Différences entre les versions de « Le numérique à l'école, entre technophobie et technophilie, une question de forme scolaire. »

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<b>Nathalie : </b>Le numérique à l'école, en voilà un sujet qui fait toujours parler. Si vous voulez faire discuter des gens, des enseignants, lancez le sujet, ça marche à tous les coups. Entre technophilie, technophobie, notre monde, donc forcément le monde éducatif, est bousculé dans ses pratiques. Du coup, je suis très heureuse de recevoir Louis Derrac pour parler de la chose numérique.<br/>
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Louis, dis-nous qui tu es.
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<b>Louis Derrac : </b>Bonjour Nathalie. Merci beaucoup de me recevoir ici.<br/>
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Je suis un acteur de l'éducation au numérique, c’est comme ça je me définis. Par un hasard des choses, je me suis retrouvé dans ce monde-là, on pourra y revenir. Ça fait presque 12 ans, maintenant, que je travaille sur cette question, en ayant d'abord commencé plus précisément par le sujet de l'éducation aux médias et à l'information. Ensuite, j'ai ouvert le sujet en passant à cette question de culture numérique, l'acculturation numérique, que j'ouvre maintenant à la question de l'éducation au numérique. Je suis indépendant depuis cinq ans et j'accompagne divers acteurs et actrices de cet immense sujet.
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==Définition des termes==
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<b>Nathalie : </b>Super. Tu parles, sauf erreur de ma part, de la chose numérique. Pourquoi utilises-tu ce terme ?
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<b>Louis Derrac : </b>Je ne sais plus trop quand ça m'est venu et je ne sais pas s'il faut le ramener à quelqu'un d'autre qu'il faudrait créditer pour cet usage, mais certainement, puisque, comme on dit, on n'est jamais le premier à avoir pensé à quelque chose.<br/>
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Un des problèmes qu'on a quand on parle du numérique c'est qu'on est face à un terme qui, sémantiquement, ne veut rien dire. Il est intéressant de rappeler, de dire que c'était d'abord un adjectif quelconque puisqu'il qualifiait simplement ce qui relève des nombres, ce qui se représente en nombres. On a donc utilisé cet adjectif avant l'informatique. On parlait d'une supériorité numérique quand une armée avait plus de bonshommes d'un côté que de l'autre, on parlait de calcul numérique parce qu’on faisait des calculs avec des nombres. Cet adjectif est ensuite devenu technique quand l'informatique a commencé à représenter l'information sous forme de nombres.<br/>
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Pour finir cette petite présentation, parce que c'est vrai que c'est intéressant, l'adjectif qui était un adjectif technique : on parlait d'un ordinateur numérique parce qu’on était sur un ordinateur qui transmettait des informations sous forme de nombres, on était sur un appareil photo numérique puisque, à l'inverse d'un appareil photo argentique, on transmettait des photos stockées sous forme de nombres ; on a eu cet adjectif technique. Cet adjectif technique, parce que le numérique s'est développé, s'est inséré dans tous les pans de la société, est redevenu un adjectif assez général : on parle de société numérique, on parle d'école numérique et là on peut se demander ce que ça veut dire. Est-ce qu’une école numérique est une école qui transmet de l'information sous forme de nombres ? On voit que l'adjectif a changé de sens. Et enfin, c'est une particularité française, on a substantifié l'adjectif, on a transformé un adjectif en sujet, puisqu'on est capable de dire « le numérique ».<br/>
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J'ai donc voulu dire « la chose numérique » parce que, justement, c'était intéressant de dire que le numérique n'avait aucun sens, par contre il y a bien une chose numérique et la chose qui est bien c'est que ça peut amener à un imaginaire d'un objet protéiforme. C'était dans ce sens-là.
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==Contexte historique==
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<b>Nathalie : </b>Merci pour cette petite pause sémantique qui est vraiment intéressante. Revenir à la source des mots qu'on utilise est toujours porteur de beaucoup de sens pour voir l'évolution qu'on a vis-à-vis des choses.<br/>
