Inventaire des dernières menaces législatives sur la liberté d'expression — Marc Rees

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Titre : Inventaire des dernières menaces législatives sur la liberté d'expression

Intervenant : Marc Rees

Lieu : Capitole du Libre - Toulouse

Date : novembre 2019

Durée : 1 h 3 min

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Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription : MO

Description

Panorama des derniers textes publiés en Europe et en France avec accent mis sur :
- La proposition de loi Avia contre « la haine en ligne »
- La directive sur le droit d'auteur
- La directive relative aux services de médias audiovisuels
Autant de menaces pesant sur la liberté d'expression sur les plateformes comme Twitter, YouTube et les autres. Explications des rouages législatifs, éclairage synthétique sur les risques, identifications de points concrets.

Transcription

Je voulais d’abord vous remercier d’être venus pour écouter ce panorama des menaces sur les libertés numériques et je voulais aussi remercier Capitole du Libre d’avoir organisé cet échange et tous les autres échanges qui sont concomitants ou qui ont lieu avant, après.
Je m’appelle Marc Rees, je suis rédacteur en chef de Next Inpact, je suis journaliste depuis trop longtemps et je m’intéresse aux questions des libertés numériques sous un angle strictement juridique donc qui peut être un petit peu embêtant, mais en réalité ces questions-là sont fondamentales et je vous invite d’ailleurs hautement à suivre tous les débats parlementaires qui concernent ce champ-là parce que les conséquences peuvent être extrêmement dramatiques dans la vie quotidienne, dans la vraie vie de chacun d’entre nous.
L’an dernier j’étais déjà venu pour vous parler des petits secrets de la copie privée qui est un autre de mes sujets favoris. Cette année je vais un peu me renouveler et je voudrais évoquer ce panorama des menaces sur les libertés numériques. Pourquoi évoquer ce sujet-là ? Parce que les menaces potentielles ou en tout cas avérées sont extrêmement nombreuses actuellement. On a un déluge de textes qui tombent de tous les côtés et ce n’est pas du tout simple d’essayer de suivre tout cela, surtout lorsqu’on est derrière son écran, qu’on essaye de suivre, ce n’est vraiment pas du tout simple. Je vais essayer de vous faire une espèce de survol de ces différents textes et vous n’hésiterez pas à me poser des questions, si vous voulez évidemment.

