L'idiot du village g00gle - Xavier Coadic - PSES2018

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Titre : L'idiot du village g00gle

Intervenant : Xavier Coadic

Lieu : Choisy-le-roi - Pas Sage En Seine 2018

Date : juillet 2018

Durée : 1 h 03 min 20

Écouter ou télécharger le podcast

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO


Description

Il passait pour l’idiot du village, car il se mettait parfois à marmonner des mots inintelligibles, ce qui semblait une preuve supplémentaire de sa bêtise.
Le roi g00gle dévorait son village et dans sa ferme wiki l’idiot jardinait ses légumes de liberté.
Un jour un agriculteur et un lapin pas sage en seine passèrent devant lui alors qu’il était dans son champ avec sa charrue. Xav était immobile, les yeux fixés vers le ciel. Il pensa silencieusement qu’il pourrait leur confier les expériences vécues d’un idiot dans un village g00gle ou même le débat citoyen oblige à G+.

Transcription

Merci pour ces dix minutes d’attente. Il y a quelques semaines quand j’ai proposé ce sujet de parler des idiots et des idiotes du village, j’ai trouvé ça méchamment cool en écrivant un bout de texte en trois-quatre de lignes d’une personne qui se sent l’idiote du village et qui rencontre un lapin et des pixels qui comprennent son idiotie et je trouvais ça chouette, vraiment d’en parler. Après quand on prépare une conférence il y a u peu de stress, on doit faire des textes, on doit faire des slides – moi je n’ai pas ferai de slides aujourd’hui ; c’est très volontaire. Il y a truc qui s’est rajouté qui n’était pas du tout du stress de la conférence, qui était la réalité, c’est qu’en fait il y a des choses que je voudrais vous dire mais que je ne peux pas vous dire. Et je crois que la réalité du village Google commence là parce que si je partageais ces choses-là dans un micro, dans un ordinateur ou en live, ça mettrait en difficulté des personnes qui me sont proches et que j’aime beaucoup. Ça ce n’était pas du tout prévu. C’est juste que je voulais vous le dire et voilà ! Quand on aborde certains sujets qui paraissent anodins, juste de dire « tiens je vais faire une conf sur les idiots du village Google », eh bien on embarque avec soi pas la responsabilité mais une partie des risques des personnes des personnes qu’on a autour de soi. J’ai un peu de trémolos dans la voix, mais à titre perso je trouve ça inacceptable. Je ne sais de quoi sera fait l’avenir, mais il ne faut pas que ce genre de situation, de configuration sociale, en tout cas de mon point de vue, puisse continuer.

Quand j’ai préparé cette conférence, j’ai essayé de réfléchir quand même, juste par respect pour vous et pour les personnes qui organisent PSES et, à un moment, j’ai utilisé un réseau social libre qui s’appelle Mastodon et j’ai posé la question : c’est quoi être un idiot, une idiote pour vous et j’ai reçu un texte extrêmement touchant, que j’aimerais vous lire, de la part d’une personne qui s’appelle la Reine des elfes de son pseudo, vous trouvez ça rigolo ou pas, et du coup le fait de lire ce texte est aussi une manière de dire ce n’est pas moins intervient c’est aussi elle et toutes les personnes qui sont idiotes et idiots du village. Donc je vais essayer de faire le lecteur de texte :

« Elle venait de découvrir le Web. Cela n’avait jamais été présent sans son village. Cela ne l’avait jamais dérangé. Mais le jour où l’ordinateur est rentré dans sa maison cela avait changé sa vie. Tout le monde lui avait dit que si elle posait des questions Google serait là pour l’aider. Tout le monde lui avait dit que Facebook lui permettrait d’avoir des amis. Mais elle avait beau être la « drauche » du village numérique, il y avait des petites choses qui l’intriguaient. Pourquoi lorsqu’elle faisait une recherche sur Google on lui montrait les sujets qu’elle avait regardés deux jours auparavant ? Pourquoi elle ne voyait sur Facebook que les publications des personnes avec lesquelles elle discutait le plus mais pas les autres personnes ? Elle faisait une peu de tout sur le Web et puis un jour elle tapa son nom et son prénom sur Google. Pourquoi son nom et son prénom apparaissaient collés à un petit don qu’elle avait fait ? Pourquoi ses conversations sur les réseaux sociaux se trouvaient-elles là sur sa page de recherche ? Elle était devenue l’idiote du village, ou plutôt c’est l’image qui lui était renvoyée, car elle n’avait pas la connaissance de ce milieu-là. On peut être l’idiot ou l’idiote du village pour peu que l’on n’arrive pas à assimiler les règles qui régissent ce village et on peut être l’idiot ou l’idiote du village si on trouve des personnes pour accompagner nos apprentissages. »

