Différences entre les versions de « La transparence a-t-elle un sens - Collège des Bernardins »

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'''Titre :''' La transparence a-t-elle un sens ?
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Publié [https://www.april.org/la-transparence-a-t-elle-un-sens-les-mardis-des-bernardins ici] - Août 2019
 
 
'''Intervenants :''' Danièle Bourcier - Bernard Vatier - Alexis Brézet - Didier Pourquery
 
 
 
'''Lieu :''' Collège des Bernardins - Les Mardis des Bernardins
 
 
 
'''Date :''' mai 2018
 
 
 
'''Durée :''' 54 min 30
 
 
 
'''[https://www.collegedesbernardins.fr/content/la-transparence-t-elle-un-sens Visionner le débat]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :'''
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br />
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Description==
 
 
 
Exigence de transparence et protection de la vie privée sont-elles conciliables ? Jusqu’où peut-on aller dans notre quête de transparence sans heurter les principes démocratiques ?
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Didier Pourquery : </b>Bienvenue à vous cher public du grand auditorium du Collège des Bernardins et bienvenue aussi à ceux qui nous suivent sur le site.<br/>
 
Je m’appelle Didier Pourquery, je suis directeur de la rédaction du site de Conversation partenaire du Collège.<br/>
 
Le débat de ce soir a été organisé en collaboration avec le groupe de réflexion des avocats au sein du Collège des Bernardins et nos invités vont apporter des éléments de réflexion autour de quelques questions et d’un sujet essentiel : « La transparence a-t-elle un sens ? » Ce thème articulé ainsi peut paraître abrupt, mais il recouvre quelques questions, on va en situer quelques-unes : l’exigence de transparence et la protection de la vie privée sont-elles conciliables ? Jusqu’où peut aller notre quête de la transparence, notamment dans les médias mais pas uniquement, sans heurter certains principes démocratiques ? La société démocratique peut-elle résister à l’intrusion dans les consciences et à la manipulation des comportements qui bouleversent la vie sociale et même la vie politique ? Tout cela sera évoqué ce soir.<br/>
 
Pour réfléchir à ces questions, nous recevons de votre droite à votre gauche, Danièle Bourcier, Bonsoir.
 
 
 
<b>Danièle Bourcier : </b>Bonsoir.
 
 
 
<b>Didier Pourquery : </b>Vous êtes juriste, directrice de recherche émérite au CNRS où vous êtes membre du Comité d’Éthique, vous êtes responsable du groupe « Droit gouvernance et technologies » au CERSA Université Paris 2, responsable scientifique du projet Creative Commons France, dont le CERSA est partenaire. Votre spécialité est l’informatique juridique, le <em>e-government</em> et l’open data. Vous êtes l’auteur entre autres ouvrages et articles du livre <em>La décision artificielle. Le droit, la machine et l’humain</em>, aux Presses universitaires de France.<br/>
 
Bernard Vatier Bonsoir.
 
 
 
<b>Bernard Vatier : </b>Bonsoir.
 
 
 
<b>Didier Pourquery : </b>Vous êtes avocat, ancien bâtonnier du Barreau de Paris, ancien président du Conseil des barreaux européens. Votre domaine d’expertise est à la fois la profession d’avocat, bien entendu, en France et Europe, à ses défis actuels, mais aussi sur le nouveau cadre réglementaire dont tout le monde parle actuellement sur les données personnelles.<br/>
 
Et Alexis Brézet. Bonsoir.
 
 
 
<b>Alexis Brézet : </b>Bonsoir.
 
 
 
<b>Didier Pourquery : </b>Vous êtes, depuis 2012, directeur des rédactions du <em>Figaro</em>. Chacun vous connaît aussi comme éditorialiste et ancien rédacteur en chef à <em>Valeurs actuelles</em> puis au <em>Figaro Magazine</em>. Vous êtes journaliste depuis près de 30 ans, je ne vous vieillis pas trop, et vous nous parlerez de la transparence vue depuis la profession de journaliste.
 
 
 
Tout de suite on va essayer de cadrer le débat avec cette notion de transparence. Danièle Bourcier, comment notre rapport à la transparence a-t-il changé ? Qu’est-ce qui est rentré dans cette notion ?
 
