Différences entre les versions de « La souveraineté numérique, c'est quoi en fait - Décryptualité du 8 juin 2020 »

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Version du 11 juin 2020 à 13:12


Titre : Décryptualité du 8 juin 2020 - La souveraineté numérique, c'est quoi en fait ?

Intervenant·e·s : Mag - Manu - Luc

Lieu : April - Studio d'enregistrement

Date : 8 juin 2020

Durée : 14 min

Écouter ou enregistrer le podcast

Revue de presse pour la semaine 23 de l'année 2020

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Point d’interrogation bonhomme blanc 3D, Fotomelia - Creative Commons Deed CC0.

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcrit : MO

Description

La notion de souveraineté dans le domaine de l'informatique refait son apparition de temps à autre. Mais de quoi s'agit-il au final ?

Transcription

Voix off de Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 23. Salut Manu.

Manu : Salut Mag.

Mag : Salut Luc. Je t’ai manqué hein !

Luc : Mais qui êtes-vous Madame ? Qu’a-t-on au sommaire cette semaine ?

Mag : On a quatre petits articles, mais ils ne sont pas mal.
Techniques de l'Ingénieur, « Souveraineté numérique : une fausse bonne idée ? », par Philippe Richard.

Manu : La souveraineté numérique c’est un sujet vaste qu’on va essayer d’aborder juste après parce qu’il y a plein de choses qui tournent autour de ça.

Mag : Le Monde Informatique, « Hambourg évalue une migration de Microsoft à l'open source », par Jacques Cheminat.

Manu : Il s’agit effectivement d’une migration qu’on a déjà abordée pour Munich et qui concerne là une autre ville. Le sujet est à peu près du même ordre. Il est vrai qu’il y a beaucoup d’alternances politiques qui font qu’il y a des choix qui en découlent, qui sont des choix sur le logiciel libre ou sur le logiciel privateur.

Mag : Alternatives-economiques, « Masques, valves, ventilateurs… L'impression 3D au secours des soins », par la rédaction.

Manu : Il s’agit de matériel libre et le fait de pouvoir imprimer rapidement des outils qui sont utiles, notamment dans le cadre de la pandémie, qui met en avant toute cette notion, toute cette nouvelle manufacture en utilisant l’impression 3D ; c'est quelque chose d’assez novateur finalement. On en parle déjà depuis quelque temps mais là ça a percolé, ça a vraiment percé.

Luc : Parallèlement à ça il y a un certain nombre d’articles qui sont parus sur le fait que les makers lâchent le morceau parce que maintenant que l’urgence est passée on leur dit que leur matériel n’est pas conforme aux normes et, évidemment, il faut être un industriel bien installé si on veut respecter toutes ces normes-là.

Mag : Contrepoints, « Tirer profit du Big Data sans compromettre nos libertés », par Philippe Mösching.

Manu : C’est un sujet assez original par rapport à ceux qu’on aborde d’habitude. Il s’agit de vie privée, de données personnelles et une idée qui viendrait, je crois, d’un parti libéral français, met en avant cette possibilité de donner une valeur monétaire à nos données personnelles pour s’assurer que quand Facebook ou une autre entreprise les utilise, les partage, les travaille, eh bien elle doit nous compenser en retour d’une certaine somme qui serait à déterminer, par exemple sous forme de contrat, en tout cas sous une forme de propriété.

Mag : De quoi on parle ce soir ?

Luc : On avait dit qu’on parlait de souveraineté numérique, un sujet qu’on avait déjà abordé un petit peu sous un certain angle, en racontant notamment ce qui s’était fait en France sur le sujet. Il y a cet article dans la revue de presse qui en parle et qui pose la question : est-ce que c’est une bonne idée ou pas ?

Manu : Eux commencent en abordant le sujet du point de vue de StopCovid parce qu’il s’agit de quoi ? Il s’agit notamment d’une souveraineté : la France veut pouvoir contrôler ce qui se passe pour le contrôle de la pandémie.

Luc : Du coup ça pose plein de questions parce que c’est une application qui surveille qui rencontre qui et on peut très facilement deviner où. En termes de libertés publiques ça pose plein de problèmes, mais, en même temps, certes, on pourra dire que quand on est dans une situation grave, de danger, avec plein de morts à la clef, eh bien il y a un moment où les règles tranquilles doivent sauter pour laisser la place à un système beaucoup plus bordé.

