Différences entre les versions de « L'idiot du village g00gle - Xavier Coadic - PSES2018 »

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'''Titre :''' L'idiot du village g00gle
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Transcrit [https://www.april.org/l-idiot-du-village-g00gle-xavier-coadic-pses2018 ici] - Juillet 2018
 
 
'''Intervenant :''' Xavier Coadic
 
 
 
'''Lieu :''' Choisy-le-roi  -  Pas Sage En Seine 2018
 
 
 
'''Date :''' juillet 2018
 
 
 
'''Durée :''' 1 h 03 min 20
 
 
 
'''[http://data.passageenseine.org/2018/xavcc_idiot-village-g00gle.webm Écouter ou télécharger le podcast]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
 
 
==Description==
 
 
 
Il passait pour l’idiot du village, car il se mettait parfois à marmonner des mots inintelligibles, ce qui semblait une preuve supplémentaire de sa bêtise.<br />
 
Le roi g00gle dévorait son village et dans sa ferme wiki l’idiot jardinait ses légumes de liberté.<br />
 
Un jour un agriculteur et un lapin pas sage en seine passèrent devant lui alors qu’il était dans son champ avec sa charrue. Xav était immobile, les yeux fixés vers le ciel. Il pensa silencieusement qu’il pourrait leur confier les expériences vécues d’un idiot dans un village g00gle ou même le débat citoyen oblige à G+.
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
Merci pour ces dix minutes d’attente. Il y a quelques semaines quand j’ai proposé ce sujet de parler  des idiots et des idiotes du village, j’ai trouvé ça méchamment cool en écrivant un bout de texte en trois-quatre de lignes d’une personne qui se sent l’idiote du village et qui rencontre un lapin et des pixels qui comprennent son idiotie et je trouvais ça chouette, vraiment d’en parler. Après quand on prépare une conférence il y a u peu de stress, on doit faire des textes, on doit faire des slides – moi je n’ai pas ferai de slides aujourd’hui ; c’est très volontaire. Il y a truc qui s’est rajouté qui n’était pas du tout du stress de la conférence, qui était la réalité, c’est qu’en fait il y a des choses que je voudrais vous dire mais que je ne peux pas vous dire. Et je crois que la réalité du village Google commence là parce que si je partageais ces choses-là dans un micro, dans un ordinateur ou en live, ça mettrait en difficulté des personnes qui me sont proches et que j’aime beaucoup. Ça ce n’était pas du tout prévu. C’est juste que je voulais vous le dire et voilà ! Quand on aborde certains sujets qui paraissent anodins, juste de dire « tiens je vais faire une conf sur les idiots du village Google », eh bien on embarque avec soi pas la responsabilité mais une partie des risques des personnes des personnes qu’on a autour de soi. J’ai un peu de trémolos dans la voix, mais à titre perso je trouve ça inacceptable. Je ne sais de quoi sera fait l’avenir, mais il ne faut pas que ce genre de situation, de configuration sociale, en tout cas de mon point de vue, puisse continuer.
 
 
 
Quand j’ai préparé cette conférence, j’ai essayé de réfléchir quand même, juste par respect pour vous et pour les personnes qui organisent PSES et, à un moment, j’ai utilisé un réseau social libre qui s’appelle Mastodon et j’ai posé la question : c’est quoi être un idiot, une idiote pour vous et j’ai reçu un texte extrêmement touchant, que j’aimerais vous lire, de la part d’une personne qui s’appelle la Reine des elfes de son pseudo, vous trouvez ça rigolo ou pas, et du coup le fait de lire ce texte est aussi une manière de dire ce n’est pas moins intervient c’est aussi elle et toutes les personnes qui sont idiotes et idiots du village. Donc je vais essayer de faire le lecteur de texte :
 
 
 
