Différences entre les versions de « Internet devient-il un Minitel 2.0 ou un bien commun - Benjamin Bayart - RTS »

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<b>Sarah Dirren : </b>Et c’est pour ça, vous le disiez Benjamin Bayart, finalement les fournisseurs d’accès ont tout pouvoir, mais ils n’en abusent pas de ce pouvoir-là. Petite parenthèse.
  
<b>Sarah Dirren : </b>Et c’est pour ça, vous le disiez Benjamin Bayart
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<b>Benjamin Bayart : </b>Bien sûr que si, ils en abusent. Ils en abusent très régulièrement et c’est bien parce qu’ils en abusent très régulièrement qu’il faut le leur interdire.
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<b>Sarah Dirren : </b>Ils en abusent à quel moment ?
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<b>Benjamin Bayart : </b>Par exemple vous le décriviez. Quant au Portugal on fait une offre qui permet de privilégier tel ou tel opérateur, pour empêcher que les opérateurs fassent ce genre de chose jugée néfaste, il faut le leur interdire. Faire du racket sur Netflix ou sur YouTube, les opérateurs ont tenté de le faire un peu partout en Europe. Et c’est bien parce que les opérateurs sont tentés de le faire qu’il faut faire une loi qui leur dise de ne pas leur faire.
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<b>Sarah Dirren : </b>Oui, d’accord. Il y a une loi, donc ils n’en abusent pas trop. En même temps, les géants du Net défendent la neutralité du Net. Pour quelle raison ?
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<b>Benjamin Bayart : </b>Ils défendent une certaine neutralité du Net. Mais oui, eux y ont tout intérêt. Google et YouTube ou Facebook ou Netflix, etc., eux ont tout intérêt à ce que le réseau soit neutre parce que c’est un champ de bataille sur lequel ils sont hyper-dominants. Tant que le champ de bataille reste neutre et n’intervient pas, personne ne va les embêter.
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<b>Sarah Dirren : </b>Oui c’est vrai.
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<b>Benjamin Bayart : </b>Oui. Eux ont un intérêt bien compris à la neutralité du Net. De même que les très grandes entreprises ont un intérêt bien compris au libéralisme économique. Ils sont les acteurs économiques les plus puissants, ils ont tout intérêt à ce que le champ reste neutre et que personne ne vienne leur mettre des bâtons dans les roues. Oui, ça c’est compréhensible.
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<b>Sarah Dirren : </b>Mais alors vous, en tant que fournisseur d’accès et président de la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs, qu’est-ce que vous faites ? Quel est votre rôle ?
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<b>Benjamin Bayart : </b>En fait, pour comprendre où se pose la question il faut la formuler différemment. On peut traiter la question de la neutralité du Net autrement. Quand on imagine qu’il va y avoir un accord commercial entre tel fournisseur d’accès à Internet et tel fournisseur de service, mettons Netflix, et où Netflix va s’engager à reverser 10 % de son chiffre d’affaires pour que son trafic circule bien, quand on signe ce type d’accord, en fait on a inversé le rapport. Le rapport de sujet à objet a changé. Quand vous allez acheter du pain, vous êtes trois dans la transaction : il y a deux sujets qui sont le boulanger et vous et il y a un objet qui est le pain. Le pain est l’objet de la transaction et les deux sujets passent un contrat entre eux qui porte sur qui est propriétaire du pain.<br/>
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Le contrat qui lierait un fournisseur d’accès à Netflix sur la qualité du réseau, qui sont les sujets et qui est l’objet ?
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<b>Sarah Dirren : </b>Nous sommes les objets !
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<b>Benjamin Bayart : </b>Eh bien les deux sujets sont Netflix et l’opérateur et l’objet, eh bien l’objet c’est l’abonné. Ils sont en train de passer un contrat pour se vendre l’abonné.
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<b>Sarah Dirren : </b>On est la marchandise !
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<b>Benjamin Bayart : </b>Voilà ! Quand vous devenez la marchandise ce n’est jamais bon pour vous. On maltraite toujours la marchandise.
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<b>Journaliste : </b>C’est un peu terrifiant.
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<b>Sarah Dirren : </b>Ce n’est pas bon pour nous et ce n’est pas bon pour la société d’une manière générale.
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<b>Benjamin Bayart : </b>Ce n’est bon pour personne au final à part, peut-être, pour les deux qui ont décidé qu’ils allaient considérer que les gens étaient des choses qu’on pouvait se vendre et s’acheter. Ça c’est le fondement de la question de la neutralité des intermédiaires techniques. Pour moi c’est un des axes de lecture fondamentaux. Qui est la marchandise là-dedans et qui a intérêt ? C’est-à-dire quand le fournisseur d’accès à Internet opère, est-ce qu’il est au service de son client ou est-ce qu’il est au service d’intérêts autres et le client n’est que le moyen dont il se sert pour atteindre l’objectif ?<br/>
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Nous, dans la Fédération, on est des fournisseurs d’accès à Internet associatifs. En fait personne n’est salarié, personne ne gagne d’argent là-dedans. Les gens qui fabriquent l’accès à Internet sont tous bénévoles, ils font ça sur leur temps libre et en fait nos abonnés sont adhérents de l’association, c’est-à-dire qu’ils sont la seule source de pouvoir dans l’association, ce sont eux qui élisent les dirigeants. Du coup ça fonctionne très différemment. Autant Orange peut se dire « je vais signer tel contrat à x millions d’euros avec Google, Netflix, bidule, et ça me permettra de gagner un petit plus de sous », en fait bêtement, quand l’entreprise décide de réduire la qualité de son service sans réduire sa facture, de manière à gagner plus d’argent, ça se fait au détriment de l’abonné.<br/>
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En fait, quand vous avez à faire à une association ça ne se passe pas comme ça. C’est-à-dire que les adhérents se concertent entre eux et ils se disent « on a besoin de réduire les coûts ou d’augmenter les prix ». Et ils vont décider collectivement, collégialement, de ce qu’ils veulent faire. En fait ils ont une bien plus grande maîtrise de leur accès à Internet, en fait de leur Internet, du bout d’internet qu’ils ont fabriqué pour eux.
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<b>Journaliste : </b>Ce qui m’étonne là-dedans, Benjamin Bayart, c’est que ça a l’air très facile de devenir fournisseur d’accès, finalement, de contrer ces grandes fabriques, ces grandes marques, et qu’il suffit d’avoir une petite association et, tout d’un coup, de devenir fournisseur d’accès ?
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<b>Benjamin Bayart : </b>Globalement oui. Il se trouve que juste devenir fournisseur d’accès c’est une question qui est relativement compliquée, dont la technicité change d’un pays à l’autre. La partie purement technique, au sens informatique réseau télécoms, n’est pas très dure. Ce qui change beaucoup d’un pays à l’autre c’est toute la partie réglementaire. C’est : est-ce qu’on a le droit ? Est-ce qu’on n’a pas le droit ? Quelles obligations légales on doit satisfaire ? Etc. Par exemple, pendant longtemps en France, quand on se déclarait opérateur réseau il fallait payer une redevance annuelle de 20 000 euros. Ça, ça vous garantit qu’il n’y a pas d’association !<br/>
