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'''Titre :''' Henri Verdier, Ambassadeur pour le numérique - pour une souveraineté et une diplomatie numérique européenne
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Publié [https://www.april.org/henri-verdier-ambassadeur-pour-le-numerique-pour-une-souverainete-et-une-diplomatie-numerique-europe ici] - Octobre 2020
 
 
'''Intervenants :''' Henri Verdier - Sébastien Guenard
 
 
'''Lieu :''' Agora Managers
 
 
 
'''Date :'''  avril 2020
 
 
 
'''Durée :''' 58 min 13
 
 
 
'''[https://www.youtube.com/watch?v=zyoPbYDN7TQ Visionner la vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :'''
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
Transcrit : MO
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>Bonjour à toutes et à tous, copils (???), membres, amis à l’instar de Henri Verdier et partenaires qui accompagnent Agora Managers avec fidélité et enthousiasme dans cette période complexe mais intéressante, avec Michael Lejard, les équipes nous vous en remercions. Le maillage relationnel que nous avons coconstruit depuis 15 ans en présentiel avec les poignées de main, les bisous, les dîners, sont certainement les aspects sensoriels qui nous maquent le plus. Mais ils sont à l’origine des deux piliers essentiels pour le réseau Agora Managers à savoir la confiance et la bienveillance que nous partageons tous. Aussi la transition numérique pour les clubs ne pouvait que réussir et bien sûr nous travaillons sur les galas pour vous garantir la même satisfaction.<br/>
 
Une introduction coup de gueule mais assumée de ma part. Notre dépendance industrielle, le manquement voire le désengagement des investissements publics dans le domaine de la santé sont les marqueurs violents de cette période inédite de l’histoire. Pour autant, cartonner le président Macron aux commandes depuis seulement le mois de mai 2017 soit deux ans et 11 mois, ne peut appartenir qu’aux populistes qui sortent toujours du bois au moment où la solidarité et l’engagement sont de circonstances. Tous les jours les hommes et les femmes du secteur santé, de la <em>suppy chain</em>, du nettoyage, de la sécurité, du <em>retail</em>, de l’énergie, de l’informatique ou encore de l’information portent ces valeurs. Pour le réseau Agora Managers, réfléchir, déployer et bâtir des entreprises publiques et privées puissantes dans le cadre d’une économie européenne forte et souveraine sur les sujets stratégiques correspond parfaitement à l’état d’esprit qui anime chacun des membres et partenaires que je salue à nouveau.<br/>
 
Aussi grâce à toi Henri, pardon, Monsieur l’ambassadeur, nous avons l’honneur de vous recevoir et vous écouter sur un sujet oh combien stratégique, l’influence de la France sur le plan numérique et la construction d’une souveraineté et diplomatie numérique européenne.<br/>
 
Qui êtes-vous Henri Verdier ? Vous êtes toulousain de naissance, ancien élève de Normale Sup, titulaire d’une licence en philosophie, d’un magistère en biologie et d’un diplôme d’études approfondies en sociologie. Vous êtes un entrepreneur et spécialiste du numérique français. Juste avant de devenir ambassadeur pour le numérique, vous étiez directeur interministériel du numérique, du système d’information de l’État français et administrateur général des données. Vous avez coécrit et apporté votre contribution à plusieurs livres, dont un que vous nous avez présenté tout à l’heure. Il y a <em>L’âge de la multitude</em> ou <em>Des startups d’État ou l’État plateforme</em> et tout ça avec une information : vous êtes seulement à la petite cinquantaine. Bravo !<br/>
 
