Différences entre les versions de « Google s'insère de manière violente et douce à la fois - Xavier Coadic »

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'''Titre :''' Google s'insère de manière violente et douce à la fois
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Publié [https://www.april.org/google-s-insere-de-maniere-violente-et-douce-a-la-fois-xavier-coadic ici] - Mars 2019
 
 
'''Intervenants :''' Xavier Coadic - Antoine Gouritin
 
 
 
'''Lieu :''' Rencontres Désinspirantes de Disruption Protestante
 
 
 
'''Date :''' février 2019
 
 
 
'''Durée :''' 43 min
 
 
 
'''[https://shows.pippa.io/disruptionpr/episodes/xavier-coadic Écouter le podcast ]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :'''
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br />
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Bienvenue dans ce nouvel épisode des Rencontres Désinspirantes de Disruption Protestante. Chaque semaine une position lucide à rebours du mythe de la start-up nation avec un acteur de l’innovation française. Je suis Antoine Gouritin.<br/>
 
La semaine dernière Florence Durand Tornare, déléguée générale de l’association Villes Internet, nous racontait les relations complexes entre les collectivités et les start-ups et appelait à une décélération et au retour du bon sens. Vous pouvez écouter cette discussion dans votre application de podcast favorite, sur Spotify et sur disruption-protestante.fr. À la fin de notre conversation, Florence évoquait sa visite de l’atelier Google de Rennes : « J’ai réfléchi depuis que j’y suis allée parce que ça m’a traumatisée ! »<br/>
 
Aujourd’hui retour à Rennes où j’ai rencontré Xavier Coadic. Xavier est tour à tour entrepreneur, chercheur, il travaille maintenant sur le biomimétisme. Je vous mets les liens vers ses projets dans la description de l’épisode. Xavier est aussi impliqué dans le monde associatif rennais et connaît bien les structures qui travaillent sur le sujet de la fameuse inclusion numérique, terme à la mode. J’ai commencé par lui demander comment l’arrivée des ateliers Google s’insérait dans l’existant.<br/>
 
Bonne désinspiration !
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Tu as commencé par parler d’inclusion, je n’ai pas utilisé ce terme-là et j’y fais attention parce que depuis deux-trois ans c’est devenu un terme packagé partout en France, déjà parce qu’on parle de fracture numérique, d’exclusion. Il y une fracture sociale, je crois, réelle, la fracture numérique si elle existe, peut-être qu’elle existe, elle est plus liée à la fracture sociale, elle est une conséquence de ces choses-là.<br/>
 
Parler d’inclusion je pense que c’est un peu <em>too much</em> pour utiliser les anglicismes que les gens du numérique digitalisé aiment beaucoup. Et comment Google s’insère dans cela de manière à la fois violente, massive et à la fois douce et pernicieuse ? Ça fait un bon teaser pour continuer les anglicismes. Google ne s’insère pas, Google est là depuis longtemps. Le moteur de recherche, enfin l’entreprise Google et tous les services, le courriel, le moteur de recherche, plein d’autres choses, le DNS public pour entrer dans la technique. Google était et est toujours sur les ordinateurs des écoles, des particuliers, des collectivités publiques, des entreprises privées. La grande différence, c’est que Google ouvre une boutique et je ne dirais pas atelier, je dirais bien boutique. Ils ont ouvert un <em>store</em>, comme aurait dit Apple il y quelques années, en plein centre-ville, rue de la monnaie pour l’anecdote, on pourra y revenir après parce que c’est complètement incroyable. C’est pour ça que je dis que c’est intelligent, pernicieux et des fois c’est vraiment vicieux.
 
