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En fait on est dans une situation où on a un coût qui est public
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En fait on est dans une situation où on a un coût qui est public et des bénéfices qui sont privés. Parce qu’on est exactement dans la situation dont je vous parlais tout à l’heure où on a une appropriation privée d’un travail commun, collectif et public, c’est-à-dire-dire que la recherche c’est financé sur argent public, en France très majoritairement mais même aux États-Unis où les universités sont pour beaucoup privées, en fait elles sont vachement financées par les États, pas l’État fédéral mais les États.
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La situation c’est quoi ? Donc on a de l’argent d’un public qui finance la recherche, les résultats qui sont privatisés et ensuite ils ont rachetés par de l’argent public. Parce qu’évidemment, pour faire de la recherche, on a besoin d’avoir les papiers des autres chercheurs. Du coup on a des labos publics qui financent de la recherche ; des maisons d’édition qui privatisent ces résultats et qui les revendent aux labos publics. D’accord ? Et c’est comme ça que ça se passe pour de vrai.
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Pour vous donner un ordre d’idée de à quel point c’est choquant…
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Un autre truc que j’ai oublié de vous dire c’est qu’il y a de la recherche dans le privé, ça existe, mais en fait, si on regarde par exemple les mécanismes genre en France qu’on a pour financer de genre de choses-là, il y a le crédit impôt recherche, je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler. En gros déjà, le crédit impôt recherche c’est majoritairement accaparé par des grosses boîtes du CAC 40 qui ne font pas du tout de la recherche avec, qui ont juste des bons avocats qui leur permettent de récupérer ça. Et quand c’est dans des PME, en fait il faut savoir que c’est conditionné souvent, alors pas que mais c’est souvent le bon critère pour l’avoir, c’est que quelqu’un soit docteur dans l’entreprise, donc quelqu’un qui a fait une thèse, qui a passé son doctorat, et en fait le crédit impôt recherche va quasiment rembourser le salaire de cette personne-là à l’entreprise. Ça veut dire que même quand c’est de la recherche qui vient de l’industrie en fait c’est très majoritairement financé par de l’argent public. C’était juste pour préciser ça.
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Quelques chiffres que j’ai pu récupérer au fur et à mesure de ma carrière académique.
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À l’ENS [École nationale supérieure], par exemple en 2011, j’avais réussi à récupérer les chiffres ; depuis les chiffres sont un peu plus compliqués à récupérer parce qu’il y a un consortium qui achète pour tout le monde et donc c’est plus compliqué à récupérer. Il y a un autre truc aussi c’est qu’évidemment les contrats avec les maisons d’édition sont secrets. Donc il y a des clauses dans ces contrats qui interdisent aux bibliothécaires de révéler les montants. Mais bon ! J’avais réussi à me procurer quelques documents en étant dans des conseils administration ou des choses comme. Pour l’année 2011, les dépenses documentaires de l’ENS c’est environ 1 million d’euros. L’ENS c’est tout petit en termes de taille et en plus ils ont plein de labos qui sont ce qu’on appelle des UMR, des unités mixtes de recherche, où ils profitent en fait des abonnements aussi pris par les autres universités, par exemple Jussieu, etc., Paris 6. Paris 6, par exemple un million d’euros c’est juste pour Elsevier, donc le plus gros éditeur. Ils ont d’autres abonnements à côté.
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Le CNRS en 2013 c’était plus de 30 millions d’euros, c’était 36, mais les autres années c’est environ 30 ; la première année où je l’ai vu c’était 36 ; donc c’est environ 30 millions d’euros par an de dépenses documentaires au CNRS. D’accord ?
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Je ne sais pas si vous imaginez le nombre de bourses de thèses qu’on pourrait financer avec cet argent-là chaque année, le nombre d’infrastructures qu’on pourrait payer, le nombre de choses qu’on pourrait faire avec cet argent-là et qui, en fait, est juste de l’argent public qui est donné à du privé pour un service rendu qui est très minime. Je vais vous parler un peu plus de ça après, et puis d’autres exemples pour vous montrer comment ça évolue dans le temps.
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À Télécom ParisTech, là où j’ai fait ma thèse, entre 2009 et 2014, comme c’était trop cher, la bibliothèque universitaire ne pouvait plus payer tous les abonnements, eh bien ils ont divisé plus que par deux la quantité d’abonnements papier qu’ils ont récupérés. Et en échange, pour que les gens puisent continuer aux choses, ils se sont abonnés électroniquement donc en accès par Internet, mais ils n’ont pas tout repris ; ils ont fait plus un tiers, à peu près, d’abonnements électroniques ; c’était trop cher de tout reprendre en version électronique.
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Eh bien pendant ce temps-là, on a moins d’abonnements, eh bien sur cette période-là le coût de l’abonnement Reed Elsevier a monté de 21 % celui de Springer de 32 et l’IEEE [<em>Institute of Electrical and Electronics Engineers</em>] carrément de 61 %, l’abonnement. Comment ils justifient ça ? Officieusement c’est « nos actionnaires en veulent plus et il faut maintenir leurs profits » et officiellement c’est « eh bien oui mais vous avez publié plus de papiers au niveau mondial, on a plus de choses dans notre offre donc il faut payer plus cher ». Ce n’est jamais rentabilisé assez des choses qu’ils n’ont pas produites eux.
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En face de ça il y a la ruine des bibliothèques universitaires d’un côté et, en écho à ça évidemment, eh bien vous voyez par exemple Reed Elsevier, les chiffres d’affaires en milliards de dollars au niveau mondial. Ça c’est le chiffre d’affaires, donc c’est tout l’argent qui rentre ; ça ce sont les bénéfices. Évidemment quand on vend des choses qu’on ne produit pas eh bien les bénéfices sont assez colossaux. Et vous avez des magazines, il y avait un magazine américain qui s’appelle <em>The Economist</em> ou un truc comme ça, pas un truc de gauchistes vous avez compris, qui disait en gros que en fait les meilleurs placements c’est dans les éditeurs scientifiques qu’on peut les faire parce qu’ils ont des taux et on ne peut avoir ces taux-là que dans genre les business illégaux type drogue, etc. de retour sur rentabilité parce qu’en fait ils décident combien leurs clients doivent payer ; ils n’ont pas à acheter la matière première, c’est le client qui l’a fournie et ensuite le client est obligé de payer ça parce qu’il ne peut pas s’en passer. Et on a un truc où c’est de l’argent public, mais il n’y a pas de marché public puisque, avec la propriété intellectuelle, les articles ne sont que chez un éditeur. Donc si on veut accéder à cet article on est obligé de prendre l’abonnement de cet éditeur. Et si on veut accéder à un article d’un autre éditeur, il faut aussi prendre l’abonnement de l’autre éditeur. On ne peut pas dire on va prendre le moins cher. Donc il n’y a pas d’appel d’offres, etc., comme ça peut se faire pour certains autres trucs.
