Interview de M. Ludovic Dubost 20ansApril

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Titre : Interview de M. Ludovic Dubost

Intervenants : Ludovic Dubost, XWiki- OliCat - Clara

Lieu : Le Petit Bain - Paris

Date : 26 janvier 2017

Durée : 47 min 24

Écouter l'enregistrement de Radio Libre à Toi

Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Transcription

OliCat : Vous êtes à l’écoute de Libre à Toi, la radio. Tu vas mettre un casque. Tu vas prendre un micro. Bonjour à toi. Qui es-tu ?

Ludovic Dubost : Je suis Ludovic.

OliCat : Ludovic. On est, Ludovic, avec toi, à cette soirée d’anniversaire, ce sont les 20 ans de l’April que nous fêtons ce soir au Petit Bain. Alors tu fais quoi toi, Ludovic ?

Ludovic Dubost : En fait, je suis donc Ludovic Dubost et je suis le président-fondateur de XWiki[1].

OliCat : Ah ! Mais ça veut dire que nous avons une éminente personne avec nous ce soir.

Ludovic Dubost : C’est vite dit ! C’est vite dit !

OliCat : C’est vite dit ! Alors explique-nous. C’est quoi ta structure, d’ailleurs. Je ne la connais pas.

Ludovic Dubost : XWiki c’est un éditeur de logiciels libres, qui existe depuis douze ans et qui fait, comme son nom l’indique un petit peu…

OliCat : Du wiki.

Ludovic Dubost : Un wiki et un wiki pour les entreprises, donc 100 % libre. C’est une entreprise qui fait quand même 35 personnes aujourd’hui, donc qui a un peu de poids et qui a des utilisateurs dans le monde entier.

OliCat : Pourquoi l’April ? Vous êtes adhérents ?

Ludovic Dubost : Nous, on est adhérents et on sponsorise l’April depuis assez longtemps, au moins cinq ans, depuis qu’on a un peu de sous, depuis qu’on a les moyens. D’abord parce que oui, l’April défend nos intérêts, défend l’intérêt du logiciel libre et donc c’est quelque chose qui, pour nous, est important. Parce que le logiciel libre c’est un engagement aussi de notre côté. Déjà c’est quelque chose, quand j’ai créé XWiki, je l’ai créé sous forme de logiciel libre dès le début. Donc c’était un projet d’entreprise et un projet d’entreprise libre en même temps.

OliCat : Ce qui est intéressant c’est que du coup avec toi, Ludovic, on va pouvoir aborder l’économie du logiciel libre. Pourquoi déjà te transformer en société et quel type de société tu as fondé autour de la production de ce logiciel libre ? Et quel est le modèle économique que tu as retenu ? Est-ce que c’est le classique qui consiste à donner le code et à vendre du service autour, du support notamment, de l’installation, du développement à la demande de modules ? Est-ce que, si c’est le modèle que vous avez retenu, ces modules sont, eux-aussi, reversés dans le logiciel libre, ou restent privatisés à l’entreprise pour laquelle vous les avez développés ? Bref, des thèmes intéressants qu’on va pouvoir évoquer, Ludovic.

Ludovic Dubost : Effectivement, ce sont des thèmes assez intéressants. En fait, quand j’ai créé XWiki, je n’avais pas forcément d’à priori. Finalement, je ne connaissais pas assez. C’est-à-dire que j’ai découvert en marchant.

OliCat : Comme beaucoup. Nous aussi, on découvre en marchant !

Ludovic Dubost : Et donc d’abord je l’ai fait libre par conviction que le Libre changeait quelque chose.

OliCat : En quelle année d’année d’ailleurs ?

Ludovic Dubost : En 2004. J’ai commencé le logiciel en 2003 et j’ai créé la société en 2004. Déjà, pour moi c’était une évidence, parce que les wikis c’était une invention du Libre. Et les wikis me passionnaient, je les ai utilisés en tant qu’ingénieur, directeur technique d’une boîte, et c’était un peu une évidence de dire je vais prendre des idées du Libre, il faut peut-être que je le fasse en Libre. D’ailleurs, au début, je me disais : « Le collaboratif m’intéresse, les problématiques collaboratives m’intéressent, on va le faire en Libre », c’était aussi ça. Après, finalement, c’était de dire faire notre propre logiciel c’est venu assez rapidement derrière. Mais au départ, en fait, je m’étais posé la question de, je suis un peu perdu dans ce que je voulais dire, j’ai oublié, je l’avais en tête, je l’ai oublié. Donc au début, j’ai mis le logiciel en Libre sur l’aspect wiki. Et je voulais voir un peu, déjà, si ça intéressait les gens. Et en fait, pourquoi le Libre aussi ? C’est parce que j’avais vu des sociétés comme Red Hat se monter, des sociétés comme JBoss se monter et, en tant que personne qui utilisait des logiciels, en fait j’avais été dans une société qui avait vécu cinq ans et on avait fait des choix techniques au début de ces cinq ans ; et j’avais regardé, à la fin des cinq ans, est-ce qu’on aurait fait des choix différents. Et finalement, la seule chose qui aurait changé dans ces choix techniques, c’était le Libre. C’est-à-dire que tous les choix qu’on avait faits cinq ans avant, eh bien si on les avait refaits cinq ans plus tard, on n’aurait pas mis du Oracle on aurait mis du MySQL, on n’aurait pas mis du Sun, on aurait mis du Linux, etc.

OliCat : Au bout des cinq la société aurait peut-être vécu, c’est ça ?

Ludovic Dubost : Non, ça n’aurait peut-être pas changé forcément grand-chose.

OliCat : Tu ne sais pas.

Ludovic Dubost : Mais, en tout cas, on aurait fait différemment.

OliCat : Ç’aurait été des orientations.

Ludovic Dubost : Ç’aurait été des orientations techniques différentes. Ça n’aurait pas forcément changé son business pour autant. On faisait des statistiques, en fait, la société où j’étais avant ; elle a fini chez Nielsen dans une boîte de statistiques. Et donc je m’étais dit : « Il y a quand même quelque chose qui se passe au niveau déjà technologique ». Et donc ça m’a amené à le faire en Libre. Après j’ai fait le logiciel, et on faisait un logiciel applicatif, et ça c’est différent. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de technologie libre, il s’agit d’une application libre. Et ça, c’est un métier qui est différent et d’ailleurs, les logiciels libres gagnent beaucoup, typiquement Linux, etc. Bon, après tout le monde n’en vit pas forcément. Tous les gens qui ont créé ces logiciels libres, la Fondation Apache, tous les modules qu’on peut trouver chez la Fondation Apache, il n’y a pas forcément des entreprises derrière à chaque fois, qui sont derrière chacun des logiciels. Maintenant, sur un applicatif, on est encore sur autre chose. On est sur quelque chose qui va être mis dans les mains des utilisateurs. On n’est pas sur une brique logicielle utilisée par les autres éditeurs de logiciels. Nous, on s’adresse directement à un utilisateur final. Et alors ça a été un challenge. On a développé en Libre. C’était un modèle de développement et d’interaction avec les utilisateurs et les autres développeurs pour comprendre si on faisait un bon logiciel.