Mag : En gros, tu es en train de dire c’est trop tard. StopCovid c’était bien pendant le confinement, mais maintenant qu’on en est sorti et qu’on applique les gestes barrières, c’est inutile ?

Luc : Je n’en sais rien. En tout cas certaines personnes le disent et on peut se dire qu’il y aura peut-être une deuxième vague et que ça serait utile. Je crois savoir qu’en Australie ils ont un logiciel comme ça qui a donné des résultats extrêmement médiocres. Après il y a toujours cette question de dire : est-ce qu’il faut avoir un système de surveillance complet sur la totalité de la population alors qu’on a peut-être d’autres solutions qui ne sont pas aussi risquées en termes de libertés publiques.

Manu : Justement, c’est ça qui nous intéresse du point de vue de la souveraineté. il y a des solutions que d’autres pays ont mises en avant. Parfois c’est l’Europe qui essaye de travailler là-dessus. La Grande-Bretagne a aussi une solution à elle qu’elle est en train d’essayer de déployer et qui a l’air d’être très problématique techniquement. Il y a Google, Microsoft et Apple qui, par l’intermédiaire de leurs téléphones portables et de leurs systèmes d’exploitation, essayent aussi de mettre des applications à eux mais qui, justement, ne sont pas gérées par les États ce qui pose encore d’autres problèmes ; ce sont les entreprises ou les nations.

Mag : Je ne me vois pas aller mettre mes données personnelles chez Apple, Microsoft ou Facebook !

Luc : Tu es une exception ! En fait plein de gens le font et c’est une des choses qui est critiquée. À partir d’un certain moment, on posait la question la semaine dernière : quand est-ce qu’on cesse de considérer ce genre de très grosse entreprise, ces gros réseaux sociaux comme des réseaux privés et qu’on dit qu’ils sont devenus tellement énormes que ça devient des biens publics ? Eh bien, de la même façon, ils commencent à avoir tellement de poids et ils vont se répandre dans la santé et dans la banque également que ça pose aussi cette question de dire : est-ce qu’ils ne sont pas en train de prendre des missions dites régaliennes qui sont tellement importantes qu’ils vont finir par avoir le pouvoir et rendre nos systèmes politiques complètement caduques.

Mag : Je trouve ça assez tragique que des entreprises soient plus puissantes que des États.

Luc : Oui. Après tu peux dire que ça dépend de l'État et que ça dépend de l’entreprise. Effectivement, une entreprise c’est géré par la recherche du profit, c’est le principe de base. Un État, en tout cas on l’espère, est censé se doter de systèmes de contre-pouvoirs, de contestation, tout ça est très loin d’être parfait bien entendu, mais ce sont des choses qu’on n’a pas dans une entreprise où effectivement c’est le profit, c’est privé, c’est comme ça.

Manu : C’est intéressant. Il y a un rapport[1] du Sénat qui est sorti et l’April[2] est en train de les travailler un peu au corps pour faire comprendre que le logiciel libre c’est une alternative, les licences libres sont utiles pour l’État et les administrations, et pour éviter d’enfermer les gens. Ça n’empêche oui, les logiciels peuvent être libres, peuvent être décentralisés, mais les données elles-mêmes souvent c’est plus compliqué. On a entendu parler il y a quelques semaines que notamment les données de santé françaises sont en train d’être exportées, je crois que c’est à Microsoft aux États-Unis. Je pense que ce sera un sujet qu’on abordera une prochaine fois parce que c’est assez touffu et assez large. C’est Health Data Hub[3]], il me semble, et ça devrait être un sujet en soi.

Luc : On a l’équivalent en Grande-Bretagne. L’équivalent de la Sécurité sociale là-bas a signé un accord avec Amazon pour que les Britanniques puissent choisir de déléguer la gestion de leurs données de santé à Amazon.
Derrière, évidemment, c’est beaucoup d’argent, il y a une dimension économique.

Manu : On dit souvent que c’est le pétrole du 21e siècle.

Luc : Oui. Il ne faut pas le négliger puisque c’est important. Sur cette question de la souveraineté on rappelle qu’on en avait parlé à l’occasion de ce qui avait été tenté il y a quelques années avec le cloud souverain. 

Manu : Oui. Ça fait rire Magali juste à côté.

Mag : Je suis désolée !

Manu : Pourtant c’était des milliards et des milliards, des milliards de l’État français.

