Différences entre les versions de « La transparence a-t-elle un sens - Collège des Bernardins »

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche
Ligne 72 : Ligne 72 :
 
==14’ 03==
 
==14’ 03==
  
<b>Didier Pourquery : </b>Il y a quand même un point
+
<b>Didier Pourquery : </b>Il y a quand même un point que vous n’avez pas évoqué là, sur lequel on aimerait vous entendre, c’est autour du secret professionnel et de la transparence. Comment ça s’articule pour vous, pour un avocat ?
 +
 
 +
<b>Bernard Vatier : </b>Pour un avocat je vais vous dire, je vais vous donner un exemple. Quand j’étais bâtonnier en 1965, j’avais des perquisitions du juge d’instruction, quasiment une perquisition une tous les deux jours. C’était formidable pour le juge d’instruction parce que aller dans un cabinet d’avocats c’est mettre la main sur tous les péchés du monde et par conséquent c’est une formidable occasion de développer un sens de la morale et de faire respecter la justice. Les avocats se sont révoltés contre cette situation, aller à la pêche au filet dérivant dans les cabinets d’avocats, c’est totalement insupportable. On a donc pris des dispositions pour faire en sorte que les bâtonniers puissent mettre sous scellés les documents afin d’empêcher leur communication, puisqu’une information connue, elle vole, elle est connue, c’est fini. Donc nous avons mis en place un dispositif, ce qui n’a pas été sans mal. Les autorités politiques s’opposaient à ces mécanismes. Et vous avez cette évolution à propos du secret professionnel, sur laquelle on pourra revenir, c’est qu’aujourd’hui, dans un principe de sécurité qui est recherché par les conventions internationales relativement à la lutte contre le blanchiment, la lutte contre le financement du terrorisme, l’avocat à Bruxelles était devenu comme une banque c’est-à-dire débiteur d’une obligation de révélations. Donc il a fallu, pour la profession, effectivement se battre et là j’indiquerais que nous avons eu beaucoup de chance c’est qu’en fait dans ce débat sur sécurité et liberté les hommes politiques ou les femmes politiques sont pris au piège de la vox populi. Cette opinion publique que Moro-Giafferri appelait « cette prostituée qui tire le juge ou l’homme politique par la manche ». Et cette évolution fait que même les juges ont du mal à respecter les principes. Et nous avons la chance d’avoir la Convention européenne des droits de l’homme ou encore la Charte des droits fondamentaux qui est inclue dans le Traité de Lisbonne et les principaux points d’appui actuels que la profession d’avocat a pu recueillir viennent de Strasbourg et viennent de la Cour du Luxembourg.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Restons dans les pratiques professionnelles, Alexis Brézet, le journaliste face à la transparence ? Est-ce que c’est un professionnel de la transparence ? Est-ce qu’il doit justement aussi avoir du secret professionnel ? Évidemment on pense au secret des sources. Comment vous réagissez par rapport à cette injonction de la transparence ?
 +
 
 +
<b>Alexis Brézet : </b>Tout le paradoxe dont parlait Danièle Bourcier tout à l’heure c’est que les journalistes sont évidemment toujours pour la transparence, pour toujours plus de transparence, sauf quand il s’agit d’eux, le secret des sources. Ils ont, je pense, raison dans ce cas-là d’être beaucoup plus réticents vis-à-vis de la transparence. Moi je ne voudrais pas vous décevoir ou, peut-être, ne pas répondre à un rôle qui m’a été assigné dans un débat.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Il n’y a pas de rôle assigné dans ce débat.
 +
 
 +
<b>Alexis Brézet : </b>Je le savais, c’était de la rhétorique ! Cette affaire de transparence, de mon côté, quoique journaliste ou peut-être parce que journalistes, moi j’ai la plus grande méfiance pour cette idéologie de la transparence, car je crois profondément la transparence n’est pas quelque chose qui nous est donné, c’est une vision du monde, c’est une idéologie dont la ruse, comme toutes les idéologies, est de se faire se passer pour quelque chose qui n’est pas une idéologie.<br/>
 +
Vous disiez tout à l’heure il y a un besoin de transparence, il y a vertige de transparence. Je crois que la vérité c’est une assignation, une obligation à la transparence ; il faut absolument, aujourd’hui, être transparent : il y a des lois pour la transparence, des commissions pour la transparence, des chartes pour las transparence. On voulait même faire une charte pour la transparence du statut de la Première dame et puis finalement ça n’a pas été fait. Donc tout doit être transparent ! <br/>
 +
Au bureau, vous l’avez sûrement remarqué, maintenant on dit : « En toute transparence je vais te dire ». Généralement ça veut que soit on cache quelque chose, soit qu’on va dire une vacherie : « En toute transparence, je vais te dire que tu n’as pas été très bon ». Donc il y a quelque chose d’absolument obligatoire dans la transparence qui, à mon avis, reflète ce caractère idéologique d’une vision du monde qui remonte loin, dont on pourrait essayer de trouver les racines, les linéaments. Il y a évidemment je crois, et je ne veux pas offenser dans ce lieu les consciences œcuméniques, mais je pense qu’il faudrait chercher du côté de Luther, du côté de la Réforme et je pense qu’il y aurait une analyse très intéressante à faire entre protestantisme et catholicisme, entre la transparence d’un côté et le clair-obscur de l’autre. La religion de la communauté où chacun vit sous le regard de l’autre dans un lien direct avec Dieu n’est pas la même chose que la religion catholique où il y a l’intermédiation du clergé et puis qui est la religion du confessionnal, qui est quelque chose qui ressemble au clair-obscur, à la nuance, à tout ce dont Babeau parle.<br/>
 +
Le livre de Babeau dont vous avez parlé est absolument formidable, cet <em>Éloge de l’hypocrisie</em>. Je pense que Babeau a raison. La vie en société c’est la civilité, la courtoisie, la bienséance ; toutes ces choses-là ce n’est pas de la transparence. C’est un obstacle qu’on met entre soi et l’autre pour rendre les rapports humains supportables.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Juste un point : donc ça veut dire que le journaliste doit s’assigner des limites à ne pas franchir dans les révélations, par exemple, ou dans l’accès aux sources ?
 +
 
