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<big><b>L'Hadopi dans l'éducation - Philippe-Charles Nestel Ethnométhodologue, fondateur de babelweb.org, professeur.</b></big><br />Date de publication sur In Libro Veritas : 13 novembre 2009.  
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<font color="#777777">Par Philippe-Charles Nestel, in Bataille Hadopi, Date de publication sur In Libro Veritas : 13 novembre 2009, sous licence Art Libre (LAL 1.3)</font>
  
 
La loi sur le Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information <ref>LOI n° 2006-961 du 1er août 2006 : droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI)<br />http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000266350&dateTexte=</ref> du 1er août 2006, prévoyait des peines pouvant aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison pour le contournement des mesures techniques de gestion des droits numériques ou la simple copie d’œuvres numériques, y compris destinées à l’éducation. Ainsi l’Académie en ligne <ref>L’Académie en ligne http://www.academie-en-ligne.fr/Default.aspx</ref>, lancée le 19 juin 2009 par le ministère de l’Éducation nationale, rappelle dans les conditions d’utilisation du site <ref>L’Académie en ligne : Conditions d’utilisation du site http://www.academie-en-ligne.fr/MentionsLegales.aspx</ref> : « <cite>Vous ne pouvez utiliser ces contenus qu’à des fins strictement personnelles. Toute reproduction, utilisation collective à quelque titre que ce soit, tout usage commercial, ou toute mise à disposition de tiers d’un cours ou d’une œuvre intégrée à ceux-ci sont strictement interdits. Le non respect de ces conditions vous expose à des poursuites judiciaires pour contrefaçon conformément aux articles L 335-2 et suivi du code de la propriété intellectuelle. Ces actes sont punis de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.</cite> ».
 
La loi sur le Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information <ref>LOI n° 2006-961 du 1er août 2006 : droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI)<br />http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000266350&dateTexte=</ref> du 1er août 2006, prévoyait des peines pouvant aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison pour le contournement des mesures techniques de gestion des droits numériques ou la simple copie d’œuvres numériques, y compris destinées à l’éducation. Ainsi l’Académie en ligne <ref>L’Académie en ligne http://www.academie-en-ligne.fr/Default.aspx</ref>, lancée le 19 juin 2009 par le ministère de l’Éducation nationale, rappelle dans les conditions d’utilisation du site <ref>L’Académie en ligne : Conditions d’utilisation du site http://www.academie-en-ligne.fr/MentionsLegales.aspx</ref> : « <cite>Vous ne pouvez utiliser ces contenus qu’à des fins strictement personnelles. Toute reproduction, utilisation collective à quelque titre que ce soit, tout usage commercial, ou toute mise à disposition de tiers d’un cours ou d’une œuvre intégrée à ceux-ci sont strictement interdits. Le non respect de ces conditions vous expose à des poursuites judiciaires pour contrefaçon conformément aux articles L 335-2 et suivi du code de la propriété intellectuelle. Ces actes sont punis de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.</cite> ».
  
