L'IA est comparable à la conquête spatiale- Gilles Dowek - Usbek & Rica

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Titre : L'IA est comparable à la conquête spatiale

Intervenant : Gilles Dowek - Guillaume Ledit - Annabelle Laurent - Thierry Keller

Lieu : Usbek & Rica, podcast#15

Date : mars 2018

Durée : 45 min

Écouter le podcast

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Description

Quand Emmanuel Macron prononce un discours sur l'intelligence artificielle, on est obligé de se pencher sur la question. Après notre interview de Cédric Villani, qui a dirigé la mission derrière le rapport « Donner un sens à l’IA », retour sur les annonces du gouvernement, entre autres choses passionnantes, avec Gilles Dowek, informaticien et philosophe.

COCORICO ! L’intelligence artificielle est devenue une priorité de notre gouvernement. C'est du moins ce que l'on peut se dire après la remise au gouvernement du rapport du mathématicien et député Cédric Villani. Pour aller plus loin, on revient sur ses conclusions en compagnie de Gilles Dowek, informaticien et philosophe.

Transcription

Voix off : Usbek & Rica, le Podcast qui explore futur.

Guillaume Ledit : Salut les « turfos ». Cocorico ! L’intelligence artificielle est devenue une priorité de notre gouvernement. Alors si vous vous intéressez un peu à ces questions vous avez peut-être vu passer que le 29 mars notre gouvernement, donc, organisait un évènement baptisé AI For Humanity. Un évènement qui visait donc à mettre en lumière le travail de la mission conduite par le mathématicien et député La République En Marche Cédric Villani. Des intervenants de renommée mondiale, Demis Hassabis de Google DeepMind, Yann LeCun, le patron de l’IA chez Facebook, et l’élite de la nation se sont succédé sur scène pour mettre en lumière le rapport de celui que le site spécialisé américain The Verge qualifiait il y a quelques jours de « Lady Gaga des mathématiques ». Ce n’est pas lui qu’on reçoit aujourd’hui pour évoquer ces sujets, mais vous pouvez lire son interview assez édifiante sur le site d’Usbek & Rica et, avant de rentrer dans le vif du sujet avec notre invité, qui de mieux que le président de la République Emmanuel Macron himself pour résumer les annonces et la position de notre gouvernement autour de l’intelligence artificielle.

Voix du président Emmanuel Macron : Il ne faut ni avoir peur ni être naïf, mais définir ce chemin de crête qui nous permettra d’avoir une stratégie pour l’intelligence artificielle. Cette stratégie, à mes yeux, passe par quatre éléments principaux :

  • le premier c’est de nous mettre en situation de construire, je disais plutôt de conforter, en France et en Europe, l’écosystème de l’intelligence artificielle et en particulier en ce qui concerne les talents, un véritable réseau de recherche et l’expérimentation ;
  • le deuxième axe c’est justement d’engager une politique résolue d’ouverture des données afin de favoriser l’émergence en France de champions de l’intelligence artificielle ou d’encourager leur développement ;
  • le troisième axe c’est d’avoir une stratégie à la fois de financement, de projets, une stratégie publique, française et européenne, qui nous permette dans certains secteurs de développer, d’accélérer notre présence et de réussir pleinement dans la compétition internationale, et de la santé à la mobilité j’y reviendrai dans quelques instants ;
  • et enfin, c’est de penser les termes d’un débat politique et éthique que l’intelligence artificielle alimente partout dans le monde.

Guillaume Ledit : Alors ça fait un sacré programme, même s’il s’agit là d’un résumé rapide d’un rapport de 235 pages intitulé « Donner un sens à l’IA » et qui recense pas moins de 135 propositions pour ce faire ; rapport qui constitue un récapitulatif précis de la situation du secteur en France, mais qui ne disrupte pas vraiment la longue litanie des fameux rapports commandés par le gouvernement. On y retrouve un peu les poncifs récurrents autour du rôle de la puissance publique et de la nécessaire réorganisation de la recherche.

