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'''Titre :''' Internet et Confinement par Stéphane Bortzmeyer
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Publié [https://www.librealire.org/internet-et-confinement-par-stephane-bortzmeyer ici] - Septembre 2021
 
 
'''Intervenant :''' Stéphane Bortzmeyer
 
 
 
'''Lieu :'''  Entrée Libre #2 - Centre des Abeilles - Quimper
 
 
 
'''Date :''' 28 juillet 2021
 
 
 
'''Durée :''' 42 min 53
 
 
 
'''[https://www.pennarweb.org/videos/20210729borztmayer-conf.mp4 Vidéo]'''
 
 
 
'''[https://www.pennarweb.org/video.php?id=1001 Page de présentation de la conférence]'''
 
 
 
'''[https://www.pennarweb.org/videos/20210729borztmayer-conf.pdf Diaporama support de la conférence]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :'''
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
==Description==
 
 
 
Lors des épisodes de confinement en France, des personnes « haut placées» ont mentionné des risques que l'Internet s'écroule si on regardait des vidéos au lieu de travailler. Mais que s'est-il passé exactement ? Pourquoi Internet ramait pour certains services ? Les tuyaux étaient-ils bouchés ?<br/>
 
Stéphane Bortzmeyer, Ingénieur R&D à l’Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic), qui s'occupe entre autres de sécurité, notamment du DNS, apporte un éclairage sur la réalité d'Internet. Membre actif de l'IETF (Internet Engineering Task Force), il est l'auteur de plusieurs RFC (<em>Requests for comments</em>), notamment liés aux questions de DNS et de vie privée.
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
Bonjour tout le monde.<br/>
 
On va commencer par un sujet un peu plus technique, mais je vous rassure, tout au long des trois jours d’Entrée libre il y aura des tas d’autres sujets plus des ateliers très bien, d’ailleurs vous pouvez vous inscrire, il y a de la place dans les ateliers n’hésitez pas ou faire venir des gens.<br/>
 
Je voulais parle d’un sujet d’actualité, malheureusement, le comportement d’Internet pendant le confinement. Il y aura une partie un peu technique sur ce qui s’est passé. Il y aura aussi une partie, derrière, plus politique parce que les réseaux ne sont pas un phénomène purement naturel qui déboule comme ça. Ça dépend aussi de choix qui ont été faits, d’orientations, de décisions de financements qui ont eu une influence.
 
 
 
Vous avez tous remarqué qu’il y a en ce moment une pandémie de Covid-19 sur toute la planète. Qui n’est pas au courant ? Ça a eu des conséquences notamment sur l’utilisation des réseaux. Il y a des tas de gens qui ont dit « c’est super Internet, si on n’avait pas eu Internet pendant la pandémie on aurait beaucoup plus souffert ». On aurait fait différemment, il n’y aurait peut-être pas eu de confinement et, dans ce cas-là, on aurait eu plus de contaminations, ou bien on aurait occupé le confinement à autre chose. Ce qui est sûr c’est que c’est la première fois qu’on a cette combinaison d’un confinement, en tout cas d’une limitation des déplacements, avec à notre disposition un réseau mondial qui fonctionne.
 
 
 
Personnellement je m’appelle Stéphane Bortzmeyer, je travaille dans des réseaux informatiques plutôt du côté de la technique, j’ai fait un bouquin [<em>Cyberstructure - l’Internet, un espace politique</em>]. C’est la page publicitaire. Comme pendant toutes les publicités vous pouvez vous lever et aller faire autre chose pendant ce temps-là. J’ai fait un bouquin qui parle des rapports entre l’Internet et la politique, l’articulation entre la stricte technique – comment ça fonctionne – et les choix qui sont faits. L’Internet n’est pas objet purement technique, ça ne dépend pas que des techniciens, mais ce n’est pas non plus un truc purement politique comme le croient les ministres qui croient qu’en tapant du poing sur la table ils peuvent obtenir que l’Internet se comporte comme ils veulent. C’est entre les deux, c’est l’articulation des deux. Ça justifiait bien un bouquin entier pour ça. Fin de la ligne de publicité. Maintenant il faut faire attention.
 