OliCat : Et la communauté donc, du coup, qui pouvait émerger autour de ce logiciel ?

Ludovic Dubost : Ça, ça a bien marché dès le début et j’ai eu des contributions, j’ai eu des gens qui m’ont aidé. Des gens trouvaient ça intéressant, ont dit : « Je peux aider, je peux faire un bout du logiciel. » Au début, j’ai eu beaucoup d’aide et ça a doublé, triplé, les capacités de développement des premières années. Après, quand j’allais face au client, la problématique libre, n’était pas…

OliCat : Tu vas trop vite. Parce que là tu passes déjà au moment où tu avais créé la société autour de ce logiciel. Quel type de société ?

Ludovic Dubost : Une société normale : SA, SAS, à l’époque SARL ; maintenant c’est une SAS. Société normale m’appartenant, voilà !

OliCat : Avec quelle cible, en fait ? Les entreprises ? Les particuliers ?

Ludovic Dubost : L’entreprise. Nous c’est une cible vraiment entreprise. J’avais regardé « est-ce qu’on peut faire des wikis publics sur Internet » et j’avais éliminé, un peu, cette possibilité.

OliCat : Il se passe quelque chose là. Parenthèse. Eh bien oui ce sont les 20 ans de l’April, normalement on va être interrompus.

1 h 16 55

Gâteau d'anniversaire

1 h 24' 22

OliCat : Allez, on revient en direct, enfin on était déjà toujours en direct d’ailleurs, mais on revient dans le vif des sujets intéressants. Pardon ? Non, ça va, je ne vais pas m’asseoir, je vais rester debout. Ça me rappelle la Place de la République tout ça c’est plutôt sympa. Mais je ne t’entends pas Clara.

Clara : C’est normal, j’avais oublié le micro !

OliCat : Ah ! C’est pour ça ! Forcément ça ne marche pas bien. On pourra retenir de cette soirée de l’April, quand même, l’excellent choix de bières.

Clara : Oui, efficace !

OliCat : Efficace. Absolument ! Ludovic on reprend. On en était au moment où, en 2004, après un an de développement du logiciel, c’est ça ?

Ludovic Dubost : Non quelques mois, en fait !

OliCat : Quelques mois, carrément ?

Ludovic Dubost : Le développement a commencé en août/septembre et puis la boîte a été créée en juillet, donc neuf mois.

OliCat : OK ! Avec un wiki, XWiki. OK ! Avec un cible entreprises.

Ludovic Dubost : Entreprises.

OliCat : Donc j’imagine qu’il y a tout un discours autour de l’intérêt qu’une entreprise pourrait avoir à acquérir ce wiki. C’était quoi le discours ? C’était collaboration entre les différents… ?

Ludovic Dubost : Mieux gérer l’information dans l’entreprise.

OliCat : Qu’est-ce qui vous différenciait d’une GED, par exemple ?

Ludovic Dubost : Justement un des points c’est d’essayer de faire sortir les gens de la GED.

OliCat : Explique aux auditeurs de Libre à Toi qui ne savent pas ce que c’est qu’une GED.

Clara : Et à moi aussi, parce que je ne sais pas.

OliCat : Et Clara non plus ne sait pas.

Ludovic Dubost : GED c’est gestion électronique de documents. Déjà c’est assez avancé, parce que, en fait, l’entreprise moyenne n’a même pas de GED. Elle a des fichiers qu’elle échange par mails, et malheureusement on est en 2017 et c’est encore le cas.

OliCat : Absolument ! Et le leader de la GED reste Alfresco[2] aujourd’hui ?

Ludovic Dubost : Ouais, c’est Alfresco, maintenant, en GED, ou Nuxeo[3] qui marche pas mal aussi.

OliCat : Ouais, c’est vrai.

Ludovic Dubost : Mais ALfresco est probablement un des plus importants. Mais en 2004, il n’y avait même pas de GED. Il y avait un peu de SharePoint, ça commençait.

OliCat : Déjà !

Ludovic Dubost : Ouais, je crois qu’il y avait un truc.

OliCat : Microsoft ! Ah ils étaient forts !

Ludovic Dubost : Microsoft proposait déjà de la gestion de vos fichiers en ligne. Déjà, quand les entreprises ont SharePoint, elles ne l’utilisent pas tant que ça, en fait. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas très contents et ils continuent à s’échanger tout par mails.

OliCat : C’est vrai. Ou avoir un Drive Google !

Ludovic Dubost : Maintenant il y a le Drive Google.

Clara : Excusez-moi parce que là vous parlez un peu geek, c’est comme le cloud ?

Ludovic Dubost : Ça peut être en cloud .

Clara : Ça peut ? C’est un peu l’idée.

Ludovic Dubost : À l’époque, ça ne l’était pas. À l’époque, c’était un disque partagé sur le réseau local.

OliCat : En fait, c’est un système de centralisation de la documentation.

Clara : D’accord ! Ah oui, mais si, mais je connais, parce que j’ai bossé en entreprise !

OliCat : Avant d’être exploitée par Libre à Toi ! Tu as bossé !

Clara : Non, mais on avait, c’était le dossier public !

Ludovic Dubost : C’est ça, le dossier public dans lequel on met des fichiers et on crée des dossiers, des sous-dossiers et on met des fichiers. Le problème de ça, en fait, c’est que ça fait des silos d’informations. En fait, chaque fichier est une sorte de mini silo. Les gens ne sont encouragés à créer un fichier que s’ils ont une quantité de contenu non négligeable à mettre dans le fichier et ils ne vont pas mettre un phrase. Ils ne vont pas faire un document avec un paragraphe, ça n’a pas de sens. Ils vont le faire par mail quand ils font ça. Ça crée plein d’informations disparates envoyées un peu partout et puis, après, de temps en temps des gros fichiers, mais qui ne sont pas connectés entre eux.

OliCat : Du coup, c’est la dispersion des compétences aussi.

Ludovic Dubost : Et derrière, c’est la connaissance ; la compétence c’est encore peut-être autre chose. C’est le fait de savoir qui sait faire quoi dans la boîte, etc. Mais c’est vraiment la dispersion de la connaissance ; il y a des gens qui savent des choses, ils vont les mettre éventuellement dans des fichiers. En fait, rapidement avec les fichiers, les gens sont découragés d’aller regarder dedans. Ils ont les fichiers, ils sont là, on les a créés à un moment donné, mais personne ne va jamais regarder dedans parce qu’ils sont découragés sur le fait qu’on les trouve.

