Différences entre les versions de « Le numérique peut-il être écologique et responsable - De cause à effets »

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Version du 11 janvier 2021 à 14:56


Titre : Le numérique peut-il être écologique et responsable ?

Intervenant·e·s : Sophie Comte - Frédéric Bordage - Vincent Courboulay - Aurélie Luneau

Lieu : De cause à effets, le magazine de l'environnement - France Culture

Date : janvier 2021

Durée : 54 min - La partie « L'Œil du Monde » n'est pas transcrite

Écouter ou télécharger le podcast

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Aujourd'hui dénoncé comme un problème environnemental, il pourrait aussi devenir une solution.

Transcription

Voix off : De cause à effets, le magazine de l’environnement.

Diverses voix off : C’est mon « suit partout ».
— Pratique.
— Ouais, indispensable.
— La preuve, ce que je fais quand je lève, je checke mes réseaux sociaux, Instagram, Snap, Facebook, les actualités, les pages, le nombre de « likes », les messages que j’ai pu recevoir.
— Le téléphone si on me l’enlève, je n’ai plus de vie parce que je fais tout avec.
— Je serais en manque de quelque chose. C’est vraiment une addiction pour moi.
— On est perdu.

Aurélie Luneau : Accro à son téléphone portable, aux applis, aux ordinateurs, aux réseaux sociaux, mais les outils numériques peuvent-ils être plus écologique et plus vertueux ?
Décrié pour son rôle dans le réchauffement climatique, le numérique serait responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre et pourrait afficher un taux de 8 % d'ici 2025. Or, force est de constater qu'il remplit aussi un rôle indispensable, comme il le fut montré durant les confinements face à la pandémie de Covid-19.
Quels sont les impacts, les bienfaits et les méfaits de cette technologie ? Un numérique vert, raisonné et sobre, est-il en passe de voir le jour ? En quoi les législateurs et les citoyens pourraient bien faire évoluer le marché ? Comment repenser notre dépendance aux technologies digitales ?
En partenariat avec Chut !, le magazine à l'écoute du numérique, nous nous penchons, ce soir, sur ces questions qui interrogent aussi le devenir de nos sociétés.
Nous sommes en direct avec nos trois invités. Frédéric Bordage bonsoir.

Frédéric Bordage : Bonsoir.

Aurélie Luneau : Vous êtes fondateur du Collectif Green IT et auteur du livre Sobriété numérique, un livre paru chez Buchet-Chastel.
Avec nous également Vincent Courboulay. Bonsoir.

Vincent Courboulay : Bonsoir.

Aurélie Luneau : Vous êtes ingénieur et maître de conférences en informatique à La Rochelle Université et auteur du livre Vers un numérique responsable, un livre qui paraît ce mois-ci chez Actes Sud.
Avec nous Sophie Comte. Bonsoir.

Sophie Comte  : Bonsoir.

Aurélie Luneau : Vous êtes co-fondatrice de Chut !, le magazine à l'écoute du numérique, dont le dernier numéro traite de ce sujet phare.
Et dans « L’œil du Monde-Planète », c’est la journaliste du quotidien Le Monde Perrine Mouterde qui ouvrira cette année 2021 sur la biodiversité et qui sera à l’honneur, cette biodiversité, tout au long de l’année. Perrine Mouterde nous parlera du travail d’inventaire des espèces, une tâche colossale, un univers insoupçonné.
Bonne année à toutes et à tous et bienvenue dans le magazine de l’environnement de France Culture toujours préparé par Anahi Morales, avec nos complices Anne Gouzon, Valérie Ernould, Caroline Chaussé, Vanessa Chang. L’émission est réalisée par Alexandra Malka de retour pour notre plus grand plaisir avec à ses côtés, pour notre plaisir également, à la technique ???.

[Extrait d’un reportage France 2]

Journaliste : Même à la plage on reste accro à nos écrans, à nos jeux, nos mails et surtout nos séries préférées.

Diverses voix off : — Ouais. Je suis un bon consommateur de vidéos.
— Je ne pense pas que ce serait possible de venir sans téléphone, en fait.
— Si je n’ai pas mon téléphone, je ne suis pas bien.

Journaliste : Toutes ces vidéos semblent bien inoffensives, mais elles pèsent de plus en plus lourd sur nos réseaux. Internet aujourd’hui c’est 20 % de mails et de fichiers et 80 % de flux vidéos. L’an dernier, les vidéos en ligne ont généré autant de C02 qu’un pays comme l’Espagne. Voici celui qui s’est livré à tous ces calculs. Maxime Efoui-Hess est un jeune ingénieur déjà expérimenté sur la question du numérique et du climat.