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Le rôle des maisons d’édition c’est quoi ? Historiquement il y avait :
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<li>la mise en page des articles mais ça c’est de moins en moins vrai aujourd’hui avec des outils comme LaTeX ou même LibreOffice ou la suite Office de Microsoft, il y a des choses qui sont assez puissantes pour que les éditeurs nous fournissent juste un modèle de fichier, un <em>template</em>, et on n’a plus qu’à remplir et tout se passe bien ;</li>
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<li>distribuer le plus largement possible les articles : ça c’était un vrai travail comme la mise en page des articles, surtout à l’époque où il n’y avait pas Internet. Ça veut dire que votre article il fallait l’imprimer et l’amener dans toutes les BU du monde, donc dans toutes les bibliothèques universitaires du monde ; ça, ça avait un vrai coût. D’accord ! Et c’est comme ça que l’inertie date de cette espèce de schmilblick, s’est mis en route. C’était pour ce service-là ;</li>
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<li>gagner de l’argent. Ce sont des entreprises privées, c’est toujours ça ;</li>
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<li>et puis faire connaître les chercheurs puisque ce sont eux qui diffusent leurs résultats, il y a ce rôle-là, on va voir que c’est assez problématique.</li>
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</ul>
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La mise en page des articles, je vous ai dit aujourd’hui les chercheurs font ce travail eux-mêmes.
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Distribuer le plus largement possible : aujourd’hui avec Internet c’est assez trivial. Héberger un PDF ça ne coûte pas beaucoup d’argent. OK !
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Gagner de l’argent, bon eh bien ça vous avez vu ça se passe assez bien c’est bon, on ne va pas trop en parler.
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Et puis faire connaître les chercheurs, alors là il y a un petit souci dont je voudrais aussi vous parler. Pour ça, en fait, il faudrait un petit peu peut-être faire un petit détour historique, mais je ne sais pas si j’ai le temps.
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En gros, on va dire que dans la recherche comme ailleurs, on a une espèce de tendance à faire rentrer du néolibéralisme dedans, c’est-à-dire du management par les chiffres. Donc on va avoir des petites chefs qui doivent pouvoir mesurer est-ce que ce chercheur ou cette équipe est efficace ou pas ? Déjà qu’évaluer de la recherche c’est très compliqué ; ce n’est pas pour rien que la revue par les pairs est un processus long, etc. Donc ces gens-là veulent des indicateurs. Tout à l’heure on parlait du ???, eh bien c’est un peu le même délire, cette espèce de « vouloir avoir des chiffres sur tout » ; alors ce n’est pas toujours possible. Donc typiquement ils ont inventé, enfin ils ont réutilisé des trucs de bibliométrie.
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À la base la bibliométrie ça a été inventé justement parce que ça commençait à coûter trop cher les abonnements, ce sont les bibliothécaires qui ont dit : « On va essayer de mesurer quelles sont les revues auxquelles il faut qu’on s’abonne parce que, effectivement nos chercheurs les lisent. » Comment ils ont fait ça ? Ils se sont dit genre bon ! il y a des revues qu’ils lisent beaucoup, on voit que c’est beaucoup accédé, ils nous les demandent beaucoup, mais finalement peut-être que ça ne leur sert à rien ; à chaque fois ils sont déçus. Donc ils ont dit, les bibliothécaires, on va essayer de trouver une autre mesure et en fait, finalement, ils ont pris le nombre de fois où un papier est cité dans d’autres articles. Ça veut dire que ce papier a effectivement été utilisé, est utile, peut-être en négatif mais au moins il est utile pour un autre article. En fait il y avait une mesure comme ça qui existait toute faite et du coup les néo-managers se sont dit on peut réutiliser ça ; c’est super ! Maintenant ils évaluent les gens et donc, dès qu’il y a une bureaucratie comme ça qui se met en place, on a un système qui est complètement dénaturé et maintenant ce qu’il faut c’est avoir beaucoup de publications, pas des publications de qualité, il faut avoir beaucoup de publications. C’est ça qui va compter plus qu’autre chose.
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Du coup les équipes, les labos, les chercheurs et les chercheuses, sont jugés sur, grosso modo, quelque chose qui correspond à leur nombre de publications, ce qui encourage à saucissonner les articles, c’est-à-dire prendre un résultat et dire on va couper : ce sous-résultat on va le publier là, ce sous-résultat on va le publier là, etc., ce qui, évidemment, n’est pas du tout scientifiquement valable, mais en plus donne plein de dérives. J’en parlerai un petit peu après des dérives.
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Évidemment cette bibliométrie, du coup, ça fait aussi qu’on regarde où est-ce qu’on a publié parce qu’il y a des revues qui sont plus prestigieuses que d’autres ; elles sont plus anciennes, il y a plus de résultats, elles ont été beaucoup citées, du coup elles sont beaucoup achetées, du coup beaucoup lues. D’accord ! Du coup c’est plus la classe d’avoir publié là-dedans que ailleurs. Le problème c’est comme ce sont les maisons d’édition qui détiennent les revues, et pas les chercheurs, eh bien on se retrouve dans une situation où ça arrange les maisons d’édition d’avoir cette bibliométrie et de détenir des revues qui sont très « classe » et où les gens veulent publier puisque du coup ça va être plus acheté.
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Donc ce qui se passe c’est que ce sont les maisons d’édition qui font en sorte qu’on pousse à fond la bibliométrie donc l’évaluation des chercheurs, l’évaluation quantitative des chercheurs. Par exemple on a des outils qui sont vendus par les maisons d’édition, donc ??? et des choses comme ça, qui sont en fait des outils de marketing pour elles mais qui servent aux agences de moyens, aux agences de notation, etc., à évaluer les chercheurs et qui sont en fait, au final, détournés pour être des outils qui ne sont que utiles au marketing des maisons d’édition.
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Et en fait, ce qui se passe quand on fait ça,