Après les entreprises ont investi beaucoup dans les moteurs de recherche pour essayer de rendre ça un peu meilleur, mais en fait ça ne marche pas tant que ça. Et alors les wikis cassent un peu ce système-là et ils arrivent avec l’idée de dire : « Eh bien vous allez déjà être plus encouragés à créer un peu de contenu rapidement et à le faire collaborativement, à faire évoluer le document que les autres créent », et ça, ça fonctionne vraiment. Et moi je l’ai vu fonctionner avant, en fait en faisant un système documentaire et en mettant dans mon équipe un système de wiki et c’est ça qui m’a encouragé à créer des wikis.

Après, dans XWiki, on a rajouté un peu d’innovation là-dessus. C’est-à-dire que moi je me suis rendu compte que c’était sympa le document en lui-même, mais on voulait aller un peu plus loin sur l’information. À un moment donné, il faut se dire « le document, ce n’est pas ça qu’on veut ». Ce qu’on veut c’est de l’information et information égale pas document, en fait. Et l’information, finalement, elle peut être structurée. Typiquement, pour donner un exemple de ce que ça veut dire une information structurée, c’est si j’ai un projet, un projet a un chef de projet ; un projet a une date de début, une date de fin ; un projet est actif ou pas actif. Et ça, dans un document, cette information est très difficile à accéder. Dans XWiki, on a fait un système qui permettait de structurer cette information et de la rendre accessible. Et donc on a dit : « On va mettre l’information, mais sous des formes différentes de uniquement un document texte ». Donc on peut faire du document structuré.

OliCat : Donc vous avez réinventé le Gantt.

Clara : Le quoi ?

Ludovic Dubost : Ce n’est pas le Gantt, parce que le Gantt ce sont les tâches avec le suivi des tâches, etc.

Clara : Ça veut dire quoi Gantt ?

Ludovic Dubost : Les diagrammes de Gantt. C’est dans la gestion projet, on fait des tâches et on fait un planning, etc.

Clara : OK.

OliCat : J’en avais installé pour Libre à Toi, personne ne l’a utilisé.

Clara : Ce ne s’appelait pas comme ça, ça s’appelait YunoHost[4], et moi je m’en suis servie. Je suis désolée, mais j’étais quand même la seule à tenir l’agenda à jour et je trouve ça vachement pratique !

OliCat : En fait il y avait un module dans YunoHost.

Clara : Le truc c’est qu’à trois, bon eh bien l’agenda tu te le dis ! Tu n’as pas besoin d’avoir...

Ludovic Dubost : Ça dépend combien on est. Ça devient intéressant quand vous êtes un peu plus nombreux, quoi !

OliCat : Nous, on s’est fondés comme une multinationale, mais en fait on était trois.

Ludovic Dubost : À trois, c’est vrai qu’on peut discuter sur l’intérêt des wikis. Nous, quand on était trois, on a utilisé des wikis, mais c’est parce qu’on se disait, effectivement, qu’on allait être un peu plus que trois plus tard et que ça allait être une information intéressante et importante pour les autres. Si on fait une liste de projets, en fait, dans un wiki, on va créer une page, on va créer des pages projets et chaque projet va avoir une page. Mais au bout d’un moment on se dit : « Mais attendez, lesquels sont encore actifs ? » Alors là, manuellement, on dit : « Je vais mettre ceux qui sont actifs au début, je vais éditer la page pour mettre ceux qui sont inactifs à la fin » et puis, au bout d’un moment, j’en ai marre de le faire tout le temps, de le faire moi-même. Et donc, l’information structurelle va permettre de faire ça de façon automatique. Dire : « Eh bien finalement les projets il y en a des actifs, des inactifs, je vais les éditer en éditant la donnée sur le fait et la page d’accueil va automatiquement me trier les projets en fonction de s’ils sont actifs ou inactifs ».

OliCat : J’entends bien tout l’intérêt que peut avoir ce type de logiciel pour l’entreprise. Donc depuis 2004, on est en 2017 aujourd’hui, est-ce que tu as le sentiment que ceux qui ont été les plus intéressés par ce type de logiciel, finalement, concerne toujours une typologie de boîte ? On sait très bien, toi et moi, que ça peut concerner toutes les sociétés, en fait, tous types de production. Est-ce que tu as noté que c’était plutôt des sociétés numériques ou informatiques ou des administrations ? Comment ça s’est distribué, en fait ?

Ludovic Dubost : Il y a eu des phases, en fait. D’abord, au début, on a mis le logiciel. Les premiers clients ont été des gens qui avaient un peu des problématiques qui s’intéressaient au wiki, qui avaient quelque chose d’un peu compliqué à faire. Donc ils nous ont demandé d’améliorer le logiciel.

OliCat : Donc plutôt de la gestion de projet un peu complexe.

Ludovic Dubost : Ou non, pas forcément. Les tout premiers projets, ils n’avaient même presque rien à voir avec le wiki. Ils nous ont permis d’améliorer le logiciel, mais pas forcément dans notre objectif à nous. On faisait quelque chose pour eux, et on se faisait payer pour le faire, et ça nous a permis de financer un peu de logiciel. Et puis autrement, il y avait quelques fans de wiki et qui voulaient qu’on leur mette la connexion à l’annuaire de l’entreprise, ce genre de choses. Ce sont les premiers types de projets qu’on a faits.

OliCat : C’était quoi ? Vous réinventiez LDAP, là, à ce moment-là ?

Ludovic Dubost : Eh bien on connectait à LDAP [Lightweight Directory Access Protocol, NdT], etc. C’est un peu les premiers projets qu’on a faits. Après, effectivement, les geeks sont plus à l’aise avec les wikis. Maintenant, nous ce qu’on a vu c’est que, en open source, les geeks ce ne sont pas des gens qui allaient nous payer.

OliCat : Malheureusement non !

Ludovic Dubost : Ils prenaient le logiciel et ils le mettaient. Et donc, en fait, en tant qu’entreprise, on s’est plutôt adressés aux non geeks, c’est-à-dire démocratiser, amener le wiki vers des usages non geeks, avec les problèmes que ça peut poser. Au début, par exemple, on s’est beaucoup battus sur la syntaxe wiki versus le WYSYWYG et avec « non, mais le WYSYWYG, ce n’est pas important au début », et puis, finalement, eh bien si c’est important, c’est-à-dire si on veut que ça soit mis dans les mains de non techniques.

OliCat : Si tu veux que tous les employés d’une entreprise utilisent ça !

Ludovic Dubost : Il fallait du WYSYWYG. Au début on était un peu réfractaires à se dire : « Ah non, il n’y en a pas besoin ». Finalement on l’a fait et on a beaucoup investi sur ces aspects-là. On s’est adressés de plus en plus à des gens qui n’étaient pas forcément très connaisseurs de wikis et on leur a offert des solutions à base de notre logiciel. Alors plutôt des grandes entreprises, mais maintenant on s’adresse de plus en plus à des plus petites.

1 h 35’ 07

OliCat : Revenons un petit peu, Ludovic, au modèle économique. Comment ça marche ta boîte ? Ce n’est pas grave !

Ludovic Dubost : Il y a beaucoup d’animation.