Maxime Efoui-Hess : Personne ne pense, en cliquant sur « Play » sur Netflix, au centre de données qui est appelé derrière et aux infrastructures réseau qui sont en train de tourner pour nous amener les données. Si on n’y pense pas, on ne se rend pas compte de la quantité d’énergie et d’électricité que ça va demander derrière.

Journaliste : Regarder une vidéo de trois gigaoctets nécessite autant d’énergie que 1000 ampoules basse consommation allumées pendant une heure.

Maxime Efoui-Hess : Il faut réfléchir à la quantité de vidéos qu’on regarde, réfléchir à la résolution des vidéos, donc essayer d’utiliser la plus petite résolution. Ne pas écouter de musique sur YouTube.

Journaliste : Les gouvernements devront sans doute aussi en passer par des lois pour réguler les réseaux et ménager notre climat.

[Fin de l’extrait]

Aurélie Luneau : C’était un reportage diffusé sur France 2 le 14 août 2019.
Accrocs, dépendants, nous le sommes sûrement devenus et, sans les moyens numériques, il faut bien reconnaître que nous aurions difficilement fait face au confinement en cette période de pandémie, mais le secteur reste décrié pour son rôle dans le réchauffement climatique.
Frédéric Bordage, le numérique est-il un problème ou une solution avec, je le rappelle, 4 % des émissions de gaz à effet de serre et on estime que ce sera 8 % d’ici 2025.

Frédéric Bordage : Notre étude estime que ça sera plutôt 6 %, ce qui est déjà énorme, concrètement, puisqu’on part de 2 % en 2010, on arrive à 4 % en 2020 et on arrive à 6 % en 2025. Ce qui est déjà monstrueux, en fait. Il faut se rendre compte que c’est plus que le trafic aérien.
Donc oui le numérique c’est une solution, c’est un formidable outil, mais c’est aussi une source importante d’impacts environnementaux qui, malheureusement, ne se limitent pas aux émissions aux gaz à effet de serre. On les listera après, mais il y a beaucoup d’impacts environnementaux autres que le simple réchauffement global.

Aurélie Luneau : Donc vous, Frédéric Bordage, vous travaillez depuis plus de 15 ans, 16 ans je crois, avec votre Collectif Green IT, on peut peut-être en parler.

Frédéric Bordage : Tout à fait, ça fait 16 ans, en 2004, qu’on a fondé un collectif d’experts et de citoyens qui structurent cette démarche en France. On a forgé des expressions et des démarches comme « sobriété numérique » ou « numérique responsable ». L’objet derrière c’est de nous aider au quotidien à réduire nos impacts environnementaux en ayant un usage plus raisonné du numérique, plus raisonnable, à la fois en tant qu’utilisateurs, mais aussi pour toutes les entreprises qui conçoivent le numérique que l’on consomme.

Aurélie Luneau : Ce soir nous allons bénéficier justement de ces années d’étude et de votre expertise pour mieux comprendre, effectivement, à la fois le problème et le côté solutions du numérique.
Sophie Comte, je me tourne vers vous. Je rappelle que vous êtes cofondatrice de Chut !, le magazine à l’écoute du numérique et que dernier numéro paru, toujours accessible actuellement en kiosque ou en librairie, traite juste de cette question du numérique écologique. Est-ce que, finalement, c’était peut-être devenu une nécessité ?

Sophie Comte : Tout à fait. Oui. Chut ! est un jeune média qui existe depuis maintenant un an, on vient de fêter nos un an avec ce numéro quatre. Notre idée, avec Chut !, en fait, c’est d’explorer l’impact du numérique et des technologies dans nos vies. Comme on l’a bien vu, comme vous l’avez dit tout à l’heure, on utilise de plus en plus les technologies ; on a tous, ou presque, des smartphones de plus en plus performants ; il y a la 5G qui arrive. Les usages vont grandissants et même la tech est devenue un peu une mode, quand il y a un iPhone qui sort. Ce sont des produits qui sont devenus, en fait, extrêmement désirables, donc cette question des usages.
On s’est posé la question : quel est l’impact que ça peut avoir sur l’environnement ?
Effectivement, les chiffres sont plutôt inquiétants comme vous l’avez dit aussi. Apparemment, d’après une étude de The Shift Project, il semblerait qu’en 2025 on serait plutôt à 8 %, 6 ou 8 % en tout cas, c’est plutôt inquiétant quand actuellement on est à 4 %. Ça voudrait dire que cette pollution aurait doublé en quelques années. On a eu vraiment à cœur de comprendre quelle est cette pollution, en quoi elle consiste. C’est vrai qu’on en a parlé ces dernières années dans les médias, on a vu des articles émerger, des reportages effectivement sur la pollution liée aux datacenters, liée aux vidéos qu’on peut regarder. En quoi elle consiste exactement c’était un peu notre enquête et puis aussi comprendre quelles solutions existent déjà, parce qu’il en existe, pour créer, pour concevoir un numérique plus vertueux, plus vert, plus responsable.