Pour rentrer un peu plus profondément dans l’analyse de ce rapport sur l’intelligence artificielle et pour essayer d’aller plus loin, nous avons l’honneur de recevoir l’informaticien et philosophe Gilles Dowek qui est directeur de recherche chez Inria, professeur associé à l’École normale supérieure Paris-Saclay et qui a également écrit à 16 ans un petit programme pour jouer au Mastermind. Bonjour Gilles et bienvenue chez Usbek & Rica.

Gilles Dowek : Bonjour.

Guillaume Ledit : Pour mener la conversation, se trouve avec moi autour de la table mon indispensable collègue, journaliste chez Usbek & Rica, Annabelle Laurent. Salut Annabelle.

Annabelle Laurent : Salut Guillaume.

Guillaume Ledit : Et un petit nouveau autour de cette table, notre directeur des rédactions, car nous sommes légion chez Usbek & Rica, Thierry Keller. Salut Thierry.

Thierry Keller : Salut.

Guillaume Ledit : Vous pouvez commencer. Allez-y.

Annabelle Laurent : Je vais vous poser une première question assez simple. Ça fait un certain temps qu’on attend la remise de ce rapport. Est-ce que les conclusions qui ont été apportées correspondent à ce que vous vous attendiez ? Est-ce que le plan est suffisamment ambitieux pour faire de la France cette fameuse nation leader, une nation leader de l’IA.

Gilles Dowek : Le rapport de Cédric Villani est un rapport très long, très détaillé, très fouillé, avec plein de mesures très intéressantes. Tout d’abord il me semble qu’il y a une question qui se pose c’est pourquoi le gouvernement, le Premier ministre a commandé un rapport sur l’IA. Et je trouve que c’est un petit peu le seul point faible de ce rapport. C’est sa commande.

Annabelle Laurent : Ça va être dur.

Guillaume Ledit : C’est qu’il existe !

Gilles Dowek : C’est-à-dire la question telle qu’elle est posée, me semble-t-il, révèle une certaine difficulté des savants et des politiques à converser et c’est intéressant que Cédric Villani qui est à la fois un des rares savants et politiques, mais enfin j’ai tendance à plutôt le considérer comme un savant, soit un peu au centre de ce processus. Il y a malheureusement des effets de mode dans la vie politique et le politique a parfois tendance à se saisir des questions scientifiques à travers des mots, des mots-clefs, à travers des modes et donc, aujourd’hui, le mot intelligence artificielle est partout ; il y a un an c’était le mot cryptomonnaie ; il y a deux ans c’était le mot véhicule autonome ; avant ça c’était imprimante 3D ; encore avant c’était enseignement en ligne. Donc je trouve un petit peu dommage qu’il n’y ait pas une faculté du politique à se saisir de cette transformation, de cette révolution informatique, dans son ensemble et à se focaliser à chaque fois sur un sujet. Cela dit, ça a l’avantage de limiter un tout petit peu la réflexion, donc de pouvoir aller plus en profondeur et de faire des propositions concrètes.

Il me semble qu’il y a deux propositions qui ont retenu mon attention. Il y d’abord l’importance qui a été accordée par Cédric Villani et ensuite par Emmanuel Macron dans son discours, à l’éthique. Et ça c’est une question qui me semble importante. Ça fait maintenant six ans que je fais partie d’un comité d’éthique qui s’appelle la CERNA et la CERNA, qui est un comité d’éthique sur la recherche en sciences et en technologie du numérique, a un champ d’action qui est beaucoup trop limité puisque c’est uniquement l’éthique de la recherche. Et il y a énormément de questions éthiques qui se posent autour de l’informatique et autour de l’intelligence artificielle et donc ça fait longtemps avec le CCNE, le Conseil national d’éthique, avec la CNIL, que nous appelons à la création d’un grand comité d’éthique qui serait l’équivalent pour l’informatique et pour l’intelligence artificielle de ce que le CCNE est pour les sciences de la vie et pour la médecine. Et donc là, j’ai trouvé que le fait que cette proposition soit reprise par le rapport Villani est une très bonne chose.