Luc : Des milliards je ne sais plus, en tout cas des centaines de millions. L’idée était d’avoir des entreprises françaises qui puissent héberger les données, en gros faire du cloud. Je crois que c’est le grand emprunt de Sarkozy qui avait servi à financer ça, des boîtes avaient été montées dans lesquelles on avait retrouvé toutes les grosses boîtes françaises habituelles, les Orange, les Thalès, les machins comme ça, qui sont des grosses boîtes dans lesquelles les grands fonctionnaires pantouflent ; il y a des allers-retours, ce sont des copains. Ça avait fait beaucoup jaser parce que déjà l’époque il y avait des PME françaises qui offraient des services en cloud. Peut-être que si on avait voulu un cloud souverain il aurait fallu financer ces gens qui savaient déjà faire pour qu’ils fassent mieux et plus vite et non pas donner de l’argent aux copains qui ont démarré de zéro et qui se sont plantés.

Manu : Il me semble que c’est même pire que ça, c’est qu’avec ces nouvelles boîtes qui s’étaient créées à côté ils sont allés faire du braconnage et récupérer des talents qui travaillaient dans ces boîtes déjà existantes, déjà installées, qui ne fonctionnaient pas mal. Et les nouvelles qui se sont installées, avec ces projets, elles ont grossi, elles se sont mises en place et finalement elles ont fait pouf ! Elles se sont écroulées.

Luc : Eh oui, parce qu’en fait elles n’ont pas généré vraiment d’activité, c’était en déficit assez considérable et, en plus de ça, il n’y avait pas de vision claire sur la stratégie, donc tout le monde s’est étripé.
Par rapport à ce truc-là et par rapport à cette notion de souveraineté, pour moi ça éclaire aussi cette vision, indépendamment de l’intérêt économique et du pantouflage que je mentionnais, c’est aussi qu’avoir des PME françaises qui offrent des services, ça ne rentre pas manifestement pas dans la notion de souveraineté. On va se dire qu’avoir nos gros champions nationaux où on a nos copains qui sont à la tête, là ça devient souverain. On retombe sur cette question qu’on évoquait tout à l’heure avec Stop-Covid, cette question de maîtrise et le fait d’avoir du pouvoir sur le système. Effectivement, si ce sont des PME qui ne sont redevables de rien par rapport à l’État et disent « on mène nos affaires comme on a envie », l’État se dit « on n’est pas dans du souverain puisqu’on n’a pas le pouvoir dessus, ou pas beaucoup ».

Manu : Ça paraît bien correspondre. Effectivement, on peut entendre souverain comme j’ai la main, j’ai le pouvoir, je contrôle, j’organise et ça, ça marche bien quand ce sont des grosses boîtes avec lesquelles je travaille d’habitude et peut-être que les petites, oui, ce sont des choses qui t’échappent. On connaît d’autres exemples : il y a des États qui sont moins libéraux, on va dire, et qui essayent de contrôler plus que leur cloud, qui essayent de contrôler leur internet, leur informatique, les machines et qui y arrivent dans une certaine mesure.

Luc : La Chine y arrive plutôt bien !

Manu : Je rajouterais la Russie qui a déjà mis en place un Internet un peu contrôlé. Ils ont fait des expériences pour tester et il semblerait qu’ils ont réussi à se couper du reste d’Internet. Donc ils arrivent à avoir un Internet à eux et qui, à priori, peut se débrancher quand ils en ont besoin.

Luc : Du coup, c’est un vrai projet pour eux. C’est un truc où ils se sont dit il faut qu’on soit indépendants. Il faut qu’on puisse se couper du reste d’Internet. En Chine, tous les grands services, les réseaux sociaux, les grands sites marchands, etc., tout ça est chinois ; la population est très largement surveillée, les services sont chinois, les entreprises sont main dans la main avec le pouvoir politique. Les gens sont très largement surveillés avec le système de notation chinois qu’on avait évoqué ici. C’est du business, ça fait de l’argent, ça leur en rapporte beaucoup, mais il s’agit bien de contrôler son économie, sa population.

Mag : Mais là vous êtes dans le contrôle, vous êtes dans le côté négatif. Le souverain ce n’est pas forcément négatif, on peut très bien faire du local, du local bio et du local bien.

Luc : Dans ce cas-là pour moi ce n’est pas souverain. Dans ce cas-là c’est du local.

Manu : À mon avis, on est sur des notions qui sont proches et effectivement il y a des choses à ne pas mélanger. Parfois, quand j’entends parler de souverain, moi je vois venir, même si on n’y est pas forcément, national. National, nationaliste, c’est un lien qu’il faut éviter de faire, je trouve, dans beaucoup de cas.