 
 
Google était là massivement, d’ailleurs surtout ces dernières années, de nombreuses fois a été condamné pour position de monopole qui viole les lois antitrust à l’échelle nord-américaine, à l’échelle européenne ou à l’échelle mondiale. Donc ça veut dire quand même qu’il y a un problème avec cette entreprise, ne serait-ce que sur les règles économiques, financières et position de marché.<br/>
 
Donc Google était là de manière massive et intrusive dans nos quotidiens parce que, s’il fallait détailler, Google, son métier, c’est de nous pomper plein de choses et pas que de la donnée, c’est de nous pomper plein de choses.<br/>
 
Ensuite Google fait un truc nouveau, c’est-à-dire qu’en France il s’installe gentiment, de manière cosy, en ouvrant une boutique tout à fait charmante dans le centre historique et bourgeois de Rennes. Même l’annonce de ce truc-là a été faite de manière pleine de velours et de dorures de l’Élysée, puisque c’est le président Emmanuel Macron qui recevait, en janvier 2018, des grandes stars apparemment du business et du numérique de l’Europe et de la planète. À la sortie de ces rencontres, le président de Google France, si je ne dis pas de bêtises, annonce que Google va ouvrir des ateliers numériques, il appelle ça comme ça, partout en France, très rapidement, et notamment la première ville serait Rennes.<br/>
 
C’est comme ça ; c’est arrivé plein de velours et plein de velours de communicants politiques et de dorures de la République, avec des grands chiffres parce que derrière il faut marketer une annonce comme ça. C’est pour ça que je dis que Google est intelligent et les personnes qui travaillent avec Google. 100 000 personnes par an ! C’est énorme ! Si Rennes intra-muros atteint les 200 000 habitants ce ne serait déjà pas mal, peut-être qu’avec la métropole on les dépasse, la réalité c’est complètement aberrant.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>J’ai entendu 8000 finalement entre juillet et décembre.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Déjà il faudrait s’entendre, enfin pas s’entendre, rien que ça, ça demanderait au moins un mémoire de licence, a minima, pour bien montrer qu’il y a une différence entre formation et l’espèce de <em>speed dating</em>, pour revenir dans les anglicismes qu’ils aiment tellement, je ne vois comment en 40 minutes avec trois post-it et du langage complètement dévoyé on peut appeler ça de la formation. Donc 8000 personnes en <em>speed dating</em> sur une année c’est que dalle. Et pour revenir à ce que tu demandais sur Rennes, malheureusement je n’ai pas de chiffres sourcés, détaillés, que ce soit journalistiques ou universitaires, mais la réalité est bien plus grande ; il suffit juste de cumuler les écoles, les ateliers, un groupe de travail, je ne sais pas, du GIS Marsouin [groupement d’intérêt scientifique Marsouin] pourrait le faire assez facilement ou de la FIG [Fondation Internet Nouvelle Génération], de montrer qu’à Rennes ça doit être à peu près ce qui se fait par trimestre quand on cumule toutes les organisations actrices historiques du numérique rennais. Donc Google et ses chiffres !
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Quelle a été la réaction ? À l’inauguration on a vu tous les élus locaux qui y étaient. Moi j’ai rencontré Florian Bachelier, le député de la circonscription. C’est à ce sujet-là qu’il m’avait paru, en tout cas dans l’entretien qu’on a eu, peut-être un peu plus critique de ce qui se passait, en tout cas en en parlant avec lui. Comment est-ce que ça a été accueilli et comment tu as trouvé les discours des élus locaux de côté-là ?
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Avant l’inauguration quand même, comme je disais tout à l’heure, la négociation, l’annonce de ces choses-là se font fin janvier, début février 2018, à échelle locale, rassurons-nous, ce n’est pas comme gagner la coupe du monde foot, mais il y a un emballement politico-médiatique. Il y a eu je ne sais pas combien de papiers, en général ce sont des reprises de l’AFP, ce sont les mêmes papiers avec le même titre, aspirateurs à clics, pour rester poli : Google, les ateliers numériques, Rennes première ville en Europe ; pas d’analyse, pas de recherche, de ??? de critique. Et puis il y a le personnel politique, qui reste quand même des élus, mais qui s’emballe là-dessus. « Chouette ! Google, on va faire de l’inclusion numérique – comme tu disais – 100 000 personnes par an ! » Des chiffres délirants.<br/>
 