Version du 16 juillet 2018 à 07:51


Titre : Les communs, la recherche et le libre accès

Intervenant : Pablo Rauzy

Lieu : Choisy-le-Roi - Pas Sage En Seine 2018

Date : juillet 2018

Durée : 1 h 05 min 42

Écouter ou télécharger le podcast

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Bonjour à tous et à toutes. Je me présente ; je suis Pablo. Il y en a qui m’ont déjà vu il y a deux jours, donc c’est re moi. Je suis toujours maître de conférences à Paris 8 et cette fois-ci je ne viens pas du tout vous parler de ma recherche, je viens vous parler d’un truc sur lequel je milite, qui est en rapport avec la recherche mais pas avec ma recherche.

Je viens vous parler de libre accès à la recherche et je vais vous expliquer un petit peu ce que c’est, quel est le but, comment on peut le faire et pourquoi il y a cette problématique qui se pose. Mais je vais commencer pour la suite à vous parler de communs.

Les communs qu’est-ce que c’est ? Un commun c’est un faisceau de trois choses :

  • c’est une ressource partagée ; cette ressource peut être matérielle ou immatérielle. Je reviendrai après là-dessus ;
  • c’est un mode d’accès, les règles de partage de cette ressource
  • et c’est une gouvernance de la ressource. Le rôle de la gouvernance, et c’est important qu’elle existe sinon on n’appelle pas ça un commun, c’est d’assurer la pérennité de la ressource et son existence dans le temps.

Un exemple de commun, matériel cette fois-ci, ça va être un verger dans un village. Là la ressource ce sont des pommes. OK ! Le mode d’accès ça pourrait être les gens vont se servir quand ils veulent des pommes, mais il y a des règles de partage c’est-à-dire qu’on ne peut pas venir et prendre toutes les pommes, on doit se limiter à, je ne sais pas, une pomme par jour par personne par exemple, histoire que tout le monde puisse en profiter et qu’il n’y ait pas des gens qui se disent OK, ça ne sert à rien, il y a juste telle personne du village qui récupère tout, qui fait de la compote et qui la vend au marché ; ça ne sert à rien… Je refuse de payer des charges communales, par exemple, pour arroser le verger ou pour payer le salaire de quelqu’un qui s’en occuperait.

Donc les règles de partage ça pourrait être aussi quelque chose de différent. Ça pourrait être aussi que, par exemple, tout le monde s’en occupe un petit peu. Quelque chose qui va vraiment marcher en commun, qui va être autogéré, etc.

Il y a plein de types de communs différents, mais ce sont ces trois choses-là qui font que c’est un commun.

