Différences entre les versions de « Geek et digital addict : votre attention s’il vous plaît - Maif Social Club »

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'''Titre :''' Geek et digital addict : votre attention s’il vous plaît
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Publié [https://www.april.org/geek-et-digital-addict-votre-attention-s-il-vous-plait-maif-social-club ici] - Août 2018
 
 
'''Intervenant :''' Karl Pineau - Tristan Nitot - Yves Citton - Camille Diao . Chloé Tournier
 
 
 
'''Lieu :''' Maif Social Club -  Soirée 3x1 - Paris
 
 
 
'''Date :''' juin 2018
 
 
 
'''Durée :''' 56 min
 
 
 
'''[https://www.youtube.com/watch?v=And8LupKGbo&feature=youtu.be Visionner la vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Description==
 
 
 
Comment rester concentrés et attentifs dans un monde où nous sommes sans cesse sollicités ?
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Chloé Tournier : </b>Bonsoir. Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue au Maif Social Club ce soir. Pour cette soirée 3 × 1 un autour du thème « Geek Digital Addict, votre attention s’il vous plaît ». Je suis Chloé, je m’occupe de la programmation du Maif Social Club ; je serai là ainsi que toute l’équipe du Maif Social Club pour vous parler du lieu tout au long de la soirée si vous le souhaitez, pour vous accompagner dans l’exposition si vous le souhaitez ; l’équipe qui a porté aussi le commissariat de cette exposition qui est l’équipe de l’Atelier Art et Sciences est à ma gauche, ils se signalent. Donc si vous avez besoin aussi d’être accompagné, si vous avez des questions à poser sur la partie qui est derrière vous donc l’exposition, n’hésitez pas.
 
 
 
Juste sur cette soirée. Vous expliquer un tout petit peu comment elle va se passer. Comme toutes les soirées 3 × 1 elle va débuter par un temps de débat d’idées, puis on va prendre un petit temps pour boire ensemble et manger quelques petites choses et ensuite on va monter à l’étage pour le spectacle <em>Je clique donc je suis</em> de Thierry Collet ; c’est un spectacle interactif ; c’est un spectacle auquel on ne peut participer qu’après avoir envoyé un texto aux numéros qui sont affichées là-bas. Donc n’hésitez pas, s’il vous plaît, dès maintenant à envoyer des textos ou en tout cas à penser vraiment à le faire à la fin de la conférence. Voilà. Je laisse Camille Diao vous présenter à la fois les intervenants et puis le cadre de ce débat d’idées qu’on va lancer et je souhaite à tous et à toutes une bonne soirée.
 
 
 
<b>Camille Diao : </b>Merci Chloé. Bonjour. Bonjour tout le monde. Merci d’être venus ce soir pour ceux qui sont là IRL [<em>In Real Life</em>] dans la salle et bonjour à ceux qui nous suivent virtuellement en Facebook live, puisque la soirée est retransmise en Facebook live.
 
 
 
Donc « Geek digital addict, votre attention s’il vous plaît » ce sera le thème de la discussion qui va suivre. C’est assez marrant parce que pendant que Chloé était en train de vous présenter le Maif Social Club, j’avoue, je me suis laissée déconcentrer, j’ai regardé mon téléphone et là j’avais deux SMS, trois mails et une notification Instagram. Je ne sais pas si c’est votre cas aussi, mais je ne supporte pas de les laisser non lus, ces petites pastilles rouges là qui me disent que j’ai un message non lu ça m’énerve, donc j’ai dû l’ouvrir, je me suis laissée déconcentrer. Et donc on était déjà là en pleine guerre de l’attention, en fait. Chloé Tournier ou mes mails, mes mails ou Chloé Tournier, j’ai fini par trancher et par écouter Chloé, mais en tout cas on a tous connu ce genre de situation.
 
 
 
L’attention c’est une denrée rare, précieuse, parce que sans attention pas de consommation, donc pas de production de valeur. Du coup aujourd’hui, à l’ère du numérique, les entreprises se livrent une véritable guerre pour capter et pour retenir notre attention. De quelle façon ? À quel prix ? Est-ce que les nouvelles technologies « piratent notre cerveau, l’esprit des gens », pour paraphraser Tristan Harris, un ingénieur, enfin un ancien employé de Google qui a démissionné pour protester contre ces pratiques ? Est-ce qu’on est condamné à ne plus jamais savoir nous concentrer ? Comment faire pour se réapproprier notre capacité d’attention ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles on va tenter de répondre ce soir avec nos trois intervenants.
 
 
 
Pour commencer Karl Pineau, tout au fond à droite, enfin à gauche pour vous. Vous êtes le cofondateur de l’association Designers Éthiques ; cette asso c’est l’histoire de trois étudiants à l’ENS Lyon qui commencent à s’interroger sur la manière dont le design influe sur le consommateur et vous avez décidé de porter haut ce débat en organisant des conférences qui s’appellent Ethics By Design. La première a eu lieu à Lyon en 2017 ; la prochaine ce sera à Paris en octobre, si je ne me trompe pas.
 