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Je veux bien que tu nous emmènes par un petit passage historique. Tu nous l’as fait d'un point de vue sémantique, mais là, est-ce qu'on pourrait justement parler de l'histoire de cette chose numérique et de la chose numérique éducative en ayant en tête toutes les peurs qui sont associées, finalement, depuis toujours ?
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<b>Louis Derrac : </b>C'est un exercice pas évident que tu me demandes.
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<b>Nathalie : </b>Non, je sais.
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<b>Louis Derrac : </b>Je vais faire ce que je peux parce que je ne suis pas du tout historien, je le dis d'emblée, je suis plutôt un vulgarisateur avec un profil très généraliste sur l'éducation au numérique. En général, je sais un peu de tout, mais je ne sais tout de rien, c'est pareil pour la dimension historique et encore plus pour l'histoire du numérique éducatif parce que là on est vraiment dans un truc très précis, mais il y a des gens qui ont fait un travail, Bruno Devauchelle, on peut aller sur son blog trouver vraiment des éléments puisque lui a vécu, en plus, cette histoire.<br/>
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En tout cas, le numérique, tu as effectivement raison, c'est comme la sémantique, c'est une des choses à laquelle je viens, pareil, au hasard de mes errances de réflexion. C'est clair que maintenant, j'en suis persuadé, le fait de connaître l'histoire c'est indispensable parce qu'on a tendance à être totalement amnésique, en fait tout le temps, notamment en matière de technologie. On a tendance à craindre les drames et espérer des révolutions, alors que dix ans avant on craignait d'autres drames et on espérait d'autres révolutions et, à chaque fois, les espoirs des uns sont « déçus », entre guillemets, les craintes des autres sont calmées et c'est perpétuel et c’est pareil pour le numérique éducatif. Des chercheurs étudient les promesses des EdTech depuis Edison : on disait que la radio allait rendre les livres et les enseignants quasi obsolètes puisqu’elle permettrait de diffuser la connaissance en masse. Pareil après pour la vidéo. Bref !
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Pour essayer de faire une histoire en essayant de le faire hyper-accéléré, pour moi le numérique c'est la rencontre de plusieurs ensembles de technologies, notamment deux ensembles.
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D'un côté l'informatique, la création de ces superordinateurs à la base, ces immenses machines qui prenaient des salles entières. On va dire, pour simplifier, que ça a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale.<br/>
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L'ordinateur c'est une machine à calculer. J'aime bien dire, d'un point de vue historique, que le besoin de calcul est né, on va dire pour romancer, peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression qu'il est venu de la sédentarisation. Dès qu'on s'est sédentarisé, on a eu des choses à calculer, les stocks, dès qu'il y a eu des sortes d'États, des embryons d'États, il y avait la paye des armées. Bref, il y avait du calcul, c'était compliqué, il fallait donc trouver des méthodes, au début on a fait des trucs très simples. Au 17e siècle, à la Renaissance, on a eu les débuts des États modernes, avec des impôts complexes. On peut ramener à des machines à calculer comme la pascaline de Blaise Pascal dont le père était précepteur d'impôts, il y a donc vraiment un lien avec un besoin concret d'aller chercher les impôts, donc de faire des calculs pour savoir combien aller chercher.<br/>
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D'un côté on a ces ordinateurs qui naissent du besoin de calcul. Pendant la Seconde Guerre mondiale on avait besoin d'énormément de calcul pour les calculs balistiques, tout ce qui était canons, artillerie, etc.<br/>
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D'un autre côté, les questions de décryptage des renseignements, il y a un film un peu connu, <em>Imitation Game</em>, qui raconte l'histoire romancée d'Alan Turing et de la manière dont, pendant la Seconde Guerre mondiale il a contribué à la création d'un des premiers ordinateurs autour de cette question de comment on calcule assez vite pour craquer, à la journée, la clé de chiffrement des ennemis.<br/>