 
 
En mars 2020, on a eu à peu près au même moment sur beaucoup de pays, notamment en France, un confinement assez massif de la population et relativement peu préparé. Je sais que quelques jours avant, par exemple, je ne m’attendais pas à ça, j’avais entendu dire qu’ils avaient fait ça en Chine, bien sûr, mais la Chine c’est loin, ils ne sont pas comme nous, ils mangent du chien et du canard laqué, des trucs comme, donc on se disait « ça ne peut pas nous arriver, ce sont ces trucs amusants dont on parle au Journal télévisé, qui concernent des pays lointains, mais ça ne pouvait pas nous arriver ». Puis c’est tombé relativement rapidement, c’est-à-dire qu’en assez peu de temps il a fallu se préparer pour des styles de travail, d’école, d’activité humaine complètement différents. Tout à l’heure, en discutant avec les bénévoles d’Entrée libre, on disait qu’on avait aussi appris beaucoup de vocabulaire à cette occasion, il y a des tas de mots nouveaux qui sont rentrés d’un coup dans le dictionnaire, que maintenant tout le monde connaît alors que personne ne les connaissait avant.<br/>
 
Le confinement était nécessaire, le virus se propageait et, les virus ayant cette désagréable propriété que plus il y a de gens contaminés plus on en contamine, ça donne ce qu’on appelle en mathématiques une exponentielle, les exponentielles ça grimpe très vite, donc il fallait faire quelque chose. Je ne suis pas épidémiologiste ni médecin, donc je ne vais pas discuter de savoir si les décisions qui ont été prises en matière de santé publique étaient bonne ou mauvaises, c’est compliqué et je vous dis que je n’ai pas vraiment spécialement les compétences là-dessus, mais ce qui est sûr c’est qu’on avait un problème sérieux et qu’il fallait faire quelque chose. Donc le choix, en France, le 17 mars 2020, a été un confinement assez massif et depuis, si on n’a pas eu un confinement au même niveau, on a quand même eu différentes restrictions aux déplacements, aux rencontres, etc. C’était peut-être nécessaire, mais c’était contraignant.<br/>
 
Il y a un certain discours techno-béat, des gens qui trouvent toujours que la technique c’est super, ça va résoudre tous les problèmes, un certain discours techno-béat qui disait que c’était aussi bien que ce qu’on faisait avant, que, par exemple, une réunion en visioconférence remplaçait complètement une réunion traditionnelle et il y a même eu, dans certains milieux technophiles, l’idée que cette pandémie était finalement une bonne chose parce que ça allait accélérer des évolutions souhaitables comme plus de télétravail, plus de visioconférences, de choses comme ça.<br/>
 
Mon opinion c’est que non, ce n’est pas pareil. D’abord tous les métiers ne se prêtent pas au télétravail, les infirmières ou les cuisiniers peuvent difficilement travailler, ou les CRS, donc déjà tous les métiers ne peuvent pas télétravailler et même ceux qui peuvent, ce n’est pas pareil. Rien que pour prendre l’exemple de l’enseignement – je cite ça parce que mon fils est professeur – on peut enseigner à distance, ce n’est pas pareil et ça pose d’autres problèmes, ce n’est pas équivalent et ça pose tout un tas d’autres problèmes différents.<br/>
 
Ceci dit il n’y avait pas forcément le choix, en tout cas je ne vais pas vous dire que c’est forcément ça le futur, que c’est une bonne chose et qu’il faudra continuer après le confinement. Le confinement était une période spéciale. On espère tous que ça se terminera, enfin beaucoup de gens, à part ceux qui vendent des solutions de vidéoconférences qui espèrent que ça continuera, espèrent que ça se terminera et qu’on pourra revenir comme avant.
 