« Elle venait de découvrir le Web. Cela n’avait jamais été présent sans son village. Cela ne l’avait jamais dérangé. Mais le jour où l’ordinateur est rentré dans sa maison cela avait changé sa vie. Tout le monde lui avait dit que si elle posait des questions Google serait là pour l’aider. Tout le monde lui avait dit que Facebook lui permettrait d’avoir des amis. Mais elle avait beau être la « drauche » du village numérique, il y avait des petites choses qui l’intriguaient. Pourquoi lorsqu’elle faisait une recherche sur Google on lui montrait les sujets qu’elle avait regardés deux jours auparavant ? Pourquoi elle ne voyait sur Facebook que les publications des personnes avec lesquelles elle discutait le plus mais pas les autres personnes ? Elle faisait une peu de tout sur le Web et puis un jour elle tapa son nom et son prénom sur Google. Pourquoi son nom et son prénom apparaissaient collés à un petit don qu’elle avait fait ? Pourquoi ses conversations sur les réseaux sociaux se trouvaient-elles là sur sa page de recherche ? Elle était devenue l’idiote du village, ou plutôt c’est l’image qui lui était renvoyée, car elle n’avait pas la connaissance de ce milieu-là. On peut être l’idiot ou l’idiote du village pour peu que l’on n’arrive pas à assimiler les règles qui régissent ce village et on peut être l’idiot ou l’idiote du village si on trouve des personnes pour accompagner nos apprentissages. »
 
 
 
C’est un texte que m’avait envoyé via Gist une personne dont le pseudo est la Reine des elfes.
 
 
 
Ça m’a beaucoup touché un, parce que j’ai fait une demande sur Internet et que j’ai reçu une réponse, mais qu’une personne exprime une partie de ses fragilités et dise moi je me sens idiote ou idiot du village. La vraie question c’est quoi les idiots ou les idiotes du village ? Dans la culture populaire vous en avez beaucoup. Vous regardez sur Internet, pour les personnes qui ont des ordiphones et des ordis portables, il y a beaucoup de choses sur l’idiot et l’idiote du village ; il y a plein de légendes, ça fait partie de la culture populaire, des légendes urbaines, des légendes rurales. Moi je me sens aujourd’hui l’idiot de mon village. Mon village s’appelle Rennes, fait 200 000 et quelques habitants. Comme je me déplace beaucoup je ne considère pas que j’ai de frontières, un peu comme Internet, le monde est mon pays et mon village c’est l’endroit où je vis de temps en temps. C’était cool, depuis 20 ans j’ai la chance, le plaisir de pouvoir utiliser Internet, de le recevoir, de partager plein de choses, d’apprendre énormément. Et puis, à un moment, il arrive un truc qui s’appelle Gmail par exemple, en 2004, j’ai une adresse mail. C’est cool j’ai eu une adresse Gmail ; je l’ai utilisée ; il y a eu Chrome qui est le navigateur, en 2008 si je dis pas de bêtises. C’était bien ! En même temps il n’y avait pas « ??? mille choses », pour reprendre un terme de quelqu’un d’un peu connu, mais un peu comme la Reine des elfes je me suis posé la question « mais attends ! il y a du Google partout, en fait, sur le truc que j’appelle mon pays, c’est-à-dire la planète, partout il y a Google. Il y a le moteur de recherche, il y a des adresses, il y a des trucs ». Je me suis senti un peu con quoi ! Vraiment idiot !
 
 
 
Et puis, comme Internet c’est du partage de connaissances et de savoirs, j’ai trouvé des moyens de m’extirper de Google et de ses outils et de ses choses : le logiciel libre, d’autres adresses mail, avec des personnes qui vous expliquent à distance, au quotidien ; elles n’habitent pas en face de chez vous, elles habitent à l’autre bout du monde, en fait vous n’en savez rien où est-ce qu’elles habitent, mais elles vous partagent ce qu’elles ont envie de vous donner et vous apprenez à sortir de Google. C’était chouette ! C’était il n’y a pas si longtemps quand même, c’était il y a dix ans !
 
 
 
Aujourd’hui on en est où ? Je crois que Google est encore plus partout et le fait d’être en dehors de Google, quand vous regardez des personnes à l’arrêt de bus, moi c’est ce que je fais souvent : je vais dans les arrêts de bus autour de chez moi, je leur demande ce qu’elles utilisent comme moteur de recherche. Le mot moteur de recherche elles ne le connaissent pas ! Elles font une recherche sur Google ; elles ne font pas une recherche sur un moteur de recherche ! D’un côté je me sens exclu, je discute avec elles et on essaye de trouver des moyens, mais c’est compliqué.
 