 +
<b>Alexis Brézet : </b>Évidemment. Avant de raisonner en journaliste, je voudrais raisonner en citoyen, en être humain. Pousser la transparence à la limite, Danièle Bourcier vous le disiez tout à l’heure en disant « quelqu’un qui n’est pas transparent c’est quelqu’un qui cache quelque chose ». Reprenez ce que Robespierre disait à la Convention : « Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable, car jamais l’innocent ne redoute la surveillance publique. » C’est ça la société de la transparence. On dit : « Ah ben oui, c’est Robespierre, c’est la Révolution, tout ça c’est loin ! »
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>C’est un peu excessif !
 +
 
 +
<b>Alexis Brézet : </b>Benoît Hamon à propos des écoutes de Sarkozy : « Si l’on sait que l’on peut être écouté, qu’on n’a rien à cacher il n’y a pas de problème à être écouté ». C’est ça la société de la transparence absolue. Cette société-là me paraît terrifiante. Ça ne veut pas dire que je suis pour tout cacher, l’obscurité, mais il y a quand même quelque chose, y compris dans le travail journalistique, qui fait qu’il y a des limites à la transparence. La vraie question, vous l’évoquiez, celle de la vérité. Est-ce que la transparence est un moyen d’accéder à une certaine vérité ? Sûrement parfois. II s’agit de dégager la vérité d’un certain nombre d’obstacles qui l’obscurcissent. Mais est-ce que la transparence permet toujours d’aller vers plus de vérité ? Je n’en suis pas sûr. Je n’en suis pas sûr, la transparence, en vous focalisant sur un petit détail sans un grand intérêt mais pour lequel on va se passionner parce que ça fait vendre, parce que ça fait bien, va peut-être vous faire passer à côté de la vérité ou de la réalité intéressante des choses.<br/>
 +
Prenons l’affaire Cahuzac. Je ne défends pas la fraude fiscale, c’est très mal, je pense qu’il y a un devoir d’exemplarité quand on est un homme politique dans une société démocratique qui repose sur le consentement populaire et l’exemplarité n’est pas un vain mot, mais n’empêche ! Est-ce que Jérôme Cahuzac aurait été ou a été un moins bon ministre du Budget parce qu’il a caché de l’argent en Suisse ? Est-ce que Christian Eckert qui a succédé à Jérôme Cahuzac est un meilleur ministre du Budget parce qu’il était d’une scrupuleuse honnêteté ? Ce sont quand même des questions qu’il faut se poser. Ça ne veut pas dire que c’est très bien ou normal de cacher de l’argent en Suisse. Mais ça veut dire que si on s’intéresse à la vie en société, la transparence n’est pas la raison de tout et notamment à la vie politique. Prenez Churchill, un gars qui buvait du whisky le matin ! Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, il est mort ! Et un gars qui, étant alpagué dans une dame dans un cocktail, lui dit : « Monsieur, je ne vous parle pas, vous êtes ivre ! », il lui dit : « Mais Madame, demain je ne serai plus ivre et vous, vous serez toujours moche ! » Mais ce Churchill sa carrière est morte, elle est rompue ; ça ressemble un peu aux histoires de Wauquiez, etc. Finalement si cette transparence-là s’était appliquée à l’époque de Churchill je ne suis pas sûr que l’humanité, l’histoire en eut été meilleure.<br/>
 +
Je crois qu’il y a un bon usage de la transparence mais l’idéologie de la transparence absolue est, pour moi, quelque chose d’absolument dangereux dont il faut se prémunir.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Comment vous réagissez à cette manière, Danièle Bourcier ?
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Je vais être obligée de prendre le contre-pied.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Eh bien oui ! Oui, normalement oui.
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Je dirais quand même, dans votre métier, on a eu la fameuse affaire de Snowden et là c’est quand même très intéressant de voir ce qui s’est passé. Il a bien fallu, à un moment donné, révéler des choses qui étaient complètement cachées et là la transparence, une certaine transparence on va dire, une certaine diffusion des informations, était bien utile pour connaître une certaine vérité là aussi. D’ailleurs la presse a participé à cette transparence. Il y a d’abord eu des gens comme Snowden, mais la presse, après, s’est emparée de cela.<br/>
 +
Je voudrais juste ajouter quelque chose. Dans mon domaine ne serait-ce que le droit et les technologies, c’est vrai que là aussi on est obligé de sauter un petit peu du coq à l’âne si on veut vraiment saisir toute cette idée de transparence. Pourquoi c’est né aussi en ce moment ? Parce que, quand même, la société dite de l’information qui se concrétise sur le réseau, sur Internet, on ne peut pas dire que vraiment ce soit une société transparente. Là aussi vous critiquez la transparence mais moi je trouve que ce qu’on demande ce n’est pas de la transparence, justement. On demande des informations sur les gens, mais c’est plus que de la transparence, c’est de la vie privée.
 +
 