 
 
Une des conséquences c’est qu’on va encore plus dépendre du numérique en général et de l’Internet en particulier. C’est un phénomène qui avait déjà commencé avant. Il y avait déjà une lourde tendance à faire de plus en plus de choses qui dépendent d’Internet. C’est, par exemple, le problème de la dématérialisation des services publics qui avait commencé bien avant où des tas de choses qui étaient possibles avant à un guichet, devant un fonctionnaire souriant, devaient tout à coup se faire en ligne avec tout un tas de problèmes que ça pose pour les gens qui ne sont pas à l’aise avec le numérique ou qui n’ont pas un accès dans des bonnes conditions.<br/>
 
Pour ceux qui ne les ont pas vus, des films comme <em>Moi, Daniel Blake</em> de Ken Loach ou <em>Effacer l’historique</em> des Grolandais, illustrent très bien les problèmes que pose le numérique à outrance et, en fait, ce n’est pas tellement un problème du numérique lui-même, c’est un problème qu’on détruit des possibilités qu’il y avait avant et que la seule solution de remplacement c’est un truc par Internet qui ne fournit pas exactement les mêmes possibilités et pose d’autres problèmes. Donc le phénomène avait déjà commencé.<br/>
 
Ceci dit on pouvait plus ou moins y résister. Personnellement je faisais partie des gens qui détestaient les visioconférences, qui essayaient d’en avoir le moins possible, qui trouvaient que ça marchait mal, que c’était pénible. Ce n’est pas le genre de truc que j’aime. Donc je faisais partie, on va dire, des résistants quand on est positif ou, au contraire, des vieux cons attardés quand on est négatif, qui n’étaient pas très chauds pour les visioconférences. Ceci dit, déjà avant la pandémie, beaucoup de choses passaient par Internet et après, avec le confinement, d’un seul coup ce n’était pas beaucoup de choses qui passaient par Internet, c’était quasiment 100 %. Donc un gros changement et assez soudain.
 
 
 
Donc ça pose une question technique qui est : est-ce que le réseau a tenu ? Est-ce que le réseau a fonctionné avec cette brusque augmentation des usages. La visioconférence, par exemple, est notamment très consommatrice de données. Toutes les activités qu’on fait sur Internet ne consomment pas la même quantité de ressources sur le réseau, une image c’est beaucoup plus d’octets, beaucoup plus de quantités d’informations à faire passer, donc ça tape davantage pour les réseaux. Donc tout à coup on se retrouvait avec un usage supérieur.
 
 
 
Qu’est-ce qu’ont vu les différents utilisateurs et utilisatrices du réseau ? Quel a été leur vécu pendant cette période spéciale ?
 
 
 
À l’école on en a beaucoup parlé, il y a eu plein de problèmes à l’école. Ça fait l’objet de beaucoup de mentions dans les médias, plein de problèmes, des lenteurs, par exemple le site du CNED, le Centre national d’enseignement à distance, largement inaccessible. Pas seulement le CNED, tout un tas d’autres dispositifs d’école à la maison, où les élèves et les enseignants étaient censés se connecter et utiliser pour leur travail, étaient soit très lents soit, dans le pire des cas, vraiment inutilisables avec des messages incompréhensibles <em>Time out 500</em>, <em>Try again</em>, des choses comme ça. Ça a été pareil par exemple pour les services de visioconférence, à tel point qu’à un moment l’Éducation nationale avait officiellement envoyé les professeurs sur les services de Framasoft comme Framatalk. Framasoft est une petite association qui fait du développement de logiciels libres et surtout de l’hébergement de services fondés sur des logiciels libres, c’est une petite association avec des petits moyens et leurs serveurs n’étaient pas du tout prévus pour suppléer aux défaillances d’un très gros ministère comme l’Éducation nationale.<br/>
 