La gouvernance ça pourrait être une association ; ça existe par exemple avec des potagers urbains ou des jardins partagés, des choses comme ça ; ou ça pourrait être le conseil municipal du village qui décide et puis, à ce moment-là, la gestion du commun, les grosses décisions se prendraient pendant les élections par exemple, pourquoi pas. En tout cas le but de la gouvernance c’est d’empêcher l’épuisement du commun ; par exemple qu’il n’y ait pas quelqu’un pendant l’hiver qui vienne et qui coupe les pommiers pour se chauffer chez lui.

Ça c’est un exemple de commun matériel.

Un exemple de commun immatériel, en fait il y a en un que vous connaissez tous, Wikipédia. Là la ressource c’est quoi ? C’est du savoir encyclopédique. On y accède par copie. C’est immatériel donc on peut récupérer des données et c’est comme si on prenait une pomme mais qu’elle était encore dans l’arbre. C’est ça qui est assez cool avec les choses immatérielles. Le principe d’accès à Wikipédia c’est qu’on y accède en copiant la page, c’est-à-dire que quand vous accédez avec votre navigateur en fait votre navigateur télécharge une copie des données et les affiche par Internet. Les règles, eh bien il y a une licence Creative Commons sur Wikipédia qui dit que vous pouvez faire plus ou moins ce que vous voulez avec le texte du moment que vous citez que ça vient de Wikipédia, en gros, et que vous le partagez sous cette même licence. Et la gouvernance eh bien là elle a des formes multiples. C’est ce que je vous disais tout à l’heure que la gouvernance peut être complexe. Sur Wikipédia, d’une part on a la Fondation Wikimedia ; vous avez déjà dû voir passer des appels au don avec la tête de Jimbo [Jimbo Wales] qui prend un tiers de l’écran en haut de Wikipédia. La fondation Wikimedia assure la pérennité des serveurs et de la bande passante derrière. C’est pour ça qu’ils font des appels au don régulièrement. Mais ce n’est pas la seule gestion, ce n’est pas la seule gouvernance qu’il y a sur Wikipédia. Chaque encyclopédie, les encyclopédies dans Wikipédia ce sont les langues, a son monde de fonctionnement propre. Donc il y a des petites langues où il va y avoir un ou deux admins qui vont avoir un peu des super pouvoirs et puis il y a des langues où ce sont des grosses encyclopédies où il y a des modérateurs, des opérateurs, différents types d’utilisateurs qui vont permettre de régler les conflits, par exemple, ou qui vont surveiller. Il y a des langues aussi ou certains portails, par exemple tel domaine scientifique, eh bien il y a quelques personnes qui s’y connaissent assez bien et qui surveillent régulièrement les mises à jour de ces pages-là pour vérifier qu’il n’y a pas une bêtise qui a été mise. Ensuite, de manière beaucoup plus décentralisée, chaque page Wikipédia a une page de discussion qui permet de prendre des décisions collectivement sur qu’est-ce qui doit aller ou non dans cette page, pour que ça reste de qualité. Et donc là c’est une gouvernance encore plus décentralisée sur des petits morceaux du commun.

Il y a un truc avec les communs que des gens, je vais vous expliquer pourquoi, ont appelé la « tragédie des communs » c’est que s’il y a un tricheur, il est gagnant. Si on reprend l’exemple du verger, je vous avais dit si quelqu’un vient et récupère toutes les pommes et après fait de la compote et la vend au marché, par exemple, ou vient couper le bois, eh bien le commun est asséché et il y a quelqu’un qui a gagné beaucoup. Ça veut dire que si on applique une stratégie très individualiste ce qui va se passer c’est que le commun va mourir. Ce n’est pas un truc qui est pérenne, c’est une espèce d’équilibre comme ça.

Les gens qui ont fait ça, qui ont appelé ça « tragédie des communs » ce sont des économistes plutôt libéraux, donc qui ont une espèce de modélisation de l’économie où chaque acteur agit comme une espèce de robot qui maximise son intérêt personnel au détriment de tout le reste. Évidemment ce sont des modèles qui ne tiennent absolument pas la route dans le monde réel, qui nous amènent dans le mur régulièrement. Et donc ce n’est pas du tout une tragédie. Il y a plein de communs qui continuent très bien de fonctionner parce que, en vérité, les gens ne pensent pas qu’à leur gueule. Du coup quand il y a un commun et qu’ils aiment ce truc-là en fait ils font en sorte que ça continue d’exister et ils préfèrent avoir des pommes pendant des années et des années plutôt que gagner plein de sous d’un coup maintenant tout de suite. Et ça ce sont des choses que leurs modèles économiques ne prennent pas en compte c’est pour ça qu’ils ont appelé ça « tragédie des communs » comme si c’était un truc inévitable. En fait ce n’est pas du tout inévitable, il y a plein de communs qui perdurent pendant des années et des années ; par exemple Wikipédia.

Un truc qu’on peut se dire c’est est-ce que cette « tragédie des communs » peut arriver sur les communs immatériels où il n’y a pas quelqu’un qui peut venir et tout prendre ? Parce qu’à chaque fois qu’il prend tout, en fait juste il utilise de la bande passante. Sur Wikipédia, par exemple, les articles restent là même si je les prends plein de fois. En fait oui ça peut. Je vais vous donner un exemple et puis j’en prendrai d’autres peut-être après, je pense qu’il y a le temps.