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Comme ce n’était pas conforme aux textes européens, ce morceau-là a sauté, mais vous voyez c’est très simple, en général la difficulté est réglementaire. Je sais qu’en Belgique pour s’établir fournisseur d’accès ADSL c’est presque impossible. En France c’est extrêmement simple. Monter un fournisseur d’accès à Internet en France c’est très simple.
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<b>Sarah Dirren : </b>C’est pour ça qu’à travers votre association vous couvrez, par exemple, ce qu’on appelle des zones blanches, c’est-à-dire des petits villages qui n’ont pas accès, tout simplement, au réseau internet ?
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<b>Benjamin Bayart : </b>C’est très varié. À la Fédération internet il y a des opérateurs qui couvrent des zones blanches dans lesquelles il n’y a pas de réseau intéressant ou il n’y avait pas de réseau intéressant quand l’association s’est créée et où l’association a construit du réseau dans le village. Du coup, maintenant, il y a 30 mégas ou 100 mégas en Wifi dans toutes les maisons du village et du coup ça va, ça va mieux.<br/>
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Donc ça, ça fait des parties des choses que certaines associations font. D’autres associations font des accès à Internet en ADSL pour les citadins, d’autres font des accès à Internet en fibre. D’autres font… On a par exemple une association qui est dans le Nord de la France, qui travaille sur le fait de fournir des accès aux étudiants. Il y a une grosse école d’ingénieur dans la ville. En fait les étudiants ont toujours des contrats et des baux de six mois, neuf mois, mais ce n’est jamais trois ans parce qu’ils changent d’une école à l’autre, ils changent d’un appartement à l’autre selon les années scolaires. Or dans le moindre contrat ADSL ou fibre, il y a un engagement de 12 mois. Quand vous allez habiter un appartement pendant neuf mois parce que vous faites juste une année à cet endroit-là ce n’est pas pratique, donc c’est beaucoup plus simple d’avoir un FAI qui est monté par les étudiants de l’école et qui gèrent ça.
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<b>Journaliste : </b>FAI, ça veut dire ?
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<b>Benjamin Bayart : </b>Fournisseur d’accès à Internet
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<b>Journaliste : </b>C’est juste pour rappeler, parce qu’on n’est pas très abréviations nous ici en Suisse.
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<b>Journaliste : </b>On va reparler du contrôle peut-être de tout ça. Mais pour en parler je vous propose un extrait d’un reportage réalisé par nos confrères de France 24 autour du crédit social, de l’emprise du numérique en Chine. Écoutez.
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<b>Voix off du reporter de France 24 : </b>Surveillés en permanence par des caméras intelligentes à reconnaissance faciale capables de mettre une identité sur un visage en temps réel, les Chinois sont désormais aussi tous notés. 778 sur 950. 548 c’est moins bien ! 748, un bon score ! Pour l’instant c’est une notation bancaire qui atteste de la bonne gestion des comptes et que tout le monde connaît ici.
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<b>Voix off : </b>Je trouve ça bien d’être noté. Dans une société il faut qu’il y ait des règles.<br/>
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Ces notes, ça nous oblige à bien nous comporter.<br/>
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Ça peut vous paraître effrayant mais en Chine c’est comme ça, on a l’habitude. De toute façon on n’a pas le choix.
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<b>Voix off du reporter de France 24 : </b>Car Pékin veut mettre tout le monde au pas et aller plus loin d’ici 2020. Il y a aura de bons et de mauvais citoyens grâce au rassemblement de centaines de données provenant de banques, sociétés privées et des autorités.
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<b>Voix off : </b>En utilisant le plus de données possibles, c’est ce qu’on appelle le <em>big data</em>, ce système jouera un rôle important pour la reconstruction morale de la société.
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<b>Voix off du reporter de France 24 : </b>Pour ce faire, tout sera passé au peigne fin : situation financière, habitudes de consommation, carrière professionnelle, jusqu’au comportement sur les réseaux sociaux.<br/>
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Critiquer le gouvernement sur Internet ou exhiber des signes extérieurs de richesse : mauvais score. En revanche des louanges au Parti ou un don de sang augmentera votre crédit social.
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Xiao Wen Wang est une citoyenne modèle. Elle vit à Nankin ville test. Elle a le profil parfait : mariée, mère d’un enfant de cinq ans, elle travaille dans une maison de retraite, elle n’a pas de dettes et, par exemple, attend toujours sagement avant de traverser la rue.
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<b>Voix off du Xiao Wen Wang : </b>En tant que bonne citoyenne je respecte le code de la route, si je ne le faisais pas je perdrais des points sur mon crédit social.
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<b>Voix off du reporter de France 24 : </b>Théoriquement tout pourrait être prise en compte dans la note sociale, même les gestes les plus anodins comme aller faire ses courses au supermarché. À l’heure du paiement électronique, les achats de Xiao Wen Wang pourraient peser dans la balance, comme acheter des cigarettes, pas bon ! En revanche, des couches culottes montreraient l’attention portée à un enfant. De la bière peut être une dépendance à l’alcool. L’eau c’est mieux !<br/>
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Dans cette vile pilote de huit millions d’habitants il n’y a que 18 000 citoyens modèles. Pour Xiao Wen Wang il y a des avantages à la clef. Quand elle prend le bus, par exemple, elle paye moitié prix.
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<b>Voix off du Xiao Wen Wang : </b>Moi, pour tous les services publics, j’ai des réductions ; pour les musées aussi.
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<b>Voix off du reporter de France 24 : </b>Un bon score donne des avantages, un mauvais enlève des droits. Dans ce cinéma ceux-là sont de mauvais payeurs, des, visages que nous avons dissimulés les noms et les adresses se retrouvent en haut de l’affiche.
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<b>Voix off : </b>C’est normal de payer ses dettes sinon il faut les mettre sur la liste noire.
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<b>Voix off du reporter de France 24 : </b>Cette liste noire là voici, établie par la Cour suprême pour ses mauvais citoyens dont la note est tombée à zéro. Elle concerne des entreprises mais aussi 23 millions d’individus à ce jour.<br/>
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Parmi eux un journaliste, ???. Il se serait approché d’un peu trop près des affaires de corruption de hauts responsables du Parti. Condamné par un tribunal pour diffamation c’est pour cela, selon lui, que son nom s’est retrouvé sur la liste noire, du jour au lendemain. Il l’a découvert en allant chercher un billet de train et compris qu’on ne le laisserait plus voyager. Rares sont ceux comme ??? qui osent émettre une critique contre ce système que certains qualifient de dictature numérique.