 +
<b>Alexis Brézet : </b>Oui, c’est ce que Régis Debray appelle <em>L’obscénité démocratique</em>.
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Il faut quand même que les États soient extrêmement vigilants avec ces nouveaux outils. Par exemple je pense que tout ce qu’on dit sur les algorithmes, on ne va pas en faire la soirée, mais il est évident que les algorithmes, comme je vous disais tout à l’heure, je pense que c’est une régression par rapport à l’intelligence artificielle que j’ai connue, hélas il y a 20 ans, qui était l’intelligence artificielle beaucoup plus liée à une réflexion sur la façon dont raisonnent les juristes par exemple, beaucoup plus sur comment la machine va pouvoir simuler le raisonnement humain. Maintenant l’algorithme, qu’est-ce que c’est que l’algorithme ?
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Il décide.
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Il décide et on ne connaît absolument pas les motivations. On ne connaît pas la loi générale. Ne parlons pas des algorithmes non supervisés, qui eux se nourrissent de l’ensemble des données qui arrivent de façon dynamique et on ne sait même plus sur quelles données la décision est prise, on ne sait plus quelle est la loi générale qui est derrière parce qu’elle a été construite, on va dire, à l’intérieur de l’algorithme comme émergente. Là je trouve qu’on est en train de casser un peu tout ce sur quoi la société était fondée, à savoir une loi générale, des décisions individuelles qui sont motivées, la possibilité de contrôler et d’aller devant le juge pour critiquer cette décision sur le fait que les motifs, en fait, ce n’étaient pas des bons motifs, il y a eu détournement de pouvoir, etc. Donc là il y a vraiment, quand même, des outils qui sont par définition non transparents et ça c’est encore un autre problème.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Quand tout à l’heure, vous parliez des notions de transparence, par exemple en échangeant, en préparant cette soirée, vous disiez « aujourd’hui la transparence est issue de la complexité des sociétés ».
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Oui c’est vrai.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Donc c’est ça aussi ? C’est-à-dire ce que vous dites quand vous parlez d’époque de la transparence ça vient aussi de ça ? Ça vient de sociétés de plus en plus complexes dont le citoyen a envie de percer le sens ? C’est ça ?
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Oui, si on est strict sur la notion de complexité, la complexité qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que c’est un système où y a des éléments qui interagissent de façon permanente, de façon dynamique.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>C’est cybernétique.
 +
 
 +
<b>Danièle Bourcier : </b>Oui, voilà, et qui n’est pas stabilisé. Donc là il y a effectivement un vrai problème. La complexité fait qu’il y a une fluidité, comme avait dit un autre sociologue. Si vous voulez on est dans une société où est beaucoup plus difficile la notion de transparence mais aussi comment fixer des faits. Maintenant on se demande si on va avoir des faits, on n’aura plus que des données. Vous voyez ce que je veux dire ? Là on est en train de basculer, quand même, vers d’autres éléments de réflexion.
 +
 
 +
<b>Didier Pourquery : </b>Alors la synthèse là-dessus ?
 +
 
 +
===26’ 45===
 +
 
 +
<b>Bernard Vatier : </b>L’affaire Cahuzac est intéressante

Version du 25 décembre 2018 à 18:58


Titre : La transparence a-t-elle un sens ?

Intervenants : Danièle Bourcier - Bernard Vatier - Alexis Brézet - Didier Pourquery

Lieu : Collège des Bernardins - Les Mardis des Bernardins

Date : mai 2018

Durée : 54 min 30

Visionner le débat

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Description

Exigence de transparence et protection de la vie privée sont-elles conciliables ? Jusqu’où peut-on aller dans notre quête de transparence sans heurter les principes démocratiques ?