Là, pour l’Éducation nationale, on a eu un problème, je dirais, de grande ampleur, d’autant plus que, contrairement au milieu professionnel où il y avait déjà des gens qui faisaient de la visioconférence, là ça a été le passage d’un système à l’autre presque du jour au lendemain et dans des conditions complètement différentes. Mon opinion personnelle, de citoyen, qui n’engage que moi, c’est que ça a été aggravé par certains discours ridicules du ministre disant « ne vous inquiétez pas, tout est prêt, il n’y aura aucun problème ». C’est l’attitude classique des politiciens en France qui est que les citoyens sont des enfants, ils s’affolent facilement, il faut les rassurer en disant que tout est prêt, il n’y a quand un problème. Au lieu de tenir un discours d’adulte qui serait de dire « c’est une période spéciale, c’est nouveau, on n’a pas le choix, ça va être difficile, mais on va essayer de faire ce qu’on peut ». Au lieu de tenir ce discours réaliste, d’adulte, le ministre tenait un discours à destination de citoyens-enfants « ne vous inquiétez pas, c’est bon, tout est prêt. » Et en fait on a vu que non, ce n’était pas du tout le cas, c’est dans doute le secteur qui a eu le plus de problèmes.
 
 
 
Par contre, Wikipédia et Netflix marchaient bien, je ne me souviens pas d’avoir vu de problèmes pendant le confinement. J’ai vu des fois des gens citer Netflix et d’autres et souvent les gens qui mettent en avant le fait qu’il y a des services qui ont bien marché oublient Wikipédia, parce que c’est un service non commercial, donc ça se prête moins bien au discours de dire « le public a complètement déconné, le privé a super bien marché, donc il faut tout privatiser ». En fait, ce n’est pas la conclusion que j’en tirerais puisque donc un truc qui est associatif, comme Wikipédia, a bien marché lui aussi.
 
 
 
Au travail, l’expérience était très variable selon les métiers. Si vous discutez avec des gens qui étaient dans des tas d’entreprises différentes, il y en a qui ont dit « oui, ça a plutôt bien marché, on a fait des visioconférences, on a découvert des problèmes, par exemple découvert que quand on est dans un environnement international, la visioconférence ça a un gros inconvénient, c’est que les Japonais et les Colombiens ne se lèvent pas à la même heure que nous, donc ce n’est pas pratique du tout pour faire des réunions. » On a vu des problèmes techniques des fois, des fois pas, des fois tout s’est bien passé. Il y a eu des découvertes positives, d’autres qui l’étaient moins. Il y a des gens qui télétravaillaient déjà un peu et qui ont continué comme avant, des gens qui ont découvert le télétravail, certains ont aimé, d’autres n’ont pas aimé. Il faut se méfier des discours qui paraissent là-dessus dans les médias, qui sont souvent des discours motivés par quelque chose à vendre. Par exemple, toutes les boîtes qui vendent des solutions de visioconférence expliquent toutes que les travailleurs adorent le télétravail, qu’ils aiment beaucoup ça, que c’est super et qu’il faut continuer. À l’inverse, certains chefs n’ont pas tellement apprécié le télétravail parce que si on n’a pas les employés sous la main, si on ne les voit pas, ils ne vont pas bosser, ils vont lire des bandes dessinées toute la journée au lieu de travailler ! Il faudrait qu’ils soient au bureau pour qu’on puisse les surveiller.<br/>
 
Donc il y a eu tout un tas de discours motivés là-dessus et les aspects strictement opérationnels, c’est-à-dire est-ce que ça marche ou est-ce que ça plante ?, étaient souvent gommés par le fait que la personne qui parle de télétravail, du confinement et tout ça, a quelque chose à vendre ou a une idée derrière la tête, elle ne veut pas seulement discuter des avantages et inconvénients techniques, elle voudrait aussi placer son idée favorite.
 
