Freezone - Émission du 22-10-16

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Titre : Épisode 17 de Freezone - La CJUE sonne toujours deux fois.

Intervenant : Lionel Maurel - OliCat

Lieu : Studio - Asso Libre à Toi

Date : Octobre 2016

Durée : 33 min 04

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Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Description

Polémique : La chaîne Arte a déclenché une polémique en proposant aux internautes d’aider à traduire certains de ces programmes, en s’inspirant de la pratique des communautés du fansubbing. Les conditions contractuelles ont été dénoncées, notamment parce qu’elles organisent un transfert des droits au bénéfice de la chaîne. Les traducteurs professionnels l’accusent aussi de remettre en cause leur profession et d’attenter au droit d’auteur. Des débats qui montrent la difficulté à faire appel à l’intelligence collective.

Jurisprudence : La Cour de Justice de l’Union européenne a rendu la semaine dernière une décision importante en matière de droit des logiciels. Elle a en effet estimé que la revente d’occasion d’un logiciel était possible à condition que cela concerne le support d’origine et non les copies de sauvegarde qui pourraient avoir été effectuées. L’arrêt limite la portée du principe « d’épuisement du droit d’auteur » et l’attache aux supports physiques, alors qu’il pourrait jouer un tout autre rôle dans l’environnement numérique.

Pépite Libre #1 : Google a publié une police d’écriture, baptisée « Noto », capable de couvrir 800 langues anciennes et modernes. Le tout a été publié sous licence libre, au terme d’un long travail de recherche et de développement. La licence utilisée est l’Open Font Licence (OFL), qui présente d’intéressantes particularités par rapport à des licences plus classiques, comme la GNU-GPL.

Pépite Libre #2 : Le Musée nationale de Suède a versé 3000 œuvres numérisées en haute définition sur Wikimedia Commons. Ce sont des trésors du domaine public qui deviennent ainsi librement réutilisables. Un responsable du Musée déclare : « Nous voulions faire en sorte que ces œuvres appartiennent à tous et soient rendues disponibles, quelle que soit l’utilisation des images. Nous espérons que l’ouverture de cette collection inspirera de nouveaux usages et de nouvelles interprétations de ces œuvres ». On attend toujours désespérément qu’un grand musée national français fasse de même…


Transcription

00’

Musique

Olicat : Bonjour et bienvenue à tous et à toutes. Calimaq, bienvenue à toi.

Lionel : Bonjour !

Olicat : Freezone, épisode 17, avec au menu cette semaine une polémique, une actu juridique et deux pépites libres. On va commencer tout de suite avec la polémique qui concerne la chaîne Arte qui a proposé aux internautes d’aider à traduire certains de ses programmes, en s’inspirant de la pratique des communautés du fansubbing, dont on a déjà eu l’occasion de parler brièvement sur cette antenne. Les conditions contractuelles ont été dénoncées, notamment parce qu’elles organisent un transfert des droits au bénéfice de la chaîne. Et du côté des traducteurs professionnels, la chaîne est accusée de remettre en cause leur profession et d’attenter au droit d’auteur. Des débats, nous dis-tu Calimaq, qui montrent la difficulté à faire appel à l’intelligence collective ou, peut-être aussi, aux manières de s’y prendre pour le faire.

Lionel : Oui. Là, sur le coup, accordons le bénéfice du doute à Arte en disant que finalement ce n’était pas une mauvaise idée, tu vois !

Olicat : Non, absolument pas !

Lionel : On a Arte qui a des contenus, quand même, qui méritent souvent d’être traduits, qui a une vocation internationale et tout, et qui se dit « pourquoi ne pas faire appel aux communautés en ligne qui savent le faire. Il y a un savoir faire quand même chez les internautes pour traduire et faisons ça en mode collaboratif ». On surfe un peu sur la vague. Sauf que, juridiquement quand même, il y a des conditions sur le caractère équitable de la chose. Et là, ils se trouvent pris entre deux feux, entre les amateurs, en fait, et les professionnels.

Du côté des amateurs, on peut les comprendre, parce qu’il y a un problème en amont sur la traduction, c’est que traduire un texte ou des paroles d’un reportage, d’un documentaire, c’est soumis au droit d’auteur. Donc tu ne peux pas traduire quelque chose qui est protégé par le droit d’auteur sans avoir une autorisation, etc.

Olicat : Absolument.