Je vais vous montrer dans un univers alternatif où on a un autre Wikip€dia – vous voyez j’ai appelé ça Wikip€dia avec un € euro – où ça marche à peu près pareil c’est-à-dire que tout le monde peut rédiger des articles et de temps en temps on doit tous un peu en corriger ; ça fait partie : le truc c’est que quand on lit quelque chose et qu’on voit des erreurs eh bien on doit un peu aussi participer à corriger ; ça fait partie du contrat qu’on a. Mais pour lire un article il faut payer. Donc là on doit payer 30 euros, par exemple, pour lire un article sachant qu’avant on n’a que le titre et peut-être le premier paragraphe qu’il y a avant le sommaire donc une espèce de résumé de l’article. Et basé sur ça, déjà on doit payer si on veut le voir.

Le problème c’est qu’évidemment, quand on lit un article Wikip€dia il y a toujours des liens vers plein d’autres articles qui sont utiles pour comprendre le contenu de l’article qu’on est en train de lire. Du coup il faut lire plein d’articles. Ce ne sont pas des gens qui veulent vous arnaquer trop non plus, donc il y a la possibilité de prendre des abonnements et vous gagnez plein de sous en prenant des abonnements vu que vous payez beaucoup moins que si vous payez 30 euros par article. Par exemple des abonnements personnels au niveau des institutions où vous avez, pour 5 000 euros par un an, un accès en illimité à Wikip€dia. Si vous faites la division, vous pouvez regarder plein d’articles par jour et ça vous revient beaucoup moins cher.

C’est quelque chose qui vous semble complètement absurde mais en vérité c’est possible de mettre en place un système comme ça dans notre société actuelle. D’une part c’est mis en place dans la recherche, je vous le montrerai tout à l’heure, et d’autre part faire une encyclopédie qui fonctionnerait sur ce modèle, c’est autorisé. Pourquoi c’est autorisé ? Parce qu’on a un truc qui s’appelle la propriété intellectuelle qui existe et qu’on n’a pas encore aboli la propriété lucrative, donc y compris pas la propriété intellectuelle lucrative. Ça, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on peut s’approprier quelque chose qui a été créé en commun et en faire quelque chose qui va être profitable. Pourquoi ça devient profitable ? Parce qu’on crée artificiellement de la rareté. En fait on a un commun immatériel, on a une ressource immatérielle où c’est comme si on avait un pommier où quand on prend une pomme elle est encore dans l’arbre pour que quelqu’un puisse la prendre et là, artificiellement, par des jeux de licence, de droits de propriété privée lucrative, on va dire que non, finalement, on va artificiellement détruire la pomme quand quelqu’un la prend pour qu’il y en ait un nombre limité et qu’on puisse faire du commerce avec.

Ça vous semble complètement stupide et vous dites pourquoi quelqu’un voudrait faire ça ? Parce qu’il y a des gens qui pensent effectivement comme ces économistes libéraux. Et en fait c’est comme ça que ça se passe dans la recherche.

Comme je suppose que vous n’est pas tous et toutes complètement familiers-familières avec comment fonctionne la recherche, je vais vous expliquer très rapidement comment ça se passe.

C’est très schématique et des gens qui sont dans un domaine précis ne vont pas forcément y retrouver exactement ça, mais j’essaye de faire quelque chose qui marche pour un peu tout le monde, donc autant les sciences humaines que les sciences qu’on dit dures souvent, mais je préfère dire inhumaines et asociales puisque les autres sont des sciences humaines et sociales ; c’est ce que je fais, des sciences inhumaines et asociales, je fais de l’informatique.

Donc comment ça marche la recherche ?

