découvrent l’ensemble des choses possibles à faire en informatique.

Pablo Rauzy : C’est ça, toujours une formation avec les mains dans le cambouis, c’est-à-dire les mains sur le clavier, beaucoup de programmation et tout ça. Il y a toujours cet aspect-là : les étudiants et étudiantes sont beaucoup sur les ordinateurs et font beaucoup de projets, apprennent par la pratique et on arrive à la théorie comme ça. Ce n’est pas trop la méthode française classique où, d’habitude, on présente la théorie puis on fait des exercices d’application. Nous, on va plutôt essayer de présenter la pratique et amener par la pratique à se poser les questions qui nous amènent à justifier de parler de la théorie. Évidement c’est compliqué à faire tout le temps, exactement comme ça, mais en tout cas c’est la philosophie de la formation.

Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que le bocal est toujours ouvert 24 heures sur 24 ou ce n’est plus le cas non plus ?

Pablo Rauzy : De toute façon ce n’est plus le cas, mais même avant en fait il y a les histoires de Vigipirate et des trucs comme ça qui font que c’est compliqué, mais c’est arrivé à certaines périodes. Je ne suis pas à Paris 8 depuis longtemps, seulement depuis 2016, je ne connaissais pas la fac avant, mais c’est arrivé que le bocal soit ouvert et que des étudiants restent bosser la nuit dedans encore, mais ce n’est plus même chose.

Frédéric Couchet : Oui, et le contexte n’est plus le même. À l’époque on avait peu d’ordinateurs à la maison, dans les années 90 en ce qui me concerte. Aujourd’hui les gens ont un ordinateur chez eux, donc le contexte…

Pablo Rauzy : Alors « les gens ont un ordinateur chez eux », encore une fois ça dépend qui !

Frédéric Couchet : Oui, ça dépend qui. On va justement y revenir tout à l’heure sur la partie étudiants et étudiantes.

Pablo Rauzy : On est dans le 93.

Frédéric Couchet : On reste quand même dans le 93.
Donc une formation vraiment très pratique. Sur quels types de langages ou sur quels types de projets travaillent les étudiants, notamment en première année quand ils arrivent ? Anna.

Anna Pappa : En première année on fait beaucoup par l’exemple. On commence, en fait, à mettre la main sur différents langages de programmation, on fait un petit tour. On commence déjà à leur montrer un peu l’environnement. Souvent ils ne connaissent pas. Ils viennent avec des machines et, on va dire, ils ne sont pas très à l’aise avec Linux, tout ça. On leur montre un tout petit peu l’environnement, comment on fait du script, à la rigueur on commence avec le shell. On donne un peu des explications sur les différents types de langages, on insiste pas mal. Actuellement je pense qu’on fait plus de Python, on suit aussi un peu les évolutions, on fait du C, on fait toujours du Racket, on évolue, la liste a évolué. En tout cas on garde toujours un peu dans l’esprit de montrer les différents aspects d’approche pour résoudre un problème.
Moi je continue à donner des cours en Prolog. C’est toujours dans cet esprit-là. On montre souvent des petits jeux parce que c’est quand même plus attrayant pour les étudiants de première année, chacun avec son domaine. Par exemple je fais peut-être plus d’exemples sur la logique, Pablo va faire plus de jeux avec la sécurité, les autres vont faire des jeux qui impliquent les images. Voilà. Chacun essaye de mettre ce qui l’intéresse un peu dans les petits projets. Et puis c’est toujours avec le plus de temps possible derrière la machine, on est derrière eux, en tout cas quand les temps le permettent parce que, actuellement, c’est vrai qu’on travaille tous à distance. En tout cas on est derrière les étudiants, on débloque tout de suite dès qu’ils ont le moindre problème. On fait nous-mêmes les cours, que ça soit des TP, des TD, parce qu’on n’a pas cette notion de cours magistraux, on travaille toujours avec des petits groupes, mais on est toujours derrière les étudiants pour les aider à se développer [42 min], puis à s’épanouir en codant parce que c’est pour ça qu’ils viennent à Paris 8, parce qu’ils adorent ça, ils aiment justement créer des choses et on est là pour les aider à aller vers ce dont rêvent, là où ils aimeraient aller.

Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale. Juste après la pause musicale on parlera justement des motivations et aussi des compétences nécessaires avant chez les étudiants. Je parlerai donc des questions que pose Marie-Odile sur le salon web, mais après la pause musicale.
On va poursuivre notre découverte de cet artiste qui s’appelle Sapajou. On va écouter Lion par Sapajou. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Lion par Sapajou.

Voix off :

Deuxième partie

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Lion par Sapajou