Lionel : Ça, c’est couvert pas le droit d’auteur. Donc, eux déjà, Arte, ils ont un petit problème parce que Arte n’est pas détenteur de tous les droits sur les programmes qu’elle diffuse.

Olicat : Et a fortiori des programmes pour lesquels elle souhaiterait proposer une traduction.

Lionel : Déjà eux, c’est compliqué. Ils sont obligés, il n’y a qu’une petite portion des programmes qu’ils ouvrent dans ce partenariat-là, c’est celle sur lesquels ils sont vraiment producteurs.

Olicat : D’accord !

Lionel : Donc, par exemple, toutes les fictions ou des reportages qui seraient faits par d’autres producteurs, pour lesquels ils auraient acquis des droits et tout ça.

Olicat : OK.

Lionel : Déjà c’est compliqué de trouver des contenus.

Olicat : Oui, des contenus qui rentreraient dans le cadre de cette proposition.

Lionel : Après, ils font appel aux amateurs et ils leur disent : « Vous allez traduire pour nous, mais vous allez aussi nous céder tous les droits, comme ça nous, on va devenir détenteurs de ces droits-là et, en plus, vous allez nous garantir que s’il y a un souci juridique et que vous traduisez quelque chose qui poserait problème, la responsabilité c’est vous qui l’endossez. » Évidemment, les gens…

Olicat : On voit le problème d’équité.

Lionel : En ces temps où on parle beaucoup de digital labor, de récupération du collaboratif, Arte tombe en plein dedans. Bon ! Déjà avec les amateurs ça va être compliqué. Et puis de l’autre côté, alors ça c’est assez significatif.

Olicat : Du coup est-ce que ça été, après on va passer sur la partie des traducteurs professionnels, est-ce qu’ils l’ont éprouvé déjà sur un certain nombre de programmes ? Ou c’est juste, pour l’instant, une bouteille à la mer que Arte a jetée à l’attention des « fansubbers » ? Ou certains programmes ont fait l’objet d’une traduction ?

Lionel : Non, non, c’est déjà ouvert. Je ne sais pas s’il y a des programmes qui ont été entièrement traduits mais en tout cas, ils ont sélectionné un certain nombre d’émissions qu’on peut aller traduire.

Olicat : D’accord. OK !

Lionel : Donc du côté des amateurs c’est compliqué. Là on a aussi la réaction des professionnels. Ça je trouve que c’est plus inquiétant, parce que ça traduit, quand même, une grosse tension qui est de plus en plus forte entre les auteurs professionnels et la culture libre. C’est-à-dire que de plus en plus on a des catégories d’auteurs qui se sentent menacés dès que des licences libres arrivent quelque part. Jusqu’à présent c’était surtout les photographes qui étaient comme ça où, le fait qu’il y ait des gens qui utilisent des photos, qui mettent des photos sous licence libre, ils le voyaient comme une concurrence. Les photographes professionnels se sont souvent prononcés contre les usages des licences libres. Et là, on a des traducteurs — c’est aussi un corps professionnel qui est souvent dans la précarité — et qui là dénonce Arte en disant : « Vous faites sous-traiter le travail au public et ça va nous enlever notre travail et donc du coup, vous bradez ces contenus et vous portez atteinte. » Du coup c’est bizarre parce que là ils disent « porter atteinte au droit d’auteur », ce qui n’a, en fait, rien à voir, ce n’est pas du tout une forme d’atteinte au droit d’auteur, mais ils le voient comme une atteinte à leur métier.

Olicat : Justement ces contenus qu’Arte aurait obtenus de la communauté des traducteurs en ligne, etc., elle allait leur appliquer quel type de licence ? Ça a été prévu ou pas ?

Lionel : Oui, elle allait les remettre sous copyright.

Olicat : D’accord. OK. Quand on parle de cession des droits d’auteur.

Lionel : Tout à fait. Elle allait se faire transférer le droit d’auteur, automatiquement, et elle allait tout remettre sous copyright.

Olicat : La polémique qui vient des traducteurs et dont tu as plutôt bien résumé le contexte avec, plus globalement, une précarité de la condition des auteurs, des photographes, en tout cas de certaines catégories, elle rappelle un petit peu aussi le mouvement Auteurs debout.

Lionel : Tout à fait.