  • D’abord on cherche une question. C’est déjà une première étape, c’est que la question n’est pas toujours là dès le début. C’est-à-dire qu’il y a des problèmes qui sont là, mais il faut déjà bien formuler la question et c’est une bonne partie du boulot.
  • Une fois qu’on a une question, on a compris quelle était la bonne prochaine petite étape à faire dans notre domaine, sur lequel on fait de la recherche, eh bien on cherche une réponse. Ça peut être plein de choses différences : ça peut être écrire du logiciel, faire des expériences, faire des stats, rédiger, traduire quelque chose, enfin bon ! Ça peut être plein de choses différentes.
  • Et puis, à un moment donné, on a des résultats. Alors ces résultats ce n’est pas forcement ceux qu’on attendait, mais il y a un moment donné où on a quelque chose qu’on a envie de communiquer avec la communauté parce qu’on pense que ça fait un peu avancer le schmilblick.
  • Donc ce qu’on fait, la communication scientifique aujourd’hui, elle est principalement par le biais de journaux ou de conférences. Mais je vais parler juste de journaux ou de revues dans le reste de la présentation, mais sachez que ça peut aussi être des workshops, des conférences, enfin ça peut être plein de choses différentes, mais la communication, la forme de communication est plus ou moins tout le temps la même : on rédige un article ; il y a des normes de rédaction d’article selon les journaux, les conférences, etc.
  • Et puis, une fois qu’on a rédigé l’article qui présente les résultats, eh bien on soumet cet article donc à une revue.
  • Cette revue ce n’est pas un truc qui n’existe pas, comme ça, qui est dans les terres, c’est un ensemble d’autres personnes, d’autres chercheurs et chercheuses qui se sont mis ensemble, qui ont formé un comité éditorial, qui vont réceptionner votre article, qui vont le relire ou le faire relire à des experts de votre domaine, qu’on appelle vos pairs, et qui vont juger de la qualité de l’article au sens de est-ce que c’est effectivement nouveau ? Est-ce que ce n’est pas quelque chose que la personne ou les personnes qui ont rédigé l’article ont raté, qui existait déjà par ailleurs ? Est-ce que c’est rigoureux ? Est-ce qu’il n’y a pas d’erreurs manifestes dedans, etc. ? Et est-ce que, aussi, ça correspond bien au sujet de la revue ou de la conférence ? À ce moment-là on va accepter l’article si on n’a pas atteint la limite et que les autres ne sont pas meilleurs que lui. Meilleur dans un sens absolument pas objectif évidemment, parce que c’est très difficile de juger de choses qui n’ont rien à voir les une avec les autres et que c’est souvent ça.
  • À ce moment-là, une fois que l’évaluation par les pairs est faite, cette évaluation par les pairs elle peut faire des allers-retours aussi avec les auteurs. Il peut y avoir des « on va vous accepter, mais il faut d’abord faire ces corrections-là » ou « on voudrait cette expérience en plus pour confirmer ce résultat », etc., avant d’être acceptée et ensuite on a la « publication » de l’article. Publication je l’ai mis entre guillemets parce que vous allez voir que ce n’est pas si simple que ça. Le truc c’est qu’en fait, souvent, la publication de l’article ça consiste à dire il y a une grosse maison d’édition qui possède la revue et elle va dire « OK je diffuse ton article et je le mets dans ma revue mais en échange tu me cèdes tes droits d’auteur ». OK ? Donc on a les chercheurs qui ont fait le travail, ils cèdent leurs droits d’auteur à la revue et la revue, du coup, va pouvoir distribuer c’est-à-dire vendre cet article-là. C’est là où on va se retrouver avec une page web où il y aura le titre et l’abstract, donc le résumé de l’article, et il faudra, pour accéder à un PDF de, je ne sais, pas six ou dix pages, payer 30 euros, 40 euros, 60 euros. Voilà ! Donc ça c’est ce qui se passe. C’est pour ça que j’appelle ça « publication » parce que publication ça veut dire rendre public mais là on voit que c’est un peu plus compliqué que rendre public ; ce n’est pas tout à fait public !

12’ 50

En fait on est dans une situation où on a un coût qui est public et des bénéfices qui sont privés. Parce qu’on est exactement dans la situation dont je vous parlais tout à l’heure où on a une appropriation privée d’un travail commun, collectif et public, c’est-à-dire-dire que la recherche c’est financé sur argent public, en France très majoritairement mais même aux États-Unis où les universités sont pour beaucoup privées, en fait elles sont vachement financées par les États, pas l’État fédéral mais les États.

La situation c’est quoi ? Donc on a de l’argent d’un public qui finance la recherche, les résultats qui sont privatisés et ensuite ils ont rachetés par de l’argent public. Parce qu’évidemment, pour faire de la recherche, on a besoin d’avoir les papiers des autres chercheurs. Du coup on a des labos publics qui financent de la recherche ; des maisons d’édition qui privatisent ces résultats et qui les revendent aux labos publics. D’accord ? Et c’est comme ça que ça se passe pour de vrai.

Pour vous donner un ordre d’idée de à quel point c’est choquant…

Un autre truc que j’ai oublié de vous dire c’est qu’il y a de la recherche dans le privé, ça existe, mais en fait, si on regarde par exemple les mécanismes genre en France qu’on a pour financer de genre de choses-là, il y a le crédit impôt recherche, je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler. En gros déjà, le crédit impôt recherche c’est majoritairement accaparé par des grosses boîtes du CAC 40 qui ne font pas du tout de la recherche avec, qui ont juste des bons avocats qui leur permettent de récupérer ça. Et quand c’est dans des PME, en fait il faut savoir que c’est conditionné souvent, alors pas que mais c’est souvent le bon critère pour l’avoir, c’est que quelqu’un soit docteur dans l’entreprise, donc quelqu’un qui a fait une thèse, qui a passé son doctorat, et en fait le crédit impôt recherche va quasiment rembourser le salaire de cette personne-là à l’entreprise. Ça veut dire que même quand c’est de la recherche qui vient de l’industrie en fait c’est très majoritairement financé par de l’argent public. C’était juste pour préciser ça.

Quelques chiffres que j’ai pu récupérer au fur et à mesure de ma carrière académique.

