Internet et Confinement par Stéphane Bortzmeyer

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Titre : Internet et Confinement par Stéphane Bortzmeyer

Intervenant : Stéphane Bortzmeyer

Lieu : Entrée Libre #2 - Centre des Abeilles - Quimper

Date : 28 juillet 2021

Durée : 42 min 53

Vidéo

Page de présentation de la conférence

Diaporama support de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Lors des épisodes de confinement en France, des personnes « haut placées» ont mentionné des risques que l'Internet s'écroule si on regardait des vidéos au lieu de travailler. Mais que s'est-il passé exactement ? Pourquoi Internet ramait pour certains services ? Les tuyaux étaient-ils bouchés ?
Stéphane Bortzmeyer, Ingénieur R&D à l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic), qui s'occupe entre autres de sécurité, notamment du DNS, apporte un éclairage sur la réalité d'Internet. Membre actif de l'IETF (Internet Engineering Task Force), il est l'auteur de plusieurs RFC (Requests for comments), notamment liés aux questions de DNS et de vie privée.

Transcription

Bonjour tout le monde.
On va commencer par un sujet un peu plus technique, mais je vous rassure, tout au long des trois jours d’Entrée libre il y aura des tas d’autres sujets plus des ateliers très bien, d’ailleurs vous pouvez vous inscrire, il y a de la place dans les ateliers n’hésitez pas ou faire venir des gens.
Je voulais parle d’un sujet d’actualité, malheureusement, le comportement d’Internet pendant le confinement. Il y aura une partie un peu technique sur ce qui s’est passé. Il y aura aussi une partie, derrière, plus politique parce que les réseaux ne sont pas un phénomène purement naturel qui déboule comme ça. Ça dépend aussi de choix qui ont été faits, d’orientations, de décisions de financements qui ont eu une influence.

Vous avez tous remarqué qu’il y a en ce moment une pandémie de Covid-19 sur toute la planète. Qui n’est pas au courant ? Ça a eu des conséquences notamment sur l’utilisation des réseaux. Il y a des tas de gens qui ont dit « c’est super Internet, si on n’avait pas eu Internet pendant la pandémie on aurait beaucoup plus souffert ». On aurait fait différemment, il n’y aurait peut-être pas eu de confinement et, dans ce cas-là, on aurait eu plus de contaminations, ou bien on aurait occupé le confinement à autre chose. Ce qui est sûr c’est que c’est la première fois qu’on a cette combinaison d’un confinement, en tout cas d’une limitation des déplacements, avec à notre disposition un réseau mondial qui fonctionne.

Personnellement je m’appelle Stéphane Bortzmeyer, je travaille dans des réseaux informatiques plutôt du côté de la technique, j’ai fait un bouquin [Cyberstructure - l’Internet, un espace politique]. C’est la page publicitaire. Comme pendant toutes les publicités vous pouvez vous lever et aller faire autre chose pendant ce temps-là. J’ai fait un bouquin qui parle des rapports entre l’Internet et la politique, l’articulation entre la stricte technique – comment ça fonctionne – et les choix qui sont faits. L’Internet n’est pas objet purement technique, ça ne dépend pas que des techniciens, mais ce n’est pas non plus un truc purement politique comme le croient les ministres qui croient qu’en tapant du poing sur la table ils peuvent obtenir que l’Internet se comporte comme ils veulent. C’est entre les deux, c’est l’articulation des deux. Ça justifiait bien un bouquin entier pour ça. Fin de la ligne de publicité. Maintenant il faut faire attention.