Retour sur la responsabilité des hébergeurs

Avant cela, pour que vous puissiez comprendre la suite, je voudrais faire un petit rappel sur cette notion de responsabilité des hébergeurs, ce qui va vous permettre un petit peu de comprendre d’où on est parti et où on va.
D’abord c’est quoi un hébergeur ? Vous en connaissez tout plein. Vous connaissez Facebook, Twitter, Instagram, Snaschat, YouTube, Dailymotion, tout ce que vous voulez. Don c’est un site, un service en ligne, dont la mission est d’héberger, d’abriter des contenus qui sont fournis par des internautes pour éventuellement les mettre à disposition des autres. Lorsqu’on a un acteur comme OVH qui fait du stockage de données ou WeTransfer aussi, là à chaque fois on est face à des hébergeurs.
Quel est le régime de responsabilité qui s’impose à eux ? L’objectif qui avait été assigné par la législation en vigueur était triple. J’ai mis là, ce fut de garantir un retrait des contenus illicites, également assurer le respect de la liberté d’expression et celle d’information et aussi protéger la liberté du commerce et la libre concurrence. C’est une espèce de triple impératif qui a commandé la législation qui a donc été consacrée par une directive appliquée en 2000, la directive sur le commerce électronique, et qui a été transposée en France par une loi qui s’appelle la loi sur la confiance dans l’économie, la loi LCEN, en 2004.
L’idée c’est quoi ? C’est de poser comme grand principe qu’un hébergeur n’est pas responsable des contenus illicites transmis par un internaute, par contre, une fois alerté, s’il décide de conserver le contenu illicite, à ce moment-là il devient quelque part complice de ce contenu. Voilà l’équilibre qui a été trouvé.
Plusieurs principes ont été posés par cette législation, ça a été de dire pas de filtrage généralisé, c’est-à-dire qu’on ne peut pas ordonner à YouTube, Twitter ou autre ou OVH, WeTransfer, qui vous voulez, de se lancer dans une espèce de chasse à l’octet illicite, on ne peut pas, on n’a pas le droit.
Deuxième principe qui a été consacré par la loi, ça a été la conservation des données des contributeurs. La loi impose que durant une année, YouTube comme les autres, conserve durant un an les données de connexion, aussi les données d’identification des internautes qui sont venus apporter une vidéo d’un chat qui tombe. Pendant un an. Pourquoi ? Parce que s’il s’avèrerait que ce chat qui tombe c’est finalement un contenu illicite, eh bien les autorités ont la possibilité de poursuivre éventuellement cette personne-là.
Troisième principe, le retrait illicite. C’est-à-dire que lorsqu’un juge décide, estime que cette vidéo d’un chat qui tombe c’est un contenu illicite, s’il y a un jugement qui dit que c’est illicite, l’hébergeur doit retirer ce contenu-là. On a un vrai jugement avec respect du contradictoire.
Quatrième principe c’est le retrait des contenus manifestement illicites. Là ça change un petit peu, on veut essayer de gagner en efficacité. Comment ? Lorsqu’on a un contenu dont l’illicéité, c’est un mot que je vais utiliser assez souvent, est évidente, à ce moment-là l’hébergeur, dès lors qu’il est alerté, eh bien il doit le retirer. Vous comprenez bien que lorsqu’on parle d’un contenu manifestement illicite, et c’est le Conseil Constitutionnel qui a imposé ce filtre-là, eh bien il faut qu’il y ait un contenu dont l’illicéité est évidente, frappante. L’exemple type c’est celui d’une image pédo-porno, je n’en ai pas là, mais si je vous diffuse une image pédo-porno vous allez rapidement comprendre que ce contenu-là a peut-être un petit problème, même clairement un problème. Par contre, si je prends ma guitare, je joue un morceau et je vous dis : « Est-ce que ça c’est manifestement illicite ou pas ? » Vous n’en savez rien. Pourquoi vous n’en savez rien ? D’abord parce que vous ne connaissez pas l’ensemble des œuvres qui ont été créées à l’échelle de la planète, vous ne savez pas si c’est une contrefaçon. Autre chose, vous ne savez même pas si le morceau, que j’ai pompé en prenant des tablatures sur Internet, à l’origine était original, parce que l’originalité c’est quand même ce qui caractérise, ce qui conditionne la protection par le droit d’auteur. Vous n’en savez rien. Vous, si vous êtes hébergeur on vous dit : « Là il y a un fichier mp3, un fichier avi ou ce que vous voulez, qui est complètement illicite, retirez-le ! » Est-ce que c’est manifestement illicite ? Je n’en sais rien moi, je n’ai pas une base de connaissances de l’ensemble des œuvres protégées, je n’en sais rien du tout. Donc allez voir le juge et si le juge estime qu’effectivement c’est illicite, à ce moment-là il m’ordonnera et moi, à la lecture du jugement, je supprimerai le contenu. Voilà comment ça marche.

Vous comprenez bien que ce statut-là a un petit peu agacé nos amis les ayants droit. Pourquoi ? Parce qu’il y a cette contrainte du manifestement illicite, un fichier mp3 manifestement illicite, difficile ! Et c’est aussi, pour les ayants droit, l’obligation de notifier, c’est-à-dire d’alerter ou de lancer des procédures œuvre par œuvre, donc c’est un boulot qui est coûteux en temps, en argent et aussi en publicité. Un procès ça fait du bruit. Vous voyez !
Ce statut d’hébergeur qui était là aussi pour garantir la liberté d’expression et d’information, qui sont quand même un peu importantes aujourd’hui, eh bien il a toujours agacé les ayants droit qui ont cherché mille solutions pour le remettre en cause.