 
 
<b>Danièle Bourcier : </b>Je vais un peu jouer avec le titre. Le titre de ce débat est « La transparence a-t-elle un sens ? » Je vais avoir quelques brèves réflexions sur le thème même de la transparence. Ça va être très rapide.<br/>
 
Un premier point ça sera le sens de la transparence, qu’est-ce que ça veut dire la transparence ? Et là, la seule chose qu’on puisse dire d’abord, d’emblée, c’est que la transparence n’est pas du tout transparente. C’est un mot dense, intense, polymorphe, et c’est très difficile de le cerner. D’abord parce qu’il a tout réseau sémantique autour de lui, à la fois des opposés. Vous les connaissez tous les opposés à la transparence : c’est le secret, le confidentiel, l’intime, etc. Il y a un deuxième aspect que je trouve très intéressant dans la notion de transparence c’est la valeur positive ou négative de la transparence. Suivant les domaines, la transparence peut être vue de façon positive et de façon négative. Positive, évidemment du point de vue, par exemple, de la transparence des autorités publiques. Vous savez que maintenant il y a une haute autorité à la transparence de la vie publique, eh bien juste ce projet est plutôt considéré comme une avancée de la notion de transparence de la démocratie. Mais vous avez aussi la transparence négative on va dire, c’est la transparence du citoyen, c’est la transparence de celui, qui justement, interroge Internet et ne se méfie pas du tout de toutes les questions qu’ils laissent et qui lui sont posées ou même qui ne lui sont pas posées et, à son insu en fait, il devient transparent.<br/>
 
Donc vous voyez, le sens de la transparence fait venir à elle des notions qui peuvent être à la fois contradictoires, qui peuvent l’enrichir, et c’est assez difficile justement d’avoir une seule idée sur la transparence.<br/>
 
Je veux dire la valeur positive ou la valeur négative, on va commencer par là, vous connaissez cette idée être visible-être suspect. Si vous commencez à parler de la non transparence, de votre désir d’intimité, de votre désir de vie privée, eh bien, on va dire bizarrement, vous êtes suspect. C’est très étrange cette idée de si vous n’êtes pas transparent ce n’est pas parce que vous voulez simplement que votre vie privée, votre intimité, votre for intérieur presque, soient garantis, mais ce n’est pas normal que dans une société de l’information on puisse, comme ça, avoir quelques idées sur sa propre intimité. Voilà la première chose que je voulais dire sur le sens de la transparence.
 
 
 
Un deuxième aspect, en jouant sur les mots, je dirais mais la transparence du sens, maintenant. Eh bien en droit, on sait pertinemment qu’il y a plein de domaines où la transparence paraît difficile. Soit elle a été imposée par le numérique, la société de l’information a imposé l’accessibilité, etc. Maintenant non seulement la société de l’information mais la société de la décision algorithmique est en train, justement, par un certain nombre de lois qu’on connaît depuis quelques années, d’essayer de cadrer ce que pourrait être un droit à la transparence et un droit aussi de se garantir contre cette transparence.<br/>
 
La transparence du sens, on sait pertinemment qu’il y a beaucoup de domaines où le secret, je ne parlerai pas du secteur privé, je vous laisserai mes chers collègues, mais au moins du côté de L’État il y a beaucoup d’aspects où il n’est pas possible que l’État soit transparent. D’abord le pouvoir n’aime pas beaucoup la transparence.<br/>
 
Je vais citer quelques exemples, il y a une question de cours, on va dire, que tous les gens qui ont fait du droit public connaissent, ce sont les actes de règlements, c’est précisément un domaine où c’est tout ce qui règle les rapports entre l’exécutif et le législatif, qui règle les questions des relations internationales, la diplomatie, il est évident qu’il n’y a pas de possibilité de transparence. Il y a d’autres choses qui moi m’ont intéressée beaucoup c’est tout simplement le langage : le langage est-il transparent à lui-même ? Ce n’est pas du tout sûr que le langage soit transparent. Pourquoi est-ce qu’on interprète ? Pourquoi on attache tant d’importance à l’interprétation ? C’est parce que justement le langage n’est pas transparent. Je vais prendre juste un exemple : le pouvoir discrétionnaire. Ce sont des exemples en droit public, je suis désolée, mais ce pouvoir décisionnaire, qui n’est pas du tout un pouvoir arbitraire, c’est simplement le pouvoir de l’administration, à un moment donné, de ne pas donner les raisons de ses décisions. Non seulement elle a le droit de ne pas les donner, mais elle ne peut pas les donner. C’est-à-dire qu’éventuellement il y aurait un recours contre cette décision si l’administration donnait les raisons de ses décisions. C’est assez paradoxal ! D’ailleurs c’est très intéressant parce qu’il y a eu une discussion sur Parcoursup dont je pense qu’on va sûrement reparler et le gouvernement a dit : « Mais on ne va pas vous donner accès au secret des délibérations ». Ce fameux secret des délibérations, ça veut dire en fait quoi dans ce cas précis ? Ça veut dire que tous les critères, tous les paramètres, ne seront pas donnés aux étudiants qui resteront sur la touche. Ça veut tout simplement dire ça. Donc pouvoir discrétionnaire, actes de règlements, mais vous avez aussi la marge d’interprétation. Vous le savez pertinemment, au niveau de la Cour d’appel, les juges vont interpréter, interpréter des faits, etc., donc ça veut dire que ce n’est pas si transparent que ça. Un dernier cas assez emblématique, c’est l’intime conviction. L’intime conviction qu’on voit justement dans les procès de Cour d’assises, l’intime conviction du juge ou tout simplement des jurés, du jury. Donc là aussi pas de transparence, etc.<br/>
 