À l’inverse, j’ai trouvé que le rapport était un tout petit mou sur une autre question qui est la question de l’éducation et également, c’est un des points qui a peu été repris dans le discours d’Emmanuel Macron et quand il est repris il est souvent présenté comme un problème exclusivement d’enseignement supérieur : il faut davantage de doctorants, etc. Tout cela est vrai, mais je crois que nous sommes face à une révolution scientifique qui est comparable et peut-être supérieure, en importance, à la conquête de l’espace. Vous vous souvenez que quand les Russes, en 1957, ont envoyé leur premier Spoutnik, les Américains étaient absolument paniqués, les Européens étaient absolument paniqués, et ils ont eu une réaction qui, à mon sens, était la bonne réaction qui était de dire « il ne s’agit pas de recruter cinq experts spatiaux de plus, il faut que notre population générale ait un niveau scientifique qui soit beaucoup plus grand ». Et donc c’est à ce moment-là que l’enseignement des sciences est devenu une priorité en Europe et en Amérique du Nord et c’est là qu’il y a eu les célèbres maths modernes – dont on peut à priori penser que peut-être ce n’était pas la meilleure idée –-, mais en tout en cas il y avait une véritable volonté de partager les connaissances, que tout le monde se saisisse des questions scientifiques. Et je trouve un petit peu dommage que ce rapport tombe à un moment où, dans la réforme du lycée, en gros on propose de supprimer les sciences au lycée, c’est-à-dire de rendre les humanités obligatoires – ce qui est tout à fait normal, je veux dire c’est tout à fait normal que tout le monde apprenne un petit peu de français, un petit peu d’histoire, un petit peu de philosophie et je m’en réjouis –, mais qui rend l’enseignement des sciences facultatif. Et là, je crois que nous tournons le dos à devenir, j’ai oublié le mot que vous avez employé.

Guillaume Ledit : Une nation majeure. IA nation.

Thierry Keller : Déjà c’est en anglais. Est-ce que ça vous pose un problème ?

Gilles Dowek : Non, ça ne me pose pas un problème. Quand Emmanuel Macron ou d’autres emploient des mots en anglais dans une phrase en français, en général je comprends à peu près la signification des mots.

Thierry Keller : Ce n’était pas le sens de ma question. J’ai compris que vous comprenez !

Gilles Dowek : Oui. Cependant je ne sais pas pourquoi ne pas dire « la nation de l’intelligence artificielle ». Pour moi c’est équivalent ; je ne suis ni agacé ni enthousiasmé par l’usage de quelques mots en anglais.

Guillaume Ledit : Mais simplement, Gilles Dowek, quand vous parlez de l’enseignement de l’intelligence artificielle à tous les niveaux, vous l’envisagez comment ? Comment ça pourrait rentrer concrètement dans un cadre pédagogique au lycée ou au collège ?

Gilles Dowek : L’informatique en général peut s’enseigner à tous les niveaux. Bien sûr, de la même manière que quand on enseigne l’anglais on ne commence par Virginia Woolf à la maternelle et on laisse plutôt Gertrude Stein et Virginia Woolf pour le lycée ou pour l’université. C’est pareil avec l’informatique : il y a des choses qu’on peut apprendre à la maternelle, il y en a d’autres qu’il faut garder pour le lycée.

Vous avez cité le fait que j’avais écrit un programme de Mastermind il y a très longtemps, c’était quasiment au milieu du XXe siècle que j’ai écrit ce programme. Quand on écrit un programme, qui était un programme relativement simple, ce n’était pas un programme très complexe, il y avait déjà, à cette époque, une idée que je n’avais pas mise en pratique mais sur laquelle je m’étais interrogé, je n’avais pas d’outil de calcul assez puissant, qui était que l’idée que la fonction d’évaluation qui vous dit, quand vous êtes dans une certaine situation au Mastermind, est-ce que vous êtes proche ou est-ce vous êtes loin de gagner, eh bien c’était une fonction qu’on se donnait à priori, c’était une fonction logarithmique, mais je m’étais déjà dit « tiens peut-être qu’en jouant beaucoup de partie on pourrait améliorer cette fonction ».

Guillaume Ledit : D’accord. Oui.