Transcription

Didier Pourquery : Bienvenue à vous cher public du grand auditorium du Collège des Bernardins et bienvenue aussi à ceux qui nous suivent sur le site.
Je m’appelle Didier Pourquery, je suis directeur de la rédaction du site de Conversation partenaire du Collège.
Le débat de ce soir a été organisé en collaboration avec le groupe de réflexion des avocats au sein du Collège des Bernardins et nos invités vont apporter des éléments de réflexion autour de quelques questions et d’un sujet essentiel : « La transparence a-t-elle un sens ? » Ce thème articulé ainsi peut paraître abrupt, mais il recouvre quelques questions, on va en situer quelques-unes : l’exigence de transparence et la protection de la vie privée sont-elles conciliables ? Jusqu’où peut aller notre quête de la transparence, notamment dans les médias mais pas uniquement, sans heurter certains principes démocratiques ? La société démocratique peut-elle résister à l’intrusion dans les consciences et à la manipulation des comportements qui bouleversent la vie sociale et même la vie politique ? Tout cela sera évoqué ce soir.
Pour réfléchir à ces questions, nous recevons de votre droite à votre gauche, Danièle Bourcier, Bonsoir.

Danièle Bourcier : Bonsoir.

Didier Pourquery : Vous êtes juriste, directrice de recherche émérite au CNRS où vous êtes membre du Comité d’Éthique, vous êtes responsable du groupe « Droit gouvernance et technologies » au CERSA Université Paris 2, responsable scientifique du projet Creative Commons France, dont le CERSA est partenaire. Votre spécialité est l’informatique juridique, le e-government et l’open data. Vous êtes l’auteur entre autres ouvrages et articles du livre La décision artificielle. Le droit, la machine et l’humain, aux Presses universitaires de France.
Bernard Vatier Bonsoir.

Bernard Vatier : Bonsoir.

Didier Pourquery : Vous êtes avocat, ancien bâtonnier du Barreau de Paris, ancien président du Conseil des barreaux européens. Votre domaine d’expertise est à la fois la profession d’avocat, bien entendu, en France et Europe, à ses défis actuels, mais aussi sur le nouveau cadre réglementaire dont tout le monde parle actuellement sur les données personnelles.
Et Alexis Brézet. Bonsoir.

Alexis Brézet : Bonsoir.

Didier Pourquery : Vous êtes, depuis 2012, directeur des rédactions du Figaro. Chacun vous connaît aussi comme éditorialiste et ancien rédacteur en chef à Valeurs actuelles puis au Figaro Magazine. Vous êtes journaliste depuis près de 30 ans, je ne vous vieillis pas trop, et vous nous parlerez de la transparence vue depuis la profession de journaliste.

Tout de suite on va essayer de cadrer le débat avec cette notion de transparence. Danièle Bourcier, comment notre rapport à la transparence a-t-il changé ? Qu’est-ce qui est rentré dans cette notion ?

Danièle Bourcier : Je vais un peu jouer avec le titre. Le titre de ce débat est « La transparence a-t-elle un sens ? » Je vais avoir quelques brèves réflexions sur le thème même de la transparence. Ça va être très rapide.
Un premier point ça sera le sens de la transparence, qu’est-ce que ça veut dire la transparence ? Et là, la seule chose qu’on puisse dire d’abord, d’emblée, c’est que la transparence n’est pas du tout transparente. C’est un mot dense, intense, polymorphe, et c’est très difficile de le cerner. D’abord parce qu’il a tout réseau sémantique autour de lui, à la fois des opposés. Vous les connaissez tous les opposés à la transparence : c’est le secret, le confidentiel, l’intime, etc. Il y a un deuxième aspect que je trouve très intéressant dans la notion de transparence c’est la valeur positive ou négative de la transparence. Suivant les domaines, la transparence peut être vue de façon positive et de façon négative. Positive, évidemment du point de vue, par exemple, de la transparence des autorités publiques. Vous savez que maintenant il y a une haute autorité à la transparence de la vie publique, eh bien juste ce projet est plutôt considéré comme une avancée de la notion de transparence de la démocratie. Mais vous avez aussi la transparence négative on va dire, c’est la transparence du citoyen, c’est la transparence de celui, qui justement, interroge Internet et ne se méfie pas du tout de toutes les questions qu’ils laissent et qui lui sont posées ou même qui ne lui sont pas posées et, à son insu en fait, il devient transparent.
Donc vous voyez, le sens de la transparence fait venir à elle des notions qui peuvent être à la fois contradictoires, qui peuvent l’enrichir, et c’est assez difficile justement d’avoir une seule idée sur la transparence.
Je veux dire la valeur positive ou la valeur négative, on va commencer par là, vous connaissez cette idée être visible-être suspect. Si vous commencez à parler de la non transparence, de votre désir d’intimité, de votre désir de vie privée, eh bien, on va dire bizarrement, vous êtes suspect. C’est très étrange cette idée de si vous n’êtes pas transparent ce n’est pas parce que vous voulez simplement que votre vie privée, votre intimité, votre for intérieur presque, soient garantis, mais ce n’est pas normal que dans une société de l’information on puisse, comme ça, avoir quelques idées sur sa propre intimité. Voilà la première chose que je voulais dire sur le sens de la transparence.