 
 
==13’17==
 
Du fait qu’il y a eu pas mal de problèmes, notamment mais pas uniquement pour l’Éducation nationale, on peut se poser la question de savoir s’il n’aurait pas fallu un peu se serrer la ceinture en mode développement durable, la planète ne peut plus supporter, il faut diminuer l’utilisation. C’est un discours qui a été fait explicitement par certains messieurs sérieux, par exemple Thierry Breton qui est le Commissaire européen chargé notamment du numérique et qui, comme il a dirigé des boîtes techniques toujours à des postes de direction, a la réputation d’être un technicien – tout est relatif ; quand on est dans un milieu de ministres il apparaît comme un technicien, quand on est dans un milieu de techniciens, il apparaît comme un ministre – il a fait des grands discours pour dire qu’il allait falloir se serrer la ceinture et se sacrifier, donc arrêter de regarder des vidéos de chats sur YouTube parce qu’il fallait laisser les tuyaux libres pour le travail sérieux. Plusieurs éditorialistes ont également tenu un discours de ce genre, « il faut économiser, il faut regarder PornHub en basse définition, il faut arrêter des trucs distrayants, inutiles », avec souvent un discours très limite, déjà souvent fondé sur l’ignorance. Par exemple les gens parlant de YouTube globalement, alors qu’en fait sur YouTube, pour ceux qui l’ont déjà utilisé, c’est très varié, vous y trouvez aussi bien des contenus pédagogiques que des trucs de pure distraction ou des trucs d’information. Autant on peut classer Netflix comme uniquement de la distraction, autant YouTube c’est beaucoup plus varié.<br/>
 
Donc il y a eu tout un discours culpabilisateur sur le thème il faut en faire moins, il faut arrêter de se distraire, il faut laisser les réseaux libres pour le travail, il faut des restrictions. Comme ce que je disais avant sur les vendeurs qui tiraient un bilan positif ou négatif du télétravail selon ce qu’ils avaient à vendre, on verra que ce genre de discours n’est pas toujours innocent.
 
 
 
Est-ce que c’était pertinent ? Est-ce que c’était vraiment ça qu’il fallait faire ? Est-ce qu’il fallait vraiment arrêter d’utiliser YouTube pendant le confinement ?
 
 
 
Les chiffres. Voyons un peu concrètement ce qui s’est passé.<br/>
 
En fait c’est très difficile. Une particularité de l’Internet c’est que l’Internet n’existe pas. On le met toujours avec un article défini, l’Internet. À la fois c’est vrai, quand je dis que l’Internet n’existe pas c’est de la provocation, il y a bien un truc qui s’appelle l’Internet et qui permet d’échanger de l’information, de travailler, de faire de la politique, de faire ce qu’on veut, mais d’un point de vue technique il n’y a pas une chose unique qui aurait le même comportement partout, tout le temps. Il y a des endroits où il y a eu des problèmes, des endroits où il y en a eu moins, des endroits où il n’y en pas eu du tout. C’était très variable, donc c’est difficile de donner des chiffres.<br/>
 
Chez certains fournisseurs d’accès à Internet, FAI, comme Orange, Free, Bouygues, etc., ils ont vu des chiffres. Les chiffres sont variables mais typiquement ce sont des choses du genre 10 à 20 % d’augmentation du trafic. C’est à la fois beaucoup et peu. Sur Internet le trafic croît en permanence donc ce n’est pas si extraordinaire que ça, mais c’est arrivé relativement brutalement.<br/>
 
Évidemment c’est très variable. Par exemple Zoom, qui était une entreprise peu connue avant et qui avait relativement peu de clients, a vu son activité multipliée plutôt par 10 ou 20, pas du tout les mêmes ordres de grandeur. À l’inverse, il y en a qui ont vu leur trafic baisser. Typiquement, il y a une longue étude qui a été faite sur le réseau Université et Recherche en Castille, en Espagne, et son trafic a baissé parce que, sur les campus, il n’y avait plus personne, donc il y avait beaucoup moins d’utilisation qui était faite, les gens accédaient aux ressources via leur connexion internet à la maison et non plus via l’université. Donc les chiffres sont très variables et dépendent beaucoup de où on était, ce qu’on a vu.
 