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Donc d'un côté l'ordinateur, besoin de calcul, et de l'autre Internet, besoin de communiquer qui, lui aussi, ramène à une histoire des télécommunications. On a eu les époques où on avait des phares optiques, limite on peut penser aux Indiens qui avaient leurs feux. Après il y a eu le télégraphe, le télégraphe électrique quand est arrivée l'électricité, le morse, d’ailleurs on a eu des premiers câbles atlantiques avec le télégraphe. J'écoutais un podcast où on disait comment on s'informait avant. C'est intéressant de se rappeler que dès le début du 20e siècle, il y avait l'élection américaine par exemple un dimanche et nous, le lundi matin, on savait les résultats parce que le dimanche soir, aux États-Unis, l'information passait dans le câble transatlantique en télégraphe et les gens qui étaient de l'autre côté de l'Atlantique écoutaient le truc en morse, le traduisaient : le président Machin a été élu, stop, blablabla, stop. Ça allait quand même assez vite. Aujourd'hui, évidemment, on sait quasiment en temps réel.<br/>
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Ces besoins de télécommunications ont amené, notamment l'armée américaine, à investir lourdement dans des infrastructures de communication qui ont d'abord été Arpanet, Arpa parce que ça venait de l'ARPAaméricaine, cette agence de recherche qui est née de la guerre froide aussi, de ce moment de tension : les Russes ont été les premiers à envoyer, dans cette course, d'abord un chien, le premier satellite Spoutnik. L'histoire c’est vraiment à chaque fois du détail, en tout cas ils ont mis une claque à ce moment-là aux États-Unis qui se sont dit « il ne faut plus qu'on laisse passer ça », ils ont créé la NASA et la DARPA, la NASA pour l'espace, l’ARPA est devenue la DARPA pour l'armée de terre et ils leur ont donné des milliards. C'est important de le rappeler, parce que c'est aussi une des réalités du numérique : ça a été beaucoup subventionné, notamment financé par l'armée américaine.<br/>
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Ils ont permis à des chercheurs et à des universitaires de développer ce réseau, cet ancêtre d'Internet. Je vais accélérer, ça a intéressé un certain nombre de gens, des universitaires qui pouvaient partager des informations et, en fait, ça a aussi intéressé une communauté de hippies, de geeks, de hackers, qui ont vu en l'ordinateur et en Internet des moyens d'émancipation. À l'époque, c'était assez notable parce que l'ordinateur c'était vraiment très cher, un super ordinateur c'était des millions, c'était réservé aux grandes universités, aux énormes bureaucraties, c'était donc <em>big browser</em> déjà à l'époque. C'était <em>Big Blue</em> pour caractériser IBM, donc les premiers de la Silicon Valley, Apple et les autres, se sont positionnés contre cette sorte de bureaucratie qui utilisait des ordinateurs pour un peu informatiser le monde. La pub très connue d’Apple, lancée en 1984 en référence au livre d’Orwell, c'était de dire que grâce à l'ordinateur personnel, 1984 ne serait pas comme <em>1984</em> parce que l'ordinateur personnel serait l'outil d'émancipation individuelle.<br/>
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Ça a été un peu remarquable parce que l'ordinateur personnel puis Internet qui s'est démocratisé, puis l'arrivée du Web qui a aussi contribué à démocratiser, a fait qu’en très peu de temps, finalement, dans l'histoire, le réseau internet, le Web et l'ordinateur personnel se sont insérés dans les foyers, sans parler du smartphone en 2007 avec le premier iPhone qui a été le dernier maillon. L'ordinateur personnel restait un outil – on pourra y revenir, c'est hyper-important dans l'école – plutôt de sachant avec un clavier donc de l'écrit, l'écrit n'étant pas un domaine dans lequel toute une population est forcément à l'aise. Le smartphone a été l'achèvement de cette immense démocratisation.
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On a vu que le numérique regroupe plein de choses. C'est important de rappeler que c'est à la fois quelque chose qui a été fulgurant puisque, finalement, l'ordinateur personnel c'est les années 80, le smartphone c'est seulement 2007, la démocratisation de la 3G en France c’est 2010/2011. On a l'impression qu'on ne sait plus faire sans et que tout le monde a toujours eu ça mais, en fait, ça n'a qu’une douzaine d'années !
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==13’ 56 Enjeux et institutions==
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<b>Nathalie : </b>À écouter ce retour historique