C’est un texte que m’avait envoyé via Gist une personne dont le pseudo est la Reine des elfes.

Ça m’a beaucoup touché un, parce que j’ai fait une demande sur Internet et que j’ai reçu une réponse, mais qu’une personne exprime une partie de ses fragilités et dise moi je me sens idiote ou idiot du village. La vraie question c’est quoi les idiots ou les idiotes du village ? Dans la culture populaire vous en avez beaucoup. Vous regardez sur Internet, pour les personnes qui ont des ordiphones et des ordis portables, il y a beaucoup de choses sur l’idiot et l’idiote du village ; il y a plein de légendes, ça fait partie de la culture populaire, des légendes urbaines, des légendes rurales. Moi je me sens aujourd’hui l’idiot de mon village. Mon village s’appelle Rennes, fait 200 000 et quelques habitants. Comme je me déplace beaucoup je ne considère pas que j’ai de frontières, un peu comme Internet, le monde est mon pays et mon village c’est l’endroit où je vis de temps en temps. C’était cool, depuis 20 ans j’ai la chance, le plaisir de pouvoir utiliser Internet, de le recevoir, de partager plein de choses, d’apprendre énormément. Et puis, à un moment, il arrive un truc qui s’appelle Gmail par exemple, en 2004, j’ai une adresse mail. C’est cool j’ai eu une adresse Gmail ; je l’ai utilisée ; il y a eu Chrome qui est le navigateur, en 2008 si je dis pas de bêtises. C’était bien ! En même temps il n’y avait pas « ??? mille choses », pour reprendre un terme de quelqu’un d’un peu connu, mais un peu comme la Reine des elfes je me suis posé la question « mais attends ! il y a du Google partout, en fait, sur le truc que j’appelle mon pays, c’est-à-dire la planète, partout il y a Google. Il y a le moteur de recherche, il y a des adresses, il y a des trucs ». Je me suis senti un peu con quoi ! Vraiment idiot !

Et puis, comme Internet c’est du partage de connaissances et de savoirs, j’ai trouvé des moyens de m’extirper de Google et de ses outils et de ses choses : le logiciel libre, d’autres adresses mail, avec des personnes qui vous expliquent à distance, au quotidien ; elles n’habitent pas en face de chez vous, elles habitent à l’autre bout du monde, en fait vous n’en savez rien où est-ce qu’elles habitent, mais elles vous partagent ce qu’elles ont envie de vous donner et vous apprenez à sortir de Google. C’était chouette ! C’était il n’y a pas si longtemps quand même, c’était il y a dix ans !

Aujourd’hui on en est où ? Je crois que Google est encore plus partout et le fait d’être en dehors de Google, quand vous regardez des personnes à l’arrêt de bus, moi c’est ce que je fais souvent : je vais dans les arrêts de bus autour de chez moi, je leur demande ce qu’elles utilisent comme moteur de recherche. Le mot moteur de recherche elles ne le connaissent pas ! Elles font une recherche sur Google ; elles ne font pas une recherche sur un moteur de recherche ! D’un côté je me sens exclu, je discute avec elles et on essaye de trouver des moyens, mais c’est compliqué.

