Différences entre les versions de « Internet et droits humains : il y a vraiment un rapport - Stéphane Bortzmeyer »

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Bonjour tout monde.<br/>
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Le sujet de cette conférence c’est « Internet et les droits humains », ce qu’on appelait autrefois les droits de l’homme ; les droits humains c’est plus inclusif. En général quand je commence à introduire là-dessus auprès des gens souvent, il y a deux questions. L’une c’est : « Oui, mais il n’y a aucun rapport ; Internet c’est une technique, la technique c’est neutre, la politique c’est autre chose, c’est ce que font les sérieux qui passent à la télé, ça n’a pas de rapport avec Internet », et puis il y a une autre remarque qui est faite souvent, c’est : « Ah oui, Internet et puis les droits humains et la politique, j’en ai entendu parler : c’est Facebook et Google qui sont méchants, c’est ça ? » Et en fait non, c’est plus compliqué que ça.
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===Pourquoi est-ce important?===
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Première question : pourquoi est-ce que c’est important de se préoccuper des droits humains sur Internet ? Au début, au tout début de l’Internet quand on commençait, il n’y avait pas vraiment de préoccupations sur cette question-là parce qu’à l’époque, même pour les gens qui étaient utilisateurs intensifs d’Internet, c’était plus un truc parmi eux pour eux, c’était pour le boulot et un peu pour la distraction, or aujourd’hui, tout se fait sur Internet. Je ne veux pas dire par là que tout le temps on n’utilise que Internet – par exemple là je n’utilise pas Internet pour parler avec vous –, mais c’est le fait que toutes les activités humaines peuvent se faire sur Internet et souvent le sont. C’est-à-dire que le business ça se fait sur Internet. Elle est loin l’époque où un polytechnicien, Gérard Berry écrivait dans un rapport officiel que Internet c’était bien comme réseau expérimental mais ça ne serait jamais utilisé pour des affaires. Bon ! Aujourd’hui on voit bien à quel point il s’était trompé ! La politique aussi se fait sur Internet : les campagnes électorales, les discussions politiques, les mobilisations et les distractions se font sur Internet. On regarde des vidéos de chats, on regarde des matchs de foot, on regarde des films ou des séries, des choses comme ça.<br/>
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L’Internet n’est plus seulement un objet technique. Ce n’est pas juste une technique parmi d’autres qu’on utilise mais qui est séparée de nos vies. C’est un espace, un cadre où se déroulent énormément d’activités avec de l’interaction entre les êtres humains ; évidemment, faire du réseau tout seul ce n’est pas très intéressant, donc c’est toujours avec d’autres êtres humains. Et dès qu’il y a plusieurs êtres humains qui sont différents qui ne sont pas d’accord et qu’il y a des enjeux, il y a de la politique.
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Pourtant on ne parle pas beaucoup de politique à propos d’Internet. Vous allez me dire si, tout le temps, les ministres se réunissent, il y a des grandes réunions comme cette semaine à Paris, le Forum de la gouvernance de l’Internet où il y a plein de gens qui se réunissaient, qui discutaient de question politiques liées à Internet. Oui ça existe, mais ce n’est pas tellement à propos d’Internet c’est à propos de, même pas à propos du Web, c’est, en fait, une partie du Web. On se focalise sur quelques aspects qui sont jugés les aspects dignes d’avoir des discussions avec des gens importants : la gouvernance de la racine un petit peu, c’est moins à la mode aujourd’hui ; aujourd’hui c’est plutôt strictement les GAFA c’est-à-dire ce qu’un ministre, au Forum de la gouvernance de l’internet, appelait l’Internet californien. Il opposait l’Internet californien avec les captations de données personnelles et les trucs comme ça à l’Internet chinois et il disait qu’il fallait développer un troisième Internet entre l’Internet californien et l’Internet chinois. Manifestement il confondait l’Internet avec une poignée de GAFA. Aujourd’hui les discussions politiques qui ont un rapport avec l’Internet c’est essentiellement pour parler du rôle de quelques GAFA qui sont méchants, qui ne payent pas d’impôts, qui ne suivent pas nos lois, des choses comme ça.<br/>