Devant l’impossibilité d’appliquer des sanctions pénales très lourdes à des centaines de milliers d’internautes, la loi DADVSI prévoyait également une « riposte graduée », par la mise en place d’une contravention pour les échanges de fichiers protégés sur les réseaux peer-to-peer.
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Devant l’impossibilité d’appliquer des sanctions pénales très lourdes à des centaines de milliers d’internautes, la loi DADVSI prévoyait également une « ''riposte graduée'' », par la mise en place d’une contravention pour les échanges de fichiers protégés sur les réseaux peer-to-peer.
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Mais le 27 juillet 2006, les Sages du Conseil Constitutionnel avaient estimé que la qualification en tant que contravention était « ''contraire au principe d’égalité devant la loi'' » <ref>Conseil Constitutionnel : Décision n° 2006-540 DC - 27 juillet 2006 http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540/2006540dc.htm]</ref>.
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En septembre 2007, Denis Olivennes, patron de la Fnac, fut donc investi d’une mission par la ministre de la Culture, Christine Albanel, afin de proposer un nouveau mécanisme de « ''riposte graduée'' », fondé sur des « ''mesures pédagogiques'' » dont la proposition phare fut la création d’une autorité publique baptisée Hadopi.<br />
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Présenté en procédure d’urgence, le projet de loi Création et Internet, instaurant une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet fut adopté le 30 octobre 2008 par la quasi totalité du Sénat qui avait examiné en une seule journée quelques 200 amendements<ref>Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence le 30 octobre 2008.<br />
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http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1240.asp</ref>. Principalement visée par ces mesures pédagogiques : les jeunes générations. « ''L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale'' », déclara la Mme Catherine Morin-Desailly, Sénatrice de la Seine-Maritime, Membre du groupe Union Centriste, lors de séance du 29 octobre 2008<ref>Sénat : séance du 29 octobre 2008 (compte rendu intégral des débats)<br />http://www.senat.fr/seances/s200810/s20081029/s20081029_mono.html</ref>.<br />
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M. Serge Lagauche, Sénateur du Val-de-Marne (Ile-de-France), Membre du Groupe Socialiste, renchérit : « Je suis satisfait que certains de mes collègues aient permis, par leurs amendements, l’ajout d’un volet éducatif en prévoyant la sensibilisation des collégiens aux phénomènes de téléchargement illicite et de peer to peer. ».
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M. Michel Thiollière, rapporteur proposa donc de compléter l’article L. 312-9 du code de l’éducation, qui prévoit actuellement que « ''tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique'' » par l’article 9 bis du Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet qui fut votée au Sénat : « ''Dans ce cadre, ils reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et Internet des collégiens, sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés'' ».
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En mars 2009, le texte fut soumis à l’Assemblée nationale. Six amendements<ref>Amendements à l’article 9 bis, déposés à l’Assemblée nationale : Amendement n° 23, Amendement n° 95, Amendement n° 96, Amendement n° 197, Amendement n° 198.
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*http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000023.asp
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*http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000095.asp
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*http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000096.asp
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*http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000197.asp
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*http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000198.asp</ref> à l’Article 9 bis, proposés par des députés de la majorité parlementaire furent présentés, dont celui de Mme Marland-Militello, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, qui proposa dans la foulée de modifier l’article L. 312-6 du code de l’éducation concernant les enseignements artistiques.
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Le 26 mars 2009, l’April, Association pour la promotion et la défense des logiciels libres publia un communiqué de presse<ref>Hadopi : propagande anti-libre à l’école ?<br />
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http://www.april.org/fr/Hadopi-propagande-anti-libre-a-lecole</ref> où l’on put lire : « ''Alors que le projet de loi Création et Internet est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, l’April tient à souligner combien le contenu de l’article 9 bis constitue un manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l’école. Cet article, qui condamne le téléchargement dans l’absolu, méprise le foisonnement d’œuvres en partage. Il désigne les technologies comme une menace, s’appuyant sur la vision partiale et biaisée d’industries n’ayant pas su s’adapter au numérique.'' »
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Dans ses présupposés idéologiques le projet de loi Hadopi1 présentait, de façon partiale et manichéenne, le droit d’auteur sur Internet en opposant la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles « ''nuisible'' » à la création artistique, à une « ''offre légale'' » accessible sur un « <cite>catalogue des œuvres protégées » permettant de rémunérer cette création</cite>.<br />
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Ce faisant, les promoteurs de la loi Hadopi occultaient tout simplement la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres qui constituent pourtant une offre légale abondante. D’après des estimations minimales, 250 millions d’œuvres<ref>Creative Commons, Approximate Minimum Total CC Licensed Works as of July 2008. À noter la croissance exponentielle : 20M en 2005, 50M en 2006, 90M en 2007, 130M mi-2008, 250 M en juillet 2009.<br />
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http://wiki.creativecommons.org/Metrics</ref> et documents sous licences Creative Commons étaient recensées en juillet 2009.<br />
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Une technologie neutre - le téléchargement - y était diabolisée alors même que la notion d’échange d’informations via un protocole de communication sur un canal de transmission constitue une notion informatique de base qui devrait être intégrée au sein de l’enseignement technologique en collège, au même titre que le modèle client/serveur sur lequel s’appuie l’architecture du réseau Internet. De nombreux adolescents pratiquent ces technologies tous les jours sans en comprendre les principes sous-jacents.
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Dire le droit et informer les jeunes générations des sanctions pénales encourues par le téléchargement illicite, ne doit pas se transformer sous l’égide du ministère de l’éducation nationale en propagande. Il importe que les enseignants soient formés, que de réels contenus soient institués au sein d’un véritable enseignement, expliquant le droit d’auteur, les licences, y compris celles sous copyleft, afin que les adolescents soient informés de ce qui est licite et de ce qui ne l’est pas. Il n’est pas tolérable de présenter les seuls intérêts du lobby de l’industrie du divertissement comme la seule alternative d’une offre légale au téléchargement illicite, au mépris de la neutralité scolaire et commerciale de l’école : « <cite>le service public d’enseignement doit en effet répondre à l’intérêt général et aux missions qui lui sont dévolues. Les établissements scolaires n’ont par conséquent pas vocation à effectuer des opérations commerciales</cite> »<ref> L. 511-2 du Code de l’éducation : « ''Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement'' ». <br /http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=</ref>.
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A l’Assemblée, quelques députés comme Martine Billard ou Jean-Pierre Brard, déposèrent des sous-amendements, pour défendre la neutralité scolaire, afin que l’Article 9 bis prenne également en compte l’existence des licences libres et ouvertes. Ainsi, Mme Martine Billard, pour soutenir le sous-amendement n° 527, déclara :<br />
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« <cite>L’article 9 bis prévoit que les élèves recevront une information sur les dangers du téléchargement pour la création artistique dans le cadre du brevet informatique et Internet des collégiens. Soit, mais comme nous ne disposons toujours pas du rapport prévu par la loi DADVSI, le débat reste ouvert sur le bilan de celle-ci. C’est la raison pour laquelle ce sous-amendement vise à prévoir que l’information sera « neutre et pluraliste » - ce n’est pas encore une réalité - et qu’elle présentera « également la diffusion légale des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres ». Si j’insiste sur les licences du type Art Libre ou Creative Commons, c’est qu’elles sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers. </cite>»<ref>[Sous-amendement n° 527 : <br />http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000527.asp<br />
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Sur La neutralité commerciale sur le site Eduscol.
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http://eduscol.education.fr/D0028/03_neutralite.htm].</ref>
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Ces sous-amendements furent discutés mais rejetés suite à l’avis défavorable du rapporteur Franck Riester (UMP).
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Occultées par la loi Hadopi, dans la présentation qui devait être donnée aux collégiens, les œuvres sous licences ouvertes et libres constituent une excellente alternative au téléchargement illégal. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels, ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et la transformation des œuvres.
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L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adapté au monde de l’éducation. Inspirées du mouvement pour le logiciel libre, elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, l’album Ghosts I-IV de Trent Reznor, distribué sous licence de libre diffusion sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plate-forme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.
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La France n’est pas en reste. Un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons. Plus de 30 000 œuvres musicales sur la plate-forme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, réunis au sein de la coopérative Libre Accès pour fournir un cadre économique assurant une juste rémunération aux artistes.
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La création et la diversité sont les fruits de la multiplicité des échanges libres entre populations, ce qui est exactement l‘inverse de ce que tente d’imposer l’Hadopi. L’école a tout intérêt à travailler sur des ressources libres, mais également sur des logiciels libres qui constituent une forme d’éducation à la citoyenneté.
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Lors des débats sur Hadopi2, M. Brard et Mne Billard proposèrent l’amendement 181 qui stipulait <ref>Amendement n° 181, présenté par M. Brard, Mme Billard <br />http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1841/184100181.asp</ref> :<br />
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« ''L’article L. 312-6 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles, sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres.'' ».
  