Version du 24 juin 2019 à 12:53


Titre : Internet devient-il un Minitel 2.0 ou un bien commun ?

Intervenants : Benjamin Bayart - Sarah Dirren -

Lieu : Émission Versus lire et penser RTS

Date : mai 2019

Durée : 37 min 50

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Présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Description

Nous fêtons cette année les 50 ans dʹInternet et les 30 ans du WEB conçu au CERN par Tim Berners Lee. Que reste-t-il de ce réseau décentralisé et libre des origines ? Quelles sont les alternatives aux géants du Net que sont les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et autres Airbnb ou Alibaba en Chine ? Eléments de réponse avec notre invité Benjamin Bayart spécialiste des réseaux, président de la Fédération des fournisseurs d'Accès à Internet associatifs et cofondateur de la Quadrature du Net.

Transcription

Voix off : Penser.

Journaliste : On pourrait commencer par souhaiter un joyeux anniversaire, on pourrait chanter Joyeux anniversaire pour Internet qui fête son demi-siècle d’existence et puis surtout pour le World Wide Web, le Web quoi en gros !

Sarah Dirren : Un système.

Journaliste : Hypertexte c’est ça ?

Sarah Dirren : Exactement.

Journaliste : Qui permet aux ordinateurs de communiquer entre eux. Ça a commencé sur de bêtes terminaux, rappelez-vous. Surtout ça a été au CERN, donc pas très loin de chez nous à Genève, près de l’accélérateur de particules, par Tim Berneers-lee ça fait 30 ans, c’est vrai qu’on ne souvient même pas de son nom alors que c’est quelque chose de totalement fondamental et qu’est-ce qui reste justement des origines d’Internet, de cet Internet-là ? C’est ce qu’on va voir avec vous, Sarah, et surtout votre invité, Benjamin Bayart, qui normalement, si tout va bien, est en direct avec nous depuis Paris. Bonjour à vous.