Du coup Google a un peu colonisé ce que j’appelle mon pays c’est-à-dire la planète. J’ai réussi moi à m’en sortir, mais il est encore là quoi ! C’est la démocratie, la liberté, il a le droit d’exister, mais on a le droit aussi de ne pas être d’accord. Sauf qu’à un moment, notamment en janvier de cette année, Google est carrément venu dans mon village à Rennes. Ils ont ouvert un truc qui s’appelle « Atelier Numérique ». Moi je préfère l’appeler « boutique où on vend des choses », un peu comme il y avait des Apple Store ou des trucs comme ça, et là Google est rentré dans mon village. Mon voisin c’est Google. J’ai la pancarte tous les jours en face d’un bar que j’aime bien, dans la rue que j’aime bien, en face de mon marché. En plus, comme ils sont intelligents ils ont dit : « Vous, vous êtes vraiment des idiots du village donc on va vous éduquer au numérique ». Je n’exagère rien, ce sont leurs termes de communication ; ce sont les termes qui sont repris par les personnes en responsabilité publique et je prends là-dedans les enseignants et enseignantes, les politiques, les associations. C’est tous les jours ; « Google va vous éduquer, vous, les idiots, au numérique ».

Donc déjà qu’avant je me sentais idiot du village, là en fait on me le dit quoi ! Bon ! J’accepte !

Apparemment je ne suis pas le seul idiot du village, moi je l’assume j’aime bien être un idiot ; un idiot si c’est quelqu’un qui pose des questions ça me va : la Reine des elfes, avec le beau texte qu’elle m’a envoyé, apparemment se sent l’idiote du village et je trouve ça légitime et intéressant.

C’est quoi notre quotidien d’idiot et d’idiote du village ?

La première des choses c’est quand vous dites « j’ai des questions ou alors je ne suis pas d’accord, du fait que Google colonise mon village », vous recevez des mises en garde. Une personne en responsabilité territoriale – je pèse vraiment mes mots parce que comme j’ai dit au début je sais que certaines choses risquent d’engager des responsabilités et ça m’emmerde – une personne en responsabilité territoriale m’écrit : « Pour faire ce que tu fais, pour dire ce que tu dis — c’est un peu paternaliste son message — il y a des personnes qui prennent des risques ». OK ! Si tu veux, montre-le-moi ! Là pour l’instant c’est moi qui prends des risques en allant mettre des coups de boule à Google ou en essayant de militer ou de faire des choses. Ce n’est pas toi personnage politique ou salarié de la collectivité territoriale qui prend des risques. Ça commence comme ça les mises en garde.

Après vous avez les mises en garde qui vont un peu plus loin. Juridiquement c’est quasiment inattaquable ; il n’y a pas de menaces. Vous avez beau faire la copie du message, mais on vous dit : « Ah ouais, tu n’es pas d’accord et tu soulèves des questions, mais si tu continues à faire ça eh bien peut-être que tu auras moins de boulot ! » Ça c’est quand même assez champion pour être l’idiot du village ; tu me saoules avec des questions tu n’as plus le droit de travailler !

Il y a d’autres problèmes qui en découlent : vous avez un rendez-vous professionnel avec une personne, évidemment, – ça va être dur de ne pas décrire le truc – on va dire une personne connue, vous avez un rendez-vous professionnel pour parler boulot et vous recevez des messages disant « avec cette personne fais très attention non pas de discuter avec elle ou machin, mais laisse de côté ton truc sur Google et machin et les idiots du village ou le fait que tu aies fait un wiki pour expliquer ce qui se passe dans ta ville ». Attends, vous êtes en train de me dire que professionnellement j’ai acquis des savoir-faire et des compétences et là, quand je vais me pointer discuter avec une personne pour parler numérique notamment et notamment inclusion numérique, non pas je ne dois pas dire Google je n’aime pas ou j’aime bien, ce n’est même pas la question, c’est le fait que vous m’ayez étiqueté comme ça, ça engendre un risque pour moi et pour les personnes qui sont autour de moi ? Je ne sais pas si ça vous choque ou pas, mais si ça vous choque, coupez-moi la parole s’il vous plaît ! Je ne me suis pas engagé, un jour je me suis levé en tant qu’idiot, j’ai dit « je ne suis pas d’accord avec ce qui se passe ! » Ouais j’aurais peut-être dû me poser la question de toute la responsabilité de mes amis et des personnes que j’aime que j’embarquais dedans, mais maintenant je le prends en plein figure.

12’ 00

Il y a d’autres choses qui découlent de ça