Luc : Après, ça dépend du sens que tu mets dessus. Si on fait un parallèle avec un sujet non informatique qui va être par exemple la crise du Covid-19, à un moment l’État dit « restez chez vous c’est confinement ». De deux choses l’une, soit les gens font, dans ce cas-là on peut dire que l’État fonctionne et qu’il y a une forme de souveraineté. Soit les gens disent massivement « eh bien non, on n’en a rien à foutre, vous pouvez raconter ce que vous voulez, on ne reconnaît aucune autorité à l’État et on décide de ne pas le respecter », eh bien l’État ne peut rien faire. Si la population dans son ensemble refuse d’obéir, il ne peut pas se mettre à tirer dans le tas ! Il peut le faire, mais on voit tout de suite que ça ne va pas très loin en fait.
Pour moi la souveraineté c’est ça, c’est une notion politique : est-ce que le pays est gouvernable avec des gens qui décident de reconnaître une légitimité à un État qui va leur donner des ordres et ce genre de choses ou pas.

Manu : Ça marche assez bien, ce sont les limites. C’est justement quand l’État veut contrôler en utilisant Stop-Covid — c’est une manière de contrôler ou, en tout cas, d’avoir un levier sur la population et sur la pandémie —, mais il faut qu’ils aillent jusqu’au bout d’un État démocratique qui ne veut pas juste contrôler. Il faut qu’ils mettent leur logiciel en libre, complètement, il faut qu’ils le partagent et il faut qu’ils essayent de le travailler à l’international, c’est-à-dire monter une communauté, partager avec d’autres États, avec des entreprises — c’est justement une des particularités du Libre, on ne se limite pas — et s’assurer que ce logiciel n’est pas qu'un logiciel franco-français fait par l’administration.

Luc : Pour moi, cette question de la souveraineté est d’abord politique ; c’est une question de pouvoir. Le logiciel libre est un outil qui peut être très utile pour l’État, mais ce n’est pas une solution en soi, peut-être même au contraire parce que les libertés individuelles, d’une certaine façon, peuvent se heurter à la volonté de pouvoir.
Je pense que cette question de souveraineté va s’exprimer à l’avenir par rapport à des questions de rivalité entre États. Quand on pense aux usines à trolls, au site d’information russe qui, en parallèle, va mener des campagnes pour essayer de peser sur des élections, tout ça c’est, du point de vue de ces pays-là, tu avais cité la Russie, également de la souveraineté numérique, c’est-à-dire qu’ils vont utiliser Internet et leur informatique comme un outil, comme une arme pour peser dans les rivalités entre pays.
Je pense que la crise du covid a révélé ça, ne serait-ce que sur la dépendance qu’on avait aux usines chinoises. Les élections de Trump, notamment, ont souligné ça et je pense que ça commence à faire pas mal de domaines dans lesquels le pouvoir politique a pris conscience de son impuissance sur Internet.

Manu : Avec tous ces changements qui sont en cours et qui vont arriver, on a parlé de l’impression 3D, c‘était un des exemples pour ramener des choses et les produire localement ; avec l’impression 3D je crois qu’on est précisément dedans. Mais oui, on peut relocaliser, on peut réintroduire une forme de pouvoir sur ce qu’on a et sur ce qu’on fait et oui, le logiciel libre, la communauté du Libre c’est quand même un bon levier pour ça.

Mag : Si les politiques se rendent compte qu’ils n’ont aucun pouvoir de contrôler Internet, ils vont peut-être passer à autre chose et arrêter d’essayer de contrôler. Ce serait bien ça, non ? OK ! Je retourne dans mon monde de Bisounours.

Luc : Je fais une prédiction, j’aime bien de temps en temps, ce sera faux nécessairement, mais je fais la prédiction que d’ici à quelques années la question géostratégique de la sécurité militaire, de l’espionnage, de la désinformation, déstabilisation par les puissances étrangères va prendre de plus en plus d’ampleur et que ça viendra télescoper nos libertés sur Internet.

Manu : C’est un peu négatif. On espère et on va travailler à ce que n’arrive pas et qu’on puisse garder nos libertés entre nos mains et les faire fructifier telles qu’elles sont là.
Je vous dis à la semaine prochaine.

Mag : Salut.

Luc : À la semaine prochaine. Salut.