Benjamin Bayart : Bonjour.

Journaliste : Merci d’être avec nous en duplex de notre studio de Paris. Vous êtes spécialiste des réseaux, cofondateur de La Quadrature du Net. Quelle est donc cette association que vous avez fondée en 2008 ?

Benjamin Bayart : La Quadrature du Net est une association qu’on a créée pour essayer d’orienter un petit peu les politiques en matière de numérique, parce que, régulièrement, nos politiciens essayent de résoudre la quadrature du cercle en matière de régulation d’Internet et ils ont une grosse tendance à faire n’importe quoi ou de la merde, selon le moment !

[Rires]

Journaliste : Carrément. D’accord. C’est clair au moins.

Sarah Dirren : Mais spécialement en 2008 parce qu’il y avait urgence ?

Benjamin Bayart : En 2008 on avait plusieurs dossiers sur le feu. On venait de sortir de la tentative d’instaurer le brevet logiciel au Parlement européen, qui avait fort heureusement échoué. Il y avait en France une actualité assez chaude sur la création de la HADOPI qui est apparue rapidement derrière. Il y avait, au niveau européen, toute la discussion sur le paquet Télécom où il y avait beaucoup de textes dangereux dessus. Il y a eu, juste après, les discussions sur ACTA qui étaient aussi assez dangereuses.

Sarah Dirren : Deux mots sur la loi HADOPI que vous avez combattue.

Benjamin Bayart : HADOPI ça consiste à dire que partager la culture ce n’est pas bien et c’est une bêtise. C’est aussi simple que ça.

Sarah Dirren : On est ???. On défend le copyright et non pas le copyleft.

Benjamin Bayart : Ce n’est pas seulement défendre le copyright c’est considérer que, quand les gens échangent de la musique entre eux ou quand ils échangent des contenus culturels, ils font quelque chose qui est dommageable à la culture. Il se trouve que ce n’est pas vrai. En partant de cette pensée qui n’est pas vraie on transforme les fournisseurs d’accès à Internet en policiers, ce qui est une très mauvaise idée sur le principe. Et puis on autorise à faire une forme de surveillance assez généralisée de la population, ce qui n’est pas non plus une bonne idée, mais je pense qu’on en reparlera après de ces histoires de surveillance généralisée.

Sarah Dirren : Justement Benjamin Bayart, vous parlez des fournisseurs d’accès. Pour bien comprendre, vous êtes président de la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs, la FFDN, donc d’un côté on a les tuyaux, l’information qui circule, donc vous, c’est-à-dire les fournisseurs d’accès, et puis de l’autre nous avons les fournisseurs de contenu, les YouTube, les sites de la RTS, les Netflix, etc. Vous disiez « les fournisseurs d’accès pourraient devenir des policiers ». Quel est le rôle de ces fournisseurs d’accès ? Est-ce qu’ils ont finalement tout pouvoir ?

Benjamin Bayart : Oui, ils ont tout pouvoir et ils ont tout pouvoir très au-delà de ce qu’on entend normalement par ce genre de phrase.
Internet est un espace immatériel. Les fournisseurs d’accès à Internet, en vrai, sont les opérateurs du réseau ; ils fabriquent cet espace immatériel. En fait ils ont tout pouvoir au sens où ils peuvent changer les lois de la physique de cet espace immatériel. Ils peuvent changer la façon dont le monde numérique se comporte. Ils ont tout pouvoir un peu au sens où Dieu aurait tout pouvoir, si vous voulez.

Sarah Dirren : Il existe ?

Benjamin Bayart : Ils peuvent changer les lois de la physique du monde numérique, c’est très puissant comme pouvoir etc en particulier, ils peuvent par exemple surveiller la totalité de ce que vous faites, ils peuvent vous empêcher de faire les choses. Il y a un gros problème qui est que, venant avec ce grand pouvoir, il devrait y avoir une très grande responsabilité sur le fait qu’ils ne vont pas en abuser. Et très souvent on leur demande d’en abuser, c’est-à-dire qu’on leur demande d’utiliser les pouvoirs qu’ils détiennent sur le réseau pour faire tout un tas de choses qui satisfont un agenda politicien, alors qu’il devrait y avoir à côté des règles contraignantes, de manière très ferme, sur ce qu’ils ont le droit de faire et pas le droit de faire.

Sarah Dirren : Si j’entends bien, ça veut dire, Benjamin Bayart, que notre Swisscom, réseau Swisscom par exemple, ou Salt, ou chez vous Bouygues Telecom, ont tout pouvoir, ils ont le pouvoir de prioriser ou pas, de restreindre notre accès à Internet ?