L’inauguration officielle se fait en juin et de février à juin il y a toute une préparation, je ne dirais pas que c’est de la guerre psychologique, mais en tout cas il y a une préparation bien marketée, bien travaillée, avec un service comm’. Et ce service comm’ – tu as raison de parler de monsieur Bachelier, mais ce n’est pas le seul – a été beaucoup alimenté par des élus, de tous bords politiques, du parti socialiste, de La République en marche, des Républicains et puis d’autres qu’on n’a pas beaucoup entendus – qui ne dit rein consent – je ne sais pas quel était leur deal politique pour ne pas s’en prendre à leurs copains d’alliance. Mais ça a été beaucoup, beaucoup soutenu et relayé. Je ne parle même pas des associations French Tech, des acteurs historiques – enfin historiques, ils ne sont pas si vieux que ça –, mais dont on a l’habitude qu’ils aiment ce genre d’opportunité comme ils disent. Donc il y a eu une vraie préparation.
 
 
 
En réaction aussi on a été quelques-uns et quelques-unes, pas très nombreux, mais on l’a fait quand même, à se dire on n’est pas d’accord. On n’est pas d’accord pour plein de raisons et à l’intérieur de ce désaccord général, on a même des désaccords entre nous. Il y a des personnes qui sont totalement contre Google, il y a des personnes qui sont, on va dire, plus modérées ; elles n’ont pas tout à fait tort, on ne peut pas interdire à une entreprise de s’installer, sauf si on prouve que cette entreprise fait vraiment des trucs qui dépassent les droits de l’homme. Mais on vit en démocratie, si une entreprise veut ouvrir une boutique elle a le droit, que ce soit le boulanger du coin ou Google boutique. On a travaillé sur nos désaccords sans forcément les ???, mais on a trouvé des points communs et l’éducation au numérique par une entreprise dont le métier est de voler tout, l’argent, les données, l’intimité ; que les élus se mettent dedans et, finalement, il n’y a pas que le langage qui a joué parce que le langage prépare des choses. Je suis en train de relire Hannah Arendt, on le sait depuis les années 50-60, toute cette préparation pour dénier l’action politique. Je crois que le politique, je ne peux pas dire qu’ils sont idiots, je pense qu’ils en ont conscience, je ne suis pas sûr qu’ils mesurent bien les conséquences.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>C’est ça. Moi quand j’en ai discuté avec Florian Bachelier, c’est ce que je lui ai expliqué ; je lui ai dit : « Est-ce que vous vous rendez compte aussi qu’il va y avoir des partenariats ? » On parle avec les élus, mais il y a la CCI [Chambre de commerce et d’industrie], il y a Pôle emploi et là lui n’avait pas saisi. Je lui ai dit : « Est-ce que vous vous rendez compte que certaines personnes vont pouvoir se dire on accueille à bras ouverts Google en disant Google va aider les demandeurs d’emploi sur Internet, Google va aider les étudiants, Google va aider les entreprises à être plus visibles, à faire plus de plus de chiffre à vendre, etc. Est-ce que ce n’est pas, justement, le rôle des partenaires qui soutiennent, de Pôle emploi d’un côté, la CCI pour les entreprises ? » Et là il s′est arrêté, il m’a regardé, il a fait : « Ah oui, on n’y avait pas pense comme ça ! »
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>C’est tellement, comme je disais tout à l’heure, à la fois violent et massif cette configuration de Google sur la planète et aussi fin et insidieux du côté local que c’est super complexe de tout aborder. Tu as raison de relever que la CCI c’est loin d’être neutre, notamment la CCI Ille-et-Vilaine  et Bretagne. On essaye de travailler sur les statistiques, justement, dans le wiki de Google, c’est hallucinant. Par jour d’ouverture, en tout cas pour la CCI Ille-et-Vilaine, enfin Rennes, Saint-Malo, c’est quasiment sur deux ans ou deux ans et demi, quasiment un atelier Google ??? ou ???. En gros c’est une chambre consulaire, qui normalement est là pour aider les entrepreneurs locaux, qui fait VRP et qui vend du produit Google à des entrepreneurs locaux qui, eux, peuvent être éloignés du numérique.<br/>
 