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Dans sa dernière version, Hadopi 2 ne fait plus aucune référence à la modification du code de l’éducation. Reste posée la question de l’exception pédagogique.
 
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Dernière version du 21 septembre 2013 à 08:01


Par Philippe-Charles Nestel, in Bataille Hadopi, Date de publication sur In Libro Veritas : 13 novembre 2009, sous licence Art Libre (LAL 1.3)

La loi sur le Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information [1] du 1er août 2006, prévoyait des peines pouvant aller jusqu’à 300 000 euros d’amende et 3 ans de prison pour le contournement des mesures techniques de gestion des droits numériques ou la simple copie d’œuvres numériques, y compris destinées à l’éducation. Ainsi l’Académie en ligne [2], lancée le 19 juin 2009 par le ministère de l’Éducation nationale, rappelle dans les conditions d’utilisation du site [3] : « Vous ne pouvez utiliser ces contenus qu’à des fins strictement personnelles. Toute reproduction, utilisation collective à quelque titre que ce soit, tout usage commercial, ou toute mise à disposition de tiers d’un cours ou d’une œuvre intégrée à ceux-ci sont strictement interdits. Le non respect de ces conditions vous expose à des poursuites judiciaires pour contrefaçon conformément aux articles L 335-2 et suivi du code de la propriété intellectuelle. Ces actes sont punis de 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende. ».