OliCat : Ouais ! Eh bien, oui, mais en même temps c’est le direct c’est comme ça. Tu as ton soft. Il est versé où le code d’ailleurs ?

Ludovic Dubost : Il est sur GitHub et il est disponible sur xwiki.org.

OliCat : D’accord. OK ! Est-ce que le code qui est versé sur GitHub intègre toutes les évolutions qui vous avez produites pour vos clients, ou pas ?

Ludovic Dubost : Quasiment toutes. Et quand elles ne le sont pas, ce n’est pas pour des raisons de ne pas vouloir le faire. C’est pour des raisons qu’elles ne sont pas mûres pour être partagées. C’est-à-dire qu’elles sont trop spécifiques, trop faites à la va-vite pour être mises dans le cœur de logiciel. Nous on fait tout en 100 % en Libre, et on ne se garde pas de parties non libres.

OliCat : D’accord. Parce qu’il y a des exemples. Par exemple Dolibarr aujourd’hui, qui est un CRM open source, il y a tout un tas de modules, en fait, qui ont été développés par les équipes de Dolibarr pour certains clients qui ne sont pas libres du tout. Alors attention, je ne critique pas forcément le modèle, je n’ai aucun problème avec ça.

Ludovic Dubost : On s’est beaucoup posé la question, nous.

OliCat : Vous avez un joli site, XWiki.

Ludovic Dubost : J’espère !

OliCat : Il est sympa votre site. Vous le développez en interne ?

Ludovic Dubost : Il est fait avec XWiki.

OliCat : C’est vrai ?

Ludovic Dubost : On peut faire ça avec des wikis, c’est étonnant !

OliCat : Je vais vraiment m’intéresser à ton soft, Ludovic.

Ludovic Dubost : On peut faire beaucoup de choses avec XWiki.

OliCat : Il est très joli !

Ludovic Dubost : On utilise notre propre logiciel pour faire nos sites.

OliCat : D’accord, pour développer OK. C’est efficace. Ouais, je ne m’attendais à ce qu’on puisse faire ça avec un wiki.

Ludovic Dubost : En fait, dans XWiki, il y a beaucoup de flexibilité. On peut modifier l’interface. Il y a pas mal d’aspects innovants, au-delà d’être un wiki, on va dire state of the art. Mais en fait, c’est un framework de développement, en plus d’être un wiki.

OliCat : C’est quoi la techno derrière ?

Ludovic Dubost : C’est du Java.

OliCat : Oh ! ah !

Ludovic Dubost : Les gens n’aiment pas. C’est du Java mais avec un langage de script dedans. Donc quand on veut modifier XWiki, on a un langage de script pour modifier. C’est comme PHP, mais ça marche mieux.

OliCat : OK. Je regarderai ça et je t’enverrai un petit mail, Ludovic.

Ludovic Dubost : Pas de problème.

OliCat : Vas-y ! Raconte-moi le modèle économique.

Ludovic Dubost : L’histoire du Java.

OliCat : Raconte-moi le Java, alors.

Ludovic Dubost : Je venais du Java et l’objectif c’était d’adresser l’entreprise et d’être acceptable pour les DSI. Ma vision c’était que, avec PHP, ça n’allait pas être le cas.

OliCat : Le problème c’est que tu viens des applications métier et elles sont toutes en Java en fait. Je comprends.

Ludovic Dubost : Non, je venais plutôt d'une entreprise qui fait des développements spécifiques.

OliCat : Mais tu m’as parlé d’applications métier, puisque c’était ça.

Ludovic Dubost : Statistiques, etc.

OliCat : D’accord. Donc le modèle éco, comment vous faites ?

Ludovic Dubost : D’abord, on a commencé principalement par le service et notre objectif c’est de faire surtout du support. Et alors, dans le modèle éco, l’élément le plus important c’est la criticité du logiciel. Je veux être très clair. Il faut faire attention, tous les business, tous les types de logiciels, ne peuvent pas avoir le même modèle économique. Ce que nous on fait est valable pour notre cas. Et notre cas, c’est qu’on a quand même un logiciel qui n’est pas grand public, mais qui est pour toutes les entreprises. Donc on n’a pas une niche particulière et ce genre de choses. Toutes les entreprises peuvent utiliser XWiki, potentiellement, et donc, on a une problématique de diffusion qui est très importante. C’est-à-dire qu’il faut essayer d’être le plus diffusé possible. Donc ça c’est une chance pour nous, quand même, le fait de pouvoir être massivement utilisé par n’importe qui. Ça veut dire qu’on peut utiliser le modèle de « j’ai x gratuits et puis j’ai un petit pourcentage de payants ». Et donc c’est ce qu’on fait sur le support. Et le deuxième élément qui est important, justement pour vendre du support, c’est « est-ce que ton logiciel va être critique ? » Et notre logiciel peut être critique. Une fois qu’on a l’information de l’entreprise dedans, il est critique, et donc on vend du support. Donc aujourd’hui XWiki fait plus de 50 % de revenus de support. On est même à 60 % de revenus de support en 2016.

OliCat : Ce qui est bien. Enfin voilà, par rapport au modèle, c’est assez efficace.

Ludovic Dubost : Rapport au modèle ça commence à être pas mal. Ça a monté tout le temps, mais au début c’était plutôt du revenu de service. Et dans le revenu de service d’ailleurs, il y a une part…

OliCat : Qu’est-ce que tu intègres dans le revenu de service ?

Ludovic Dubost : Il y a deux types de revenus de service. Il y a celui qui contribue à la R&D et il y a celui qui est plutôt du spécifique pour le client et qui ne contribue pas à la R&D. Et en fait, dans le revenu de service, on a des choses qui contribuent à la R&D.

OliCat : Et ça, c’est ce qui est versé dans le code public ?

Ludovic Dubost : Et on le reverse dans le code public. En même temps je vois un petit icône « Amazon méchant ». Pour nous Amazon, ils sont gentils.

OliCat : C’est vrai ?

Ludovic Dubost : Enfin ils sont gentils, pas pour tout ce qu’ils font. en tout cas pour nous ils sont gentils parce qu’ils nous ont payé 150 000 euros de développement sur XWiki.

OliCat : Pas mal !

Ludovic Dubost : Donc ils sont un peu sympas. Donc ça ce sont les choses qu’on a faites et y compris avec des boîtes américaines. Peut-être même plus avec les boîtes américaines qu’avec les boîtes françaises, c’est-à-dire qu’on a eu du financement de R&D.

OliCat : Ce qui, moi, ne m’étonne pas quand je vois que Google finance énormément le logiciel libre ou, en tout cas, reverse énormément de code. Tien d’ailleurs je lisais une <em<news cet après-midi où Google souhaitait que son algo d’intelligence artificielle soit versé dans le code public. Enfin voilà !

Ludovic Dubost : Ils contribuent énormément à l’open source.

OliCat : OpenSSLOpenSSL, merci Google, par exemple.