Avant d’attaquer, dites-moi Henri, c’est un métier ambassadeur ? Comment on y arrive ?
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>Ambassadeur c’est un vrai métier que je découvre depuis 18 mois, qui est un métier subtil, en fait, puisqu’on essaye d’influencer un équilibre international qui nous échappe totalement. Je pense parfois à mes collègues qui ont négocié pendant quatre ans l’accord de Paris sur le climat, qui ont connu le plus beau jour de leur vie quand ils ont fait signer 127 pays et puis Trump a été élu et tout a déchiré et a volé en éclat. Donc c’est un métier qui travaille à revenir à l’équilibre. Je découvre des diplomates aguerris qui savent reconnaître une situation, qui savent négocier dans des enceintes très particulières comme l’ONU, comme l’OCDE, qui ont chacune leur code. Il y a au Quai d’Orsay une vingtaine d’ambassadeurs thématiques qui sont spécialisés sur un sujet donné. Il y a le fameux ambassadeur aux pôles, il y a un ambassadeur du climat et depuis quatre ou cinq ans il y a un ambassadeur du numérique.<br/>
 
Je ne sais pas si tu veux qu’on présente en trois phrases ce qu’est un ambassadeur numérique ?
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>Oui, très bien. Par qui il est nommé ? Quelle est sa durabilité ?
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>Comme tous les emplois à discrétion du gouvernement et comme précédent job on est nommé en Conseil des ministres par le président de la République et révocables <em>ad nutum</em> tous les mercredis.
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>Ce n’est pas mal.
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>À discrétion du gouvernement. Je peux le dire philosophiquement ou techniquement et je vais faire les deux très vite parce que je sais qu’on a beaucoup de sujets. Philosophiquement, et c’est important de se rendre compte que finalement la sécurité, la prospérité ou la souveraineté d’un pays comme la France c’est maintenant lourdement déterminé par le numérique. C’est déterminé par le numérique économiquement : sommes-nous capables d’avoir des champions, de défendre les positions de notre ancienne industrie, tout ce que vous voulez sur l’économie numérique ? C’est déterminé culturellement, politiquement : sommes-nous capables de décider que nous voulons protéger la vie privée et parfois par des choix technologiques profonds qui nous échappent ? Il n’y a qu’à voir, en ce moment, les débats sur l’application StopCovid, tout repose quand même sur un standard que Apple et Google ont déterminé et, à tort et à raison, la France voudrait leur demander de changer leur standard et eux ne veulent pas.<br/>
 
Cette réalité, cette profonde vague d’innovation numérique vient de loin. Elle a des couches tech, elle a des couches de relation entre États à la fois parce que des États utilisent le numérique par exemple pour faire la cyberguerre, par exemple pour s’espionner, par exemple pour se menacer de se couper des approvisionnements à des ressources essentielles. Elle est déterminée par la capacité des États de s’unir pour dire « on veut un RGPD [Réglement général sur la protection des données] ou on veut telle ou telle garantie pour définir même des standards internationaux sur la liberté d’expression, la liberté de la presse, l’accès à la culture, l’accès à l’éducation, la propriété intellectuelle ».<br/>
 
Donc c’est devenu, un peu malgré nous, en tout cas sans qu’on le voie devenir, une patte (???) diplomatique. Concrètement aujourd’hui il y a des enceintes internationales où des choses très juridiques se négocient. On travaille à l’ONU à un droit international du cyberespace. Il y a des enceintes plus informelles, souvent la France a eu notamment plusieurs initiatives, donc on a créé la communauté de l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace dont j’espère que de nombreuses entreprises sont des soutiens. On a créé l’Appel de Christchurch pour la régulation des contenus terroristes. Et puis il y a une diplomatie parallèle : on a beaucoup de relations bilatérales avec les grandes puissances amies ou plus adversaires. On a un rôle dans la gouvernance d’Internet, en ce moment nous sommes aussi à la pointe du combat pour empêcher que le <em>dot</em> org [.org] soit vendu à un fonds d’investissement prédateur à capitaux républicains qui a mis un chèque d’un milliard et demi sur la table et qui a dit « ne vous inquiétez, pas ça va bien se passer ». En fait, le premier pays qui a levé la main en disant « attendez, ça ne m’a pas l’air d’aller tout à fait dans le sens de l’intérêt général » c’est la France.<br/>
 