En mars 2020, on a eu à peu près au même moment sur beaucoup de pays, notamment en France, un confinement assez massif de la population et relativement peu préparé. Je sais que quelques jours avant, par exemple, je ne m’attendais pas à ça, j’avais entendu dire qu’ils avaient fait ça en Chine, bien sûr, mais la Chine c’est loin, ils ne sont pas comme nous, ils mangent du chien et du canard laqué, des trucs comme, donc on se disait « ça ne peut pas nous arriver, ce sont ces trucs amusants dont on parle au Journal télévisé, qui concernent des pays lointains, mais ça ne pouvait pas nous arriver ». Puis c’est tombé relativement rapidement, c’est-à-dire qu’en assez peu de temps il a fallu se préparer pour des styles de travail, d’école, d’activité humaine complètement différents. Tout à l’heure, en discutant avec les bénévoles d’Entrée libre, on disait qu’on avait aussi appris beaucoup de vocabulaire à cette occasion, il y a des tas de mots nouveaux qui sont rentrés d’un coup dans le dictionnaire, que maintenant tout le monde connaît alors que personne ne les connaissait avant.
Le confinement était nécessaire, le virus se propageait et, les virus ayant cette désagréable propriété que plus il y a de gens contaminés plus on en contamine, ça donne ce qu’on appelle en mathématiques une exponentielle, les exponentielles ça grimpe très vite, donc il fallait faire quelque chose. Je ne suis pas épidémiologiste ni médecin, donc je ne vais pas discuter de savoir si les décisions qui ont été prises en matière de santé publique étaient bonne ou mauvaises, c’est compliqué et je vous dis que je n’ai pas vraiment spécialement les compétences là-dessus, mais ce qui est sûr c’est qu’on avait un problème sérieux et qu’il fallait faire quelque chose. Donc le choix, en France, le 17 mars 2020, a été un confinement assez massif et depuis, si on n’a pas eu un confinement au même niveau, on a quand même eu différentes restrictions aux déplacements, aux rencontres, etc. C’était peut-être nécessaire, mais c’était contraignant.
Il y a un certain discours techno-béat, des gens qui trouvent toujours que la technique c’est super, ça va résoudre tous les problèmes, un certain discours techno-béat qui disait que c’était aussi bien que ce qu’on faisait avant, que, par exemple, une réunion en visioconférence remplaçait complètement une réunion traditionnelle et il y a même eu, dans certains milieux technophiles, l’idée que cette pandémie était finalement une bonne chose parce que ça allait accélérer des évolutions souhaitables comme plus de télétravail, plus de visioconférences, de choses comme ça.
Mon opinion c’est que non, ce n’est pas pareil. D’abord tous les métiers ne se prêtent pas au télétravail, les infirmières ou les cuisiniers peuvent difficilement travailler, ou les CRS, donc déjà tous les métiers ne peuvent pas télétravailler et même ceux qui peuvent, ce n’est pas pareil. Rien que pour prendre l’exemple de l’enseignement – je cite ça parce que mon fils est professeur – on peut enseigner à distance, ce n’est pas pareil et ça pose d’autres problèmes, ce n’est pas équivalent et ça pose tout un tas d’autres problèmes différents.
Ceci dit il n’y avait pas forcément le choix, en tout cas je ne vais pas vous dire que c’est forcément ça le futur, que c’est une bonne chose et qu’il faudra continuer après le confinement. Le confinement était une période spéciale. On espère tous que ça se terminera, enfin beaucoup de gens, à part ceux qui vendent des solutions de vidéoconférences qui espèrent que ça continuera, espèrent que ça se terminera et qu’on pourra revenir comme avant.

Une des conséquences c’est qu’on va encore plus dépendre du numérique en général et de l’Internet en particulier. C’est un phénomène qui avait déjà commencé avant. Il y avait déjà une lourde tendance à faire de plus en plus de choses qui dépendent d’Internet. C’est, par exemple, le problème de la dématérialisation des services publics qui avait commencé bien avant où des tas de choses qui étaient possibles avant à un guichet, devant un fonctionnaire souriant, devaient tout à coup se faire en ligne avec tout un tas de problèmes que ça pose pour les gens qui ne sont pas à l’aise avec le numérique ou qui n’ont pas un accès dans des bonnes conditions.
Pour ceux qui ne les ont pas vus, des films comme Moi, Daniel Blake de Ken Loach ou Effacer l’historique des Grolandais, illustrent très bien les problèmes que pose le numérique à outrance et, en fait, ce n’est pas tellement un problème du numérique lui-même, c’est un problème qu’on détruit des possibilités qu’il y avait avant et que la seule solution de remplacement c’est un truc par Internet qui ne fournit pas exactement les mêmes possibilités et pose d’autres problèmes. Donc le phénomène avait déjà commencé.
Ceci dit on pouvait plus ou moins y résister. Personnellement je faisais partie des gens qui détestaient les visioconférences, qui essayaient d’en avoir le moins possible, qui trouvaient que ça marchait mal, que c’était pénible. Ce n’est pas le genre de truc que j’aime. Donc je faisais partie, on va dire, des résistants quand on est positif ou, au contraire, des vieux cons attardés quand on est négatif, qui n’étaient pas très chauds pour les visioconférences. Ceci dit, déjà avant la pandémie, beaucoup de choses passaient par Internet et après, avec le confinement, d’un seul coup ce n’était pas beaucoup de choses qui passaient par Internet, c’était quasiment 100 %. Donc un gros changement et assez soudain.

Donc ça pose une question technique qui est : est-ce que le réseau a tenu ? Est-ce que le réseau a fonctionné avec cette brusque augmentation des usages. La visioconférence, par exemple, est notamment très consommatrice de données. Toutes les activités qu’on fait sur Internet ne consomment pas la même quantité de ressources sur le réseau, une image c’est beaucoup plus d’octets, beaucoup plus de quantités d’informations à faire passer, donc ça tape davantage pour les réseaux. Donc tout à coup on se retrouvait avec un usage supérieur.

Qu’est-ce qu’ont vu les différents utilisateurs et utilisatrices du réseau ? Quel a été leur vécu pendant cette période spéciale ?