Ludovic Dubost : Ils donnent de l’argent et il y a des grosses boîtes américaines qui donnent. Maintenant, en pourcentage de leurs revenus, ce n’est pas énorme, mais par contre, Google est probablement un des plus gros contributeurs de l’open source, et pour nous ils ont été gentils aussi parce qu’on a participé au Google Summer of Code , on a eu des financements et des ingénieurs pour notre logiciel, donc on ne s’en plaint pas et on a toujours été assez contents.

OliCat : Justement, aujourd’hui tes financements ils viennent d’où ? Est-ce que ton capital est ouvert ? C’est quoi ton type d’actionnariat, en fait, dans ta SAS ?

Ludovic Dubost : La société appartient à ses employés et ex-employés. Moi j’ai 65 % aujourd’hui. Le reste ce sont d’autres employés. Notre CTO [Chief Technology Officer, NdT] est à 20 % et quelques, et le reste ce sont des employés et ex-employés. On a fait un choix à un moment donné. À un moment donné, je me suis posé la question de la levée de fonds et j’ai regardé.

OliCat : C’est une bonne question.

Ludovic Dubost : Et en fait, quand je présentais notre modèle, le problème c’est que j’avais un sentiment que ce que je leur racontais ça ne leur plaisait pas. C’est-à-dire que, en gros, si je ne leur disais pas : « Je suis là pour faire du pognon et voilà comment je vais faire. Je vais faire de l’open source au début et puis en fait, à un moment donné, je vais trouver les moyens de monétiser comme un malade », en fait, ça ne collait pas. Si j’expliquais « on va faire quelque chose de très ouvert, etc. », ça ne passait pas. Donc à un moment donné, j’ai dit : « Bon, allez ça suffit » et on a arrêté de se dire qu’on allait lever des fonds et on a décidé de se développer plutôt plus progressivement. Et, en même temps, on a découvert les projets de recherche : projets de recherche français, projets de recherche européens et, en fait, ça a représenté beaucoup d’argent, de financements chez XWiki. Donc on a déposé des demandes de projets de recherche et, en fait, j’ai découvert ça grâce à quelqu’un, un externe, qui est venu me chercher au début, il me disait : « Tiens, tu ne veux pas participer à un de nos projets en tant que XWiki ? » J’ai dit : « Oui, super, on y va », et puis, après, on a vu comment ça fonctionnait et maintenant on participe à des projets régulièrement et ça représente 30 % de notre financement.

OliCat : Pas mal !

Ludovic Dubost : Donc ça a été extrêmement important dans notre R&D. Quand on combine ça avec le financement de la R&D que les clients apportent, eh bien ça nous permet de financer des équipes permanentes sur le logiciel.

OliCat : Donc aujourd’hui, Ludovic, depuis 2004, 35 collaborateurs, tu m’as dit tout à l’heure. Est-ce que tu es serein par rapport à l’avenir ? Est-ce que tu vois des écueils ? Enfin, quelles sont les perspectives ?

Ludovic Dubost : XWiki c’est globalement une entreprise assez stable. Elle est capable d’équilibrer ses comptes à tout moment. Ce qui est plus compliqué c’est de dire comment on peut accélérer.

OliCat : Mais est-ce qu’il le faut ? Je ne sais pas, c’est une question très conne que je te pose.

Ludovic Dubost : Eh bien ça dépend. Il le faut ? En fait, honnêtement je sais pas.

OliCat : C’est toujours la problématique du croître ou périr.

Ludovic Dubost : On peut devenir obsolètes. C’est un risque, on ne le sait pas. C’est un élément de risque et ça, je ne suis pas tout à fait capable de dire « est-ce qu’on risque l’obsolescence ? » Ce que je sais c’est qu’on est capables, assez facilement, d’équilibrer nos comptes et de jouer. L’enjeu est plutôt de savoir à quel point on investit. C’est-à-dire que si on veut réduire et faire de la marge, on peut en faire.

OliCat : D’ailleurs ton niveau d’investissement, il est comment ?

Ludovic Dubost : Nous, notre fonctionnement, c’est qu’on dépense ce qu’on vend. C’est-à-dire qu’en gros, si on planifie de vendre pour un million cinq, eh bien on va équilibrer le budget à un million cinq, plus les projets de recherche.

OliCat : OK !

Ludovic Dubost : La problématique va être plutôt une problématique de trésorerie. En gros, après, on va chercher un peu de trésorerie et d’emprunts pour y aller. Et ça, ça s’est plutôt bien passé. On a eu des emprunts, des prêts de banque, etc., pour essayer d’être un peu plus agressifs que juste attendre d’être sûrs d’avoir l’argent pour le faire. Maintenant, dans les dix années, c’est resté tendu. C’est-à-dire qu’on a des moments où il n’y avait pas grand-chose sur le compte et je me disais : « Est-ce qu’il y a des dangers si un client ne paye pas ? » Ou voilà. Mais globalement, ça, on en est un peu sortis. Mais c’était plus une problématique de croissance. C’est-à-dire que du fait de croître on a beaucoup d’argent chez les clients. Et c’est une des difficultés, il faut du cash.

OliCat : Ouais, je comprends. C’est le problème. Absolument.

Ludovic Dubost : La réalité c’est qu’on a du cash, mais il est chez les clients. C’est un peu ça et on a mis de l’argent de côté, régulièrement, mais il est chez les clients.

OliCat : Tu parlais du risque, du coup, de l’obsolescence.

Ludovic Dubost : On a un risque d’obsolescence à tout moment sur ce qu’on fait. Il faut mettre à jour la technologie, mais on le fait régulièrement. Par exemple nous, il y a deux/trois ans, on a mis Bootstrap[5], alors qu’on avait commencé en 2004. On ne l’avait pas du tout, quoi !

OliCat : Ça veut dire que maintenant tes clients ils peuvent manipuler la plate-forme wiki que tu leur a installée sur leur mobile ?

Ludovic Dubost : Voilà, exactement !

OliCat : Est-ce qu’il y a une application ? Est-ce que vous avez fait une application ?

Ludovic Dubost : On a fait un proto d’appli mobile, mais on n’est pas très contents de l’application qu’on avait faite et, pour le moment, nos clients sont plutôt satisfaits de l’aspect responsive et ça leur suffit, en fait. Mais on peut être obsolètes. Maintenant, ce qu’il faut savoir, c’est que dans les wikis, nous on est petits. On a à peu près 3 000 installations.

OliCat : C’est qui vos concurrents d’ailleurs ?

Ludovic Dubost : C’est Atlassian, c’est Confluence, qui est présent chez tous les développeurs et qui ont, a priori, au moins 35 000/40 0000 installs actives. Et nous on a 3 000 installs gratuites. Eux, ils ont 40 000 installs payantes. Donc on a de la marge de manœuvre quoi ! Donc le risque c’est d’être complètement obsolètes. Mais par contre, technologiquement on ne se sent pas mal face à Atlassian.

OliCat : Moi je trouve ça imbitable Atlassian. Franchement !