 
 
Du coup Google a un peu colonisé ce que j’appelle mon pays c’est-à-dire la planète. J’ai réussi moi à m’en sortir, mais il est encore là quoi ! C’est la démocratie, la liberté, il a le droit d’exister, mais on a le droit aussi de ne pas être d’accord. Sauf qu’à un moment, notamment en janvier de cette année, Google est carrément venu dans <b>mon village</b> à Rennes. Ils ont ouvert un truc qui s’appelle « Atelier Numérique ». Moi je préfère l’appeler « boutique où on vend des choses », un peu comme il y avait des Apple Store ou des trucs comme ça, et là Google est rentré dans mon village. Mon voisin c’est Google. J’ai la pancarte tous les jours en face d’un bar que j’aime bien, dans la rue que j’aime bien, en face de mon marché. En plus, comme ils sont intelligents ils ont dit : « Vous, vous êtes vraiment des idiots du village donc on va vous éduquer au numérique ». Je n’exagère rien, ce sont leurs termes de communication ; ce sont les termes qui sont repris par les personnes en responsabilité publique et je prends là-dedans les enseignants et enseignantes, les politiques, les associations. C’est tous les jours ; « Google va vous éduquer, vous, les idiots, au numérique ».
 
 
 
Donc déjà qu’avant je me sentais idiot du village, là en fait on me le dit quoi ! Bon ! J’accepte !
 
 
 
Apparemment je ne suis pas le seul idiot du village, moi je l’assume j’aime bien être un idiot ; un idiot si c’est quelqu’un qui pose des questions ça me va : la Reine des elfes, avec le beau texte qu’elle m’a envoyé, apparemment se sent l’idiote du village et je trouve ça légitime et intéressant.
 
 
 
C’est quoi notre quotidien d’idiot et d’idiote du village ?
 
 
 
La première des choses c’est quand vous dites « j’ai des questions ou alors je ne suis pas d’accord, du fait que Google colonise mon village », vous recevez des mises en garde. Une personne en responsabilité territoriale – je pèse vraiment mes mots parce que comme j’ai dit au début je sais que certaines choses risquent d’engager des responsabilités et ça m’emmerde – une personne en responsabilité territoriale m’écrit : « Pour faire ce que tu fais, pour dire ce que tu dis — c’est un peu paternaliste son message — il y a des personnes qui prennent des risques ». OK ! Si tu veux, montre-le-moi ! Là pour l’instant c’est moi qui prends des risques en allant mettre des coups de boule à Google ou en essayant de militer ou de faire des choses. Ce n’est pas toi personnage politique ou salarié de la collectivité territoriale qui prend des risques. Ça commence comme ça les mises en garde.
 
 
 
Après vous avez les mises en garde qui vont un peu plus loin. Juridiquement c’est quasiment inattaquable ; il n’y a pas de menaces. Vous avez beau faire la copie du message, mais on vous dit : « Ah ouais, tu n’es pas d’accord et tu soulèves des questions, mais si tu continues à faire ça eh bien peut-être que tu auras moins de boulot ! » Ça c’est quand même assez champion pour être l’idiot du village ; tu me saoules avec des questions tu n’as plus le droit de travailler !
 
 
 
Il y a d’autres problèmes qui en découlent : vous avez un rendez-vous professionnel avec une personne, évidemment, – ça va être dur de ne pas décrire le truc – on va dire une personne connue, vous avez un rendez-vous professionnel pour parler boulot et vous recevez des messages disant « avec cette personne fais très attention non pas de discuter avec elle ou machin, mais laisse de côté ton truc sur Google et machin et les idiots du village ou le fait que tu aies fait un wiki pour expliquer ce qui se passe dans ta ville ». Attends, vous êtes en train de me dire que professionnellement j’ai acquis des savoir-faire et des compétences et là, quand je vais me pointer discuter avec une personne pour parler numérique notamment et notamment inclusion numérique, non pas je ne dois pas dire Google je n’aime pas ou j’aime bien, ce n’est même pas la question, c’est le fait que vous m’ayez étiqueté comme ça, ça engendre un risque pour moi et pour les personnes qui sont autour de moi ? Je ne sais pas si ça vous choque ou pas, mais si ça vous choque, coupez-moi la parole s’il vous plaît ! Je ne me suis pas engagé, un jour je me suis levé en tant qu’idiot, j’ai dit « je ne suis pas d’accord avec ce qui se passe ! » Ouais j’aurais peut-être dû me poser la question de toute la responsabilité de mes amis et des personnes que j’aime que j’embarquais dedans, mais maintenant je le prends en plein figure.
 