À l’ENS [École nationale supérieure], par exemple en 2011, j’avais réussi à récupérer les chiffres ; depuis les chiffres sont un peu plus compliqués à récupérer parce qu’il y a un consortium qui achète pour tout le monde et donc c’est plus compliqué à récupérer. Il y a un autre truc aussi c’est qu’évidemment les contrats avec les maisons d’édition sont secrets. Donc il y a des clauses dans ces contrats qui interdisent aux bibliothécaires de révéler les montants. Mais bon ! J’avais réussi à me procurer quelques documents en étant dans des conseils administration ou des choses comme. Pour l’année 2011, les dépenses documentaires de l’ENS c’est environ 1 million d’euros. L’ENS c’est tout petit en termes de taille et en plus ils ont plein de labos qui sont ce qu’on appelle des UMR, des unités mixtes de recherche, où ils profitent en fait des abonnements aussi pris par les autres universités, par exemple Jussieu, etc., Paris 6. Paris 6, par exemple un million d’euros c’est juste pour Elsevier, donc le plus gros éditeur. Ils ont d’autres abonnements à côté. Le CNRS en 2013 c’était plus de 30 millions d’euros, c’était 36, mais les autres années c’est environ 30 ; la première année où je l’ai vu c’était 36 ; donc c’est environ 30 millions d’euros par an de dépenses documentaires au CNRS. D’accord ?

Je ne sais pas si vous imaginez le nombre de bourses de thèses qu’on pourrait financer avec cet argent-là chaque année, le nombre d’infrastructures qu’on pourrait payer, le nombre de choses qu’on pourrait faire avec cet argent-là et qui, en fait, est juste de l’argent public qui est donné à du privé pour un service rendu qui est très minime. Je vais vous parler un peu plus de ça après, et puis d’autres exemples pour vous montrer comment ça évolue dans le temps.

À Télécom ParisTech, là où j’ai fait ma thèse, entre 2009 et 2014, comme c’était trop cher, la bibliothèque universitaire ne pouvait plus payer tous les abonnements, eh bien ils ont divisé plus que par deux la quantité d’abonnements papier qu’ils ont récupérés. Et en échange, pour que les gens puisent continuer aux choses, ils se sont abonnés électroniquement donc en accès par Internet, mais ils n’ont pas tout repris ; ils ont fait plus un tiers, à peu près, d’abonnements électroniques ; c’était trop cher de tout reprendre en version électronique.

Eh bien pendant ce temps-là, on a moins d’abonnements, eh bien sur cette période-là le coût de l’abonnement Reed Elsevier a monté de 21 % celui de Springer de 32 et l’IEEE [Institute of Electrical and Electronics Engineers] carrément de 61 %, l’abonnement. Comment ils justifient ça ? Officieusement c’est « nos actionnaires en veulent plus et il faut maintenir leurs profits » et officiellement c’est « eh bien oui mais vous avez publié plus de papiers au niveau mondial, on a plus de choses dans notre offre donc il faut payer plus cher ». Ce n’est jamais rentabilisé assez des choses qu’ils n’ont pas produites eux.

En face de ça il y a la ruine des bibliothèques universitaires d’un côté et, en écho à ça évidemment, eh bien vous voyez par exemple Reed Elsevier, les chiffres d’affaires en milliards de dollars au niveau mondial. Ça c’est le chiffre d’affaires, donc c’est tout l’argent qui rentre ; ça ce sont les bénéfices. Évidemment quand on vend des choses qu’on ne produit pas eh bien les bénéfices sont assez colossaux. Et vous avez des magazines, il y avait un magazine américain qui s’appelle The Economist ou un truc comme ça, pas un truc de gauchistes vous avez compris, qui disait en gros que en fait les meilleurs placements c’est dans les éditeurs scientifiques qu’on peut les faire parce qu’ils ont des taux et on ne peut avoir ces taux-là que dans genre les business illégaux type drogue, etc. de retour sur rentabilité parce qu’en fait ils décident combien leurs clients doivent payer ; ils n’ont pas à acheter la matière première, c’est le client qui l’a fournie et ensuite le client est obligé de payer ça parce qu’il ne peut pas s’en passer. Et on a un truc où c’est de l’argent public, mais il n’y a pas de marché public puisque, avec la propriété intellectuelle, les articles ne sont que chez un éditeur. Donc si on veut accéder à cet article on est obligé de prendre l’abonnement de cet éditeur. Et si on veut accéder à un article d’un autre éditeur, il faut aussi prendre l’abonnement de l’autre éditeur. On ne peut pas dire on va prendre le moins cher. Donc il n’y a pas d’appel d’offres, etc., comme ça peut se faire pour certains autres trucs.

Le rôle des maisons d’édition c’est quoi ? Historiquement il y avait :

  • la mise en page des articles mais ça c’est de moins en moins vrai aujourd’hui avec des outils comme LaTeX ou même LibreOffice ou la suite Office de Microsoft, il y a des choses qui sont assez puissantes pour que les éditeurs nous fournissent juste un modèle de fichier, un template, et on n’a plus qu’à remplir et tout se passe bien ;
  • distribuer le plus largement possible les articles : ça c’était un vrai travail comme la mise en page des articles, surtout à l’époque où il n’y avait pas Internet. Ça veut dire que votre article il fallait l’imprimer et l’amener dans toutes les BU du monde, donc dans toutes les bibliothèques universitaires du monde ; ça, ça avait un vrai coût. D’accord ! Et c’est comme ça que l’inertie date de cette espèce de schmilblick, s’est mis en route. C’était pour ce service-là ;
  • gagner de l’argent. Ce sont des entreprises privées, c’est toujours ça ;
  • et puis faire connaître les chercheurs puisque ce sont eux qui diffusent leurs résultats, il y a ce rôle-là, on va voir que c’est assez problématique.