Quand tu ouvres un service de taxi, quand tu deviens cordonnier, quand tu montes ton AMAP ou ta Scop en légumes, tu n’as pas fait des études d’ingé en info. Bon ! Le problème n’est pas là. Mais ils font quand même le travail de VRP gratuitement, enfin gratuitement ! Mieux que ça, avec de l’argent public, de l’argent privé aussi, parce que c’est une CCI, mais de l’argent public, pour vendre des produits Google. Et ça ils le font depuis longtemps pour la CCI. C’est quand même incroyable ! Depuis quelque temps effectivement, on s’est aperçus qu’en France, mais ça, la responsabilité de Pôle emploi qui est un service public – le statut de Pôle emploi aussi est assez étrange –, donc Pôle emploi suit surtout des directives qui viennent du ministère, donc de l’État. Oui, Google a bien compris ça et avait déjà dealé avec nos ministères et notre État français de pouvoir être à l’intérieur de Pôle emploi. Est-ce que c’est de la délégation de service ? Non, je crois que c’est tout bêtement basique. Google a besoin de s’accaparer et de capter les choses. Google n’aide personne. C’est normal, c’est une entreprise, son métier c’est de faire de l’argent. Google n’est pas l’assistance publique des hôpitaux du numérique. Non ! Google c’est une entreprise qui doit faire de l’argent pour vivre, comme toute entreprise. Elle en fait beaucoup plus que la plupart des entreprises, elle le fait avec un système qui est plus que dégueulasse, puisque, par moment, on sait qu’il est illicite et éthiquement, je n’en parle même pas, on pourrait peut-être en parler après, mais c’est incroyable, et oui il s’insère dans les couches du service public, Pôle emploi.<br/>
 
Mais le droit, c’est écrit noir sur blanc partout, les droits de l’homme et du citoyen, on va dire les droits de l’homme avec un grand « h » ou de l’humain pour inclure les femmes, dans notre droit français, notre droit des travailleurs, l’accès à l’emploi, à l’offre d’emploi, à la mobilité. Non, non ! On a inséré Google là-dedans dont le métier ce n’est pas de nous faciliter la vie ; le métier c’est de capter des choses. Et oui les politiques, pour beaucoup, n’ont pas pigé ça.
 
 
 
==12’ 50==
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>C’est un peu une démission aussi face au monopole en se disant : ils ont les outils, pour être visibles nos entrepreneurs locaux de toutes façons n’ont pas le choix, ils doivent  passer par Google, donc qui mieux que Google comment leur expliquer de marcher sur Google.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>C’est l’argument général qu’ils sortent. Ça veut dire qu’ils acceptent, à mots cachés, de démissionner de leurs responsabilités politiques voire de leurs responsabilités morales. Je renvoie à ce que je disais sur Hannah Arendt qui expliquait que l’utilisation mécanique de mots dévoyés, je n’ai pas le <em>verbo</em> de Arendt, mais je le traduis avec mes mots, permet de faciliter une acceptation de l’ordre du psychique et du psychologique, qui engendre, en fait, une action politique qui se vide de son sens ; c’est un consentement contraint pour faire le bond jusqu’à je ne sais qui. Sa réflexion pousse loin parce que, au final, on te fait croire que tu agis forcément pour le bien commun, pour le bien du plus grand nombre, mais comme elle expliquait, comme quand un dictateur russe finit par te faire croire que faire un faux témoignage c’est bon pour les personnes qui t’entourent, pour les dénoncer.<br/>
 
On en arrive là en fait. On a des politiques : le truc digital à la place de numérique c’est le truc qui fait rire tout le monde de puis des années, mais ce n’est que le côté rigolo de cette mécanique-là de langage qui crée un compromis, une dette intellectuelle.<br/>
 