Olicat : Qui avait un peu émergé de Nuit debout, au début de la splendeur du mouvement, et dont les revendications étaient, finalement, complètement décalées aux problématiques globales autour de Nuit debout, des problématiques de licences libres, etc., et des nouvelles façons de créer et de concevoir qui doivent naître demain.

Lionel : Ça nous avait montré les limites de la convergence des luttes.

Olicat : C’est ça !

Lionel : C’est-à-dire que d’un côté ils étaient complètement légitimes à être là, parce que c’est vrai que la profession d’auteur, de vouloir faire métier d’une carrière d’auteur aujourd’hui c’est de plus en plus difficile, ce sont des conditions extrêmement précaires. Donc voilà, tout le mouvement de protestation, la loi travail, ils étaient complètement légitimes d’être là.

Olicat : Oui. Absolument !

Lionel : D’un autre côté, dès qu’il a fallu mettre les sites de Nuit debout sous licence libre, on a eu une opposition d’Auteurs debout qui considéraient que c’était…

Olicat : Contrevenir à leur propriété intellectuelle, on l’a dit.

Lionel : Moi je me dis, en fait, il y a une façon simple de résoudre ce genre de raisonnement-là.

Olicat : Ouais, comment faire ?

Lionel : J’ai envie de dire « collaboration sans licence libre, c’est ruine de l’âme ». C’est-à-dire que si tu lances du collaboratif sans mettre, à un moment donné, une forme de réciprocité au niveau des droits, eh bien tu vas conduire à une situation qui n’est pas équitable. Une manière, un peu, de résoudre ce conflit pour Arte, ça aurait été de dire « on va ouvrir certains de nos contenus ». Ils sont producteurs, donc ils ont la maîtrise des droits. Ils auraient ouvert certains de leurs programmes, mais même ne serait-ce qu’une émission, ils auraient dit : « on va faire un test », une émission, ils l’auraient même mise en NC, pour ne pas aller jusqu’au bout, alors ils auraient dit aux internautes : « Venez traduire, mais ce que vous allez nous fournir sera sous licence libre, sera utilisable, vous pourrez, vous, le réutiliser, d’autres pourront le réutiliser », et là on construit des conditions équitables. Et des communautés de traduction dans le libre, ce n’est pas ce qui manque. Il y a framalang qui fait des traductions.

Olicat : Absolument !

Lionel : On a FLOSS Manuals qui fait de la traduction très fortement. Il y aurait eu, sûrement, des communautés plus faciles à aller chercher. Il y a Wikipédia aussi, il y a énormément de traducteurs dans Wikipédia.

Olicat : Et du coup ça aurait empêché la polémique du côté des traducteurs professionnels de naître ? Ou pas ?

Lionel : Là, non certainement pas, peut-être même encore pire en fait. Parce que du coup les contenus auraient été réutilisables et si la licence est vraiment libre, en plus dans un cadre commercial ! Ce qui est un peu triste, c’est que Arte c’est un acteur qui aurait été bien placé pour faire ça, quand même. Parce qu’il faut savoir que, par exemple, les contenus d’Arte radio sont sous Créative Commons, depuis très longtemps d’ailleurs.

Olicat : Absolument oui.

Lionel : Et j’ai revérifié pour savoir s’ils avaient changé ça. Non, ils sont sous licence Creative Commons. Et Arte a déjà fait des choses assez élégantes. Par exemple, je me rappelle, il y avait eu le webdoc Une autre histoire de l’Internet [Ndt, Une contre-histoire de l’Internet].

Olicat : Oui. Absolument de Manach et Goetz.

Lionel : Voilà, tout à fait, qui était, qui a été sous licence libre et qui s’était basé aussi beaucoup sur des apports, des contributions des internautes. Il y avait une plateforme pour enregistrer des témoignages et tous les contenus étaient sous CC BY SA.

Olicat : Alors c’est quoi là ? C’est une maladresse de la part d’Arte ? On a du mal à le croire, du coup, puisque, manifestement, ils sont un peu au fait de ces questions.