La mise en page des articles, je vous ai dit aujourd’hui les chercheurs font ce travail eux-mêmes.

Distribuer le plus largement possible : aujourd’hui avec Internet c’est assez trivial. Héberger un PDF ça ne coûte pas beaucoup d’argent. OK !

Gagner de l’argent, bon eh bien ça vous avez vu ça se passe assez bien c’est bon, on ne va pas trop en parler.

Et puis faire connaître les chercheurs, alors là il y a un petit souci dont je voudrais aussi vous parler. Pour ça, en fait, il faudrait un petit peu peut-être faire un petit détour historique, mais je ne sais pas si j’ai le temps.

En gros, on va dire que dans la recherche comme ailleurs, on a une espèce de tendance à faire rentrer du néolibéralisme dedans, c’est-à-dire du management par les chiffres. Donc on va avoir des petites chefs qui doivent pouvoir mesurer est-ce que ce chercheur ou cette équipe est efficace ou pas ? Déjà qu’évaluer de la recherche c’est très compliqué ; ce n’est pas pour rien que la revue par les pairs est un processus long, etc. Donc ces gens-là veulent des indicateurs. Tout à l’heure on parlait du ???, eh bien c’est un peu le même délire, cette espèce de « vouloir avoir des chiffres sur tout » ; alors ce n’est pas toujours possible. Donc typiquement ils ont inventé, enfin ils ont réutilisé des trucs de bibliométrie.

À la base la bibliométrie ça a été inventé justement parce que ça commençait à coûter trop cher les abonnements, ce sont les bibliothécaires qui ont dit : « On va essayer de mesurer quelles sont les revues auxquelles il faut qu’on s’abonne parce que, effectivement nos chercheurs les lisent. » Comment ils ont fait ça ? Ils se sont dit genre bon ! il y a des revues qu’ils lisent beaucoup, on voit que c’est beaucoup accédé, ils nous les demandent beaucoup, mais finalement peut-être que ça ne leur sert à rien ; à chaque fois ils sont déçus. Donc ils ont dit, les bibliothécaires, on va essayer de trouver une autre mesure et en fait, finalement, ils ont pris le nombre de fois où un papier est cité dans d’autres articles. Ça veut dire que ce papier a effectivement été utilisé, est utile, peut-être en négatif mais au moins il est utile pour un autre article. En fait il y avait une mesure comme ça qui existait toute faite et du coup les néo-managers se sont dit on peut réutiliser ça ; c’est super ! Maintenant ils évaluent les gens et donc, dès qu’il y a une bureaucratie comme ça qui se met en place, on a un système qui est complètement dénaturé et maintenant ce qu’il faut c’est avoir beaucoup de publications, pas des publications de qualité, il faut avoir beaucoup de publications. C’est ça qui va compter plus qu’autre chose.

Du coup les équipes, les labos, les chercheurs et les chercheuses, sont jugés sur, grosso modo, quelque chose qui correspond à leur nombre de publications, ce qui encourage à saucissonner les articles, c’est-à-dire prendre un résultat et dire on va couper : ce sous-résultat on va le publier là, ce sous-résultat on va le publier là, etc., ce qui, évidemment, n’est pas du tout scientifiquement valable, mais en plus donne plein de dérives. J’en parlerai un petit peu après des dérives.

Évidemment cette bibliométrie, du coup, ça fait aussi qu’on regarde où est-ce qu’on a publié parce qu’il y a des revues qui sont plus prestigieuses que d’autres ; elles sont plus anciennes, il y a plus de résultats, elles ont été beaucoup citées, du coup elles sont beaucoup achetées, du coup beaucoup lues. D’accord ! Du coup c’est plus la classe d’avoir publié là-dedans que ailleurs. Le problème c’est comme ce sont les maisons d’édition qui détiennent les revues, et pas les chercheurs, eh bien on se retrouve dans une situation où ça arrange les maisons d’édition d’avoir cette bibliométrie et de détenir des revues qui sont très « classe » et où les gens veulent publier puisque du coup ça va être plus acheté.

Donc ce qui se passe c’est que ce sont les maisons d’édition qui font en sorte qu’on pousse à fond la bibliométrie donc l’évaluation des chercheurs, l’évaluation quantitative des chercheurs. Par exemple on a des outils qui sont vendus par les maisons d’édition, donc ??? et des choses comme ça, qui sont en fait des outils de marketing pour elles mais qui servent aux agences de moyens, aux agences de notation, etc., à évaluer les chercheurs et qui sont en fait, au final, détournés pour être des outils qui ne sont que utiles au marketing des maisons d’édition.

23’ 20

Et en fait, ce qui se passe quand on fait ça,