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Ça veut dire que des tas de questions qui sont politiques et qui sont liées d’une façon ou d’une autre à l’Internet restent peu discutées politiquement. Ce ne sont pas des sujets politiques ou alors on en parle un petit peu, mais ce n’est pas important, ce n’est pas le gros morceau.<br/>
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Donc globalement l’Internet reste encore pas mal traité comme un objet technique c’est-à-dire comme quelque chose où il n’y a pas de décision politique et, quand on nie l’aspect politique de quelque chose, c’est en général mauvais signe. C’est-à-dire dire que des décisions politiques sont bien prises, mais on ne les assume pas comme telles, on les cite discrètement, on n’utilise pas les processus démocratiques, on ne permet pas aux gens d’y participer. Beaucoup de décisions sont traitées comme ça entre petits comités, sans que le citoyen ait son mot à dire.
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Une fois dans une discussion où je disais ça il y a quelqu’un qui travaillait chez un gros opérateur français qui avait dit : « On ne va quand même pas demander à madame Michu de voter sur les décisions concernant l’Internet ! » Eh bien si ! Si ! Parce que ça la concerne et ça concerne aussi monsieur Michu ; monsieur Michu est aussi concerné pour la raison que je disais au début c’est-à-dire que tant de nos activités sont médiées par l’Internet, passent par l’Internet, les discussions politiques, les décisions politiques qui sont prises ont une influence sur tous les citoyens et il est donc normal que les citoyens soient impliqués d’une façon ou d’une autre là-dedans.
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===Droits humains ?===
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La politique c’est vaste comme sujet, c’est beaucoup de choses, c’est beaucoup d’aspects et souvent, en plus, c’est un mot qui fait un peu peur parce que soit les gens réduisent ça à la politique politicienne, c’est-à-dire il y a encore un ministre qui est parti, on va le remplacer par un autre ; il y a untel qui a dit que ce que faisait le gouvernement ce n’était pas bien. Ça ce n’est pas très important. Et puis c’est souvent vu comme un truc un peu sale où le citoyen moyen ne peut pas tellement participer.<br/>
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Mais la politique, évidemment, c’est bien plus que ça : c’est tout ce qui concoure à prendre des décisions alors qu’il y a plusieurs personnes et qu’elles ne sont pas d’accord. Si tout le monde est d’accord il n’y a pas de politique, c’est trop facile. C’est quand les gens ne sont pas d’accord, quand il y a des intérêts différents, qu’il y a de la politique. Ça, ça concerne tout le monde mais c’est vaste comme sujet et il y en a beaucoup.
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Pour essayer de focaliser un petit peu, ici je voulais me concentrer surtout sur la question des droits humains, donc autrefois appelé droits de l’homme, parce qu’en plus je saisis l’actualité : le 10 décembre c’est le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui avait été décidée par les Nations-Unies juste après une guerre mondiale où on s’était aperçu que si on ignorait les droits humains, si on n’en tenait pas compte ou si on les relativisait, ça menait à des choses vraiment épouvantables, donc il y a eu unanimité, c’était drôle à l’époque, parce que les pays qui avaient voté ça n’étaient pas tous d’accord, mais il y avait eu unanimité pour faire un bon texte, la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui va donc fêter ses 70 ans. Vous vous en doutez, il est loin d’être respecté y compris par les signataires, mais ça reste toujours un objectif qui est utile pour tout ça.<br/>
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Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme un des mots importants c’est « universel ». C’est-à-dire qu’évidemment ça concerne tout le monde, tout le monde y a droit, même madame Michu, même la mamie du Cantal. Il n’y a pas besoin, normalement, d’être quelqu’un d’important pour avoir des droits ; normalement ce sont les droits de tous les humains.