À l’école on en a beaucoup parlé, il y a eu plein de problèmes à l’école. Ça fait l’objet de beaucoup de mentions dans les médias, plein de problèmes, des lenteurs, par exemple le site du CNED, le Centre national d’enseignement à distance, largement inaccessible. Pas seulement le CNED, tout un tas d’autres dispositifs d’école à la maison, où les élèves et les enseignants étaient censés se connecter et utiliser pour leur travail, étaient soit très lents soit, dans le pire des cas, vraiment inutilisables avec des messages incompréhensibles Time out 500, Try again, des choses comme ça. Ça a été pareil par exemple pour les services de visioconférence, à tel point qu’à un moment l’Éducation nationale avait officiellement envoyé les professeurs sur les services de Framasoft comme Framatalk. Framasoft est une petite association qui fait du développement de logiciels libres et surtout de l’hébergement de services fondés sur des logiciels libres, c’est une petite association avec des petits moyens et leurs serveurs n’étaient pas du tout prévus pour suppléer aux défaillances d’un très gros ministère comme l’Éducation nationale.
Là, pour l’Éducation nationale, on a eu un problème, je dirais, de grande ampleur, d’autant plus que, contrairement au milieu professionnel où il y avait déjà des gens qui faisaient de la visioconférence, là ça a été le passage d’un système à l’autre presque du jour au lendemain et dans des conditions complètement différentes. Mon opinion personnelle, de citoyen, qui n’engage que moi, c’est que ça a été aggravé par certains discours ridicules du ministre disant « ne vous inquiétez pas, tout est prêt, il n’y aura aucun problème ». C’est l’attitude classique des politiciens en France qui est que les citoyens sont des enfants, ils s’affolent facilement, il faut les rassurer en disant que tout est prêt, il n’y a quand un problème. Au lieu de tenir un discours d’adulte qui serait de dire « c’est une période spéciale, c’est nouveau, on n’a pas le choix, ça va être difficile, mais on va essayer de faire ce qu’on peut ». Au lieu de tenir ce discours réaliste, d’adulte, le ministre tenait un discours à destination de citoyens-enfants « ne vous inquiétez pas, c’est bon, tout est prêt. » Et en fait on a vu que non, ce n’était pas du tout le cas, c’est dans doute le secteur qui a eu le plus de problèmes.

Par contre, Wikipédia et Netflix marchaient bien, je ne me souviens pas d’avoir vu de problèmes pendant le confinement. J’ai vu des fois des gens citer Netflix et d’autres et souvent les gens qui mettent en avant le fait qu’il y a des services qui ont bien marché oublient Wikipédia, parce que c’est un service non commercial, donc ça se prête moins bien au discours de dire « le public a complètement déconné, le privé a super bien marché, donc il faut tout privatiser ». En fait, ce n’est pas la conclusion que j’en tirerais puisque donc un truc qui est associatif, comme Wikipédia, a bien marché lui aussi.

Au travail, l’expérience était très variable selon les métiers. Si vous discutez avec des gens qui étaient dans des tas d’entreprises différentes, il y en a qui ont dit « oui, ça a plutôt bien marché, on a fait des visioconférences, on a découvert des problèmes, par exemple découvert que quand on est dans un environnement international, la visioconférence ça a un gros inconvénient, c’est que les Japonais et les Colombiens ne se lèvent pas à la même heure que nous, donc ce n’est pas pratique du tout pour faire des réunions. » On a vu des problèmes techniques des fois, des fois pas, des fois tout s’est bien passé. Il y a eu des découvertes positives, d’autres qui l’étaient moins. Il y a des gens qui télétravaillaient déjà un peu et qui ont continué comme avant, des gens qui ont découvert le télétravail, certains ont aimé, d’autres n’ont pas aimé. Il faut se méfier des discours qui paraissent là-dessus dans les médias, qui sont souvent des discours motivés par quelque chose à vendre. Par exemple, toutes les boîtes qui vendent des solutions de visioconférence expliquent toutes que les travailleurs adorent le télétravail, qu’ils aiment beaucoup ça, que c’est super et qu’il faut continuer. À l’inverse, certains chefs n’ont pas tellement apprécié le télétravail parce que si on n’a pas les employés sous la main, si on ne les voit pas, ils ne vont pas bosser, ils vont lire des bandes dessinées toute la journée au lieu de travailler ! Il faudrait qu’ils soient au bureau pour qu’on puisse les surveiller.
Donc il y a eu tout un tas de discours motivés là-dessus et les aspects strictement opérationnels, c’est-à-dire est-ce que ça marche ou est-ce que ça plante ?, étaient souvent gommés par le fait que la personne qui parle de télétravail, du confinement et tout ça, a quelque chose à vendre ou a une idée derrière la tête, elle ne veut pas seulement discuter des avantages et inconvénients techniques, elle voudrait aussi placer son idée favorite.

13’17

Du fait qu’il y a eu pas mal de problèmes,