Fondamentalement, et je termine cette introduction, on déploie une démocratie numérique dans un carré avec des questions de sécurité – cybersécurité, protection contre les contenus terroristes, contre les infogérances, les <em>fake news</em> quand elles viennent de puissances étrangères – gouvernance d’Internet, diplomatie économique, activité et visibilité de l’industrie de France.
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>Et à terme il y a aura création d’une Cour internationale, à l’instar de la Cour internationale de Justice de La Haye ? Est-ce qu’il va y avoir une autorité, une convention a minima ou on est dans la diplomatie ?
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>Pas forcément. En tout cas je disais sécurité, gouvernance de l’Internet, diplomatie économique et défense des valeurs, accès à la culture, accès à l’éducation, liberté d’expression, etc.<br/>
 
Vous voyez justement que si je prends la peine de mettre tout ce carré c’est qu’ensuite les formats d’action et d’intervention ne peuvent pas être les mêmes dans les quatre coins de cette surface. Les sujets les plus régaliens comme le droit international du cyberespace c’est du droit international, ça ressemble au droit de la guerre, mais justement sauf délit pénal qui se juge à La Haye et dans ce cas-là un délit cyber-pénal pourrait se juger à la Haye, le droit international est souvent appliqué par les États eux-mêmes.
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>Il y a eu un cas de figure de cette nature ?
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>Il y a déjà eu, il y aura d’ailleurs de manière imminente des sanctions, mais là c’est un groupe d’États qui se réunissent et qui disent « on a suffisamment de preuves pour dire que ceci est inacceptable, nous prenons des sanctions ». C’est déjà suffisant pour faire quand même plier un adversaire. Comme toujours en cybersécurité, quand ça coûte plus cher d’attaquer que ce qu’on gagne, on hésite. Donc si les impositions de conséquences sont suffisantes, on peut faire reculer quand même la menace.<br/>
 
Après la gouvernance d’Internet se juge ailleurs et elle s’organise ailleurs. D’ailleurs c’est intéressant, ça dit quelque chose sur la souveraineté. C’est le procureur de Californie qui vient à notre secours en disant l’ICANN [Internet Corporation for Assigned Names and Numbers)] c’est une <em>charity</em> de droit californien, donc j’ai mon mot à dire, donc si vous détournez et que vous faites une sorte d’abus de bien social je vais sanctionner. Là c’est la justice américaine. Sur les sujets de diplomatie économique, certains abus de position dominante peuvent être jugés par les autorités de concurrence ou par l’OMC le cas échéant et, sur tous les sujets de droit de l’homme, il y a un certain nombre d’enceintes où on peut aussi faire valoir le droit.<br/>
 
Ce n’est pas spécialement une diplomatie de procès. Aujourd’hui ce sont aussi des investissements, de coalitions, des standards, c’est plus doux, c’est moins conflictuel que ça.
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>De toute façon c’est très jeune en réalité. On a quoi ? On a 15 ans de recul maintenant, pas plus.
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>Oui, peut-être même pas d’ailleurs. Vous l’avez rappelé, j’ai créé ma première entreprise en 1995 ; on ne disait pas startup internet à l’époque, on disait PME qui fait du numérique. J’ai l’impression d’avoir vécu des phases. En fait, en 1995, on découvrait avec fascination le lien hypertexte et on disait « c’est génial cette nouvelle écriture » et le numérique était une affaire d’innovation. On disait « qu’est-ce qu’on peut faire avec tout ça ? », c’était l’imagination au pouvoir. À partir des années 2000/2005, c’est devenu une menace pour des filières industrielles entières, de la disruption, et on a beaucoup parlé de transformation des organisations, de conduite du changement, tout ce que vous voulez. Aujourd’hui c’est devenu de la géopolitique, mais finalement, oui, ça fait une quinzaine d’années qu’on a pris conscience que c’était de la géopolitique. On peut dater ça de l’époque qui a précédé les deux forums mondiaux pour la société de l’information, Internet Governance Forum, c’était 2005 et 2006. C’est la première fois que la communauté internationale s’est réunie en disant « mais en fait ce sont aussi des équilibres géopolitiques ».
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>C’est clair. Si on parle de création et d’entreprise, je crois que vous êtes à l’origine de la création d’une cinquantaine de startups dans une précédente mission. Quel est le rôle de l’État ? Quel doit être l’accompagnement ? Est-ce qu’il doit y avoir une mixité des investissements publics et privés ? Quel est votre avis sur le sujet?
 