Version du 23 octobre 2023 à 16:45


Titre : Le numérique à l'école, entre technophobie et technophilie, une question de forme scolaire.

Intervenant·e·s : Louis Derrac - Nathalie

Lieu : En ligne - Être prof - L'entretien

Date : 2 septembre 2023

Durée : 59 min 33

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À Prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Nathalie : Le numérique à l'école, en voilà un sujet qui fait toujours parler. Si vous voulez faire discuter des gens, des enseignants, lancez le sujet, ça marche à tous les coups. Entre technophilie, technophobie, notre monde, donc forcément le monde éducatif, est bousculé dans ses pratiques. Du coup, je suis très heureuse de recevoir Louis Derrac pour parler de la chose numérique.
Louis, dis-nous qui tu es.

Louis Derrac : Bonjour Nathalie. Merci beaucoup de me recevoir ici.
Je suis un acteur de l'éducation au numérique, c’est comme ça je me définis. Par un hasard des choses, je me suis retrouvé dans ce monde-là, on pourra y revenir. Ça fait presque 12 ans, maintenant, que je travaille sur cette question, en ayant d'abord commencé plus précisément par le sujet de l'éducation aux médias et à l'information. Ensuite, j'ai ouvert le sujet en passant à cette question de culture numérique, l'acculturation numérique, que j'ouvre maintenant à la question de l'éducation au numérique. Je suis indépendant depuis cinq ans et j'accompagne divers acteurs et actrices de cet immense sujet.

Définition des termes

Nathalie : Super. Tu parles, sauf erreur de ma part, de la chose numérique. Pourquoi utilises-tu ce terme ?

Louis Derrac : Je ne sais plus trop quand ça m'est venu et je ne sais pas s'il faut le ramener à quelqu'un d'autre qu'il faudrait créditer pour cet usage, mais certainement, puisque, comme on dit, on n'est jamais le premier à avoir pensé à quelque chose.
Un des problèmes qu'on a quand on parle du numérique c'est qu'on est face à un terme qui, sémantiquement, ne veut rien dire. Il est intéressant de rappeler, de dire que c'était d'abord un adjectif quelconque puisqu'il qualifiait simplement ce qui relève des nombres, ce qui se représente en nombres. On a donc utilisé cet adjectif avant l'informatique. On parlait d'une supériorité numérique quand une armée avait plus de bonshommes d'un côté que de l'autre, on parlait de calcul numérique parce qu’on faisait des calculs avec des nombres. Cet adjectif est ensuite devenu technique quand l'informatique a commencé à représenter l'information sous forme de nombres.
Pour finir cette petite présentation, parce que c'est vrai que c'est intéressant, l'adjectif qui était un adjectif technique : on parlait d'un ordinateur numérique parce qu’on était sur un ordinateur qui transmettait des informations sous forme de nombres, on était sur un appareil photo numérique puisque, à l'inverse d'un appareil photo argentique, on transmettait des photos stockées sous forme de nombres ; on a eu cet adjectif technique. Cet adjectif technique, parce que le numérique s'est développé, s'est inséré dans tous les pans de la société, est redevenu un adjectif assez général : on parle de société numérique, on parle d'école numérique et là on peut se demander ce que ça veut dire. Est-ce qu’une école numérique est une école qui transmet de l'information sous forme de nombres ? On voit que l'adjectif a changé de sens. Et enfin, c'est une particularité française, on a substantifié l'adjectif, on a transformé un adjectif en sujet, puisqu'on est capable de dire « le numérique ».
J'ai donc voulu dire « la chose numérique » parce que, justement, c'était intéressant de dire que le numérique n'avait aucun sens, par contre il y a bien une chose numérique et la chose qui est bien c'est que ça peut amener à un imaginaire d'un objet protéiforme. C'était dans ce sens-là.