Gilles Dowek : Et donc vous voyez que quand on écrit un programme qui fait quelques dizaines de lignes, on peut déjà se poser la question de savoir comment utiliser des données et comment améliorer les performances d’un programme avec ces données ; c’est ce qu’on appelle l’apprentissage statistique. Et le mot intelligence artificielle aujourd’hui est à peu près utilisé comme un synonyme d’apprentissage statistique. C’est un mot dont la signification a beaucoup changé au cours du temps et aujourd’hui, quand Cédric Villani, quand Emmanuel Macron parlent d’intelligence artificielle, quand Yann LeCun parle d’intelligence artificielle, ils parlent d’apprentissage statistique.

Guillaume Ledit : Apprentissage statistique. D’accord. Thierry.

11’ 31

Thierry Keller : Yann LeCun, juste, on précise, qui est le directeur de FAIR, le Facebook Artificial Intelligence Research, qui est le Français le plus connu en intelligence artificielle, à priori.

Gilles Dowek : Voilà. Et c’est surtout l’inventeur d’un merveilleux algorithme qui est un algorithme qu’on peut, selon le cas, appeler l’apprentissage profond ou l’apprentissage épais. Ce qui le rend profond c’est qu’il y a plusieurs couches de neurones empilées l’une sur l’autre. En anglais, quand il y a plusieurs couches empilées, on dit que la structure est profonde et en français, en général, on dit plutôt qu’elle est épaisse. Je crois que c’est un merveilleux algorithme, mais la traduction de deep, en français, par profond, laisse croire, ce que Yann LeCun, d’ailleurs, ne prétend pas du tout, que son algorithme a une pensée profonde. Et ça c’est un faux-ami sur lequel on pourra peut-être revenir tout à l’heure.

Guillaume Ledit : C’est intéressant.

Thierry Keller : Il y a un certain nombre de faux-amis. Revenons deux secondes sur le rapport et surtout, je dirais, sur le folklore autour de ce rapport qui est largement autour de la puissance publique : tout à coup la question de la souveraineté, la France et l’Europe se saisissent de ce grand sujet. Est-ce que c’est pas, avant tout, avant d’être une question technique une question géopolitique ?

Gilles Dowek : Exactement ! Comme la conquête spatiale était à la fois une question technique et une question géopolitique, il est sûr, aujourd’hui, que les recherches, qu’elles soient menées dans un pays ou dans un autre, finalement, profitent à l’ensemble des humains. On ne peut pas dire il y a une recherche française, il y a une recherche américaine, il y a une recherche allemande, il y a une recherche européenne, ça c’est complètement faux ; il y a une seule recherche, c’est la recherche mondiale.

En revanche, qui récolte les fruits de la recherche ? Eh bien ce sont principalement les industries, les économies, qui sont un peu préparées pour cela. Et donc autant que Yann LeCun fasse ses travaux d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, je crois que ça n’a pas une très grande importance ; en revanche, le fait qu’il y ait une culture générale dans la population française, dans la population des ingénieurs, dans la population des techniciens, dans la population des décideurs qui comprennent l’importance de ces travaux et qui sachent en tirer les bénéfices, ça oui ! Ça on peut dire que c’est vraiment un enjeu géopolitique.

Guillaume Ledit : Et ça, ça ne dépend pas forcément de la France ; c’est quelque chose qui est plus de l’ordre enfin d’une éthique globale des chercheurs.

Gilles Dowek : Disons, ce qui dépend de la France, de son ministère de l’Enseignement supérieur et de son ministère de l’Éducation nationale, c’est le fait de préparer les jeunes qui, demain, seront les vieux, et donc les décideurs, et donc les créateurs, à se saisir de ces questions, à les comprendre ou alors à rester à la surface, à rester des utilisateurs et à rester des commentateurs de ces transformations. Et je crois que ce n’est pas exagéré de dire que c’est le rôle de l’État ici, de préparer la population à vivre dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Guillaume Ledit : Annabelle.

Annabelle Laurent : Est-ce que la réponse de l’État, du coup, en tout cas ce qui a été apporté par Emmanuel Macron lors de son discours à la suite de la remise du rapport, donc le fait d’annoncer un cadre budgétaire de 1,5 milliard d’euros vous semble suffisant ? Est-ce que l’État se donne les moyens de cette ambition ?

Gilles Dowek : Oui. Peu de chercheurs vous répondront que 1 milliard 500 000 euros est tout à fait superflu !

Annabelle Laurent : Que c’est une petite somme. D’ici 2022 je crois.