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Là-dessus quel est le rapport avec Internet ? Est-ce que Internet est bon, mauvais ou neutre pour les droits humains ? J’ai vu les trois positions être exprimées. Il y a, par exemple, des gens qui disent que la technique est neutre : Internet en soi n’est ni bon ni mauvais pour les droits humains. Comme n’importe quelle technique qui est inventée elle peut être utilisée pour le bien et pour le mal ; en soi ça n’a pas de rôle particulier dans les droits humains.<br/>
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J’ai vu des gens dire que c’était bon pour les droits humains c’est la position de l’ISOC, l’Internet Society, qui en dit que, en gros, c’est une bonne chose Internet. Ça permet de faire tout un tas de choses sympathiques, c’est pour ça qu’on dépense autant d’argent pour ça et qu’il y a autant de gens, dont moi, qui travaillent à maintenir et à développer le réseau, donc que c’est une bonne chose.<br/>
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Et puis j’ai vu des gens dire que c’était mauvais, que c’était uniquement un espace d’oppression, d’exploitation, de tout ce qu’on veut, avec des variantes. Parmi les gens pour qui c’est mauvais, il y a ceux qui disent comme Alain Finkielkraut que c’était mieux avant, qu’il faudrait revenir à ce qu’il y avait avant ; quand on écrivait avec une plume d’oie sur du parchemin c’était mieux.<br/>
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Il y a d’autres positions, là je caricature un peu, il y a d’autres positions parmi les gens qui disent que c’est mauvais, mais il y a souvent, particulièrement en France, un courant qui, effectivement, estime que le progrès n’est pas toujours un progrès, que des fois il y a des choses mauvaises qui sont inventées et qu’il faudrait sinon les annuler, du moins, moins les utiliser.
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Un point important quand on discute des droits, évidemment, c’est la différence entre droits théoriques et droits réels. La Déclaration universelle des droits de l’homme pose d’excellents principes avec lesquels je suis tout à fait d’accord mais qui, pour l’instant, ne sont pas mal dans le cloud enfin dans les hauteurs et, quand il s’agit de descendre sur terre, c’est beaucoup plus difficile de faire en sorte que ces droits soient réellement appliqués.<br/>
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Ce qui empêche les droits d’être appliqués ce n’est pas uniquement la répression explicite, genre l’armée qui sort avec les chars et qui tire sur les gens ; là on voit bien qu’il y a une violation des droits humains. Mais il y a aussi des problèmes qui se posent pour beaucoup de gens : ils ont des droits théoriques mais ne peuvent pas les exercer pour différents problèmes pratiques, concrets. Un exemple typique : la possibilité de se déplacer. En France, il n’y a pas de passeport intérieur comme il y avait au 19e siècle. Au 19e siècle, pour aller de Paris à Toulouse vous aviez besoin d’un document à faire viser par la police ou la gendarmerie pour contrôler les gens dangereux qui se déplaçaient. Aujourd’hui on n’a plus ça en France, on peut librement se déplacer mais évidemment ça suppose qu’on ait des moyens de se déplacer. Comme les lignes secondaires de la SNCF sont fermées, qu’il y a de moins en moins de trains, que l’essence augmente – sujet d’actualité aujourd’hui –, les déplacements, le droit de déplacement, la liberté de déplacement reste souvent théorique et on a du mal à l’exercer en pratique.<br/>
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Un autre un bon exemple, évidemment, c’est pour la liberté d’expression. À l’époque, il y a un siècle, vous aviez le droit de vous exprimer, mais c’était au café du commerce où vous pouviez dire aux autres piliers de bistrot ce que vous pensiez du gouvernement « tous des pourris, il faut les dégager », mais ça n’allait pas plus loin. Il n’y avait qu’une minorité de gens qui avaient accès à des médias nationaux permettant de faire connaître leur opinion au-delà du café du commerce. C’est un bon exemple de la différence entre droits théoriques et droits réels.
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===La technique est-elle neutre ?===