Un deuxième aspect, en jouant sur les mots, je dirais mais la transparence du sens, maintenant. Eh bien en droit, on sait pertinemment qu’il y a plein de domaines où la transparence paraît difficile. Soit elle a été imposée par le numérique, la société de l’information a imposé l’accessibilité, etc. Maintenant non seulement la société de l’information mais la société de la décision algorithmique est en train, justement, par un certain nombre de lois qu’on connaît depuis quelques années, d’essayer de cadrer ce que pourrait être un droit à la transparence et un droit aussi de se garantir contre cette transparence.
La transparence du sens, on sait pertinemment qu’il y a beaucoup de domaines où le secret, je ne parlerai pas du secteur privé, je vous laisserai mes chers collègues, mais au moins du côté de L’État il y a beaucoup d’aspects où il n’est pas possible que l’État soit transparent. D’abord le pouvoir n’aime pas beaucoup la transparence.
Je vais citer quelques exemples, il y a une question de cours, on va dire, que tous les gens qui ont fait du droit public connaissent, ce sont les actes de règlements, c’est précisément un domaine où c’est tout ce qui règle les rapports entre l’exécutif et le législatif, qui règle les questions des relations internationales, la diplomatie, il est évident qu’il n’y a pas de possibilité de transparence. Il y a d’autres choses qui moi m’ont intéressée beaucoup c’est tout simplement le langage : le langage est-il transparent à lui-même ? Ce n’est pas du tout sûr que le langage soit transparent. Pourquoi est-ce qu’on interprète ? Pourquoi on attache tant d’importance à l’interprétation ? C’est parce que justement le langage n’est pas transparent. Je vais prendre juste un exemple : le pouvoir discrétionnaire. Ce sont des exemples en droit public, je suis désolée, mais ce pouvoir décisionnaire, qui n’est pas du tout un pouvoir arbitraire, c’est simplement le pouvoir de l’administration, à un moment donné, de ne pas donner les raisons de ses décisions. Non seulement elle a le droit de ne pas les donner, mais elle ne peut pas les donner. C’est-à-dire qu’éventuellement il y aurait un recours contre cette décision si l’administration donnait les raisons de ses décisions. C’est assez paradoxal ! D’ailleurs c’est très intéressant parce qu’il y a eu une discussion sur Parcoursup dont je pense qu’on va sûrement reparler et le gouvernement a dit : « Mais on ne va pas vous donner accès au secret des délibérations ». Ce fameux secret des délibérations, ça veut dire en fait quoi dans ce cas précis ? Ça veut dire que tous les critères, tous les paramètres, ne seront pas donnés aux étudiants qui resteront sur la touche. Ça veut tout simplement dire ça. Donc pouvoir discrétionnaire, actes de règlements, mais vous avez aussi la marge d’interprétation. Vous le savez pertinemment, au niveau de la Cour d’appel, les juges vont interpréter, interpréter des faits, etc., donc ça veut dire que ce n’est pas si transparent que ça. Un dernier cas assez emblématique, c’est l’intime conviction. L’intime conviction qu’on voit justement dans les procès de Cour d’assises, l’intime conviction du juge ou tout simplement des jurés, du jury. Donc là aussi pas de transparence, etc.
Donc vous voyez que cette notion de transparence peut à la fois être extrêmement positive, mais, dans certains cas, elle n’est pas susceptible d’être poursuivie.

Didier Pourquery : On va tout de suite rentrer dans le vif du sujet. Vous vouliez commenter ça.

Bernard Vatier : Je voudrais ajouter des éléments concrets pour l’avocat. En fait, aujourd’hui, on constate un besoin de transparence considérablement accru. Ça nous conduit à réfléchir sur l’évolution de la société. Parce que, quand on regarde l’histoire, on constate que les piliers d’une société reposent sur l’apparence, la vérité d’apparence. Pourquoi ? Parce qu’il existe une relation de confiance et lorsque la confiance est trahie vient alors le règne de la défiance et avec lui une exigence de transparence. Par conséquent on voit que dans une société perturbée au plan politique par exemple, une démocratie qui se cherche, qui redoute les dirigeants, qui conteste les dirigeants, eh bien il y a peut-être la marque d’une trahison de la confiance donnée et, par conséquent, une exigence de transparence. Ça c’est un premier point. À cela on ajoute plusieurs autres facteurs. Un premier facteur qui est la valeur marchande de la transparence. Je veux dire par là qu’à partir du moment où on transperce les apparences on détient des informations et ces informations peuvent être valorisées. Et ça c’est l’action des réseaux sociaux. Cette valeur marchande de l’information on la retrouve aussi dans un autre aspect, et là je me tourne vers monsieur Brézet, sur les médias car une information née, issue d’un transpercement de l’apparence, cette information peut être vendable et on constate aujourd’hui que les chaînes de télévision en continu favorisent justement cette information qui est issue de cette recherche de cette transparence.
Nous avons enfin un élément qui est très important, c’est dans le couple infernal sécurité-liberté. On a une tendance aujourd’hui, au nom de la sécurité, à privilégier donc cette sécurité au préjudice de l’intime, au préjudice de la liberté. Et là, on a phénomène redoutable d’exigence de transparence. Ce qui fait qu’aujourd’hui on vit dans un monde où apparaît comme une vertu majeure la transparence, c’est-à-dire la vérité. Et je n’évoquerais pas un discours remarquable de Jean-Denis Bredin à l’Académie française qui évoquait l’émergence de cette vérité et cette vérité issue de la transparence finissait par rendre prisonniers les individus et les priver de ce qui est de plus profond d’eux-mêmes, c’est-à-dire leur intimité.
Je voudrais ici citer un auteur qui est dans la salle, c’est que l’intimité, la confidence, la relation personnelle, deviennent aujourd’hui anachroniques, désuètes ; il y a un vertige de la transparence. Et pour nous avocats, cette évolution est particulièrement redoutable puisque la transparence apparaît un peu comme une lumière qui brûle l’essence de l’individu. Le rôle de l’avocat c’est de veiller précisément à préserver l’individu, à préserver non seulement l’innocence mais à préserver ce qui est fondamental, ce qui est l’intimité.
Je voudrais juste ajouter un autre élément qui est tiré des livres d’Olivier Babeau.