 
 
Un exemple de joli graphique, c’est tiré d’un article d’étude fait par pas mal de fournisseurs d’accès internet et d’universitaires sur l’impact de la pandémie. Vous y voyez ici les mois, le mois de mars est ici. La plupart des confinements ont eu lieu à peu près à ce moment-là. Ici ce sont plusieurs endroits où il y a eu une observation du trafic. ISP c’est FAI, Fournisseur d’accès à Internet, là c’est un FAI en Europe en bleu. IXP c’est un Internet eXchange Point, donc un point d’échange, ce sont les endroits où les opérateurs internet s’interconnectent pour échanger du trafic. Rappelez-vous que quelqu’un qui s’abonne à Orange ce n’est pas pour communiquer uniquement avec les gens qui sont abonnés à Orange, c’est pour avoir accès à tout l’Internet, donc il faut que les différents opérateurs, les différents acteurs de l’Internet s’interconnectent. Ça se fait souvent à des points d’échange qui ont l’avantage, en plus, qu’en général ils sont gérés par ds organismes sans but lucratif ce qui fait qu’ils sont un peu plus ouverts que les fournisseurs d’accès à Internet et on a accès à plus de données.<br/>
 
Il y a aussi un opérateur mobile à la fin. Pendant le confinement on sortait moins, par définition, donc le trafic mobile a souvent baissé. Vous voyez ici, au moment des confinements, le trafic mobile baisse.<br/>
 
Ce que vous voyez ici, l’augmentation, le saut dû au confinement il y a bien une augmentation du trafic. Attention. Ce trafic a un piège qui est très fréquent, que je trouve absolument déplorable, c’est qu’il ne part de zéro. S’il partait de zéro ça écraserait la courbe et l’augmentation serait beaucoup moins spectaculaire. Quand on veut gonfler des chiffres, c’est une technique très classique de faire un axe qui ne part pas de zéro, une technique que je trouve assez malhonnête mais qui est très répandue.<br/>
 
En fait l’augmentation ici est à la fois visible, il y a eu une augmentation du trafic internet pendant le confinement, ce n’est pas vraiment surprenant, mais elle n’est pas si extraordinaire que ça dans un contexte où, de toute façon, l’activité internet augmente régulièrement.<br/>
 
Pour résumer l’Internet lui-même a connu une augmentation de trafic mais pas quelque chose d’extraordinaire, de dramatique. Rien à voir avec les autoroutes au moment du départ en vacances le 1er août où là le trafic fait un bon considérable.
 
 
 
Un autre exemple de mesure c’est un de ces points d’échange nternet dont je parlais, ce sont les endroits où les opérateurs, où les acteurs de l’Internet échangent du trafic entre eux, s’interconnectent, et c’est ça qui fait un internet où tout le monde peut communiquer avec tout le monde. Ici c’est sur le DE-CIX, le point d’échange Internet de Francfort, qui va être le troisième ou le deuxième en Europe, qui est utilisé y compris par beaucoup de Français qui s’interconnectent à Francfort plutôt qu’à Paris et on voit les statistiques qui sont publiques. Les statistiques du DE-CIX, c’est l’avantage des points d’échange Internet, ils offrent souvent statistiques publiques. On voit donc ici les années, 2017/2018/2020, et on voit donc bien le confinement ici : mars 2020, on voit une augmentation de la courbe. En voyant ça sur plusieurs années de suite, là il y a quatre années, on voit aussi qu’il y a une tendance lourde à grimper, de toute façon. Là, en plus, cette fois-ci l’axe part de zéro, donc c’est plus propre.<br/>
 
On voit ce que tout le monde sait : l’utilisation d’Internet augmente. Concrètement ça veut dire que pour les acteurs de l’Internet de toute façon il faut toujours rajouter de la capacité.<br/>
 
Peut-être que Tristan Nitot, quand il va parler de l’empreinte environnementale samedi, va tenir un discours prudent là-dessus en disant que pour que ça soit soutenable sur le long terme il ne faut forcément continuer à ce que le trafic augmente régulièrement, mais pour l’instant c’est le cas, il y a une augmentation. Si le confinement se voit ici il ne domine pas tout, il est moins visible quand on a une perspective un peu plus longue sur le développement de l’Internet.
 