Version du 17 décembre 2018 à 08:47


Titre : Internet et droits humains : il y a vraiment un rapport ?

Intervenant : Stéphane Bortzmeyer

Lieu : Capitole du Libre - Toulouse

Date : novembre 2018

Durée : 42 min 50

Visionner la vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Description

Les discussions politiques au sujet de l'Internet se limitent souvent à trois ou quatre GAFA, la seule chose que connaissent certains commentateurs. Pourtant, l'infrastructure de l'Internet pose également plein de questions politiques essentielles. La technique est-elle neutre ? Est-ce que les réseaux numériques posent des problèmes politiques particuliers ? Le pair à pair va t-il sauver la neutralité du réseau ? Pour la diversité linguistique, faut-il traduire les méthodes GET et POST de HTTP ? Le protocole BGP est-il de gauche ? L'Internet est-il favorable ou défavorable aux droits humains (au passage, le 10 décembre, ce sera le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains) ?
Et toutes ces questions peuvent-elles être expliquées à M. et Mme Michu ? L·e·a citoyen·ne de base doit-il·elle et peut-il·elle comprendre l'Internet ? Ou bien est-ce inutile et impossible, et il vaut mieux laisser ces questions aux gens sérieux ?

Transcription

Bonjour tout monde.
Le sujet de cette conférence c’est « Internet et les droits humains », ce qu’on appelait autrefois les droits de l’homme ; les droits humains c’est plus inclusif. En général quand je commence à introduire là-dessus auprès des gens souvent, il y a deux questions. L’une c’est : « Oui, mais il n’y a aucun rapport ; Internet c’est une technique, la technique c’est neutre, la politique c’est autre chose, c’est ce que font les sérieux qui passent à la télé, ça n’a pas de rapport avec Internet », et puis il y a une autre remarque qui est faite souvent, c’est : « Ah oui, Internet et puis les droits humains et la politique, j’en ai entendu parler : c’est Facebook et Google qui sont méchants, c’est ça ? » Et en fait non, c’est plus compliqué que ça.

Pourquoi est-ce important?

Première question : pourquoi est-ce que c’est important de se préoccuper des droits humains sur Internet ? Au début, au tout début de l’Internet quand on commençait, il n’y avait pas vraiment de préoccupations sur cette question-là parce qu’à l’époque, même pour les gens qui étaient utilisateurs intensifs d’Internet, c’était plus un truc parmi eux pour eux, c’était pour le boulot et un peu pour la distraction, or aujourd’hui, tout se fait sur Internet. Je ne veux pas dire par là que tout le temps on n’utilise que Internet – par exemple là je n’utilise pas Internet pour parler avec vous –, mais c’est le fait que toutes les activités humaines peuvent se faire sur Internet et souvent le sont. C’est-à-dire que le business ça se fait sur Internet. Elle est loin l’époque où un polytechnicien, Gérard Berry écrivait dans un rapport officiel que Internet c’était bien comme réseau expérimental mais ça ne serait jamais utilisé pour des affaires. Bon ! Aujourd’hui on voit bien à quel point il s’était trompé ! La politique aussi se fait sur Internet : les campagnes électorales, les discussions politiques, les mobilisations et les distractions se font sur Internet. On regarde des vidéos de chats, on regarde des matchs de foot, on regarde des films ou des séries, des choses comme ça.
L’Internet n’est plus seulement un objet technique. Ce n’est pas juste une technique parmi d’autres qu’on utilise mais qui est séparée de nos vies. C’est un espace, un cadre où se déroulent énormément d’activités avec de l’interaction entre les êtres humains ; évidemment, faire du réseau tout seul ce n’est pas très intéressant, donc c’est toujours avec d’autres êtres humains. Et dès qu’il y a plusieurs êtres humains qui sont différents qui ne sont pas d’accord et qu’il y a des enjeux, il y a de la politique.