 
 
==12’ 00==
 
Il y a d’autres choses qui découlent de ça quand Google arrive dans votre village et que vous dites « hé, je lève le doigt, je suis un idiot du village » ; Google ça peut poser des questions. Il y a un truc c’est qu’il y a des personnes avec lesquelles vous travaillez, des personnes du secteur privé ou du secteur public et qui vous disent : « Ouais, putain, vous avez un truc énorme sur l’énergie et sur l’écologie il faut qu’on bosse ensemble ! » C’est cool, enfin ! Sauf qu’elles s’aperçoivent qu’en fait vous avez mis un pied, enfin vous n’avez pas mis un pied dans le village Google, Google a mis un pied dans votre village, et vous n’êtes pas d’accord, vous êtes en train de dire « OK ils sont en train d’empiéter chez moi » et du coup ces personnes-là ne tiennent pas leurs promesses. Elles ne viennent plus travailler avec vous. Vous êtes réellement blacklisté.
 
 
 
II y a d’autres choses, c’est qu’à un moment, il y a quelques années encore très récentes, Google a fait une grande politique de mécénat sur le logiciel libre, sur l’associatif, ils ont fait plein de trucs. Si je ne dis pas de bêtises, je crois qu’il n’y a pas loin de dix ans ils avaient ouvert Google Campus à Londres qui est un espace de <em>coworking</em>. Après ils ont fait des trucs en ligne où vous pouviez avoir 200 000, 500 000, un million d’euros pour vous aider en tant qu’association. Donc ces associations locales dans mon village, comme elles ont eu l’argent de Google, quand aujourd’hui se pose la question de « venez, on en discute, c’est quoi l’impact de Google dans notre quotidien, dans notre village ? » Ce n’est pas juste une boîte mail ou un moteur de recherche. Ils ont réellement une boutique avec marqué en gros, là, dans la rue, eh bien ces associations-là ne peuvent plus parler, elles sont dans une forme de crainte, une espèce de tyrannie parce que eh bien oui elles ont eu de l’argent de la part de ce que certains diraient le grand diable. C’est compliqué !
 
 
 
En fait on nous coupe une partie de la liberté d’expression par plein de médiums différents.
 
 
 
Enfin, le truc que j’ai découvert il y a quelques jours, juste avant de venir ici, Google a annoncé qu’ils ouvraient leur atelier à Rennes en janvier, si je ne dis pas de bêtises, il me semble ; ça a été le grand barnum politique : les élus de la métropole, les élus de la mairie ont dit : « Chouette on aura un atelier Google à Rennes ; on va devenir intelligents, ils vont nous aider ». Tout le monde s’est mis à re-twitter comme on dit, sur les réseaux sociaux, en tout cas à réutiliser, faire des articles de journaux. Mais quand on s’est levés à quelques-uns et qu’on a dit « il y a des personnes qui sont contre, il y a des personnes qui posent des questions, nous on est en diversité, pas vous apparemment, on veut juste poser des questions. » Eh bien en fait les politiques rien ! Personne ! Mais quand je dis personne c’était on ne nous ne parlait pas, on ne nous parlait pas sur les réseaux sociaux, mais on ne nous parlait pas en direct. S’asseoir devant une personne politique et lui demander, normalement c’est un principe de démocratie, je ne dis même pas de demander des comptes, d’avoir un dialogue. Non ça ce n’est pas un sujet à aborder. OK !
 
 
 
Google a ouvert son atelier le 9 juin et là, tout d’un coup, il y a des personnes qui sont sorties du bois en disant « Ah ! C’est nul Google ! » OK, c’est cool, ça fait quelques personnes de plus dans la machine, dans le mouvement, dans l’impulsion, mais vous étiez où il y a six mois ? Vous étiez où il y a un an ? Vous étiez où il y a dix ans ?
 
