Le numérique, c'est politique : est-ce la fin de l’internet, tel que le connaissons -. Tariq Krim

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Titre : Le numérique, c'est politique : est-ce la fin de l’internet, tel que le connaissons ?

Intervenant·e·s : Tariq Krim - Delphine Sabattier

Lieu : Smart Tech - B-Smart

Date : 8 mars 2022

Durée : 7 min 38

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Delphine Sabattier : Vous êtes de retour sur le plateau de Smart Tech, vous nous regardez sur la chaîne B-Smart, nous sommes en direct le matin dès 11 heures. C’est la deuxième partie de cette édition. On va aller découvrir un nouveau matériau qui pourrait demain se substituer à l’usage du plastique dans certains secteurs, mais d’abord c’est l’heure de notre rendez-vous « Le numérique c’est politique », comme je vous l’ai annoncé, avec Tariq Krim, entrepreneur, pionnier du Web français et commentateur engagé du numérique.
Bonjour Tariq.

Tariq Krim : Bonjour.

Delphine Sabattier : Aujourd’hui question un peu provocante que vous posez : est-ce que ce serait la fin de l’Internet tel que nous l’avons connu jusqu’ici ? Pourquoi cette question ?

Tariq Krim : C’est inquiétant. Ce qui est d’abord inquiétant c’est évidemment la guerre physique avec les morts. En même temps c’est une guerre qui est intéressante à étudier parce qu’elle est à la fois dans le monde physique, mais elle a utilisé à fond les réseaux sociaux, ce qui est d’ailleurs inquiétant d’une certaine manière, c’est la partie désinformation. Il y a aussi cette question qui est posée en suspens depuis le début de la guerre, c’est pourquoi, alors que c’est l’habitude des Russes, ils l’ont fait en Estonie, ils l’ont fait en Ukraine, en général ils précèdent les choses par une cyberguerre et une attaque des infrastructures avec black-out total et ça n’a pas été le cas ou, en tout cas, ça a été le cas de manière marginale.
Et puis à côté de ça, dans cet élan de solidarité des pays et les sanctions économiques, l’Internet, pour la première fois, est sanctionné de manière de très dure, donc c'est intéressant. Ce qui m’intéressait justement dans le cas de cette chronique c’est de voir ce que ça implique et ce que ça pourrait impliquer pour nous. Je rappelle que tout ce qu’on fait à la Russie aujourd’hui, quelqu’un, peut-être un successeur de Biden, pourrait très bien le faire à l’Europe, l’appliquer à l’Europe.

Delphine Sabattier : Quand vous parlez de sanctions, de décisions qui ont été prises, on peut peut-être rappeler ce qui s’est passé du côté russe avec Internet et du côté on va dire occidental.

Tariq Krim : Avant de venir précisément à ça, je pense que ce qui est important de se dire c’est que depuis les années 2000, depuis 2001, on parle de ce qu’on appelle le Splinternet, le jour où l’Internet va se séparer, essentiellement le bloc chinois et de l’autre côté le bloc occidental. La Russie, d’une certaine manière, faisait partie de ce bloc occidental. Ce qui est effectivement en train de se passer c’est qu’au niveau international on a commencé par bloquer les sites, les sites officiels, également l’ensemble des Big Tech, mais il n’y a pas que les Big Tech, il y a aussi les moyens financiers ; on s’est retrouvé dans le métro de Moscou sans la possibilité d’utiliser son iPhone pour payer. Apple a décidé d’arrêter. D’ailleurs une blague circule en ce moment sur les réseaux, qui n’est pas vraiment une blague en Russie qui dit «attention à ne pas faire tomber votre iPhone parce que si vous le cassez il n’y a plus de pièces de rechange ». On est vraiment entré dans un système d’autarcie. On voit aussi le pouvoir de ces grandes plateformes. En même temps, à l’intérieur de la Russie, il y a des restrictions plus importantes. Évidemment des restrictions sur les médias, des restrictions sur la liberté mais qui existaient déjà d’une certaine manière, c’est juste que maintenant on enlève le masque, la justification, on le fait.
Il y a eu beaucoup de désinformation. On dit qu’on a déconnecté l’Internet, ce n’est pas le cas. Ce qui s’est passé, par contre, c’est que l’un des plus gros générateurs de trafic de réseau qui s’appelle Cogent, qui fait 40 % du trafic, a décidé d’arrêter, donc couper les sites, ce qui va créer des congestions. Pour donner une image assez simple, s’il y a deux autoroutes pour aller à l’aéroport, si on en ferme une l’autre est bouchonnée. C’est ce qui va se passer. On se souvient à l’époque, quand on faisait du YouTube sur certains opérateurs ça moulinait, eh bien ça va devenir le quotidien des Russes. En même temps cette idée qu’on va « déclaoudifier », c’est-à-dire qu’on va rapatrier en Russie – c’était déjà un peu le cas sur les données parce que la loi russe oblige, normalement, à stocker les données, il y a des boîtes comme Facebook qui ne le font pas et qui payent des amendes – cette idée qu’on va recentrer l’ensemble de son infrastructure en Russie. Ça pose un problème parce que, évidemment il y a l’accès aux puces, Intel a dit qu’ils arrêteraient alors ça pose aussi un problème pour les cryptos, ça va d’ailleurs poser énormément de problèmes pour nous puisque le nickel est passé à 100 000 dollars hier, je crois, à London Stock Exchange, on a besoin de nickel pour les batteries de voiture, l’énergie renouvelable ; il n’y a pas que le pétrole mais les deux énergies. Donc on est dans une situation qui est très complexe.