Lionel : visiblement, ce qui a peut-être joué, c’est que tout ça s’inscrit dans un programme de la Commission européenne et ils ont touché un million d’euros pour organiser toute l’initiative. J’aimerais bien savoir, quand même, en quoi ça peut coûter un million d’euros de faire ça, déjà. OK. Du coup, c’est aussi ce qui a attiré les auteurs professionnels, qui disent : « C’est l’Europe qui veut remettre en cause le droit d’auteur français. Et avec un million d’euros, vous auriez pu en payer plein des traducteurs. » Peut-être que ce contexte européen ! Alors après c’est vrai que si la Commission poussait les chaînes de télé à favoriser des traductions sous licence libre de programmes qu’on a, publics, ça aurait tout son sens dans le cadre de l’Union européenne. Donc voilà ! Et je trouve que c’est un très bel exemple de toutes les contradictions, tensions et quelque part, polémiques vaines qui parfois opposent la culture libre aux auteurs professionnels. Je trouve que c’est vraiment très dommage d’avoir cette opposition-là.

Olicat : Oui, mais comme tu le disais, si effectivement Arte avait fait en sorte que, du coup, cette incohérence n’existe pas et que les productions soient sous licence libre, etc., la polémique avec les traducteurs aurait eu lieu, mais peut-être qu’on aurait un peu plus focalisé sur la condition réelle de ces traducteurs.

Lionel : Oui, c’est certainement vrai. Bien sûr. Et la condition réelle de ces traducteurs, ce ne sont pas les licences libres la première cause de la précarité. Ce sont les conditions de travail et les contrats qu’on propose aux traducteurs en général qui ne sont plus au niveau de leur permettre de vivre.

Olicat : Donc ce n’est pas seulement une polémique, c’est aussi à suivre.

Lionel : Ouais, tout à fait. On va voir s’il y a moyen de démêler un truc pareil. Ça a l’air mal engagé, quand même.

Olicat : Du coup c’est quoi les suites. J’avais lu l’article de Télérama auquel tu te réfères. Du coup ça va donner quoi ?

Lionel : Moi je pense que les suites probables c’est que les communautés ne vont pas réagir. Voilà ! Parce que quand on veut bénéficier du travail bénévole, comme ça, des communautés en ligne, il faut le faire dans les formes. Elles ne vont pas réagir et du coup ces programmes ne seront pas traduits et ça fait un million d’euros qui va partir en fumée. Ou alors ils vont peut-être avoir un sursaut.

Olicat : Et revoir le modèle.

Lionel : S’ils écoutent Freezone, ils vont se dire...

Olicat : Va savoir !

Lionel : Voilà. Bien sûr. Mettons tout sous licence libre.

Olicat : Je peux t’affirmer que des visiteurs de la Commission européenne vienne écouter Freezone. Ça c’est une certitude.

Lionel : Bon ! Formidable !

11’ 16

Olicat : On passe un petit peu à un autre sujet, avec une actu juridique, qui concerne la Cour de justice de l’Union européenne. On l’aime beaucoup.

Lionel : Oui, j’ai senti que tu l’aimais beaucoup !

Olicat : Oui, j’adore. J’aime beaucoup. Qui a rendu la semaine dernière une décision importante, nous dis-tu Calimaq, en matière de droit des logiciels. Elle a en effet estimé, cette Cour de justice de l’Union européenne, que la revente d’occasion d’un logiciel était possible, à condition que cela concerne le support d’origine et non les copies de sauvegarde qui pourraient avoir été effectuées. L’arrêt limite la portée du principe d’épuisement du droit d’auteur et l’attache au support physique alors, nous dis-tu, qu’il pourrait jouer un tout autre rôle dans l’environnement numérique. Elle est étonnante cette décision.

Lionel : Elle est même assez absurde !

Olicat : Elle est perverse. C’est pervers !

Lionel : C’est très bizarre mais, en fait, ça tient à une sorte de patate chaude que la Cour de justice de l’Union européenne est obligée de gérer depuis plusieurs années, qui concerne le principe d’épuisement du droit d’auteur. Pour le faire comprendre simplement, quand vous achetez un livre papier vous l’achetez, donc vous entrez en possession du support. Dessus il y a une autre œuvre qui est protégée par le droit d’auteur, mais vous, vous êtes propriétaire du support. Du fait du principe d’épuisement du droit d’auteur, qui s’épuise après la première vente, première mise en marché, ça nous donne des tas de libertés, notamment la liberté de donner le livre. Je peux te le prêter.

Olicat : Le donner à la bibliothèque debout.