Donc le politique démissionne lui-même, mais en faisant le VRP de Google et en faisant accepter ce truc-là, il pousse beaucoup plus loin sa démission de ses responsabilités politiques. Donc effectivement ils te disent qu’ils ne savent pas ; il ne faut pas les prendre pour des idiots les politiques, ce sont des personnes, je pense, intellectuellement armées et pas si bêtes que ça. Les vraies questions qu’il faudrait leur poser c’est quels intérêts ils ont à ça. Est-ce qu’ils ne sont plus capables d’assumer une action politique et dans ce cas-là c’est une démission symbolique : ils refilent ça à Google et ça pose des problèmes graves et je pense qu’ils sont capables de les comprendre. Ou alors, et là c’est plus vicieux, mais je ne veux pas rentrer dans du complotisme à la con, ils y ont des intérêts personnels ou politiques à servir les intérêts de Google. Mais dans les deux cas ça ne sert ni le bien commun, ni la population, ni le problème de fracture sociale ou d’inclusion numérique ou l’éducation au numérique. C’est même tout l’inverse.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Tu parlais de digital. Je reviens sur une anecdote que tu m’avais racontée, peut-être qu’on peut la raconter, sur ce qu’on apprend aux ateliers numériques de Google censés former au numérique les citoyens rennais pour l’instant, on va voir après plus largement.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Il y a un exercice très simple à faire, c’est de faire l’idiote ou l’idiot du village, c’est de se pointer avec son ordinateur dans lequel on a mis une panne volontaire, pas forcément une vraie panne ; c’est facile de dire à un ordinateur « ne démarre comme d’habitude » et donc d’arriver à l’entrée de cette boutique Google et dire : « Vous pouvez m’aider parce que mon ordinateur ne démarre pas, enfin comme je veux ? » On ne va pas utiliser des termes compliqués, il ne faut les brusquer ; on ne va pas dire : « Mon ordinateur ne <em>boote</em> pas, peut-être que c’est le BIOS, vous connaissez UEFI ? » Et la personne, pour l’avoir fait, pour avoir d’autres personnes qui l’ont fait, la personne à l’accueil, avec le tee-shirt atelier numérique Google, répond : « Ah non ! Non, surtout pas ! Ici, nous on fait du digital monsieur, on en fait pas du numérique. » C’est à la fois la fin de l’histoire, je ne sais pas si elle très drôle, mais elle est super révélatrice de cette histoire du langage, de ce qu’ils font réellement. Ce n’est même pas une boutique, en fait, de formation numérique. Qu’ils ne fassent pas de la maintenance d’appareil, OK ; mais c’est extraordinairement stupide.<br/>
 
Ce qui est marrant c’est que ça révèle aussi de ce qu’on avait regardé dans ce temps latence, pour revenir à ta question de tout à l’heure, entre fin janvier-début février et quand ils ont ouvert, ce sont les offres d’emploi, parce que c’était l’un des arguments : 100 000 personnes à former, c’était l’un des arguments bien marketé, puis Google va créer de l’emploi sur le territoire. OK. Toutes les offres d’emploi qu’ils ont diffusées ce n’était pas vraiment de l’emploi. Les profils c’était coach en marketing, tous les profils, avec forte sensibilité et formation au marketing digital, il n’y avait rien de numérique ou d’informatique là-dedans, ni de socio, dont on a tellement besoin dans le numérique, ni de philosophie, rien, c’était du coach en marketing et qu’ils prenaient au statut autoentrepreneur. En gros c’est quand même Uber et compagnie, ça ne crée pas de l’emploi.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Ça je peux t’en parler parce qu’il se trouve que, pour tâter un peu le terrain, j’étais allé voir et j’avais fait quelques entretiens pour voir un peu de quoi il retournait parce qu’ils te marketaient bien le truc : c’était animer, donner de la visibilité aux start-ups locales, faire des partenariats avec les entrepreneurs locaux, tous les organismes publics, etc. ; c’était bien vendu, c’était intéressant et en fait, c’est ce que tu disais, ils cherchaient des gens spécialistes en marketing digital et c’est tout.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Je ne sais pas s’il faut blâmer ces personnes.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Non, non, non !
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Je n’ai pas assez discuté avec elles. Je pense que quand tu es autoentrepreneur tu as besoin de bouffer et, dans ce domaine-là, ça ne doit pas être si simple.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Ceux que j’avais vu, je crois que c’était des vrais contrats, par contre.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Pour l’instant de ce qu’ils ont affiché, j’ai beau essayer de creuser, mais il y a deux personnes salariées dans cette boutique et sept personnes sous...
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>OK !
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Après à voir avec un tribunal administratif ou des personnes compétentes pour voir si on requalifie le truc en salariat déguisé. Je ne veux pas blâmer la personne avec le tee-shirt qu’on n’a pas piégée parce que ce n’était pas une caméra cachée ou un micro caché, c’est juste qu’on voulait savoir. Qu’on soit entrepreneur, qu’on soit chercheur en éducation populaire, qu’on soit chercheur à l’université on va tâter le terrain, on essaye de comprendre comment ça fonctionne. C’est la démarche qu’on a faite en disant « notre appareil bug, aidez-nous ! »<br/>
 