Aurélie Luneau : Nous allons justement les détailler.
Vincent Courboulay, vous, vous parlez d’un Janus des temps modernes pour désigner ce numérique. Allons-y. Quelles sont les pollutions et les impacts directs et indirects du secteur sur la planète et son environnement ? Il y a différentes phases, on peut peut-être démarrer par la phase de fabrication.

Vincent Courboulay : On va commencer par finalement la pire, celle qui concentre à elle seule trois quarts des impacts. C’est une phase lointaine puisqu’elle se passe dans des pays émergents ou dans des pays éloignés de la zone européenne. Ce sont des pays où on va extraire les métaux, les terres rares. Depuis un an il y a eu beaucoup de reportages sur la notion de terres rares, moi j’appelle ça « les vitamines du numérique », c’est-à-dire des produits dont il ne faut pas beaucoup de quantité pour, finalement, doper les capacités techniques à la fois des batteries, à la fois des terminaux, des écrans.
Donc très loin de chez nous, en Chine, en Mongolie, en République démocratique du Congo, en Amérique du Sud. On va extraire de façon très peu encadrée l’ensemble de ces minéraux, de ces matériaux, dans des mines à ciel ouvert, dans des conditions dramatiques et c’est là où on va commencer à toucher du doigt le fait qu’il n’y a pas que des problématiques environnementales, mais il y a aussi des problématiques sociales inhérentes au numérique. C’est là où c’est difficile de compartimenter, de ne parler que des impacts environnementaux ou des impacts sociaux. Bref ! C’est vraiment très protéiforme comme impacts.
Donc on commence par l’extraction de ces minéraux qui est très polluante et la fabrication des composants du numérique qui s’appuie aussi sur des usines et des procédés particulièrement polluants.

Aurélie Luneau : Et aussi particulièrement voraces en eau, d’ailleurs. On ne le sait pas forcément mais finalement cette fabrication représente 80 % des impacts négatifs et ces matériaux nécessitent de l’eau à profusion pour les traiter et tout cela génère aussi, par effet supplémentaire, une contamination des sols et de fleuves.

Vincent Courboulay : Bien sûr. Les forêts primaires sont rasées pour permettre d’extraire encore plus des minéraux précieux. L’utilisation de l’eau dans ce qu’on appelle le triangle ABC – Argentine, Bolivie, Chili – pour extraire un matériau, le lithium, qui est très utilisé dans nos batteries et qui est excessivement utilisée dans des zones qui sont déjà en tension, dans ce qu’on appelle un stress hydrique, en tension d’eau. C’est un détournement de l’utilisation de l’eau potable pour extraire ces matériaux-là. Donc oui, destruction de la biodiversité, effondrement de la biodiversité, destruction des biotopes, utilisation massive de stress hydrique, destruction de la planète, rejet de particules et de terres radioactives. Bref ! C’est vraiment la totale ! C’est vraiment une industrie qui coche toutes les cases et dans des endroits qui sont assez lointains.
J’ai du sang ariégeois et, en Ariège, il y a depuis des années un projet de réouverture de mines de tungstène. Il y a vraiment une levée de boucliers pour des conditions très draconiennes de surveillance de cette mine. On voit que l’ouverture d’une mine en France est bloquée par des décisions administratives et environnementales, acte !, alors qu’à l’autre bout du monde pour assurer la production et l’utilisation de ces outils merveilleux qui nous permettent à tous, ce soir, de partager ce sujet-là…

Aurélie Luneau : On ferme les yeux.

Vincent Courboulay : On ferme les yeux, exactement. Donc c’est assez problématique, c’est même particulièrement problématique. Il y a aussi les usines et les constructions qui sont la deuxième étape. La deuxième lame de ce rasoir on va dire multi-lames.

Aurélie Luneau : Frédéric Bordage, la phase de fabrication, les matériaux, les métaux rares. Il faut aussi préciser, profitons-en, qu’on utilise aussi ces métaux rares pour les éoliennes et les panneaux photovoltaïques. Finalement, on espère aussi beaucoup dans ces questions énergétiques et les énergies renouvelables, mais toujours avec cette question des métaux rares.

12’ 42

Frédéric Bordage : Les terres rares