Devant l’impossibilité d’appliquer des sanctions pénales très lourdes à des centaines de milliers d’internautes, la loi DADVSI prévoyait également une « riposte graduée », par la mise en place d’une contravention pour les échanges de fichiers protégés sur les réseaux peer-to-peer.

Mais le 27 juillet 2006, les Sages du Conseil Constitutionnel avaient estimé que la qualification en tant que contravention était « contraire au principe d’égalité devant la loi » [4].

En septembre 2007, Denis Olivennes, patron de la Fnac, fut donc investi d’une mission par la ministre de la Culture, Christine Albanel, afin de proposer un nouveau mécanisme de « riposte graduée », fondé sur des « mesures pédagogiques » dont la proposition phare fut la création d’une autorité publique baptisée Hadopi.
Présenté en procédure d’urgence, le projet de loi Création et Internet, instaurant une Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet fut adopté le 30 octobre 2008 par la quasi totalité du Sénat qui avait examiné en une seule journée quelques 200 amendements[5]. Principalement visée par ces mesures pédagogiques : les jeunes générations. « L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale », déclara la Mme Catherine Morin-Desailly, Sénatrice de la Seine-Maritime, Membre du groupe Union Centriste, lors de séance du 29 octobre 2008[6].
M. Serge Lagauche, Sénateur du Val-de-Marne (Ile-de-France), Membre du Groupe Socialiste, renchérit : « Je suis satisfait que certains de mes collègues aient permis, par leurs amendements, l’ajout d’un volet éducatif en prévoyant la sensibilisation des collégiens aux phénomènes de téléchargement illicite et de peer to peer. ». M. Michel Thiollière, rapporteur proposa donc de compléter l’article L. 312-9 du code de l’éducation, qui prévoit actuellement que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique » par l’article 9 bis du Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet qui fut votée au Sénat : « Dans ce cadre, ils reçoivent une information, notamment dans le cadre du brevet informatique et Internet des collégiens, sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas de manquement à l’obligation définie à l’article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et de délit de contrefaçon. Les enseignants sont également sensibilisés ».

En mars 2009, le texte fut soumis à l’Assemblée nationale. Six amendements[7] à l’Article 9 bis, proposés par des députés de la majorité parlementaire furent présentés, dont celui de Mme Marland-Militello, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, qui proposa dans la foulée de modifier l’article L. 312-6 du code de l’éducation concernant les enseignements artistiques.

Le 26 mars 2009, l’April, Association pour la promotion et la défense des logiciels libres publia un communiqué de presse[8] où l’on put lire : « Alors que le projet de loi Création et Internet est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, l’April tient à souligner combien le contenu de l’article 9 bis constitue un manquement à la neutralité scolaire et commerciale de l’école. Cet article, qui condamne le téléchargement dans l’absolu, méprise le foisonnement d’œuvres en partage. Il désigne les technologies comme une menace, s’appuyant sur la vision partiale et biaisée d’industries n’ayant pas su s’adapter au numérique. »

Dans ses présupposés idéologiques le projet de loi Hadopi1 présentait, de façon partiale et manichéenne, le droit d’auteur sur Internet en opposant la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles « nuisible » à la création artistique, à une « offre légale » accessible sur un « catalogue des œuvres protégées » permettant de rémunérer cette création.
Ce faisant, les promoteurs de la loi Hadopi occultaient tout simplement la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres qui constituent pourtant une offre légale abondante. D’après des estimations minimales, 250 millions d’œuvres[9] et documents sous licences Creative Commons étaient recensées en juillet 2009.
Une technologie neutre - le téléchargement - y était diabolisée alors même que la notion d’échange d’informations via un protocole de communication sur un canal de transmission constitue une notion informatique de base qui devrait être intégrée au sein de l’enseignement technologique en collège, au même titre que le modèle client/serveur sur lequel s’appuie l’architecture du réseau Internet. De nombreux adolescents pratiquent ces technologies tous les jours sans en comprendre les principes sous-jacents.

Dire le droit et informer les jeunes générations des sanctions pénales encourues par le téléchargement illicite, ne doit pas se transformer sous l’égide du ministère de l’éducation nationale en propagande. Il importe que les enseignants soient formés, que de réels contenus soient institués au sein d’un véritable enseignement, expliquant le droit d’auteur, les licences, y compris celles sous copyleft, afin que les adolescents soient informés de ce qui est licite et de ce qui ne l’est pas. Il n’est pas tolérable de présenter les seuls intérêts du lobby de l’industrie du divertissement comme la seule alternative d’une offre légale au téléchargement illicite, au mépris de la neutralité scolaire et commerciale de l’école : « le service public d’enseignement doit en effet répondre à l’intérêt général et aux missions qui lui sont dévolues. Les établissements scolaires n’ont par conséquent pas vocation à effectuer des opérations commerciales »[10].