Lionel : Je peux le donner à la bibliothèque debout. Je peux le donner à une bibliothèque publique et je peux le revendre d’occasion, ce qui n’est pas même pas rien. Parce que tu revends le livre d’occasion avec l’œuvre qui est dessus et il n’y a rien, en fait, qui repart ni à l’éditeur, ni à… On dit que le droit d’auteur est épuisé par la première vente et la grande question c’était de savoir « est-ce que ce principe se transmet dans le numérique ? » C’est-à-dire que si j’achète un e-book, par exemple, est-ce que ce principe d’épuisement du droit d’auteur va valoir et pour quel type d’acte ? Normalement ça ne vaut pas, en fait. Ça ne vaut pas parce qu’il y a quelque chose qui dit explicitement dans la directive du droit d’auteur de l’Union européenne, qu’il n’y a pas de principe d’épuisement du droit d’auteur pour les œuvres en général. Sauf que dans la directive sur le logiciel, là il est spécifié que ça s’applique. Donc pour les logiciels, la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà été amenée à dire que « oui, effectivement, il y a un principe d’épuisement du droit d’auteur ». Et notamment, quand tu as un logiciel que tu as uniquement sous forme dématérialisée et pour lequel tu achètes une licence.

Olicat : Et c’est de plus en plus le cas, d’ailleurs.

Lionel : Bien sûr. Il y a de moins en moins de…

Olicat : Absolument, de supports physiques.

Lionel : C’est une stratégie d’ailleurs commerciale : vous n’achetez que des accès en ligne et des licences.

Olicat : Absolument.

Lionel : Du coup ça, la Cour a déjà dit qu’on pouvait revendre la licence. Donc il y a tout un marché secondaire du logiciel qui peut s’ouvrir. Ce qui n’est pas rien, quand même !

Olicat : Oui, c’est plutôt une bonne chose.

Lionel : Oui, alors on pourra en reparler parce que moi, en fait, sur le fond je ne suis pas du tout fan de ce concept d’occasions numériques. On en reparlera.

Olicat : D’accord. Oui, absolument, ça m’intéresse.

Lionel : Sur le fond, là, bon, pour le coup ça s’applique. Mais là, ce était est en cause, c’étaient des gens qui étaient en Lettonie et qui rachetaient des vieux PC, ou qui choppaient des CD endommagés, et qui faisaient des copies de sauvegardes, qui extrayaient les logiciels et qui les revendaient sur les marchés. À un moment donné Microsoft a vu ça et les a poursuivis en justice. Ils risquent 300 000 euros de dommages et intérêts.

Olicat : Oui, quand même. Du coup, avec cette décision, ils vont les devoir quoi !

Lionel : C’est ça, ça va être dur pour eux. Donc là, la Cour nous dit : « OK. Il y a un principe d’épuisement du droit d’auteur, mais là ce qu’on me demande c’est sur la copie physique. Je suis en possession d’une copie physique d’un logiciel sur un CD, sur un disque dur. Je fais une copie de sauvegarde, ça j’ai le droit, on a le droit de faire des copies de sauvegarde, encore.

Olicat : Quand même.

Lionel : Est-ce que j’ai le droit de revendre cette copie de sauvegarde ? La cour dit : « Non, vous n’avez pas le droit de revendre cette copie de sauvegarde parce que, en fait, la copie de sauvegarde doit être réservée à l’usage personnel et même si vous garantissez que l’original est détruit, ça reste une copie de sauvegarde qui n’est pas substituable à l’original et qui donc doit rester à votre usage personnel, et vous ne pouvez pas la revendre, donc l’épuisement du droit d’auteur ne s’applique qu’au support originel. » Donc autant dire que ça limite énormément la portée du truc.

Olicat : Mais carrément !

Lionel : ??? la durée d’un support et on sait ce que c’est que la durée de vie d’un support.

Olicat : Ouais, en gros un DVD, au bout de cinq ans, il est mort.

Lionel : C’est ça. Et donc, en fait, la Cour a fait ça parce qu’elle a énormément peur de toute brèche qui étendrait l’épuisement des droits aux copies. Parce que ça peut être une énorme faille dans le système, si tu veux.

Olicat : Ouais !

Lionel : Il y a déjà eu des tentatives aux États-Unis, un système qui s’appelait ???, qui permettait de revendre de la musique d’occasion. C’est remonté jusqu’à la Cour suprême aussi et la Cour suprême a dit non.

Olicat : Et là, pour le coup, on est en numérique ?

Lionel : En numérique.