Contexte historique

Nathalie : Merci pour cette petite pause sémantique qui est vraiment intéressante. Revenir à la source des mots qu'on utilise est toujours porteur de beaucoup de sens pour voir l'évolution qu'on a vis-à-vis des choses.
Je veux bien que tu nous emmènes par un petit passage historique. Tu nous l’as fait d'un point de vue sémantique, mais là, est-ce qu'on pourrait justement parler de l'histoire de cette chose numérique et de la chose numérique éducative en ayant en tête toutes les peurs qui sont associées, finalement, depuis toujours ?

Louis Derrac : C'est un exercice pas évident que tu me demandes.

Nathalie : Non, je sais.

Louis Derrac : Je vais faire ce que je peux parce que je ne suis pas du tout historien, je le dis d'emblée, je suis plutôt un vulgarisateur avec un profil très généraliste sur l'éducation au numérique. En général, je sais un peu de tout, mais je ne sais tout de rien, c'est pareil pour la dimension historique et encore plus pour l'histoire du numérique éducatif parce que là on est vraiment dans un truc très précis, mais il y a des gens qui ont fait un travail, Bruno Devauchelle, on peut aller sur son blog trouver vraiment des éléments puisque lui a vécu, en plus, cette histoire.
En tout cas, le numérique, tu as effectivement raison, c'est comme la sémantique, c'est une des choses à laquelle je viens, pareil, au hasard de mes errances de réflexion. C'est clair que maintenant, j'en suis persuadé, le fait de connaître l'histoire c'est indispensable parce qu'on a tendance à être totalement amnésique, en fait tout le temps, notamment en matière de technologie. On a tendance à craindre les drames et espérer des révolutions, alors que dix ans avant on craignait d'autres drames et on espérait d'autres révolutions et, à chaque fois, les espoirs des uns sont « déçus », entre guillemets, les craintes des autres sont calmées et c'est perpétuel et c’est pareil pour le numérique éducatif. Des chercheurs étudient les promesses des EdTech depuis Edison : on disait que la radio allait rendre les livres et les enseignants quasi obsolètes puisqu’elle permettrait de diffuser la connaissance en masse. Pareil après pour la vidéo. Bref !