Donc vous voyez que cette notion de transparence peut à la fois être extrêmement positive, mais, dans certains cas, elle n’est pas susceptible d’être poursuivie.
 
 
 
<b>Didier Pourquery : </b>On va tout de suite rentrer dans le vif du sujet. Vous vouliez commenter ça.
 
 
 
<b>Bernard Vatier : </b>Je voudrais ajouter des éléments concrets pour l’avocat. En fait, aujourd’hui, on constate un besoin de transparence considérablement accru. Ça nous conduit à réfléchir sur l’évolution de la société. Parce que, quand on regarde l’histoire, on constate que les piliers d’une société reposent sur l’apparence, la vérité d’apparence. Pourquoi ? Parce qu’il existe une relation de confiance et lorsque la confiance est trahie vient alors le règne de la défiance et avec lui une exigence de transparence. Par conséquent on voit que dans une société perturbée au plan politique par exemple, une démocratie qui se cherche, qui redoute les dirigeants, qui conteste les dirigeants, eh bien il y a peut-être la marque d’une trahison de la confiance donnée et, par conséquent, une exigence de transparence. Ça c’est un premier point. À cela on ajoute plusieurs autres facteurs. Un premier facteur qui est la valeur marchande de la transparence. Je veux dire par là qu’à partir du moment où on transperce les apparences on détient des informations et ces informations peuvent être valorisées. Et ça c’est l’action des réseaux sociaux. Cette valeur marchande de l’information on la retrouve aussi dans un autre aspect, et là je me tourne vers monsieur Brézet, sur les médias car une information née, issue d’un transpercement de l’apparence, cette information peut être vendable et on constate aujourd’hui que les chaînes de télévision en continu favorisent justement cette information qui est issue de cette recherche de cette transparence.<br/>
 
Nous avons enfin un élément qui est très important, c’est dans le couple infernal sécurité-liberté. On a une tendance aujourd’hui, au nom de la sécurité, à privilégier donc cette sécurité au préjudice de l’intime, au préjudice de la liberté. Et là, on a phénomène redoutable d’exigence de transparence. Ce qui fait qu’aujourd’hui on vit dans un monde où apparaît comme une vertu majeure la transparence, c’est-à-dire la vérité. Et je n’évoquerais pas un discours remarquable de Jean-Denis Bredin à l’Académie française qui évoquait l’émergence de cette vérité et cette vérité issue de la transparence finissait par rendre prisonniers les individus et les priver de ce qui est de plus profond d’eux-mêmes, c’est-à-dire leur intimité.<br/>
 
Je voudrais ici citer un auteur qui est dans la salle, c’est que l’intimité, la confidence, la relation personnelle, deviennent aujourd’hui anachroniques, désuètes ; il y a un vertige de la transparence. Et pour nous avocats, cette évolution est particulièrement redoutable puisque la transparence apparaît un peu comme une lumière qui brûle l’essence de l’individu. Le rôle de l’avocat c’est de veiller précisément à préserver l’individu, à préserver non seulement l’innocence mais à préserver ce qui est fondamental, ce qui est l’intimité.<br/>
 
Je voudrais juste ajouter un autre élément qui est tiré des livres d’Olivier Babeau.
 
 
 
<b>Alexis Brézet : </b><em>Éloge de l’hypocrisie</em>
 
 
 
<b>Bernard Vatier : </b>En définitive, l’intimité qu’est-ce que c’est ? Le droit à l’intimité ? C’est le droit à l’hypocrisie ! Nous sommes tous des hypocrites et il faut que nous restions hypocrites parce que cette hypocrisie c’est elle qui nous fait vivre, c’est elle qui nous amène à séduire alors qu’en définitive on a un fond différent. C’est elle qui nous amène à jouer et la vie c’est cela, l’intimité c’est cela. Et lorsque vous avez une transparence qui vient détruire cette intimité, c’est l’individu qui se trouve atteint.
 
 
 
==14’ 03==
 
 
 
<b>Didier Pourquery : </b>Il y a quand même un point
 

Dernière version du 15 août 2019 à 17:11


Publié ici - Août 2019