Ludovic Dubost : Ouais, il y a des gens qui se plaignent. C’est peut-être aussi parce que chez Atlassian, ils ont tellement de logiciels maintenant que Confluence ce n’est pas forcément leur truc le plus important. Alors que nous XWiki c’est notre truc, quoi ! Et moi, mes équipes ne bossent que là-dessus, et on commence à nous dire, qu’en fait, c’est plus simple qu’Atlassian. Mais on a beaucoup travaillé. Il a fallu travailler beaucoup. Par exemple l’UX [user experience, NdT] ça a été un vrai problème, et dans le logiciel libre c’est une vraie difficulté.

OliCat : C’est un problème du logiciel libre, en règle générale.

Ludovic Dubost : Tout le monde le voit. On l’a eu, mais nous on a une ingénieure UX permanente chez XWiki et elle a un boulot de malade.

OliCat : Excellent choix !

Ludovic Dubost : Elle a un boulot de malade. Il y a une époque, elle sortait dix propositions par an, on en développait une, parce qu’on n’avait pas les moyens de les mettre dans la roadmap et ce genre de choses. Donc c’est un travail important et qui est compliqué. Donc nous, face à Atlassian, le problème c’est le volume.

OliCat : Clara veut poser une question. Non ! Pas du tout. Elle me faisait des signes !

Clara : Je voulais dire à Ludovic que je lui avais rapporté une part de gâteau et qu’elle était pour toi.

Ludovic Dubost : Le problème c’est parler et manger, ce n’est pas facile.

OliCat : C’est sûr. En plus il parle beaucoup, Ludovic !

Ludovic Dubost : Oui, je suis un peu trop bavard !

Clara : Non, non, ce n’est pas ça ! C’était juste pour info.

Ludovic Dubost : En fait, je ne m’attendais pas forcément que tu me poses autant de questions sur le modèle économique. Je trouve ça passionnant.

OliCat : Et ça t’étonne ?

Ludovic Dubost : Non !

OliCat : Ah bon ! Quand même. Ce sont des professionnels qui sont en face de toi, on ne fait pas de la radio pour se faire plaisir !

Ludovic Dubost : Je trouve ça extrêmement intéressant, parce que je pense que c’est un sujet qui n’est pas assez traité. Peut-être, aussi, c’est parce que vous n’avez pas assez de gens qui viennent vous en parler.

OliCat : Non. Pas du tout ! Toi je te tiens ! Je fais ça, on fait ça à chaque fois ! J’ai posé les mêmes questions à Stallman.

Clara : On fait ça à chaque fois ! Le modèle économique, tout ça.

Ludovic Dubost : Le modèle économique de Stallman c’est quoi ? C’est faire des conférences ?

OliCat : C’est lui !

Clara : C’est son succès !

Ludovic Dubost : C’est son nom.

Clara : C’est son nom ! Voilà !

OliCat : Donc j’ai bien compris, un UX designer à temps plein. Évidemment, c’est essentiel.

Ludovic Dubost : Il faut être compétitifs et c’est ça qui n’est pas évident, parce que l’open source ça ne suffit pas. Il faut être compétitifs.

1 h 49’ 56

OliCat : Alors justement, ton équipe de 35, elle se distribue comment ? Tu as combien de commerciaux, combien de devs ? Comment ça se passe ?

Ludovic Dubost : On doit être 70/80 % de devs, de techniciens.

OliCat : D’accord. Et la communauté continue de… ?

Ludovic Dubost : Oui. Alors on a de la contribution. C’est compliqué pour la communauté de suivre une fois qu’il y a des permanents, ce n’est pas évident.

OliCat : Eh bien là j’ai vu, sur GhitHub, dernière version de code, il y a sept heures, donc ça y va.

Ludovic Dubost : Les développeurs, ils bossent. Surtout on a sorti la 9.0-rc-. Donc la 9.0 va bientôt sortir. Les développeurs bossent en permanence surtout qu’on descend les cycles à un mois maintenant.

OliCat : Ah oui ! C’est quoi vous êtes en agile, ou comment ça se passe ?

Ludovic Dubost : Eh bien oui, c’est de l’agile, on peut dire ça.

OliCat : Il y a des forks de XWiki que vous suivez ou pas ?

Ludovic Dubost : Non, il n’y a pas de forks. Ah ben si, Amazon a son fork.

OliCat : Ils vous ont payé 150 000 dollars pour ça, ils peuvent forker. OK !

Ludovic Dubost : Ils peuvent ! Il y a des forks sur les modules à droite à gauche, mais non il n’y a pas de forks. Il y a pas mal de contributions sur les bugs, sur les fonctionnalités. On a un modèle très ouvert même si, finalement, dans le cœur, il n’y a pas tant de contributions que ça, tout notre modèle de développement est en ouvert. Et donc ça veut dire que tout est proposé, même si ce sont nos équipes qui ont décidé de le faire, et il y a des reviews et des avis qui sont demandés. Il y a des utilisateurs avancés qui répondent. On a des utilisateurs de XWiki qui, régulièrement, participent. On a aussi des gens autour. Là, par exemple, en ce moment, on a un gars qui contribue, c’est un peu celui qui a commencé à faire les modules Docker[6] pour installer XWiki.

OliCat : Ah ben oui, aujourd’hui s’il n’y a pas de Docker de XWiki, vous êtes has been.

Ludovic Dubost : Exactement ! Mais maintenant il y en a, donc ça va, c’est plutôt bien. Ça commence à être pas mal.

OliCat : Moi ça me gonfle Docker, mais bon !

Ludovic Dubost : C’est assez pratique quand même, c’est intéressant, mais c’est compliqué.

OliCat : C’est pratique, mais après tu ne maîtrises rien quand tu veux gérer ton truc.

Ludovic Dubost : On ne sait pas trop ce qu’il y a dedans. On ne sait pas trop où il a foutu les data. C’est un peu compliqué !

OliCat : Ah ! C’est l’angoisse. En termes de maintenance, là je n’ai pas compris, j’ai laissé tomber.

Ludovic Dubost : Après, ça dépend si on l’utilise pour du dev ou pour de la prod.

OliCat : Pour du dev, je pense que c’est génial, effectivement tu déploies ton pool de machines, c’est génial, mais pour de la prod je ne vois pas l’intérêt.

Ludovic Dubost : Alors on a un gars qui a contribué, il a commencé à faire un module Docker, etc., et là, maintenant, il fait des migrations MediaWiki de son wiki, il contribue, il discute ce qu’il a réussi à faire, pas réussi à faire. Et finalement, ça c’est très important pour l’amélioration du logiciel, d’avoir des utilisateurs un peu experts.

OliCat : Oui, absolument !