Pour essayer de faire une histoire en essayant de le faire hyper-accéléré, pour moi le numérique c'est la rencontre de plusieurs ensembles de technologies, notamment deux ensembles. D'un côté l'informatique, la création de ces superordinateurs à la base, ces immenses machines qui prenaient des salles entières. On va dire, pour simplifier, que ça a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'ordinateur c'est une machine à calculer. J'aime bien dire, d'un point de vue historique, que le besoin de calcul est né, on va dire pour romancer, peut-être que je me trompe, mais j'ai l'impression qu'il est venu de la sédentarisation. Dès qu'on s'est sédentarisé, on a eu des choses à calculer, les stocks, dès qu'il y a eu des sortes d'États, des embryons d'États, il y avait la paye des armées. Bref, il y avait du calcul, c'était compliqué, il fallait donc trouver des méthodes, au début on a fait des trucs très simples. Au 17e siècle, à la Renaissance, on a eu les débuts des États modernes, avec des impôts complexes. On peut ramener à des machines à calculer comme la pascaline de Blaise Pascal dont le père était précepteur d'impôts, il y a donc vraiment un lien avec un besoin concret d'aller chercher les impôts, donc de faire des calculs pour savoir combien aller chercher.
D'un côté on a ces ordinateurs qui naissent du besoin de calcul. Pendant la Seconde Guerre mondiale on avait besoin d'énormément de calcul pour les calculs balistiques, tout ce qui était canons, artillerie, etc.
D'un autre côté, les questions de décryptage des renseignements, il y a un film un peu connu, Imitation Game, qui raconte l'histoire romancée d'Alan Turing et de la manière dont, pendant la Seconde Guerre mondiale il a contribué à la création d'un des premiers ordinateurs autour de cette question de comment on calcule assez vite pour craquer, à la journée, la clé de chiffrement des ennemis.
Donc d'un côté l'ordinateur, besoin de calcul, et de l'autre Internet, besoin de communiquer qui, lui aussi, ramène à une histoire des télécommunications. On a eu les époques où on avait des phares optiques, limite on peut penser aux Indiens qui avaient leurs feux. Après il y a eu le télégraphe, le télégraphe électrique quand est arrivée l'électricité, le morse, d’ailleurs on a eu des premiers câbles atlantiques avec le télégraphe. J'écoutais un podcast où on disait comment on s'informait avant. C'est intéressant de se rappeler que dès le début du 20e siècle, il y avait l'élection américaine par exemple un dimanche et nous, le lundi matin, on savait les résultats parce que le dimanche soir, aux États-Unis, l'information passait dans le câble transatlantique en télégraphe et les gens qui étaient de l'autre côté de l'Atlantique écoutaient le truc en morse, le traduisaient : le président Machin a été élu, stop, blablabla, stop. Ça allait quand même assez vite. Aujourd'hui, évidemment, on sait quasiment en temps réel.
Ces besoins de télécommunications ont amené, notamment l'armée américaine, à investir lourdement dans des infrastructures de communication qui ont d'abord été Arpanet, Arpa parce que ça venait de l'ARPAaméricaine, cette agence de recherche qui est née de la guerre froide aussi, de ce moment de tension : les Russes ont été les premiers à envoyer, dans cette course, d'abord un chien, le premier satellite Spoutnik. L'histoire c’est vraiment à chaque fois du détail, en tout cas ils ont mis une claque à ce moment-là aux États-Unis qui se sont dit « il ne faut plus qu'on laisse passer ça », ils ont créé la NASA et la DARPA, la NASA pour l'espace, l’ARPA est devenue la DARPA pour l'armée de terre et ils leur ont donné des milliards. C'est important de le rappeler, parce que c'est aussi une des réalités du numérique : ça a été beaucoup subventionné, notamment financé par l'armée américaine.
Ils ont permis à des chercheurs et à des universitaires de développer ce réseau, cet ancêtre d'Internet. Je vais accélérer, ça a intéressé un certain nombre de gens, des universitaires qui pouvaient partager des informations et, en fait, ça a aussi intéressé une communauté de hippies, de geeks, de hackers, qui ont vu en l'ordinateur et en Internet des moyens d'émancipation. À l'époque, c'était assez notable parce que l'ordinateur c'était vraiment très cher, un super ordinateur c'était des millions, c'était réservé aux grandes universités, aux énormes bureaucraties, c'était donc big browser déjà à l'époque. C'était Big Blue pour caractériser IBM, donc les premiers de la Silicon Valley, Apple et les autres, se sont positionnés contre cette sorte de bureaucratie qui utilisait des ordinateurs pour un peu informatiser le monde. La pub très connue d’Apple, lancée en 1984 en référence au livre d’Orwell, c'était de dire que grâce à l'ordinateur personnel, 1984 ne serait pas comme 1984 parce que l'ordinateur personnel serait l'outil d'émancipation individuelle.
Ça a été un peu remarquable parce que l'ordinateur personnel puis Internet qui s'est démocratisé, puis l'arrivée du Web qui a aussi contribué à démocratiser, a fait qu’en très peu de temps, finalement, dans l'histoire, le réseau internet, le Web et l'ordinateur personnel se sont insérés dans les foyers, sans parler du smartphone en 2007 avec le premier iPhone qui a été le dernier maillon. L'ordinateur personnel restait un outil – on pourra y revenir, c'est hyper-important dans l'école – plutôt de sachant avec un clavier donc de l'écrit, l'écrit n'étant pas un domaine dans lequel toute une population est forcément à l'aise. Le smartphone a été l'achèvement de cette immense démocratisation. On a vu que le numérique regroupe plein de choses. C'est important de rappeler que c'est à la fois quelque chose qui a été fulgurant puisque, finalement, l'ordinateur personnel c'est les années 80, le smartphone c'est seulement 2007, la démocratisation de la 3G en France c’est 2010/2011. On a l'impression qu'on ne sait plus faire sans et que tout le monde a toujours eu ça mais, en fait, ça n'a qu’une douzaine d'années !

13’ 56 Enjeux et institutions

Nathalie : À écouter ce retour historique