 
 
On a fait un wiki à Rennes qui s’appelle « no-google », on a juste copié une démarche qui existe à Berlin, qui s’appelle « Fuck off Google », à Kreuzberg, le quartier berlinois ; ils ont carrément un campus Google, c’est plus grave que juste une boutique, et ils ont ouvert un wiki. Je fais partie des personnes qui se sont dit c’est une bonne démarche par rapport à la surveillance de masse, par rapport à l’omerta, par rapport à la tyrannie, par rapport au fait de ne pas payer d’impôts, par rapport au fait d’en prendre plein la gueule tous les jours, si à ça on opposait une démarche contributive, démocratique et ouverte.
 
 
 
Là-dessus merci la technologie et les internets. Wiki existe, enfin des wikis existent. C’est ce qu’on a proposé. Et du jour au lendemain des politiques se sont dit « eh bien tiens on va piocher dedans ». Eh bien c’est le but ! C’est juste on a mis sous licence libre, on a fait un wiki, ouais ! Mais vous étiez où il y a six mois ? Et quand on pose la question encore aujourd’hui, c’est pareil. C’est un peu comme l’encéphalogramme : il y a des courbes, il y a des pics, eh bien chez eux c’est plat. Je trouve que c’est encore une forme de tyrannie de s’adresser à une personne qui est responsable politique de son village et qu’elle ne vous réponde pas ; c’est assez violent !
 
 
 
Qu’est-ce que ça engendre du coup ? Est-ce qu’il faut faire le deuil d’avoir, non plus un Google dans son ordinateur mais un Google dans sa rue, dans son village ? Je ne sais pas si j’ai du mal avec le deuil, mais la première phase du deuil c’est le choc. Choqué, je l’ai été, je ne suis pas le seul. Je reprends l’anecdote que je vous disais sur les arrêts de bus ou dans les cafés. Comme je me déplace beaucoup, vous avez vu je suis pieds nus et c’est chouette, mais c’est parce que je suis nomade, je rencontre beaucoup de personnes et j’aime bien interroger les personnes et je ne suis pas le seul à être choqué en fait. Il y a vraiment beaucoup de personnes qui se posent des questions.
 
 
 
Dans un bar, on était dans un pub irlandais le jour de l’ouverture de Google à Rennes, le pub irlandais faisant face à la boutique Google. Dix heures du matin, à Rennes c’est ce qu’on appelle le marché des Lices, c’est le grand marché rennais qui est énorme, c’est une très belle ambiance à vivre et on avait mis trois flyers, deux ordis, on faisait de la médiation numérique. Oui, il y a des personnes du collectif qui sont rentrées dans l’atelier Google, prenez ça comme de l’espionnage si vous voulez, mais en tout cas pour comprendre ce qu’ils faisaient, les fameuses conférences sur le « figital » ; les conférences sur la cybersécurité par le coach en marketing Google. Plutôt que dire juste des conneries comme là je suis en train de dire dans un micro, on y est allés, on est allés voir, on a écrit ce qui s’est dit ; on a documenté, c’est le principe d’un wiki. Eh bien dans le bar il y a des personnes qui sont venues nous voir en disant « moi je suis inquiète, je vois Google partout dans ma vie, je vois Google dans mon smartphone, je vois Google dans mon ordinateur, je vois Google maintenant dans ma rue, je vois Google dans ma boîte aux lettres. » Ça nous a vachement surpris on est sortis du concept du discours et de l’habitude je pourrais dire geek de dire « ouais le libre c’est intéressant, il faut protéger ses données, vous êtes espionnés, Google ne paye ses impôts ! » Ouais tout ça c’est vrai. Mais tout d’un coup on a eu un discours de l’idiote et de l’idiot du village que nous sommes et qu’elle était, et c’était chouette !
 
 
 
Pour l’anecdote il y a un groupe de musique irlandaise qui s’est mis à jouer avec nous, avec les flyers ce qui a beaucoup énervé les responsables de l’atelier Google juste à côté.
 