Ça ce sont les grands principes que je vous ai exposés : pas de filtrage généralisé, conservation des données, retrait des contenus illicites ordonné par un juge ou retrait des contenus manifestement illicites ou à l’illicite évidente comme les contenus pédo-pornos.

L’article 17, ex-article 13 de la directive sur le droit d’auteur

Et c’est à où je débouche sur l’article 17, ex-article 13 de la directive sur le droit d’auteur où les ayants droit sont arrivés au nirvana. Pourquoi ? Parce qu’ils ont créé une incise dans ce régime de responsabilité, une bulle, une exception : dès lors qu’un hébergeur vient stocker un grand nombre d’œuvres et qu’il met à disposition, qu’il organise aussi, et ce à des fins lucratives, dès lors qu’on remplit toutes ces conditions-là et on les remplit très facilement, eh bien ils ont créé un régime de responsabilité qui s’écarte totalement de celui de la directive de 2000, ce que je vous ai expliqué tout à l’heure.
Article 17, comment il fonctionne ? Je me suis amusé à faire ce schéma-là, ça c’est l’article 17 et je vous invite aussi à voir le schéma qu’avait fait, schéma concurrent mais complémentaire, qu’avait fait Pierre Beyssac qui avait aussi tenté de mettre en image ce fameux article qui est compliqué. Dites-vous simplement que lorsqu’on a un hébergeur qui stocke beaucoup de contenus protégés par le droit d’auteur, on a un hébergeur qui organise ces contenus-là – la notion d’organisation est extrêmement floue – dès lors qu’il opère à des fins lucratives, non pas associatives, eh bien il s’engage dans l’enfer. L’enfer c’est quoi ? C’est que l’article 13, ou article 17 dans la nouvelle numérotation, nous dit que l’hébergeur est responsable immédiatement des contenus illicites qui viendraient à être stockés à la demande d’un internaute.
Je ne sais pas si vous réalisez ! Je ne sais pas si, dans la salle, il y a des personnes qui travaillent dans l’hébergement, ça voudrait dire que vous ayez une surveillance comme ça, proactive, de l’ensemble des octets envoyés par les internautes, vos clients, vos lecteurs ou que sais-je et que vous puissiez, comme ça, comparer, savoir exactement si telle image, telle photo, telle vidéo, tel son, est protégé par le droit d’auteur, est une contrefaçon. À ce moment-là je le supprime parce que sinon je risque moi aussi d’être embêté devant la juridiction. Cette responsabilité directe, qui est posée en fait comme principe, sort complètement du régime que je vous ai exposé tout à l’heure, de la directive de 2000 sur le commerce électronique, puisqu’on a une responsabilité cette fois-ci qui est directe, elle n’est plus conditionnée, on sort complètement de la logique du « manifestement illicite ».
De deux choses l’une, soit l’hébergeur, un hébergeur comme YouTube, soit l’hébergeur comme YouTube arrive à signer un accord de licence avec les sociétés de gestion collective pour protéger l’ensemble des œuvres du catalogue qui compte des millions et des millions de contenus, donc s’il signe un deal pour licéiter ces contenus-là, il n’y a pas de souci.
Autre hypothèse, c’est celle où il n’y a pas d’accord de licence, c’est-à-dire qu’on reste sur un statut d’hébergeur tout à fait classique, à ce moment-là, l’hébergeur sera responsable directement de ces contenus-là, sauf s’il parvient à démontrer qu’il a fait œuvre de best effort, qu’il a mis en œuvre les meilleurs efforts possibles et inimaginables pour tenter de signer un accord de licence avec les ayants droit et également qu’il respecte l’obligation de retrait, c’est-à-dire que dès lors qu’on lui notifie un contenu, il le retire tout de suite. Voilà le régime. C’est un régime d’exception en cas, on est donc ici, en bleu, en cas d’absence d’accord de licence.

11’ 25

Après il y a une exception dans l’exception.