Alexis Brézet : Éloge de l’hypocrisie

Bernard Vatier : En définitive, l’intimité qu’est-ce que c’est ? Le droit à l’intimité ? C’est le droit à l’hypocrisie ! Nous sommes tous des hypocrites et il faut que nous restions hypocrites parce que cette hypocrisie c’est elle qui nous fait vivre, c’est elle qui nous amène à séduire alors qu’en définitive on a un fond différent. C’est elle qui nous amène à jouer et la vie c’est cela, l’intimité c’est cela. Et lorsque vous avez une transparence qui vient détruire cette intimité, c’est l’individu qui se trouve atteint.

14’ 03

Didier Pourquery : Il y a quand même un point que vous n’avez pas évoqué là, sur lequel on aimerait vous entendre, c’est autour du secret professionnel et de la transparence. Comment ça s’articule pour vous, pour un avocat ?

Bernard Vatier : Pour un avocat je vais vous dire, je vais vous donner un exemple. Quand j’étais bâtonnier en 1965, j’avais des perquisitions du juge d’instruction, quasiment une perquisition une tous les deux jours. C’était formidable pour le juge d’instruction parce que aller dans un cabinet d’avocats c’est mettre la main sur tous les péchés du monde et par conséquent c’est une formidable occasion de développer un sens de la morale et de faire respecter la justice. Les avocats se sont révoltés contre cette situation, aller à la pêche au filet dérivant dans les cabinets d’avocats, c’est totalement insupportable. On a donc pris des dispositions pour faire en sorte que les bâtonniers puissent mettre sous scellés les documents afin d’empêcher leur communication, puisqu’une information connue, elle vole, elle est connue, c’est fini. Donc nous avons mis en place un dispositif, ce qui n’a pas été sans mal. Les autorités politiques s’opposaient à ces mécanismes. Et vous avez cette évolution à propos du secret professionnel, sur laquelle on pourra revenir, c’est qu’aujourd’hui, dans un principe de sécurité qui est recherché par les conventions internationales relativement à la lutte contre le blanchiment, la lutte contre le financement du terrorisme, l’avocat à Bruxelles était devenu comme une banque c’est-à-dire débiteur d’une obligation de révélations. Donc il a fallu, pour la profession, effectivement se battre et là j’indiquerais que nous avons eu beaucoup de chance c’est qu’en fait dans ce débat sur sécurité et liberté les hommes politiques ou les femmes politiques sont pris au piège de la vox populi. Cette opinion publique que Moro-Giafferri appelait « cette prostituée qui tire le juge ou l’homme politique par la manche ». Et cette évolution fait que même les juges ont du mal à respecter les principes. Et nous avons la chance d’avoir la Convention européenne des droits de l’homme ou encore la Charte des droits fondamentaux qui est inclue dans le Traité de Lisbonne et les principaux points d’appui actuels que la profession d’avocat a pu recueillir viennent de Strasbourg et viennent de la Cour du Luxembourg.

Didier Pourquery : Restons dans les pratiques professionnelles, Alexis Brézet, le journaliste face à la transparence ? Est-ce que c’est un professionnel de la transparence ? Est-ce qu’il doit justement aussi avoir du secret professionnel ? Évidemment on pense au secret des sources. Comment vous réagissez par rapport à cette injonction de la transparence ?

Alexis Brézet : Tout le paradoxe dont parlait Danièle Bourcier tout à l’heure c’est que les journalistes sont évidemment toujours pour la transparence, pour toujours plus de transparence, sauf quand il s’agit d’eux, le secret des sources. Ils ont, je pense, raison dans ce cas-là d’être beaucoup plus réticents vis-à-vis de la transparence. Moi je ne voudrais pas vous décevoir ou, peut-être, ne pas répondre à un rôle qui m’a été assigné dans un débat.

Didier Pourquery : Il n’y a pas de rôle assigné dans ce débat.