 
 
Arrivé là, quand je dis ça, il y a des utilisateurs qui disent « oui, c’est vachement rassuriste, mais en fait il y a eu des tas de problèmes, mon beau-frère a été coupé pendant une <em>conf call</em> importante avec un client, mon fils ne pouvait pas suivre ses cours parce que le serveur de l’Éducation nationale plantait, il y avait tel problème et puis ça coupait, etc. » C’est facile, chacun d’entre nous soit a vécu directement des problèmes, soit connaît des tas de gens qui en ont vécu aussi. Donc ça plantait tout le temps. Est-ce que ce n’est pas contradictoire avec les chiffres que je viens de montrer ? Non ce n’est as complètement contradictoire.<br/>
 
En fait il faut distinguer le réseau des services. C’est un point important parce que c'est un point qui est très souvent oublié dans le discours dominant, que ce soit celui des médias, celui des ministres, quand on dit l’Internet. Encore hier je lisais un article dans <em>L’Express</em> qui parlait de gens qui voulaient réformer l’Internet ou changer l’Internet. En fait, quand on lisait l’article, ce n’était pas du tout l’Internet, c’était un certain nombre de services web, dont les réseaux sociaux, qu’on voulait changer mais ça ne change pas l’Internet lui-même qui est l’infrastructure sous-jacente. L’Internet c’est le réseau par lequel on accède à des services, des services plus ou moins sympas, des services variés et divers. Le réseau se distingue des services.<br/>
 
Pourquoi la distinction est importante ? Parce que si c’est le service qui est surchargé, ça ne servira à rien que d’autres services s’économisent. Si c’est, par exemple, le serveur web du CNED, le Centre national d’enseignement à distance, qui ne marche pas, que vous regardiez YouTube ou pas pendant ce moment-là, le réseau commun n’est pas affecté. Une comparaison typique c’est, par exemple, vous utilisez les transports en commun pour aller faire des courses. Ce n’est pas la même chose quand les transports en commun sont surchargés, que vous attendez longtemps, que vous êtes serrés dedans et quand c’est la boutique où vous allez faire les courses qui a beaucoup de visiteurs et que vous êtes obligés de faire la queue très longtemps pour faire vos achats. Ce sont deux problèmes différents qui ont des solutions différentes. Si vous allez dans une boutique qui est très populaire, qu’il y a une longue file d’attente, que plein de gens veulent acheter dans cette boutique parce que ce sont les soldes ou quelque chose comme ça, dire aux gens que pour résoudre le problème il faudrait que les gens qui prennent le métro pour aller au cinéma arrêtent de le faire, non, ça n’aurait aucun sens ! De toute façon, les gens qui prennent le même métro que vous pour aller faire les courses ne sont pas responsables de l’encombrement dans la boutique.<br/>
 
Ça c’est un point important qui est toujours oublié par les ministres. Par exemple, pour citer à nouveau celui l’Éducation nationale, que j’aime bien, qui a dit tout et son contraire – c’est ça qui est bien quand on est ministre, on peut dire tout et son contraire ; pour justifier les pannes de l’Éducation nationale il a expliqué « c’est parce qu’Internet est surchargé ». Non ! Comme on l’a vu, Internet n’était pas surchargé et les solutions proposées qui visaient à diminuer le trafic internet n’avaient aucun impact sur le fait que ses serveurs étaient surchargés.<br/>
 