A l’Assemblée, quelques députés comme Martine Billard ou Jean-Pierre Brard, déposèrent des sous-amendements, pour défendre la neutralité scolaire, afin que l’Article 9 bis prenne également en compte l’existence des licences libres et ouvertes. Ainsi, Mme Martine Billard, pour soutenir le sous-amendement n° 527, déclara :
« L’article 9 bis prévoit que les élèves recevront une information sur les dangers du téléchargement pour la création artistique dans le cadre du brevet informatique et Internet des collégiens. Soit, mais comme nous ne disposons toujours pas du rapport prévu par la loi DADVSI, le débat reste ouvert sur le bilan de celle-ci. C’est la raison pour laquelle ce sous-amendement vise à prévoir que l’information sera « neutre et pluraliste » - ce n’est pas encore une réalité - et qu’elle présentera « également la diffusion légale des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres ». Si j’insiste sur les licences du type Art Libre ou Creative Commons, c’est qu’elles sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers. »[11]

Ces sous-amendements furent discutés mais rejetés suite à l’avis défavorable du rapporteur Franck Riester (UMP).

Occultées par la loi Hadopi, dans la présentation qui devait être donnée aux collégiens, les œuvres sous licences ouvertes et libres constituent une excellente alternative au téléchargement illégal. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels, ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et la transformation des œuvres.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adapté au monde de l’éducation. Inspirées du mouvement pour le logiciel libre, elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, l’album Ghosts I-IV de Trent Reznor, distribué sous licence de libre diffusion sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plate-forme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

La France n’est pas en reste. Un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons. Plus de 30 000 œuvres musicales sur la plate-forme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, réunis au sein de la coopérative Libre Accès pour fournir un cadre économique assurant une juste rémunération aux artistes.

La création et la diversité sont les fruits de la multiplicité des échanges libres entre populations, ce qui est exactement l‘inverse de ce que tente d’imposer l’Hadopi. L’école a tout intérêt à travailler sur des ressources libres, mais également sur des logiciels libres qui constituent une forme d’éducation à la citoyenneté.

Lors des débats sur Hadopi2, M. Brard et Mne Billard proposèrent l’amendement 181 qui stipulait [12] :
« L’article L. 312-6 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles, sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. ».

Dans sa dernière version, Hadopi 2 ne fait plus aucune référence à la modification du code de l’éducation. Reste posée la question de l’exception pédagogique.

Notes[modifier]

  1. LOI n° 2006-961 du 1er août 2006 : droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI)
    http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000266350&dateTexte=
  2. L’Académie en ligne http://www.academie-en-ligne.fr/Default.aspx
  3. L’Académie en ligne : Conditions d’utilisation du site http://www.academie-en-ligne.fr/MentionsLegales.aspx
  4. Conseil Constitutionnel : Décision n° 2006-540 DC - 27 juillet 2006 http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2006/2006540/2006540dc.htm]
  5. Projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, adopté par le Sénat après déclaration d’urgence le 30 octobre 2008.
    http://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl1240.asp
  6. Sénat : séance du 29 octobre 2008 (compte rendu intégral des débats)
    http://www.senat.fr/seances/s200810/s20081029/s20081029_mono.html
  7. Amendements à l’article 9 bis, déposés à l’Assemblée nationale : Amendement n° 23, Amendement n° 95, Amendement n° 96, Amendement n° 197, Amendement n° 198.
  8. Hadopi : propagande anti-libre à l’école ?
    http://www.april.org/fr/Hadopi-propagande-anti-libre-a-lecole
  9. Creative Commons, Approximate Minimum Total CC Licensed Works as of July 2008. À noter la croissance exponentielle : 20M en 2005, 50M en 2006, 90M en 2007, 130M mi-2008, 250 M en juillet 2009.
    http://wiki.creativecommons.org/Metrics
  10. L. 511-2 du Code de l’éducation : « Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ». <br /http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=
  11. [Sous-amendement n° 527 :
    http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1240/124000527.asp
    Sur La neutralité commerciale sur le site Eduscol. http://eduscol.education.fr/D0028/03_neutralite.htm].
  12. Amendement n° 181, présenté par M. Brard, Mme Billard
    http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/1841/184100181.asp