Benjamin Bayart : En fait ils fabriquent le réseau. Il faut bien comprendre. Si vous voulez une image d’Internet il faut prendre celle un peu du réseau des rues et des routes. Un opérateur du réseau il fabrique des connexions entre ordinateurs qui sont vraiment l’équivalent des rues, si vous voulez, d’une ville, c’est sa ville à lui qu’il a fabriquée. Et Internet, c’est le fait que les villes sont interconnectées entre elles, forment un très vaste réseau et qu’on peut aller d’un bout à l’autre du réseau en passant d’un opérateur à l’autre.
En fait, l’opérateur qui vous raccorde au réseau est en général unique. C’est très rare que les gens aient chez eux deux fournisseurs d’accès à Internet totalement différents. Donc vous ne voyez le réseau qu’au travers de ce que l’opérateur veut bien vous laisser voir. Si l’opérateur que vous utilisez ne vous permet pas d’aller visiter un site web ou un autre, eh bien vous n’y avez plus accès. Point.
Si l’opérateur par lequel vous passez veut décider que, je ne sais pas, l’application Skype ne lui plaît pas, alors il l’enlève donc vous n’y avez pas accès. Vous pouvez installer le logiciel Skype sur votre ordinateur, mais vous n’aurez pas accès à l’application. Un peu comme votre opérateur de téléphonie peut décider que vous pouvez appeler tous les numéros de téléphone sauf celui de Pierre, celui de Paul et celui de Jacques, parce qu’il n’a pas envie.

Sarah Dirren : C’est ce qu’on appelle la neutralité du Net. C’est bien de ça dont il s’agit lorsqu’on parle de neutralité du Net, ça veut dire qu’on va prioriser certains contenus ou pas ; en tant que fournisseur d’accès, on priorise certains contenus. Depuis mars dernier, la neutralité du Net est inscrite dans la loi suisse, c’est-à-dire qu’on n’a pas le droit de prioriser.

Benjamin Bayart : Ça devrait être la neutralité, justement.

Sarah Dirren : Justement elle est inscrite dans la loi suisse. Au niveau européen, eh bien il existe un règlement qui protège la neutralité du Net, donc les fournisseurs d’accès à Internet n’ont pas le droit de limiter, de prioriser un contenu. Tout va bien, Benjamin Bayart ! Contrairement aux États-Unis où cette neutralité du Net a été levée ; il n’existe plus de neutralité du Net.

Benjamin Bayart : Si, elle existe encore, mais la loi qui la protège n’existe plus. Ce n’est pas parce qu’on cesse de rendre les choses illégales que tout de suite les gens font toutes les pires saletés ; ils mettent plusieurs semaines quand même à s’adapter ; il faut s’y faire !
Il faut comprendre que ce n’est pas qu’une question de priorisation. Pour le coup je ne connais pas du tout le droit suisse, donc je ne sais pas ce que dit la loi suisse sur le sujet, en revanche le texte européen est extrêmement intéressant parce qu’il parle effectivement de problèmes de priorisation mais pas que. Il définit la neutralité du Net comme une liberté de l’internaute et il interdit à l’opérateur réseau d’y porter atteinte. C’est par exemple la liberté de consulter les contenus de son choix et de publier les contenus de son choix. C’est la liberté d’utiliser les applications de son choix et de proposer les applications de son choix. Et c’est toujours défini en symétrique. C’est-à-dire que du point de vue d’Internet, moi et YouTube c’est la même chose : nous sommes des utilisateurs du réseau. YouTube est un peu plus gros que moi, parce qu’il pèse financièrement un peu plus que moi, mais nous sommes tous les deux utilisateurs du réseau, à égalité. Et ça c’est extrêmement important. C’est typiquement ça qui différencie Internet de tous les autres réseaux : le fait qu’il n’y a pas de point privilégié.
Le Minitel en cela était très différent. Il y avait bien les serveurs d’un côté, qui fournissaient des services, qui fournissaient du contenu, et puis les terminaux passifs de l’autre que les gens utilisaient pour pouvoir consulter. Internet c’est radicalement différent. N’importe quel ordinateur connecté à Internet, vous installez dessus un programme de serveur web, c’est une application comme une autre, et tout d’un coup c’est un serveur web. C’est-à-dire que tout d’un coup cet ordinateur-là est accessible par n’importe quel navigateur web sur terre en tapant la bonne adresse dans la barre d’adresse.

Sarah Dirren : Oui. C’est-à-dire que je peux construire un site web pédophile ou terroriste ?

Benjamin Bayart : Je ne sais pas si c’est de ça dont vous avez envie de parler à titre personnel ! Par exemple mon blog est hébergé sur l’ordinateur qui est posé sur mon bureau, chez moi. Et c’est le fonctionnement normal du réseau. Bien évidemment il y a des gens qui veulent faire des choses sales, mais ils sont plutôt minoritaires en vrai. Il y a plus de gens pas méchants que de gens méchants sur terre.

Sarah Dirren : Mais cette loi, justement, de la neutralité du Net qui est inscrite, je le rappelle, depuis mars dernier dans la loi suisse, donc chez nous, cette loi est contournée. Je prends juste l’exemple du Portugal pour qu’on comprenne bien. Il y a des opérateurs qui proposent des abonnements avec accès illimité par exemple à WhatsApp ou à Skype, ou des forfaits Neflix ou YouTube. Donc là on contourne allégrement cette neutralité du Net ?