Guillaume Ledit : À l’horizon 2022.

Annabelle Laurent : Horizon 2022.

Gilles Dowek : Je crois que nous savons qu’il y a un déficit d’investissement public dans la recherche en France et donc chaque euro qui est investit dans la recherche, chaque euro supplémentaire, est toujours une bonne nouvelle. De la même manière, comme je l’ai dit tout à l’heure, le fait que le gouvernement et le président de la République se saisissent des questions éthiques est une réponse qui me semble tout à fait à la hauteur des enjeux.

En revanche, je continue à garder un certain scepticisme sur sa réponse en matière d’éducation ; je crois qu’il faut faire beaucoup plus. Il faut faire beaucoup plus non pas pour enseigner l’intelligence artificielle en CM2, mais pour enseigner les sciences, pour enseigner l’informatique et pour enseigner l’intelligence artificielle. Tout ça va ensemble. On ne peut pas juste enseigner un sujet à une population majoritairement illettrée. Il faut vraiment faire un effort sur l’ensemble de la culture scientifique, de la culture informatique et de l’intelligence artificielle.

Annabelle Laurent : Vous insistez sur donc l’absence de l’éducation dans ce rapport, mais ce qu’on entend beaucoup sur l’IA c’est que la force qu’on a ce sont nos chercheurs. Donc c’est un peu paradoxal. Peut-être que les générations futures ne seront pas assez armées face aux défis de l’intelligence artificielle mais, pour l’instant, en l’état, on a des chercheurs qui, d’ailleurs, vont dans la Silicon Valley et que s’arrachent les entreprises de la Silicon Valley.

Gilles Dowek : Il y a d’excellents chercheurs en France ; en revanche, il n’y a pas suffisamment de chercheurs en France. C’est-à-dire il ne faut pas avoir une vision de la recherche qui est un peu celle de la recherche au XIXe siècle et, on va dire, jusqu’en 1905. Jusqu’en 1905, la recherche était formée d’un tout petit nombre.

Thierry Keller : J’ai interdiction de parler de la loi sur la laïcité de la part de Guillaume Ledit, je tiens à le préciser.

[Rires]

Gilles Dowek : Ça n’a rien à voir. Je disais juste que ça n’avait rien à voir.

Annabelle Laurent : Thierry nous te surveillons.

Gilles Dowek : Il s’est passé plusieurs choses en 1905.

Guillaume Ledit : Reprenez Gilles.

Gilles Dowek : En particulier, il y a ce qu’on peut considérer comme le dernier papier, le dernier article, c’est un article d’Albert Einstein, c’est l’article qui introduit la relativité, qui est une œuvre solitaire et une œuvre d’un chercheur isolé. Aujourd’hui, la recherche se fait en équipe, d’abord en équipe dans les laboratoires, mais aussi en équipes mondiales et donc les chercheurs sont connectés les uns aux autres au-delà de murs de leur laboratoire et aujourd’hui, il n’est pas vrai que nous avons un effort suffisant de recherche en France. Ça, c’est une question de budget de la recherche rapporté au PIB.

Guillaume Ledit : D’ailleurs les budgets baissent. Effectivement, Emmanuel Macron annonce 1 milliard pour l’intelligence artificielle, mais les budgets globaux baissent sous son mandat, en tout cas depuis le début de son débat ; les budgets annoncés pour la recherche et enseignement supérieur.

Gilles Dowek : Oui. L’ensemble des budgets publics baisse et, en particulier, cette idée qui avait été formulée il y a quelques années d’atteindre 3 % du produit intérieur brut comme effort de recherche est encore très loin. Certes, ça n’empêche qu’il y ait un certain nombre d’excellents chercheurs, mais on ne peut pas mesurer la qualité de la recherche d’un pays au nombre de prix Nobel, si vous voulez. C’est un élément, je me réjouis quand un de mes collègues a le prix Nobel, mais il y a un effort un peu plus extensif, un peu plus quantitatif et la France n’est pas du tout bien placée aujourd’hui dans la compétition mondiale.