Pourtant on ne parle pas beaucoup de politique à propos d’Internet. Vous allez me dire si, tout le temps, les ministres se réunissent, il y a des grandes réunions comme cette semaine à Paris, le Forum de la gouvernance de l’Internet où il y a plein de gens qui se réunissaient, qui discutaient de question politiques liées à Internet. Oui ça existe, mais ce n’est pas tellement à propos d’Internet c’est à propos de, même pas à propos du Web, c’est, en fait, une partie du Web. On se focalise sur quelques aspects qui sont jugés les aspects dignes d’avoir des discussions avec des gens importants : la gouvernance de la racine un petit peu, c’est moins à la mode aujourd’hui ; aujourd’hui c’est plutôt strictement les GAFA c’est-à-dire ce qu’un ministre, au Forum de la gouvernance de l’internet, appelait l’Internet californien. Il opposait l’Internet californien avec les captations de données personnelles et les trucs comme ça à l’Internet chinois et il disait qu’il fallait développer un troisième Internet entre l’Internet californien et l’Internet chinois. Manifestement il confondait l’Internet avec une poignée de GAFA. Aujourd’hui les discussions politiques qui ont un rapport avec l’Internet c’est essentiellement pour parler du rôle de quelques GAFA qui sont méchants, qui ne payent pas d’impôts, qui ne suivent pas nos lois, des choses comme ça.
Ça veut dire que des tas de questions qui sont politiques et qui sont liées d’une façon ou d’une autre à l’Internet restent peu discutées politiquement. Ce ne sont pas des sujets politiques ou alors on en parle un petit peu, mais ce n’est pas important, ce n’est pas le gros morceau.
Donc globalement l’Internet reste encore pas mal traité comme un objet technique c’est-à-dire comme quelque chose où il n’y a pas de décision politique et, quand on nie l’aspect politique de quelque chose, c’est en général mauvais signe. C’est-à-dire dire que des décisions politiques sont bien prises, mais on ne les assume pas comme telles, on les cite discrètement, on n’utilise pas les processus démocratiques, on ne permet pas aux gens d’y participer. Beaucoup de décisions sont traitées comme ça entre petits comités, sans que le citoyen ait son mot à dire.

Une fois dans une discussion où je disais ça il y a quelqu’un qui travaillait chez un gros opérateur français qui avait dit : « On ne va quand même pas demander à madame Michu de voter sur les décisions concernant l’Internet ! » Eh bien si ! Si ! Parce que ça la concerne et ça concerne aussi monsieur Michu ; monsieur Michu est aussi concerné pour la raison que je disais au début c’est-à-dire que tant de nos activités sont médiées par l’Internet, passent par l’Internet, les discussions politiques, les décisions politiques qui sont prises ont une influence sur tous les citoyens et il est donc normal que les citoyens soient impliqués d’une façon ou d’une autre là-dedans.

Droits humains ?

La politique c’est vaste comme sujet, c’est beaucoup de choses, c’est beaucoup d’aspects et souvent, en plus, c’est un mot qui fait un peu peur parce que soit les gens réduisent ça à la politique politicienne, c’est-à-dire il y a encore un ministre qui est parti, on va le remplacer par un autre ; il y a untel qui a dit que ce que faisait le gouvernement ce n’était pas bien. Ça ce n’est pas très important. Et puis c’est souvent vu comme un truc un peu sale où le citoyen moyen ne peut pas tellement participer.
Mais la politique, évidemment, c’est bien plus que ça : c’est tout ce qui concoure à prendre des décisions alors qu’il y a plusieurs personnes et qu’elles ne sont pas d’accord. Si tout le monde est d’accord il n’y a pas de politique, c’est trop facile. C’est quand les gens ne sont pas d’accord, quand il y a des intérêts différents, qu’il y a de la politique. Ça, ça concerne tout le monde mais c’est vaste comme sujet et il y en a beaucoup.

Pour essayer de focaliser un petit peu, ici je voulais me concentrer surtout sur la question des droits humains, donc autrefois appelé droits de l’homme, parce qu’en plus je saisis l’actualité : le 10 décembre c’est le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui avait été décidée par les Nations-Unies juste après une guerre mondiale où on s’était aperçu que si on ignorait les droits humains, si on n’en tenait pas compte ou si on les relativisait, ça menait à des choses vraiment épouvantables, donc il y a eu unanimité, c’était drôle à l’époque, parce que les pays qui avaient voté ça n’étaient pas tous d’accord, mais il y avait eu unanimité pour faire un bon texte, la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui va donc fêter ses 70 ans. Vous vous en doutez, il est loin d’être respecté y compris par les signataires, mais ça reste toujours un objectif qui est utile pour tout ça.
Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme un des mots importants c’est « universel ». C’est-à-dire qu’évidemment ça concerne tout le monde, tout le monde y a droit, même madame Michu, même la mamie du Cantal. Il n’y a pas besoin, normalement, d’être quelqu’un d’important pour avoir des droits ; normalement ce sont les droits de tous les humains.