On a été aussi quelques-uns et quelques-unes à se rendre dans différentes formations qu’ils proposaient.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>En fait, ce ne sont pas vraiment des formations. C’est proposé par des partenaires. Pour en connaître quelques-uns, je ne sais pas si c’est le cas de tous, mais en tout cas ceux que je connais, en fait, c’est de l’échange de visibilité. Ce sont des petits entrepreneurs locaux qui viennent faire une conférence sur leur cœur de métier, mais en gros ils viennent se faire de la pub, mais c’est à moitié de la pub, à moitié de la formation et c’est gratos. Google ne paye pas, en tout cas ceux que je connais, ne paye pas les intervenants puisque c’est de la visibilité, en fait, d’aller faire sa conférence à l’atelier numérique.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>J’espère que quand ils payent leur loyer ou leurs courses alimentaires ils payent en visibilité aussi. Je ne sais pas si le gouvernement Macron et Mounir Mahjoubi ont prévu le chèque visibilité, après le chèque accessibilité.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Je pense que ce n’est pas mal. Il faudrait leur soumettre.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>Je pense qu’ils ont déjà eu l’idée.
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Surtout pour Google. Il y a des nouveaux ateliers qui vont ouvrir sous peu. C’est aussi un travail que vous avez commencé de regarder un petit peu les endroits. Au départ vous aviez peut-être l’idée que c’était des territoires plutôt République en marche, apparemment ? En étudiant d’un peu plus près, on va parler du cas de Montpellier qui est assez intéressant, sinon c’est Montpellier, Nancy et Saint-Étienne les trois prochains. C’est plus compliqué que ça finalement.
 
 
 
<b>Xavier Coadic : </b>C’est même encore plus balaise. Je vais revenir à ce que tu disais sur les ateliers et il y a quelques entrepreneurs locaux qui y vont gratuitement, parce que c’est révélateur du système, de la stratégie d’implantation sur un territoire qui est en général métropolitain en termes de classification.<br/>
 
Donc Google choisit Rennes comme première ville pionnière, les arguments que j’ai dits : 100 000 formations, créer de l’emploi et puis Rennes pionnière des Télécoms. Ils nous ont tartiné ça avec du miel qui était en fait juste de l’eau et du sucre bien frelaté. Et puis, très vite, on a été quelques-unes à ne pas être d’accord, à mettre en place le wiki, parce que face à une surveillance généralisée et une espèce de marketing de la psyché, des esprits, on trouvait que la documentation, en termes encyclopédiques même si elle peut prendre plusieurs formes, c’était sympa. Puis avec des outils libres et <em>open source</em>, de la donnée accessible, de la contribution vraiment citoyenne, donc on a mis ça en place et on s’est mis à surveiller plusieurs pans et notamment les ateliers et les formations qu’ils proposent à l’intérieur. Donc oui il y a des entrepreneurs, mais il y a aussi des associations. Ce qui est assez drôle c’est qu’il y a des associations qui ont touché des chèques plus que conséquents de Google il y a deux ans ou trois ans, qui sont plutôt des associations d’éducation populaire. Tu vois, Google avait bien préparé le terrain, a acheté sa sympathie et puis c’est très dur, derrière, d’ouvrir ta gueule, il faut dire ce qui est, ou de râler, ou de prouver qu’il a des choses dangereuses voire dégueulasses qui se font sur ce que tu aimes bien, la ville où tu aimes bien vivre, les gens avec tu aimes bien vivre ; c’est compliqué quand tu as touché un gros chèque, quand tu es une association, une Scop ou un entrepreneur qui a sa visibilité qui en dépend. Mais il y a tous types de structures.
 