 
 
<b>Henri Verdier : </b>C’est un sujet immense, je ne sais pas si on peut le traiter en trois minutes. J’ai créé personnellement trois startups, j’ai à peu près réussi une fois, puisque la troisième on l’a vendue correctement au groupe Bolloré. J’ai cofondé avec mes amis et présidé pendant sept ans Cap Digital qui est le pôle de compétitivité des industries de création numérique ; aujourd’hui c’est une association de plus de 1000 startups parisiennes.<br/>
 
L’histoire est compliquée. Contrairement à ce que disent beaucoup de gens je pense que la France est un pays assez entreprenant qui a une culture d’entreprise profonde. Au début du 20e siècle on a tout inventé à Paris, l’aviation, l’automobile, le cinéma, l’électricité, le téléphone, tout ça a été inventé à Paris en fait. Ce qu’on a raté c’est pour une histoire qui est une histoire européenne avec les deux guerres mondiales, une économie de reconstruction très administrée pendant les Trente glorieuses. On a quand même réussi à être un très grand pays des télécoms, d’ailleurs beaucoup des fondamentaux de la révolution internet ont été inventés en France y compris le Web, ne l’oublions pas, ou le protocole par paquets qui a permis de faire TCP/IP ou l’ADSL ou le <em>triple play</em> avec Free. Et puis on a raté cette économie numérique très <em>consumer oriented</em>, très agile, très centré la sur UX [<em>user experience </em>], le design, au fond on a raté la vague du <em>consumer internet</em> pour des tas de raisons qu’on pourrait analyser pendant des heures.<br/>
 
Ce que je crois c’est que, d’abord, les vagues suivantes ne sont pas jouées. Aujourd’hui la Californie fabrique le <em>consumer internet</em>comme Montélimar fait le nougat en disant ils ont les meilleurs talents, ils ont les meilleures matières premières, ils ont les meilleurs ingrédients, c’est assez dur d’aller les déloger. Les villes intelligentes avec les points stratégiques que nous avons dans la domotique ou dans le bâtiment, les transports intelligents avec nos industries automobiles, la santé du futur avec notre système de soin et ses données, il y a énormément de combats magnifiques qui commencent à peine et qui seront peut-être moins hors-sol et où nos existences seront des atouts.<br/>
 
La leçon que j’ai tirée de 20 ans au service de l’écosystème digital français, c’est que les politiques publiques d’aide à l’innovation devraient être humbles. En fait on peut être un jardinier, on peut faciliter la vie de ceux qui innovent, on ne peut pas les décréter. On ne peut pas dire « vous irez tous à Rennes faire de la cybersécurité, vous irez tous faire ça ». Je l’écrivais déjà dans <em>L’âge de la multitude</em>, il ne sert à rien de tirer sur la plante pour la faire pousser plus vite, mais on serait idiot de ne pas sarcler autour et de ne pas l’arroser. Peut-être s’efforcer de leur apprendre.
 
 
 
==14’ 55==
 
 
 
<b>Sébastien Guenard : </b>Est-ce qu’on pourrait avoir quelques exemples de belles réussites françaises ?
 

Dernière version du 24 octobre 2020 à 16:10


Publié ici - Octobre 2020