Olicat : Ah oui. OK

Lionel : La Cour suprême a dit : « Non, il ne faut surtout pas ça ! » Il y a une affaire en cours aux Pays-Bas où les cours aux Pays-Bas considèrent que le livre numérique est plus un logiciel qu’autre chose et, du coup, ils admettent l’épuisement des droits et la revente de copies.

Olicat : OK. De la copie.

Lionel : Tout ça crée un contexte assez complexe et emmêlé. En fait, la peur c’est que le marché secondaire tue le marché principal et ils veulent au maximum l’extension du principe d’épuisement des droits.

Olicat : Ceci dit on voit bien, aussi, au niveau des logiciels qui sont de plus en plus dématérialisés, on en parlait à l’instant, une installation possible dans des environnements spécifiques où là, du coup, l’évolution des technos autour de la vente de logiciels va faire que ça va, de toutes façons, devenir impossible, ne serait-ce que d’installer ta propre copie, ta propre licence achetée, sur un autre PC. Ça rend le truc encore un peu lus compliqué. Mais du coup, cette décision vient combler un vide ? Ou elle vient confirmer une pratique ?

Lionel : Il y a eu un précédent arrêt qui s’appelait Usesoft qui avait confirmé que l’épuisement des droits s’appliquait bien aux logiciels sous forme dématérialisée.

Olicat : D’accord.

Lionel : Donc là, elle vient nous préciser que quand on a une copie physique, ce n’est que l’original,qui sera couvert par le principe d’épuisement des droits et pas les copies de sauvegarde. Donc ça vient préciser et limiter en fait la jurisprudence précédente.

Olicat : Et donc du coup, ce qui n’est pas le support original, c’est du piratage, dans le cadre d’une revente. ?

Lionel : Eh oui. Dès que tu en fais un usage qui n’est plus un usage personnel, ça devient de la violation de droit d’auteur, de la contrefaçon.

Olicat : Bon !

Lionel : Moi, au fond, je ne suis pas du tout fan de ces histoires de reventes d’occasions numériques. Pourquoi ? Parce que, déjà, c’est consubstantiellement lié aux DRM.

Olicat : En fait, c’était une question que je voulais te poser, le problème des livres que tu échanges et les DRM dedans ?

Lionel : Toi tu as une copie. Toi tu vas dire « moi je veux revendre ma copie, etc. », mais qui me garantit que je n’en garde pas une ? Si j’en garde une ! Voilà ! Donc du coup, le seul moyen de garantir que tu ne gardes pas une de tes copies sur ton ordinateur, c’est d’avoir un DRM qui, soi-disant, garantirait que tu as bien effacé toute copie du logiciel.

Olicat : Donc sous couvert d’une liberté acquise ce serait de nouvelles menottes qu’on serait obligés de porter.

Lionel : Tout à fait. Et tu as Apple et Amazon qui ont déjà déposé des brevets sur des systèmes qui garantiraient soi-disant la copie, l’occasion numérique sans conservation de copie. Ça, ça veut dire, en fait, qu’ils vont mettre un mouchard dans ton ordinateur.

Olicat : Qui va prouver que tu n’as pas conservé de copie.

Lionel : Moi déjà, rien que pour ça, je trouve que le concept est un peu moisi !

Olicat : C’est clair !

Lionel : Et en plus de ça, moi je dis ça n’a pas de sens, parce que si tu es en possession d’une copie, la solution c’est le partage.

Olicat : Absolument.

Lionel : Si je veux te filer ma copie, je devrais pouvoir le faire. Comme quand j’ai un livre, je peux te donner le livre et te le prêter, eh bien je devrais pouvoir partager ma copie. Après dans quelles conditions, est-ce qu’il faut une compensation ou quoi, etc. ? Moi, je trouve que la vraie solution dans l’environnement numérique, où on est dans un environnement non rival.

Olicat : C’est le partage.

Lionel : C’est le partage. Donc trouvons une solution de rémunération peut-être pour les créateurs, mais arrêtons d’essayer de faire en sorte que les fichiers se comportent comme des objets, quoi !

Olicat : C’est ça.

Lionel : ce ne sont pas des objets.

Olicat : Eh bien merci pour ce commentaire autour de cette décision de la Cour de justice de l’Union européenne. On attend la prochaine.

Lionel : Ça ne saurait tarder.

19’ 40

Olicat : Ils sont vraiment actifs depuis leur retour de vacances et on est ravis.