 
 
Le tableau des partenaires à l’entrée chez Google, d’ailleurs je pense qu’ils font un peu de forcing à Rennes. On s’est rendu compte au départ, enfin on a continué à faire toute la liste, mais des organisations n’avaient pas signé réellement de partenariat. C’est juste qu’une fois, quelqu’un de l’organisation était venu participer à l’un des ateliers de Google. C’est le cas des universités par exemple. Il y en d’autres c’est contractualisé, effectivement ses partenaires ça c’est contractualisé : tu retrouves Pôle emploi, tu retrouves deux ou trois grandes banques française mais c’est l’échelle régionale qui a signé, tu retrouves la CCI, la Chambre des métiers, l’Artisanat et les métiers, mais c’est assez hallucinant leurs partenariats. Donc il y a ça.
 
 
 
Quand on avait un peu espionné dedans, le jour de l’inauguration par exemple, on avait topé des conversations et on avait compris aussi en avant, parce qu’on a essayé de rencontrer des personnes, pour Google, en fait, Rennes était un symbole fort. On sait très bien que Rennes c’est une ville militante et notamment le campus Rennes 2, mais les lycéens aussi, Rennes 1 aussi, Rennes peut très vite entre guillemets « mettre des bâtons dans des roues ». Et Google avait et a toujours l’expérience de ça du quartier Kreuzberg à Berlin, sauf que c’était un campus qu’il voulait ouvrir, c’était plus gros, donc il se méfiait un peu.<br/>
 
Ils savaient très bien et ils ont dit, des mots de l’ancien du Carrefour numérique qui aujourd’hui a un rôle soi-disant éthique à Google et du président de Google France, que c’était un gros test de passer à Rennes et qu’en gros si ça passait à Rennes, s’il n’y avait pas de gros de rébellion, de grèves, de manifs, pas de vitrines cassées, c’était open bar après en France. Et Rennes est principalement une ville de gauche. En tout cas la mairie et la métropole sont à gauche. Le département qui a son siège à Rennes, même s’il est plus grand, plutôt gauche aussi, même si ça peut se discuter sur la répartition. Donc attention avant de dire République en marche.<br/>
 
Par contre la réalité qu’on a observée ça va faire sept mois maintenant c’est que, effectivement, il y a beaucoup de députés qui viennent ici, ce n’est même pas forcément de la circonscription, il y en a qui viennent de loin, de Nice et tout, il y en a qui viennent plusieurs fois par mois, ??? qui font de la pub réellement sur les réseaux sociaux pour Google ; ce sont des minis reportages qu’ils font. On dirait des blogueurs YouTube ou des personnes sur Instagram. Et puis ils invitent d’autres députés d’autres circonscriptions et là, c’est plutôt la République en marche à Rennes.<br/>
 
Effectivement, on savait que Google allait dans d’autres villes, on a commencé à regarder quelles étaient les villes potentielles. On n’était pas dans la confidence, mais on se doutait un peu. Et puis ils ont annoncé au mois de décembre, au début de l’hiver, de nouvelles villes, donc Nancy, Montpellier et Saint-Étienne. Donc on a regardé quel était le profil des élus en mairie, en métropole, dans les conseils généraux ; quels étaient les premiers à déclarer « on est trop contents que Google arrive ». Les éléments de langage étaient les mêmes qu’il y a un an à Rennes, quasiment mot pour mot : 100 000, digital, marketing, atelier. Et oui, on est principalement sur des élus de droite, alors la République en marche c’est toujours difficile à classer, mais en général, avant d’adhérer à la République en marche ils étaient plutôt de droite, sinon ce sont des Républicains.
 
 
 
==24’ 55==
 
 
 
<b>Antoine Gouritin : </b>Tu parles d’éléments
 

Dernière version du 11 mars 2019 à 16:29


Publié ici - Mars 2019