Benjamin Bayart : Très clairement. En fait ça dépend complètement de comment c’est réalisé techniquement. Faire du marketing en disant « l’abonnement internet est à 30 euros et pour 40 euros vous avez Internet et Netflix ». Et comme l’abonnement de Netflix est à 15 euros, eh bien ça fait une petite ristourne de 5 euros, c’est chouette et voilà ! Ça c’est du marketing, il n’y a rien techniquement derrière.
En revanche, si l’accès à Netflix fonctionne très mal parce que l’opérateur a mal dimensionné son réseau et que, en échange d’un peu plus d’argent, il va vous permettre d’accéder à Netflix dans de bonnes conditions, ça ce n’est pas normal. Ça ce n’est pas normal, il n’a pas à faire de genre de choses-là. En fait ça, ça vient d’un mode de pensée que j’ai rencontré à l’époque où je travaillais chez certains opérateurs dont je ne donnerai pas le nom, en France. Je me souviens que mon directeur technique était très triste parce que l’opérateur en question dépensait des sommes folles à poser des câbles, des fibres, à faire des trous dans les trottoirs ; on dépensait des centaines de millions d’euros tous les ans, en investissement pour le réseau. Et puis, en échange de tout ça, tout le travail, les abonnés soit donnaient 30 euros par mois. À la même époque, c’était il y a longtemps, Meetic, je ne sais pas si vous connaissez, un site de rencontre.

Sarah Dirren : Oui, c’est du Tinder.

Benjamin Bayart : Un site qui ne fait rien. Oui c’est du Tinder un peu ancien, c’était il y a une dizaine d’années, ils ne font rien ces gens-là, ils fournissent une base de données, mais ce n’est pas eux qui fournissent le contenu ; ce sont les abonnés qui fournissent le contenu intéressant. Donc en échange du rien qu’ils fabriquent, à savoir deux ou trois serveurs, quelques pages web et une base de données derrière, ils perçoivent 30 euros par mois. Et ça, ça mettait mon directeur technique hors de lui et lui était d’avis, puisqu’il peut empêcher l’accès à ce service, eh bien il veut une part. Comme il peut empêcher le service de tourner il veut une petite part !

Sarah Dirren : C’est légitime.

Benjamin Bayart : C’est à peu près aussi légitime que le racket, c’est une forme de racket. C’est-à-dire : je suis en mesure de vous faire du mal, pour que je vous laisse la vie sauve, vous devrez me donner une partie de votre salaire. Merci Bisous. Voilà ! Ce n’est que ça !

12’ 00

Sarah Dirren : Et c’est pour ça, vous le disiez Benjamin Bayart, finalement les fournisseurs d’accès ont tout pouvoir, mais ils n’en abusent pas de ce pouvoir-là. Petite parenthèse.

Benjamin Bayart : Bien sûr que si, ils en abusent. Ils en abusent très régulièrement et c’est bien parce qu’ils en abusent très régulièrement qu’il faut le leur interdire.

Sarah Dirren : Ils en abusent à quel moment ?

Benjamin Bayart : Par exemple vous le décriviez. Quant au Portugal on fait une offre qui permet de privilégier tel ou tel opérateur, pour empêcher que les opérateurs fassent ce genre de chose jugée néfaste, il faut le leur interdire. Faire du racket sur Netflix ou sur YouTube, les opérateurs ont tenté de le faire un peu partout en Europe. Et c’est bien parce que les opérateurs sont tentés de le faire qu’il faut faire une loi qui leur dise de ne pas leur faire.

Sarah Dirren : Oui, d’accord. Il y a une loi, donc ils n’en abusent pas trop. En même temps, les géants du Net défendent la neutralité du Net. Pour quelle raison ?

Benjamin Bayart : Ils défendent une certaine neutralité du Net. Mais oui, eux y ont tout intérêt. Google et YouTube ou Facebook ou Netflix, etc., eux ont tout intérêt à ce que le réseau soit neutre parce que c’est un champ de bataille sur lequel ils sont hyper-dominants. Tant que le champ de bataille reste neutre et n’intervient pas, personne ne va les embêter.

Sarah Dirren : Oui c’est vrai.

Benjamin Bayart : Oui. Eux ont un intérêt bien compris à la neutralité du Net. De même que les très grandes entreprises ont un intérêt bien compris au libéralisme économique. Ils sont les acteurs économiques les plus puissants, ils ont tout intérêt à ce que le champ reste neutre et que personne ne vienne leur mettre des bâtons dans les roues. Oui, ça c’est compréhensible.

Sarah Dirren : Mais alors vous, en tant que fournisseur d’accès et président de la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs, qu’est-ce que vous faites ? Quel est votre rôle ?