 
 
Juste ici à ma droite Tristan Nitot, un autre militant pour des services numériques responsables et respectueux des utilisateurs, on va dire. Vous vous définissez comme un vieux natif du numérique sur votre blog.
 
 
 
<b>Tristan Nitot : </b>Oui, parce qu’avec les cheveux blancs je ne peux pas camoufler. C’est vrai que je suis natif du numérique, je suis tombé dans l’informatique à 14 ans, en 1980.
 
 
 
<b>Camille Diao : </b>Donc très précoce. Vous avez dirigé la Fondation Mozilla Europe, vous avez fait partie du Conseil national du numérique entre 2013 et 2016 et là vous venez tout juste, il y a quelques jours, de quitter une start-up qui s’appelle Cozy Cloud et qui propose aux utilisateurs de contrôler leurs données sur une seule et même plateforme et vous avez rejoint Qwant un moteur de recherche européen qui se veut respectueux de la vie privée, donc un peu le même genre de démarche.
 
 
 
<b>Tristan Nitot : </b>C’est dans la droite ligne. Oui, tout à fait.
 
 
 
<b>Camille Diao : </b>Voilà. Ce changement de poste, je vous le faisais remarquer tout à l’heure, est déjà signalé sur Wikipédia, deux jours plus tard. Et puis pour finir, au milieu Yves Citton. Bonjour.
 
 
 
<b>Yves Citton : </b>Bonjour.
 
 
 
<b>Camille Diao : </b>Vous êtes l’homme dont les travaux ont inspiré l’exposition qui est derrière vous <em>Attention intelligence</em>. Vous êtes professeur de littérature et de médias à l’université Paris 8. Vous codirigez une revue qui s’appelle <em>Multitudes</em> qui est une revue politique, artistique et philosophique et, en 2014, vous avez publié un essai qui nous intéresse beaucoup puisqu’il s’appelle <em>Pour une écologie de l’attention</em> dans lequel vous prônez le passage d’une économie à une écologie de l’attention ; on aura l’occasion d’en reparler un petit peu plus en détail, mais juste un mot pour dire que vous êtes quelque part plutôt optimiste sur cette crise de l’attention ou en tout cas vous imaginez des solutions et des manières de la gérer.
 
 
 
Avant ça, avant de commencer à parler de tout ça, on va commencer peut-être commencer par des définitions ; ça fait dix fois que je répète « attention » dans cette intro. Yves Citton peut-être, qu’est-ce que ça veut dire l’attention ? Comment est-ce que vous définiriez cette notion ?
 
 
 
<b>Yves Citton : </b>D’abord merci beaucoup pour l’invitation. Merci à vous tous et toutes d’être venus. Je commencerais par résister à la tentation de définir l’attention, en particulier l’attention au singulier. Moi j’ai fait un petit peu mon fonds de commerce de ces histoires d’attention, je fais des livres, je fais des conférences et plus ça va plus je me dis que c’est une imposture. Quand quelqu’un vient vous parler de l’attention, méfiez-vous. À mon avis il y une personne ou il y a un groupe de personnes qui peuvent parler de l’attention au singulier, ce n’est pas mon voisin, mais c’est le chef de Google, non pas de Qwant, mais de Google. Pourquoi ? Parce que du point de vue de Google ou de Facebook il y a quelque chose qui est de la masse d’attentions qu’on peut moissonner de chacun de nous et qui peut se vendre. Et c’est de l’attention, comme de l’eau. On boit de l’eau, on respire de l’air et là on peut le mettre au singulier, au partitif, il y a de l’attention qui s’achète et qui se vend. Dans nos vies à nous, je suis attentif à ma compagne, je suis attentif à ma route, je suis attentif au film, nous sommes attentifs à l’environnement. C’est chaque fois des genres, des modes, des types, des implications d’attentions qui sont qualitativement très différentes. Et donc peut-être que la première chose qu’on pourrait se dire, c’est si on parle de l’attention au singulier, on fait comme si c’était quelque chose d’homogénéisable, de l’attention qu’on achète et qu’on vend et il faut toujours se rappeler qu’il y a des types d’attentions très différents, ne serait-ce qu’en français vous savez qu’on a là deux adjectifs qui sont très proches et à la fois distincts : on est attentif ou on est attentionné. Le chasseur est attentif à la proie et il va la dézinguer ; l’infirmier est attentionné, si tout se passe bien, pour son patient ; il est attentif pour ne pas qu’il tombe malade, mais il est attentionné en lui faisant un petit sourire, en le touchant de façon un petit peu pas trop violente ou brutale.
 
 
 
Donc commençons peut-être par nous demander, l’attention comme telle ça n’existe pas, il y a des modalités d’attention et après si on veut généraliser un petit peu – et après je me tais parce que j’ai tendance à parler beaucoup donc il faut m’interrompre – peut-être qu’on peut dire que l’attention c’est ce qui construit notre monde à l’intérieur de nos environnements. À savoir que nos environnements sont toujours pleins de choses qui potentiellement pourraient être très intéressantes. Je ne sais pas, on peut juste regarder ceci ; vous cadrez ceci et les plis de la chemise de mon voisin [manches retournées de Tristan Nitot, NdT].
 