Annabelle Laurent : On voulait vous parler maintenant d’un tout autre sujet, qui est lié évidemment, l’affaire Cambridge Analytica, qui a donc ébranlé sérieusement Facebook. Facebook est accusé de ne pas avoir protégé les données de 50 millions d’utilisateurs qui se sont retrouvées dans les mains de ce cabinet d’analyse à des fins politiques. Donc ça vient remettre en cause la collecte des données à des fins publicitaires et surtout, ça pose la question de la reprise en main de données. Donc qu’est-ce qu’on fait ? On voit en fait le hashtag #deletefacebook. Est-ce qu’on delete Facebook ? Ou est-ce qu’il y a une autre issue ?

Gilles Dowek : Il s’avère que moi je n’ai pas à fermer mon compte Facebook, parce que je n’ai jamais ouvert de compte Facebook !

Guillaume Ledit : Il y a de la punchline aujourd’hui !

[Rires]

Gilles Dowek : Ce n’est pas spécialement par hostilité à Facebook, mais Facebook propose un certain nombre de services qui servent essentiellement à communiquer sur le Web et il s’avère que, ayant eu la chance d’apprendre un petit peu d’informatique dans mes études, je sais faire une page web sans utiliser Facebook et donc, sur une page web, je contrôle complètement les données que je mets en ligne, celles que je décide de mettre en ligne, celles que je décide de ne pas mettre en ligne. Je suis resté à cette technologie pré-Facebook, donc aujourd’hui je ne peux pas m’associer à ce mouvement qui consiste à fermer sa page Facebook. Mais j’aimerais vous retourner la question. Est-ce que vous vous souvenez du nom du service qui a précédé Facebook ?

Annabelle Laurent : Facemash ?

Guillaume Ledit : Myspace ?

Gilles Dowek : Vous voyez, il faut faire un effort.

Annabelle Laurent : Ce qu’a créé Zuckerberg ?

Gilles Dowek : Non, avant que Zuckerberg ait créé Facebook.

Annabelle Laurent : C’était bien Facemash.

Gilles Dowek : Quelle était l’application, l’outil que tous les jeunes utilisaient pour communiquer ?

Thierry Keller : Messenger.

Annabelle Laurent : Messenger.

Gilles Dowek : Voilà, donc oui, mais il faut se gratter la tête. Est-ce que c’était Myspace ? Est-ce que c’était Messenger ? C’était quoi la différence déjà ? Vous voyez !

Guillaume Ledit : Je vois où vous voulez en venir !

Gilles Dowek : Où je veux en venir, c’est que ces Facebook, ces Google, ces Amazon, sont des colosses. Voilà ! Mais comme beaucoup de colosses, ce sont des colosses aux pieds d’argile et on s’aperçoit que des entreprises qui ont énormément cru, énormément profité comme – alors je vais peut-être citer des noms qui ne vont rien évoquer aux moins de 20 ans – des entreprises qui s’appelaient IBM, des entreprises qui s’appelaient Bull.

Guillaume Ledit : Je ne connais pas !

Gilles Dowek : Des entreprises qui s’appelaient Microsoft et qui, après avoir dominé le monde, tout d’un coup se sont écroulées. C’est une vraie question de savoir pourquoi ces colosses sont aussi fragiles et il y a plusieurs réponses. Et l’une d’elles c’est qu’il y a un point sensible, leur talon d’Achille, un de leurs talons d’Achille, c’est l’image. Donc quand une entreprise comme Facebook, dont le capital de sympathie est énorme, tout d’un coup fait une erreur.

Annabelle Laurent : Pas qu’une !

Guillaume Ledit : En fait plusieurs de suite !

Annabelle Laurent : Une belle série.

Gilles Dowek : Ou une suite d’erreurs, une série d’erreurs qui met en cause son image, eh bien c’est le moment de vendre ses actions. C’est-à-dire qu’il y a une période post-Facebook qui est peut-être en train de s’ouvrir aujourd’hui et il y a d’autres réseaux sociaux, d’autres moyens de communiquer qui vont émerger et qui, peut-être, vont remplacer Facebook, qui sait ! Ce n’est pas très grave ça !

Thierry Keller : Vous, Gilles, qui savez rédiger des pages web, vous êtes candidat au remplacement de Facebook ?

22’ 04

Gilles Dowek : Pas du tout !