Benjamin Bayart : En fait, pour comprendre où se pose la question il faut la formuler différemment. On peut traiter la question de la neutralité du Net autrement. Quand on imagine qu’il va y avoir un accord commercial entre tel fournisseur d’accès à Internet et tel fournisseur de service, mettons Netflix, et où Netflix va s’engager à reverser 10 % de son chiffre d’affaires pour que son trafic circule bien, quand on signe ce type d’accord, en fait on a inversé le rapport. Le rapport de sujet à objet a changé. Quand vous allez acheter du pain, vous êtes trois dans la transaction : il y a deux sujets qui sont le boulanger et vous et il y a un objet qui est le pain. Le pain est l’objet de la transaction et les deux sujets passent un contrat entre eux qui porte sur qui est propriétaire du pain.
Le contrat qui lierait un fournisseur d’accès à Netflix sur la qualité du réseau, qui sont les sujets et qui est l’objet ?

Sarah Dirren : Nous sommes les objets !

Benjamin Bayart : Eh bien les deux sujets sont Netflix et l’opérateur et l’objet, eh bien l’objet c’est l’abonné. Ils sont en train de passer un contrat pour se vendre l’abonné.

Sarah Dirren : On est la marchandise !

Benjamin Bayart : Voilà ! Quand vous devenez la marchandise ce n’est jamais bon pour vous. On maltraite toujours la marchandise.

Journaliste : C’est un peu terrifiant.

Sarah Dirren : Ce n’est pas bon pour nous et ce n’est pas bon pour la société d’une manière générale.

Benjamin Bayart : Ce n’est bon pour personne au final à part, peut-être, pour les deux qui ont décidé qu’ils allaient considérer que les gens étaient des choses qu’on pouvait se vendre et s’acheter. Ça c’est le fondement de la question de la neutralité des intermédiaires techniques. Pour moi c’est un des axes de lecture fondamentaux. Qui est la marchandise là-dedans et qui a intérêt ? C’est-à-dire quand le fournisseur d’accès à Internet opère, est-ce qu’il est au service de son client ou est-ce qu’il est au service d’intérêts autres et le client n’est que le moyen dont il se sert pour atteindre l’objectif ?
Nous, dans la Fédération, on est des fournisseurs d’accès à Internet associatifs. En fait personne n’est salarié, personne ne gagne d’argent là-dedans. Les gens qui fabriquent l’accès à Internet sont tous bénévoles, ils font ça sur leur temps libre et en fait nos abonnés sont adhérents de l’association, c’est-à-dire qu’ils sont la seule source de pouvoir dans l’association, ce sont eux qui élisent les dirigeants. Du coup ça fonctionne très différemment. Autant Orange peut se dire « je vais signer tel contrat à x millions d’euros avec Google, Netflix, bidule, et ça me permettra de gagner un petit plus de sous », en fait bêtement, quand l’entreprise décide de réduire la qualité de son service sans réduire sa facture, de manière à gagner plus d’argent, ça se fait au détriment de l’abonné.
En fait, quand vous avez à faire à une association ça ne se passe pas comme ça. C’est-à-dire que les adhérents se concertent entre eux et ils se disent « on a besoin de réduire les coûts ou d’augmenter les prix ». Et ils vont décider collectivement, collégialement, de ce qu’ils veulent faire. En fait ils ont une bien plus grande maîtrise de leur accès à Internet, en fait de leur Internet, du bout d’internet qu’ils ont fabriqué pour eux.

Journaliste : Ce qui m’étonne là-dedans, Benjamin Bayart, c’est que ça a l’air très facile de devenir fournisseur d’accès, finalement, de contrer ces grandes fabriques, ces grandes marques, et qu’il suffit d’avoir une petite association et, tout d’un coup, de devenir fournisseur d’accès ?

Benjamin Bayart : Globalement oui. Il se trouve que juste devenir fournisseur d’accès c’est une question qui est relativement compliquée, dont la technicité change d’un pays à l’autre. La partie purement technique, au sens informatique réseau télécoms, n’est pas très dure. Ce qui change beaucoup d’un pays à l’autre c’est toute la partie réglementaire. C’est : est-ce qu’on a le droit ? Est-ce qu’on n’a pas le droit ? Quelles obligations légales on doit satisfaire ? Etc. Par exemple, pendant longtemps en France, quand on se déclarait opérateur réseau il fallait payer une redevance annuelle de 20 000 euros. Ça, ça vous garantit qu’il n’y a pas d’association !
Comme ce n’était pas conforme aux textes européens, ce morceau-là a sauté, mais vous voyez c’est très simple, en général la difficulté est réglementaire. Je sais qu’en Belgique pour s’établir fournisseur d’accès ADSL c’est presque impossible. En France c’est extrêmement simple. Monter un fournisseur d’accès à Internet en France c’est très simple.

Sarah Dirren : C’est pour ça qu’à travers votre association vous couvrez, par exemple, ce qu’on appelle des zones blanches, c’est-à-dire des petits villages qui n’ont pas accès, tout simplement, au réseau internet ?