 
 
<b>Tristan Nitot : </b>C’est beaucoup de travail, j’y passe des heures.
 
 
 
<b>Yves Citton : </b>On voit ! Mais en plus c’est de l’incontrôlé, on sent qu’il s’est passé quelque chose ; il y a toute une histoire là-dedans. Je pense que vous n’avez pas été très attentif à ça et pourtant on pourrait. Moi je suis prof de littérature et je peux passer des heures à expliquer n’importe quoi, et donc là je pourrais très bien faire un commentaire très poussé de ceci et ça deviendrait intéressant. C’était un autre type de littérature de quelqu’un qui s’appelle Flaubert qui dit : « Il suffit de regarder quelque chose assez longtemps pour que ça devienne intéressant. » Ça veut dire quoi ? Ça veut dire, et je finis là-dessus, ça renverse un petit peu ce qu’on pense habituellement des rapports entre économie et attention. D’habitude on se dit « tiens, c’est parce que je donne de la valeur à quelque chose que j’y suis attentif. » Par exemple vous aimez l’opéra – moi je n’aime pas l’opéra – mais si vous aimez l’opéra vous voyez le nom d’une cantatrice très célèbre, c’est parce que vous aimez l’opéra que vous voyez le nom sur l’affiche ; moi je vais passer à côté et je ne vais pas reconnaître ce nom. Donc c’est parce que vous aimez l’opéra, parce que vous valorisez l’opéra, que vous êtes attentif au nom de la chanteuse, de la cantatrice. Mais Flaubert nous dit le contraire : c’est parce qu’on regarde quelque chose, parce qu’on donne de l’attention, qu’on lui donne de la valeur. C’est parce qu’on regarde ça un peu en détail [manches retournées de Tristan Nitot, NdT] qu’on va s’apercevoir que c’est intéressant de regarder ça, qu’il y a toute une histoire là, par exemple. Et donc les rapports entre valeur et attention ils se mordent la queue en quelque sorte et là ça fait un problème économique très compliqué.
 
 
 
<b>Camille Diao : </b>Justement, l’attention comme ressource économique, comme ressource limitée ; c’est la ressource que les nouvelles entreprises technologiques essayent de capter. Comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Comment est-ce qu’on est entré dans ce qu’on appelle l’économie de l’attention ? Peut-être Tristan Nitot.
 
 
 
<b>Tristan Nitot : </b>En fait ça existe depuis super longtemps. Il y a une quinzaine d’années un certain monsieur Le Lay, à l’époque patron de TF1, disait : « Le vrai métier de TF1 c’est de vendre du temps de cerveau humain disponible à Coca-Cola ». Donc vous voyez ! Pourtant lui il est plutôt <em>old school</em>, il regarde même dirais-je, d’ailleurs il est retiré du business, mais déjà c’était une certaine façon de monétiser, de commercialiser de l’attention, puisqu’il disait : « Moi j’ai besoin de cerveaux bien ramollis par la télévision », non, non, mais il faut relire l’interview et il dit des choses, pas ramollis, mais assouplis, enfin prédisposés à capter la publicité. J’ai retranscrit son interview, donc je peux vous le dire, elle est sur mon blog, standblog.org. Paf ! J’ai chopé votre attention ! Et donc vous allez chercher Le Lay sur standblog.org avec Qwant et vous allez trouver l’interview. Et effectivement il dit « Il faut proposer du truc pas très <em>challengeant</em> pour le cerveau humain et ensuite bim ! on met du Coca-Cola et c’est ça qu’on vend à Coca-Cola. » Et ça, ça existait déjà depuis longtemps. [Retentit une sonnerie de téléphone, NdT]. Là quelqu’un qui essaye d’atteindre notre attention avec une sonnerie téléphonique.
 
 
 
Ensuite, eh bien on a complètement changé les choses avec de la publicité ciblée et donc c’est essayer de trouver ce à quoi on s’intéresse pour fournir quelque chose qui retienne notre attention et qu’on mémorise ; donc il y a des tas de méthodes comme ça. Un des champions français de cette chose-là, qui s’appelle par exemple <em>retargeting</em>, c’est la société Criteo qui est française et Criteo vous piste un peu partout sur Internet, voit que vous avez regardé un fer à repasser sur le site de la Fnac et après vous allez lire <em>Le Figaro</em>, <em>Le Point</em>, <em>Libération</em> ou <em>Le Monde</em> et vous avez un fer à repasser qui vous suit à la trace dans toutes les pages. Voilà, c’est ça ! C’est parce que vous lui avez montré que vous y étiez intéressé, de l’intérêt, et donc on essaye de recapturer, de <em>retargeter</em>, recycler et vous transformez ça en acte d’achat ; évidemment, ça vaut de l’argent pour les publicitaires.
 
 
 
===11’ 52==
 
 
 
<b>Camille Diao : </b>On reviendra un petit peu plus tard,
 

Dernière version du 12 août 2018 à 13:33


Publié ici - Août 2018