Ludovic Dubost : Qui sont capables de vous dire ce qui est bien, ce qui n’est pas bien dans le logiciel, ça a une vraie valeur. Moi ce que je trouve extrêmement intéressant c’est le contact direct que ça fait aussi entre le développeur et les utilisateurs. Parce que, finalement, le modèle un peu classique c’est le marketing qui dit aux développeurs ce qu’ils vont faire. Le problème c’est qu’il y a une déperdition assez importante et si on peut augmenter la compréhension utilisateur des développeurs, on fait des meilleurs logiciels. Et ça, c’est élément qui est important. Nous, on est une société qui n’a pas beaucoup de marketing, qui n’a pas beaucoup de moyens sur la remontée des utilisateurs.

OliCat : J’allais te poser la question justement.

Ludovic Dubost : On a nos équipes de projets clients qui sont en contact avec les utilisateurs, mais après, il faut qu’ils viennent remonter l’information aux développeurs ce qui n’est pas forcément évident et ce qui n’est pas si simple que ça à mettre en œuvre. Donc le fait que les développeurs aient quand même des gens en face d’eux qui leur disent : « Tiens, là il y a un bug », ça aide à l’amélioration de la qualité du logiciel.

OliCat : Avant de conclure, Ludovic, juste on va revenir un petit peu en arrière concernant les risques et surtout les perspectives. C’est quoi demain ? Tu es le président de XWiki, quand même, le fondateur. C’est quoi demain ? XWiki, comment tu le vois ?

Ludovic Dubost : Déjà il y a le cloud. Le support est un modèle de revenus très important. Après, sur les petites sociétés, ce dont on se rend compte, c’est que ce n’est pas si simple de vendre des petits contrats de support, les clients ne savent pas bien s’ils en ont besoin. Par contre, sur les petites sociétés, ce qui est vraiment un modèle intéressant, c’est le cloud.

OliCat : Donc l’ordinateur de quelqu’un d’autre !

Ludovic Dubost : Ouais, l’ordinateur de quelqu’un d’autre. Le nôtre ! Celui de OVH.

OliCat : Comme dirait Nitot [Tristan Nitot, Cozy Cloud].

Ludovic Dubost : Celui de OVH. Et donc c’est d’offrir XWiki en cloud. Donc ça, on le fait, et aujourd’hui on commence à avoir des sociétés plus petites qui viennent.

OliCat : Donc, en fait, c’est du SaaS, que vous proposez.

Ludovic Dubost : C’est du SaaS [Software as a Service, NdT]. Oui. C’est du SaaS. Et toute la question c’est comment on peut les accompagner à avoir du succès avec XWiki.

OliCat : Ça veut dire quoi, pour une boîte, d’avoir du succès avec XWiki ? Bien l’utiliser ?

Ludovic Dubost : En fait, ils ont un peu l'angoisse de la page blanche quand ils démarrent en wiki et on doit leur donner les moyens de bien comprendre l’outil, comment l’utiliser. En fait, un logiciel collaboratif ça ne se met pas en œuvre comme ça. Ce n’est pas du jour au lendemain. Si on veut que les petites sociétés puissent le mettre en œuvre, il faut qu’on leur donne les moyens, à coût relativement bas, de mettre en œuvre le logiciel avec succès. Et c’est pour ça que, finalement, on a pris dix ans à l’amener aux petites sociétés. Et ça, ça commence à être fait de plus en plus. C’est-à-dire que autant vous filez Google Drive aux gens, ils ont des fichiers, ils comprennent, ils les mettent et après c’est le bordel au bout de six mois.

OliCat : C’est clair !

Ludovic Dubost : Le wiki, il faut expliquer un peu comment l’utiliser, ce que vous devez faire et ne pas faire, etc. Donc on travaille beaucoup là-dessus. Donc on espère vendre de plus en plus aux plus petites sociétés, et en cloud. Et pour l’open source, on pense que c’est un modèle de revenus extrêmement intéressant. Le cloud est un vrai modèle de revenus pour l’open source, tout en restant open source. Alors après, tout à l’heure on parlait des modules payants. Nous, on n’a pas de modules non open source. Par contre, on se pose la question de modules payants open source, open source mais payants.

OliCat : J’entends bien, je comprends.

Ludovic Dubost : Alors on en a lancé un, module Active Directory. Donc on commence par des modules qui sont liés au logiciel propriétaire, c’est une solution assez simple. Dire si finalement vous utilisez du logiciel propriétaire, eh bien pourquoi pas payer.

OliCat : Mais du coup, qui est l’acheteur ?

Ludovic Dubost : Celui qui en a besoin. Après, ce qu’on pense, c’est que si on veut vendre des modules payants, il faut avoir un gros volume d’installs. Et donc on pense qu’on ne les a pas forcément encore, donc on a encore du boulot avant d’arriver à ce niveau-là. Mais il y a des boîtes comme PrestaShop qui sont assez efficaces sur ce modèle des modules payants, pas chers. Et en fait on s’est posé cette question.

OliCat : Une sorte d’App Store quoi !

Ludovic Dubost : On a un App Store, en fait. Mais dans notre App Store il y a beaucoup de modules. Tout est gratuit et tout est open source et on s’est dit : « Eh bien peut-être qu’on aurait dû en faire un peu plus payants pour générer des modèles de revenus ». Moi, une de mes bagarres, justement, c’est d’expliquer aux gens que l’open source ce n’est pas gratuit.

OliCat : Eh bien non, le Libre ce n’est pas gratuit !

Ludovic Dubost : Et d’expliquer cette différence. Mais même chez nos développeurs ce n’est pas évident. Quand je leur dis qu’on va faire des modules open source payants, ils ne comprennent pas tout à fait. «  Mais attendez, pourquoi on ne les met pas propriétaires dans ce cas-là ? » Je dis : « Mais non, justement, parce que justement ce n’est pas une question d’open source. »

OliCat : C’est quoi le profil de tes développeurs du coup, justement ?

Ludovic Dubost : Ce sont des développeurs. Ils sont passionnés par l’open source.

OliCat : Tous ?

Ludovic Dubost : Oui, quand même, par contre pas forcément quand ils sont arrivés. Quand ils sont arrivés dans la boîte, ils ne l’étaient pas spécialement, ils n’avaient pas forcément compris comment ça fonctionnait. Mais ils sont assez passionnés. Nous, on a la moitié de la boîte en Roumanie.

OliCat : D’accord. Les devs sont en Roumanie, en fait ?

Ludovic Dubost : Non, ils sont partout. C’est mélangé. Un peu de tout partout. On a le support surtout, en Roumanie. Mais on a des devs produit en Roumanie, on a des devs produit en France. Donc on a les deux. Et on a des passionnés d’open source en Roumanie.

OliCat : Oui, je sais bien. J’ai d’autres expériences en Web agency, en l’occurrence. Les devs roumains sont plutôt performants.