Alexis Brézet : Je le savais, c’était de la rhétorique ! Cette affaire de transparence, de mon côté, quoique journaliste ou peut-être parce que journalistes, moi j’ai la plus grande méfiance pour cette idéologie de la transparence, car je crois profondément la transparence n’est pas quelque chose qui nous est donné, c’est une vision du monde, c’est une idéologie dont la ruse, comme toutes les idéologies, est de se faire se passer pour quelque chose qui n’est pas une idéologie.
Vous disiez tout à l’heure il y a un besoin de transparence, il y a vertige de transparence. Je crois que la vérité c’est une assignation, une obligation à la transparence ; il faut absolument, aujourd’hui, être transparent : il y a des lois pour la transparence, des commissions pour la transparence, des chartes pour las transparence. On voulait même faire une charte pour la transparence du statut de la Première dame et puis finalement ça n’a pas été fait. Donc tout doit être transparent !
Au bureau, vous l’avez sûrement remarqué, maintenant on dit : « En toute transparence je vais te dire ». Généralement ça veut que soit on cache quelque chose, soit qu’on va dire une vacherie : « En toute transparence, je vais te dire que tu n’as pas été très bon ». Donc il y a quelque chose d’absolument obligatoire dans la transparence qui, à mon avis, reflète ce caractère idéologique d’une vision du monde qui remonte loin, dont on pourrait essayer de trouver les racines, les linéaments. Il y a évidemment je crois, et je ne veux pas offenser dans ce lieu les consciences œcuméniques, mais je pense qu’il faudrait chercher du côté de Luther, du côté de la Réforme et je pense qu’il y aurait une analyse très intéressante à faire entre protestantisme et catholicisme, entre la transparence d’un côté et le clair-obscur de l’autre. La religion de la communauté où chacun vit sous le regard de l’autre dans un lien direct avec Dieu n’est pas la même chose que la religion catholique où il y a l’intermédiation du clergé et puis qui est la religion du confessionnal, qui est quelque chose qui ressemble au clair-obscur, à la nuance, à tout ce dont Babeau parle.
Le livre de Babeau dont vous avez parlé est absolument formidable, cet Éloge de l’hypocrisie. Je pense que Babeau a raison. La vie en société c’est la civilité, la courtoisie, la bienséance ; toutes ces choses-là ce n’est pas de la transparence. C’est un obstacle qu’on met entre soi et l’autre pour rendre les rapports humains supportables.

Didier Pourquery : Juste un point : donc ça veut dire que le journaliste doit s’assigner des limites à ne pas franchir dans les révélations, par exemple, ou dans l’accès aux sources ?

Alexis Brézet : Évidemment. Avant de raisonner en journaliste, je voudrais raisonner en citoyen, en être humain. Pousser la transparence à la limite, Danièle Bourcier vous le disiez tout à l’heure en disant « quelqu’un qui n’est pas transparent c’est quelqu’un qui cache quelque chose ». Reprenez ce que Robespierre disait à la Convention : « Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable, car jamais l’innocent ne redoute la surveillance publique. » C’est ça la société de la transparence. On dit : « Ah ben oui, c’est Robespierre, c’est la Révolution, tout ça c’est loin ! »

Didier Pourquery : C’est un peu excessif !

Alexis Brézet : Benoît Hamon à propos des écoutes de Sarkozy : « Si l’on sait que l’on peut être écouté, qu’on n’a rien à cacher il n’y a pas de problème à être écouté ». C’est ça la société de la transparence absolue. Cette société-là me paraît terrifiante. Ça ne veut pas dire que je suis pour tout cacher, l’obscurité, mais il y a quand même quelque chose, y compris dans le travail journalistique, qui fait qu’il y a des limites à la transparence. La vraie question, vous l’évoquiez, celle de la vérité. Est-ce que la transparence est un moyen d’accéder à une certaine vérité ? Sûrement parfois. II s’agit de dégager la vérité d’un certain nombre d’obstacles qui l’obscurcissent. Mais est-ce que la transparence permet toujours d’aller vers plus de vérité ? Je n’en suis pas sûr. Je n’en suis pas sûr, la transparence, en vous focalisant sur un petit détail sans un grand intérêt mais pour lequel on va se passionner parce que ça fait vendre, parce que ça fait bien, va peut-être vous faire passer à côté de la vérité ou de la réalité intéressante des choses.
Prenons l’affaire Cahuzac. Je ne défends pas la fraude fiscale, c’est très mal, je pense qu’il y a un devoir d’exemplarité quand on est un homme politique dans une société démocratique qui repose sur le consentement populaire et l’exemplarité n’est pas un vain mot, mais n’empêche ! Est-ce que Jérôme Cahuzac aurait été ou a été un moins bon ministre du Budget parce qu’il a caché de l’argent en Suisse ? Est-ce que Christian Eckert qui a succédé à Jérôme Cahuzac est un meilleur ministre du Budget parce qu’il était d’une scrupuleuse honnêteté ? Ce sont quand même des questions qu’il faut se poser. Ça ne veut pas dire que c’est très bien ou normal de cacher de l’argent en Suisse. Mais ça veut dire que si on s’intéresse à la vie en société, la transparence n’est pas la raison de tout et notamment à la vie politique. Prenez Churchill, un gars qui buvait du whisky le matin ! Aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, il est mort ! Et un gars qui, étant alpagué dans une dame dans un cocktail, lui dit : « Monsieur, je ne vous parle pas, vous êtes ivre ! », il lui dit : « Mais Madame, demain je ne serai plus ivre et vous, vous serez toujours moche ! » Mais ce Churchill sa carrière est morte, elle est rompue ; ça ressemble un peu aux histoires de Wauquiez, etc. Finalement si cette transparence-là s’était appliquée à l’époque de Churchill je ne suis pas sûr que l’humanité, l’histoire en eut été meilleure.
Je crois qu’il y a un bon usage de la transparence mais l’idéologie de la transparence absolue est, pour moi, quelque chose d’absolument dangereux dont il faut se prémunir.