 
 
Après le choc, il y a une autre phase, c’est le déni. C’est de se dire « OK j’ai été choqué parce que Google, mais j’ai envie de renier le fait que Google existe ». Ce qui est assez marrant c’est que pendant cette phase-là, on a été quelques-uns à faire une page sur le wiki qu’on a appelée « annuaire je ne sais plus quoi », en gros on a recensé tout ce qui se fait à Rennes depuis plus de 20 ans sur le numérique, sur l’éducation populaire, en disant ce n’est pas que le coup de dire Google c’est nul, c’est de montrer qu’il y a des choses qui existent et qui ont existé avant et qui existeront après. Et en fait, de mon point de vue, c’était une forme de déni de dire » ouais ils ont ouvert une boutique Google à Rennes et non on va essayer de montrer le contraire en faisant croire qu’ils n’existent pas ».
 
 
 
Et dans ce déni je pense qu’on commet une faute on n’a pas le droit d’interdire que Google s’installe à Rennes. Le principe de la démocratie, qu’ils installent le Stardock et Mac Do, on a beau ne pas aimer, mais ils ont le droit d’ouvrir une boutique, une entreprise ; ce qui m’embête beaucoup c’est quand une entreprise dit « je vais du numérique citoyen d’éducation ». Non ! Vous êtes une entreprise, on est bien d’accord, il faut que vous fassiez du chiffre d’affaires et des bénéfices, vous vendez des choses.
 
 
 
Donc là on était un peu dans le déni où on est toujours.
 
 
 
Ensuite il y a eu cette phase de colère. Vraiment ras-le-bol, Google nous fait chier. Et je ne parle d’ordinateur. Je pense que ici à Pas Sage En Seine il y a un niveau technique assez élevé, on a beaucoup parlé logiciel libre et de vie privée, mais je parle vraiment du quotidien. Imaginez qu’on remplace votre boulangerie par un truc qui s’appelle Google ! Je vous garantis que ça vous fout en colère.
 
 
 
Et du coup toujours dans cette phase de deuil, dans cette troisième phase de colère, vous passez au marchandage. Vous allez voir des personnes autour de vous, vous allez voir les associations, vous allez voir les entreprises et vous négociez avec elles parce que vous pensez qu’il y a des points communs. C’est pareil, je ne peux pas les citer parce qu’elles ne m’ont pas donné de ticket pour le dire, mais il y a un paquet d’entreprises rennaises et pas que rennaises, aussi nantaises et d’autres, et même internationales, qui n’ont pas intérêt à ce que Google s’implante à Rennes ; c’est juste une histoire de concurrence. J’ai essayé de discuter avec elles. C’est-à-dire OK, eh bien nous on mène des actions ; on n’est même pas une association, on est une association de fait, on n’est pas une association loi 1901, nous sommes juste des citoyens, des citoyennes, des idiotes et des idiots du village qui se réunissent dans une démarche participative. On a fait un wiki, on essaie de documenter comment ils nous traquent, comment ils ne payent leurs impôts, qu’est-ce que ça fait d’avoir un atelier Google dans une ville, comment ça augmente le prix du loyer et du coup comment ça exclut les gens, comment ça empêche de parler. Eh bien ouais ! Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, il y a des personnes, plein de monde, on n’a plus la liberté de parole parce qu’on a une espèce d’épée de Damoclès sur la tête, malheureusement, sur nous, sur nos proches.
 
 
 
Donc on fait, alors il faudrait définir le « on », je fais partie des personnes qui font du marchandage, de la négociation avec des assos, avec des entreprises, j’aurais aimé vous les citer, vous faire une liste comme on fait sur un wiki, et vous dire telle entreprise, qu’elle fasse du Libre ou du propriétaire la question est après, mais d’abord elle n’a pas envie de Google et surtout elle a envie d’être reconnue.
 
 
 
Et puis toujours dans ces phases de deuil il y a la phase de résignation. Et je crois que c’est celle que je vis, moi, dans ma chair aujourd’hui. Je suis un idiot du village. Google est venu coloniser mon village et là je suis en phase de résignation parce que devant vous, comme je vous l’ai dit au début, il y a des choses que je ne peux pas vous dire, et ce n’est pas qu’à vous, je ne peux pas les dire publiquement parce que ça menace des personnes. Je ne parle de menaces terroristes, mais ça menace leur emploi, ça menace leur bien-être quotidien. Si je disais la chose y, il y a telle ou telle personne qui serait emmerdée dans son boulot, dans le secteur privé comme dans le secteur public comme dans le secteur associatif.
 