Ludovic Dubost : Ils sont bons, il n’y a pas de problème. Il n’y a aucun problème de niveau ; il n’y a pas de problème par rapport à ça, et ils peuvent être passionnés par l’open source. Mais quand ils y arrivent, ils ne savent pas forcément où ils mettent les pieds non plus. Comme moi quand j’ai démarré. C’était sympa l’open source, mais je n’avais pas forcément complètement compris tous les éléments et j’ai appris beaucoup d’éléments. Et puis j’ai acquis une sensation d’importance de cet aspect open source, c’est-à-dire du fait qu’il faut que notre code soit libre et que c’est quelque chose qu’on va laisser ; et c’est ça qui est intéressant. Moi, en tant que patron de boîte, ça ne me suffit pas de juste dire « on va gagner notre vie bien, beaucoup, un peu, etc. » Le fait de laisser quelque chose derrière, c’est intéressant.

OliCat : Ce sera ta conclusion, Ludovic.

Ludovic Dubost : J’ai un truc de plus parce que, en fait, je ne voulais pas que te parler de XWiki. Dans nos projets de recherche on a lancé un autre projet.

OliCat : C’est vrai ? Tu vas me parler de radio, un peu ?

Ludovic Dubost : Non pas du tout. C’est un projet qui s’appelle cryptpad.fr.

OliCat : CryptPad[7].

Ludovic Dubost : De quoi ça pourrait parler ?

OliCat : D’un pad crypté ?

Ludovic Dubost : Exactement. Eh bien on a fait, dans nos projets de recherche, c’est un Américain qui a fait ça chez nous. Pas par hasard, pour lui ce n’est pas par hasard, mais pour moi c’est par hasard parce que ce n’était pas l’objectif. L’objectif c’était de faire de l’édition en temps réel dans le wiki et, en fait, il nous l’a fait avec un système chiffré.

OliCat : Excellent !

Ludovic Dubost : Et on a le premier pad temps réel chiffré, aujourd’hui disponible sur Internet.

OliCat : Il est où ?

Ludovic Dubost : Cryptpad.fr. Tu peux créer un pad.

OliCat : Il est où le code, je peux l’installer sur mon serveur ?

Ludovic Dubost : Oui, c’est GhiHub. C’est sur GhitHub, tu prends, c’est du Node.js, ce n’est pas du Java.

OliCat : Ah Node.js[8] !

Ludovic Dubost : Ce n’est pas du Java, c’est mieux.

OliCat : Tous les trucs sympas que je trouve, en ce moment, c’est du Node.js !

Ludovic Dubost : C’est à la mode.

OliCat : Je n’arrête pas de mettre du Node.js partout !

Ludovic Dubost : Et donc en fait, le serveur a le fichier, mais crypté, enfin chiffré pardon !

OliCat : Génial ! En fait on a un chat comme ça sur Libre à Toi. Tous les échanges sont chiffrés sur une base SQLite. Je ne peux rien, voilà. Donc là c’est le même principe, en fait.

Ludovic Dubost : C’est un peu le même principe. Et en fait, l’objectif de CryptPad, c’est de développer un ensemble de systèmes chiffrés, temps réel, à base de pads. Donc on va avoir d’autres pads. On a un pad de présentation, par exemple. Tu peux faire une présentation Marckdown[9], avec une feuille de style. Tu peux créer une présentation, elle est chiffrée aussi.

OliCat : Une présentation aussi. Génial !

Ludovic Dubost : En fait, la clef de chiffrement est dans le h de l’URL, il n’y a que le client qui l’a. C’est un peu comme ???, je ne sais pas si tu connais ???.

OliCat : Non, je ne connais pas.

Ludovic Dubost : ???, c’est pour mettre des fichiers. Tu peux mettre des fichiers ou un ???. C’est un peu comme ???, mais chiffré.

OliCat : Oui, d’accord.

Ludovic Dubost : Et donc CryptPad, c’est ça en chiffré, et donc on aimerait bien le faire connaître plus parce qu’on pense que la vie privée c’est un élément important.

OliCat : Génial ! Eh bien écoute, tu auras un cryptpad.libre-à-toi.org dans deux jours.

Ludovic Dubost : Vas-y, n’hésite pas.

OliCat : Dès que j’ai le temps. En fait j’ai installé un pad.

Ludovic Dubost : Etherpad ?

OliCat : Eh bien oui.

Ludovic Dubost : Ah quelle erreur !

OliCat : Oui, j’ai installé un Etherpad, mais il y a un an et demi maintenant. Donc on va migrer vers CryptPad.

Ludovic Dubost : Au passage, Cryptpad est un pad qui est meilleur en WYSIWYG.

OliCat : En plus, je vois que l’interface est plus attrayante, déjà.

Ludovic Dubost : En fait, c’est lié à la techno. C’est-à-dire qu’il y a deux technos balaises dans CryptPad. La première, c’est celle de chiffrement et la deuxième qui est balaise, c’est la synchronisation de l’HTLM qui fonctionne avec un autre système que le système d’Etherpad et qui permet de mettre tous les boutons du WYSIWYG, alors qu’Etherpad ce n’est pas possible.

OliCat : Effectivement il y a plein de fonctionnalités que je n’ai pas vues, qu’il n’y a pas…

Ludovic Dubost : On a tous les boutons. C’est un CKEditor complet.

OliCat : Excellent !

Ludovic Dubost : Et en fait demain on pourra faire SVG. Nos objectifs, tout ce qui est HTML pourra être synchronisé. Il y a un ??? aussi, il y a un équivalent à Framadate en chiffré.

OliCat : Il est où ?

Ludovic Dubost : Il est sur la home de CryptPad. Tu as quatre pads en bas de page.

OliCat : Attends !

Ludovic Dubost : Tu as quatre boutons.

OliCat : Un pad de code, Sondages. On a aussi un Framadate.

Ludovic Dubost : Donc on a Sondages, le CodeMirror, et le pad WYSIWYG. Mais c’est le pad WYSIWYG le truc le plus balaise.

OliCat : Là, le pad WYSIWYG, j’adore.

Ludovic Dubost : Mais il y aura des trucs en plus dans le futur. En fait, il va y avoir des améliorations déjà au mois de février et puis, après, on va encore ajouter beaucoup de choses, mais le point clef sera le chiffrement.

OliCat : OK ! C’est sur GhitHub. Très bien. Super. CryptPad bientôt sur Libre à Toi.

Ludovic Dubost : Avec plaisir et vous nous renvoyez des retours.

OliCat : Évidemment, Ludovic, évidemment. Qui est la jeune fille à côté de toi, qui a l’air de te subir, en fait ?

Ludovic Dubost : En fait je pense qu’elle veut te parler. C’est mon amie, déjà, qui est Roumaine, et qui est, en plus, une contributrice de Open Food Facts. Tu connais Open Food Facts.

OliCat : Mais bien sûr, allez, viens !

Ludovic Dubost : Et elle a envie de te parler de Open Food Facts.

OliCat : Mais vas-y, parle-nous.

Ludovic Dubost : Au revoir.

OliCat : Ciao Ludovic, merci.

Ludovic Dubost : Et elle travaille chez XWiki aussi.

OliCat : Ah ! Eh bien oui, évidemment.