Là-dessus quel est le rapport avec Internet ? Est-ce que Internet est bon, mauvais ou neutre pour les droits humains ? J’ai vu les trois positions être exprimées. Il y a, par exemple, des gens qui disent que la technique est neutre : Internet en soi n’est ni bon ni mauvais pour les droits humains. Comme n’importe quelle technique qui est inventée elle peut être utilisée pour le bien et pour le mal ; en soi ça n’a pas de rôle particulier dans les droits humains.
J’ai vu des gens dire que c’était bon pour les droits humains c’est la position de l’ISOC, l’Internet Society, qui en dit que, en gros, c’est une bonne chose Internet. Ça permet de faire tout un tas de choses sympathiques, c’est pour ça qu’on dépense autant d’argent pour ça et qu’il y a autant de gens, dont moi, qui travaillent à maintenir et à développer le réseau, donc que c’est une bonne chose.
Et puis j’ai vu des gens dire que c’était mauvais, que c’était uniquement un espace d’oppression, d’exploitation, de tout ce qu’on veut, avec des variantes. Parmi les gens pour qui c’est mauvais, il y a ceux qui disent comme Alain Finkielkraut que c’était mieux avant, qu’il faudrait revenir à ce qu’il y avait avant ; quand on écrivait avec une plume d’oie sur du parchemin c’était mieux.
Il y a d’autres positions, là je caricature un peu, il y a d’autres positions parmi les gens qui disent que c’est mauvais, mais il y a souvent, particulièrement en France, un courant qui, effectivement, estime que le progrès n’est pas toujours un progrès, que des fois il y a des choses mauvaises qui sont inventées et qu’il faudrait sinon les annuler, du moins, moins les utiliser.

Un point important quand on discute des droits, évidemment, c’est la différence entre droits théoriques et droits réels. La Déclaration universelle des droits de l’homme pose d’excellents principes avec lesquels je suis tout à fait d’accord mais qui, pour l’instant, ne sont pas mal dans le cloud enfin dans les hauteurs et, quand il s’agit de descendre sur terre, c’est beaucoup plus difficile de faire en sorte que ces droits soient réellement appliqués.
Ce qui empêche les droits d’être appliqués ce n’est pas uniquement la répression explicite, genre l’armée qui sort avec les chars et qui tire sur les gens ; là on voit bien qu’il y a une violation des droits humains. Mais il y a aussi des problèmes qui se posent pour beaucoup de gens : ils ont des droits théoriques mais ne peuvent pas les exercer pour différents problèmes pratiques, concrets. Un exemple typique : la possibilité de se déplacer. En France, il n’y a pas de passeport intérieur comme il y avait au 19e siècle. Au 19e siècle, pour aller de Paris à Toulouse vous aviez besoin d’un document à faire viser par la police ou la gendarmerie pour contrôler les gens dangereux qui se déplaçaient. Aujourd’hui on n’a plus ça en France, on peut librement se déplacer mais évidemment ça suppose qu’on ait des moyens de se déplacer. Comme les lignes secondaires de la SNCF sont fermées, qu’il y a de moins en moins de trains, que l’essence augmente – sujet d’actualité aujourd’hui –, les déplacements, le droit de déplacement, la liberté de déplacement reste souvent théorique et on a du mal à l’exercer en pratique.
Un autre un bon exemple, évidemment, c’est pour la liberté d’expression. À l’époque, il y a un siècle, vous aviez le droit de vous exprimer, mais c’était au café du commerce où vous pouviez dire aux autres piliers de bistrot ce que vous pensiez du gouvernement « tous des pourris, il faut les dégager », mais ça n’allait pas plus loin. Il n’y avait qu’une minorité de gens qui avaient accès à des médias nationaux permettant de faire connaître leur opinion au-delà du café du commerce. C’est un bon exemple de la différence entre droits théoriques et droits réels.

11’ 02

La technique est-elle neutre ?