Didier Pourquery : Comment vous réagissez à cette manière, Danièle Bourcier ?

Danièle Bourcier : Je vais être obligée de prendre le contre-pied.

Didier Pourquery : Eh bien oui ! Oui, normalement oui.

Danièle Bourcier : Je dirais quand même, dans votre métier, on a eu la fameuse affaire de Snowden et là c’est quand même très intéressant de voir ce qui s’est passé. Il a bien fallu, à un moment donné, révéler des choses qui étaient complètement cachées et là la transparence, une certaine transparence on va dire, une certaine diffusion des informations, était bien utile pour connaître une certaine vérité là aussi. D’ailleurs la presse a participé à cette transparence. Il y a d’abord eu des gens comme Snowden, mais la presse, après, s’est emparée de cela.
Je voudrais juste ajouter quelque chose. Dans mon domaine ne serait-ce que le droit et les technologies, c’est vrai que là aussi on est obligé de sauter un petit peu du coq à l’âne si on veut vraiment saisir toute cette idée de transparence. Pourquoi c’est né aussi en ce moment ? Parce que, quand même, la société dite de l’information qui se concrétise sur le réseau, sur Internet, on ne peut pas dire que vraiment ce soit une société transparente. Là aussi vous critiquez la transparence mais moi je trouve que ce qu’on demande ce n’est pas de la transparence, justement. On demande des informations sur les gens, mais c’est plus que de la transparence, c’est de la vie privée.

Alexis Brézet : Oui, c’est ce que Régis Debray appelle L’obscénité démocratique.

Danièle Bourcier : Il faut quand même que les États soient extrêmement vigilants avec ces nouveaux outils. Par exemple je pense que tout ce qu’on dit sur les algorithmes, on ne va pas en faire la soirée, mais il est évident que les algorithmes, comme je vous disais tout à l’heure, je pense que c’est une régression par rapport à l’intelligence artificielle que j’ai connue, hélas il y a 20 ans, qui était l’intelligence artificielle beaucoup plus liée à une réflexion sur la façon dont raisonnent les juristes par exemple, beaucoup plus sur comment la machine va pouvoir simuler le raisonnement humain. Maintenant l’algorithme, qu’est-ce que c’est que l’algorithme ?

Didier Pourquery : Il décide.

Danièle Bourcier : Il décide et on ne connaît absolument pas les motivations. On ne connaît pas la loi générale. Ne parlons pas des algorithmes non supervisés, qui eux se nourrissent de l’ensemble des données qui arrivent de façon dynamique et on ne sait même plus sur quelles données la décision est prise, on ne sait plus quelle est la loi générale qui est derrière parce qu’elle a été construite, on va dire, à l’intérieur de l’algorithme comme émergente. Là je trouve qu’on est en train de casser un peu tout ce sur quoi la société était fondée, à savoir une loi générale, des décisions individuelles qui sont motivées, la possibilité de contrôler et d’aller devant le juge pour critiquer cette décision sur le fait que les motifs, en fait, ce n’étaient pas des bons motifs, il y a eu détournement de pouvoir, etc. Donc là il y a vraiment, quand même, des outils qui sont par définition non transparents et ça c’est encore un autre problème.

Didier Pourquery : Quand tout à l’heure, vous parliez des notions de transparence, par exemple en échangeant, en préparant cette soirée, vous disiez « aujourd’hui la transparence est issue de la complexité des sociétés ».

Danièle Bourcier : Oui c’est vrai.

Didier Pourquery : Donc c’est ça aussi ? C’est-à-dire ce que vous dites quand vous parlez d’époque de la transparence ça vient aussi de ça ? Ça vient de sociétés de plus en plus complexes dont le citoyen a envie de percer le sens ? C’est ça ?

Danièle Bourcier : Oui, si on est strict sur la notion de complexité, la complexité qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que c’est un système où y a des éléments qui interagissent de façon permanente, de façon dynamique.

Didier Pourquery : C’est cybernétique.

Danièle Bourcier : Oui, voilà, et qui n’est pas stabilisé. Donc là il y a effectivement un vrai problème. La complexité fait qu’il y a une fluidité, comme avait dit un autre sociologue. Si vous voulez on est dans une société où est beaucoup plus difficile la notion de transparence mais aussi comment fixer des faits. Maintenant on se demande si on va avoir des faits, on n’aura plus que des données. Vous voyez ce que je veux dire ? Là on est en train de basculer, quand même, vers d’autres éléments de réflexion.

Didier Pourquery : Alors la synthèse là-dessus ?

26’ 45

Bernard Vatier : L’affaire Cahuzac est intéressante