Delphine Sabattier : On voit que c’est aussi un contexte international de conflits, vous pensez que ça peut être un précédent à quelque chose de nouveau qui va arriver, c’est-à-dire un nouvel Internet ?

Tariq Krim : Je ne sais pas l’aspect politique évidemment, parce que, encore une fois, il y a bien un agresseur, un agressé, je mets ça des côtés. Plus on va se déconnecter de la Russie, ce qui est assez compliqué d’ailleurs pour nous, plus la Russie va se rapprocher de la Chine. On le voit déjà, on coupe Swift. Le système chinois de paiement, Alipay, en fait l’ensemble des acteurs chinois du paiement se sont organisés maintenant pour être interopérables, c’est une grosse nouveauté. Ils vont commencer à rentrer également en Russie, donc il est possible que finalement dans ce fameux Splinternet dont on parlait, où on avait le bloc chinois et le bloc occidental, la Russie décide un jour de rejoindre et de construire une sorte de super Internet fermé, ce qui posera d’ailleurs la question de l’Europe : comment nous positionnons-nous dans ce cas-là ? Jusqu’à maintenant on était dans un ménage à trois ou à quatre avec l’Inde. Restons-nous totalement dépendants des États-Unis ou investissons-nous ?, c’est la question qu’on doit se poser.

Delphine Sabattier : En augmentant la taille du bloc chinois qui s’allie avec la Russie, ça pose la question de la taille du bloc occidental ?

Tariq Krim : Oui, la taille de l’Europe, de l’influence de l’Europe dans ce bloc de la liberté comme certains diront et surtout de notre capacité à être maîtres, à maîtriser notre infrastructure. Ce qui est évident c’est que le modèle du cloud où les données sont hébergées aux États-Unis et on travaille en Europe va devoir évoluer vers ce qu’on appelle le edge computing, l’idée que le réseau numérique devient le cloud. L’Europe est assez en avance là-dessus, parce que c’est souvent associé à des questions de 5G, il a des sociétés, notamment Rapid.Space, qui travaillent là-dessus. Il va falloir réinventer ce modèle et la question qui se pose, celle de l’Internet ouvert et gratuit, c’est comment fait-on dans un monde où les réseaux physiques traduisent, parce que fondamentalement ils vont traduire une réalité politique, pour s’assurer que, quand même, on ne bloque pas tout et qu’on ne revienne pas à deux blocs qui se détestent, qui se regardent en chiens de faïence, qui sont attaquables l’un et l’autre. Ça va poser énormément de problèmes. Je pense qu’on est face à une nouvelle configuration. Il faut dire qu’on est au tout début. Pour l’instant on ne peut pas porter de jugement long terme, mais on sent les germes d’un changement important à mon avis.

Delphine Sabattier : Merci beaucoup Tariq Krim de nous éclairer sur ces autres enjeux autour du conflit en Ukraine. Vous nous proposez votre regard sur un sujet du numérique chaque mois dans Smart Tech. Merci beaucoup.
À suivre dans l’émission, on va terminer avec le futur du plastique, ce sera peut-être un vieux plastique issu des arbres !