Benjamin Bayart : C’est très varié. À la Fédération internet il y a des opérateurs qui couvrent des zones blanches dans lesquelles il n’y a pas de réseau intéressant ou il n’y avait pas de réseau intéressant quand l’association s’est créée et où l’association a construit du réseau dans le village. Du coup, maintenant, il y a 30 mégas ou 100 mégas en Wifi dans toutes les maisons du village et du coup ça va, ça va mieux.
Donc ça, ça fait des parties des choses que certaines associations font. D’autres associations font des accès à Internet en ADSL pour les citadins, d’autres font des accès à Internet en fibre. D’autres font… On a par exemple une association qui est dans le Nord de la France, qui travaille sur le fait de fournir des accès aux étudiants. Il y a une grosse école d’ingénieur dans la ville. En fait les étudiants ont toujours des contrats et des baux de six mois, neuf mois, mais ce n’est jamais trois ans parce qu’ils changent d’une école à l’autre, ils changent d’un appartement à l’autre selon les années scolaires. Or dans le moindre contrat ADSL ou fibre, il y a un engagement de 12 mois. Quand vous allez habiter un appartement pendant neuf mois parce que vous faites juste une année à cet endroit-là ce n’est pas pratique, donc c’est beaucoup plus simple d’avoir un FAI qui est monté par les étudiants de l’école et qui gèrent ça.

Journaliste : FAI, ça veut dire ?

Benjamin Bayart : Fournisseur d’accès à Internet

Journaliste : C’est juste pour rappeler, parce qu’on n’est pas très abréviations nous ici en Suisse.

Journaliste : On va reparler du contrôle peut-être de tout ça. Mais pour en parler je vous propose un extrait d’un reportage réalisé par nos confrères de France 24 autour du crédit social, de l’emprise du numérique en Chine. Écoutez.

Voix off du reporter de France 24 : Surveillés en permanence par des caméras intelligentes à reconnaissance faciale capables de mettre une identité sur un visage en temps réel, les Chinois sont désormais aussi tous notés. 778 sur 950. 548 c’est moins bien ! 748, un bon score ! Pour l’instant c’est une notation bancaire qui atteste de la bonne gestion des comptes et que tout le monde connaît ici.

Voix off : Je trouve ça bien d’être noté. Dans une société il faut qu’il y ait des règles.
Ces notes, ça nous oblige à bien nous comporter.
Ça peut vous paraître effrayant mais en Chine c’est comme ça, on a l’habitude. De toute façon on n’a pas le choix.

Voix off du reporter de France 24 : Car Pékin veut mettre tout le monde au pas et aller plus loin d’ici 2020. Il y a aura de bons et de mauvais citoyens grâce au rassemblement de centaines de données provenant de banques, sociétés privées et des autorités.

Voix off : En utilisant le plus de données possibles, c’est ce qu’on appelle le big data, ce système jouera un rôle important pour la reconstruction morale de la société.

Voix off du reporter de France 24 : Pour ce faire, tout sera passé au peigne fin : situation financière, habitudes de consommation, carrière professionnelle, jusqu’au comportement sur les réseaux sociaux.
Critiquer le gouvernement sur Internet ou exhiber des signes extérieurs de richesse : mauvais score. En revanche des louanges au Parti ou un don de sang augmentera votre crédit social.

Xiao Wen Wang est une citoyenne modèle. Elle vit à Nankin ville test. Elle a le profil parfait : mariée, mère d’un enfant de cinq ans, elle travaille dans une maison de retraite, elle n’a pas de dettes et, par exemple, attend toujours sagement avant de traverser la rue.

Voix off du Xiao Wen Wang : En tant que bonne citoyenne je respecte le code de la route, si je ne le faisais pas je perdrais des points sur mon crédit social.

Voix off du reporter de France 24 : Théoriquement tout pourrait être prise en compte dans la note sociale, même les gestes les plus anodins comme aller faire ses courses au supermarché. À l’heure du paiement électronique, les achats de Xiao Wen Wang pourraient peser dans la balance, comme acheter des cigarettes, pas bon ! En revanche, des couches culottes montreraient l’attention portée à un enfant. De la bière peut être une dépendance à l’alcool. L’eau c’est mieux !
Dans cette vile pilote de huit millions d’habitants il n’y a que 18 000 citoyens modèles. Pour Xiao Wen Wang il y a des avantages à la clef. Quand elle prend le bus, par exemple, elle paye moitié prix.

Voix off du Xiao Wen Wang : Moi, pour tous les services publics, j’ai des réductions ; pour les musées aussi.

Voix off du reporter de France 24 : Un bon score donne des avantages, un mauvais enlève des droits. Dans ce cinéma ceux-là sont de mauvais payeurs, des, visages que nous avons dissimulés les noms et les adresses se retrouvent en haut de l’affiche.

Voix off : C’est normal de payer ses dettes sinon il faut les mettre sur la liste noire.

Voix off du reporter de France 24 : Cette liste noire là voici, établie par la Cour suprême pour ses mauvais citoyens dont la note est tombée à zéro. Elle concerne des entreprises mais aussi 23 millions d’individus à ce jour.
Parmi eux un journaliste, ???. Il se serait approché d’un peu trop près des affaires de corruption de hauts responsables du Parti. Condamné par un tribunal pour diffamation c’est pour cela, selon lui, que son nom s’est retrouvé sur la liste noire, du jour au lendemain. Il l’a découvert en allant chercher un billet de train et compris qu’on ne le laisserait plus voyager. Rares sont ceux comme ??? qui osent émettre une critique contre ce système que certains qualifient de dictature numérique.