La plupart des problèmes que les gens ont vécu étaient des problèmes liés à un service auquel ils essayaient d’accéder. Une plateforme de visioconférence, un serveur, les serveurs du CNED, des choses comme ça. L’Internet lui-même a très bien tenu. Certains services ont beaucoup moins tenu, certains services ont même franchement craqué et ont été à peu près inutilisables.<br/>
 
Cette distinction entre réseau et services est vraiment à la fois cruciale et très souvent oubliée. C’est un peu la même chose, d’ailleurs, quand on discute de questions d’ordre politique, par exemple la censure sur les réseaux sociaux ou la circulation de mensonges. Toutes les grandes questions politiques dont on discute à propos des réseaux sociaux sont souvent présentées comme une discussion sur l’Internet. En fait non, elles ne concernent pas l’Internet, elles concernent tel ou tel service auquel on accède via l’Internet.
 
 
 
Pourquoi est-ce que l’internet a tenu ? Il y a quand même eu une augmentation du trafic et surtout très soudaine, en très peu de temps, alors que les augmentations régulières de trafic par l’augmentation des usages, en général on les voit venir, elles sont très visibles. Là c’est d’un seul coup on n’avait pas vraiment prévu ce qui s’est passé. Le calendrier de l’épidémie c’est qu’elle a été détectée à la toute fin de 2019, mais jusqu’à février 2020, au moins en Europe et aux États-Unis, ça semblait ne pas nous concerner directement. La prise de conscience a été très rapide et même encore la veille du confinement on ne peut pas dire que tout le monde s’y était préparé. Donc ça a été un peu la surprise.<br/>
 
Ce qui fait que l’Internet a tenu c’est d’abord, contrairement à ce que croyaient certains ministres ou certains éditorialistes, les gens qui faisaient déjà de l’Internet au bureau, les gens qui se servaient déjà de l’internet, les gens qui regardaient YouTube, par exemple, regardaient déjà YouTube avant la pandémie. Donc le changement d’usage a été réel mais pas si spectaculaire que ce qu’on a parfois raconté.<br/>
 
De toute façon le réseau est forcément surdimensionné, c’est-à-dire qu’à tout moment l’Internet a une capacité, peut faire passer un nombre d’octets par seconde, ou de bits par seconde, supérieur à ce qu’on attend, simplement parce qu’il faut se préparer aux imprévus. Les imprévus, ce qu’on appelle parfois les <em>flash crowd</em>, c’est-à-dire quand tout le monde se précipite au même endroit, c’est par exemple Apple qui sort une nouvelle version d’iOS et tous les iPhones se mettent à jour en même temps. Là ça fait une augmentation du trafic qui est bien plus spectaculaire que celle du confinement. Il y a également la sortie d’un nouveau jeu vidéo, très populaire, que tous les fans attendaient depuis longtemps, là aussi ça se voit dans le trafic, par exemple sur les points d’échange internet, on voit la sortie d’une nouvelle version d’iOs, on voit la sortie d’un jeu vidéo populaire ; la sortie d’un nouvel épisode de <em>Game of Thrones</em> se traduisait également toujours par une brusque augmentation du trafic. Donc à cause de ces augmentations spectaculaires et de courte durée, le réseau doit toujours être surdimensionné. C’est aussi parce qu’on ne peut pas rajouter de la capacité facilement, quand on veut, donc il faut toujours garder un peu d’avance en ayant un réseau plus grand que ce qui est nécessaire. C’est ça aussi qui fait que l’Internet a tenu c’est que l’Internet ne fonctionne pas à 100 %. S’il fonctionnait à 100 %, le moindre évènement un peu inhabituel, la moindre augmentation des usages, entraînerait out le temps un écroulement. Donc les acteurs de l’Internet choisissent toujours d’avoir de la marge.
 
 
 
==28’ 45==
 
 
 
Donc de toute façon le réseau croit
 

Dernière version du 6 septembre 2021 à 13:05


Publié ici - Septembre 2021