 
 
Du coup, la phase après c’est la tristesse. Je ne sais pas si je suis en train de faire une thérapie devant vous sur scène, mais je crois que je suis en train de la vivre, du coup je m’en rends compte, je vous remercie d’écouter ma thérapie, et après la tristesse il faudrait passer à l’acceptation. Il va falloir que j’accepte, de toutes façons ils ne vont pas fermer boutique Google à Rennes. Ce qui est assez dingue pour l’anecdote c’est qu’ils se sont installés rue de la Monnaie ; pour une entreprise qui ne paye pas ses impôts c’est assez chouette !
 
 
 
Il va falloir accepter. Ils sont là, on ne va pas les virer. Je n’ai pas plus de, je vais le dire, de haine envers Google que envers de H&M, ils ont le droit d’avoir leur boutique, mais qu’ils ne viennent pas coloniser mon village et ça je l’accepte. Et qu’ils laissent les autres et aussi que les personnes qui gravitent autour de ça, parce qu’il y a un coup de hypes, à l’inauguration il en fallait du monde pour dire « ah j’ai fait mon selfie à l’atelier Google » OK ! Et les assos, et les entreprises, et les collectivités publiques, et les bibliothèques qui elles font ça depuis 20 ans, vous avez fait le selfie là-bas monsieur et madame… ? La liste existe dans tous les wikis rennais, il y en plein, celles qui s’appellent les personnes élues, celles qui ont le mandat du peuple, enfin bref !
 
 
 
Après cette phase acceptation, je crois qu’il va falloir passer par une phase de reconstruction. Une fois que moi j’accepte et que d’autres personnes acceptent que notre village a été abîmé – je pourrais aller plus loin dans les mots, mais je vais rester calme – par Google, eh bien il va falloir qu’on reconstruise des choses. On ne partira pas de zéro, comme je vous ai dit il y a des assos, des entreprises, des collectivités publiques qui font ça depuis 20 ans mieux, bien mieux que Google sur l’éducation au numérique, sur l’inclusion, sur le partage, sur le respect de la vie privée, sur l’intimité numérique et merci Genma sur l’autodéfense numérique, sur l’hygiène numérique. Il va falloir reconstruire pour non pas les remettre en avant, ce n’est pas une course au marketing, la course au marketing on la perdra toujours ; ils sont plus forts que nous ! C’est pour ça qu’ils ne payent pas d’impôts ! Les 13 milliards qu’ils devraient à la France en termes d’impôts, non ! On ne pourra pas ! Eux ils les mettent dans la com’ et dans des trucs qu’ils savent faire.<br />
 
Il va falloir qu’on fasse de la reconstruction, je ne sais pas laquelle aujourd’hui, j’espère pouvoir en parler avec vous peut-être ici ; il a fallu que je m’exile quand même de Rennes à Choisy-le-Roi pour en parler publiquement pour la première fois ; peut-être qu’avec vous maintenant, parce que je vais poser le micro et j’espère que vous prendrez plein de micros ou après, en bas, ou ici, on parlera de reconstruction et comment faire des choses différentes. Je crois qu’ici, dans la salle, à peu près tout le monde, et si vous ne savez pas, connaît Framasoft, sinon on peut en discuter, ou Dégoooglisons. S’il n’y avait pas eu ça, ce n’est même pas idiot du village que je serais, c’est l’idiot du village, mais tout seul.
 
 
 
Et comme je vous ai dit au début mon village c’est Rennes, mon pays c’est le truc qui tourne qu’on appelle la planète terre. Framasoft pourrait être Américain ou Hongrois, ce n’est pas le problème, en tout cas ils existent ! Et on se sent beaucoup moins seul avec La Quadrature, avec Framasoft. Internet nous permet de discuter avec les personnes qui justement militent en Allemagne, à Berlin, contre l’implantation de Google, avec d’autres personnes à Palo Alto en Californie. C’est chouette Internet, c’est notre village et on a le droit d’être les idiots ! Mais ce n’est pas à Google de nous imposer d’être complètement stupides et idiots du village.
 
 
 
==26’ 45==
 
 
 
Parce que Google ne s’arrête pas là en fait.
 

Dernière version du 17 juillet 2018 à 18:21


Transcrit ici - Juillet 2018