Freemium et Open Core, menace du Libre

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Titre : Freemium et Open Core menace du Libre ?

Intervenants : Laurent Seguin

Lieu : RMLL 2014 - Montpellier

Date : Juillet 2014

Durée : 55 min 10

Lien vers la vidéo : [1]


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Bonjour à toutes et à tous. Je m'appelle Laurent Seguin, je suis président de l'AFUL, ceux qui ne connaissant pas encore ce que ça veut dire AFUL, c'est Association Francophone des Utilisateurs de Logiciel Libre. Est-ce que quelqu’un dans la salle n'utilise pas de logiciel libre ? Levez la main. Personne. Donc vous est tous membres de l'AFUL, super. Si vous êtes en retard de cotisation allez sur aful.org, vous pouvez payer votre cotisation. Plus sérieusement, je ne suis pas là pour vous parler de l'AFUL, plutôt là pour vous parler de freemium et open core et est-ce que c'est une menace pour le Logiciel Libre ? J'ai mis un point d'interrogation, c’était pour vous faire venir, parce que, en fait, moi je pense que c'est un point d'exclamation qu'il fallait mettre.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je veux revenir un peu sur les fondamentaux du Libre. Ceux qui étaient là hier et qui sont allés voir la conférence de Richard Stallman, ou qui ont déjà vu une conférence de Richard Stallman en français, savent que Richard Stallman dit : « Je peux vous présenter le Logiciel Libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité ». Moi j'utilise trois autres mots parce que, dans mes missions au sein de l'AFUL, je suis en contact, beaucoup, avec les entreprises utilisatrices. Donc j'ai un discours un peu moins citoyen et un peu plus orienté sur leur vision business. Et le premier des mots que j'utilise c'est confiance. Confiance parce que, quand on a une entreprise, on a besoin d'avoir confiance dans le logiciel qu'on utilise, mais surtout, quand on regarde vraiment les fondations du Libre et les valeurs qui ont fait que le Libre existe, il y a vraiment une question confiance. Quand on est un développeur et qu'on permet à un autre développeur de pouvoir modifier son propre code, c'est quand même une sacrée marque de confiance. Quand on est un utilisateur, et qu'on utilise un logiciel de quelqu'un, c'est qu'on fait confiance, globalement, à ce logiciel. Et en plus, le Logiciel Libre, on le sait, ne fait pas de mal aux utilisateurs. Un logiciel libre ne comporte pas de code malicieux, et s'il en comporte il ne va pas rester longtemps, normalement, et un logiciel libre ne va pas enfermer vos données. Donc il y a une confiance aussi des utilisateurs vers les développeurs de logiciels libres. Et il y a aussi un cercle de confiance entre utilisateurs parce qu'on va se partager des trucs et astuces, on va commencer à discuter, on va se refiler le logiciel, etc.

La deuxième grande valeur, c'est le partage. À partir du moment où vous mettez du code sous licence libre, vous partagez votre savoir et votre savoir-faire. Donc c'est vraiment une notion importante. Alors ça c'est la valeur la plus difficile à faire rentrer dans la tête des entreprises utilisatrices, mais ça commence à rentrer. Et donc le développeur vous partage son savoir, son savoir-faire, mais vous aussi en tant qu'utilisateur, vous allez partager avec le développeur la façon dont vous utilisez le logiciel, en lui faisant des demandes. Vous allez partager les petites erreurs, les petits bugs, les petites choses qui vous manquent et donc là, tout ça, en faisant du bug report, et bien sûr, il y a aussi la liberté de donner des copies exactes du logiciel, et là encore c'est du partage, et si vous faites une modification vous pouvez partager la version modifiée, donc encore la notion de partage.

La dernière des grandes valeurs je pense que c'est la pérennité. Alors ça les entreprises adorent. Pourquoi elles adorent ? Parce qu'elles ont souvent peur de l'éditeur qui disparaît. C'est le syndrome du sous-traitant ou de la dépendance envers une petite entreprise qui, jamais, ne va pas tenir sur le temps d'exécution du contrat et après il faut faire machine arrière, donc ils ont super peur de ça. La force du Logiciel Libre c'est, justement, qu'il n'y a aucune raison qu'un logiciel libre s’arrête. Si le développement d'un logiciel libre s’arrête c'est parce que les utilisateurs de ce logiciel libre veulent bien qu'il s’arrête. Parce que si le développeur initial a décidé d’arrêter de continuer son logiciel, eh bien il suffit de le continuer. Il suffit de soit monter en compétence sur le logiciel pour le continuer soi-même, et éventuellement avec les autres utilisateurs, soit se mutualiser pour payer quelqu’un pour continuer le logiciel. Ouais ?

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Je n'ai pas entendu. Le logiciel TrueCrypt a été arrêté ? Le logiciel TrueCrypt n'était pas libre. Voilà ça répond à ta question.

Maintenant, vous allez entendre pendant toute la semaine que les logiciel libres c'est merveilleux, c'est génial et tout ça. Il ne faut pas se leurrer, il y a quand même des grands dangers sur le Logiciel Libre. Il y a en plein des dangers, des menaces, il y en a énormément. Je vais vous en citer quelques-uns qui sont, pour moi, les dangers les plus immédiats, c'est-à-dire qui vraiment peuvent arrêter le mouvement de fond qu'on a lancé il y a à peu près trente ans.

Le premier, évidemment, ceux qui connaissent le sujet ce sont les brevets logiciels. Les brevets logiciels ça bloque sur deux axes. Le premier axe c'est sur l'axe d’innovation, parce qu'un brevet logiciel ne brevette pas un procédé industriel, mais va breveter un concept, une idée. Et à partir de là, quelqu'un qui a réussi à breveter un concept, une idée, on ne peut pas imiter l'idée pour la refaire en Libre. Et donc il verrouille complètement le marché. Donc là c'est la prime aux gros acteurs qui déposent des brevets logiciels pour tout et n'importe quoi. Et le deuxième grand axe de la menace des brevets logiciels, c'est que ça met un coup au logiciel. À partir du moment où on accepte de payer des royalties pour l'usage d'un brevet, eh bien ça met un coup forcément d'usage et de distribution du logiciel, et là, ça commence à casser un petit peu le modèle économique. Pour vous donner quelques exemples, dans la lutte sur les brevets logiciels, il y a eu, en Europe, une grosse discussion en 2005, savoir si, ou pas, les brevets logiciels étaient valides en Europe. Le traité européen sur la brevetabilité dit que non. Ils ont voulu changer ça en 2005 et on est passé à un cheveu, on est vraiment passé à un cheveu, et ça c'est un énorme travail de la FFI qui a fait ça avec l'AFUL et d'autres associations, mais vraiment on a eu peur à ce moment-là, parce vraiment ça allait arrêter toute l'innovation. Pourquoi je vous dis que ça c'est important ? C'est que quand on regarde dans l'écosystème professionnel des éditeurs de logiciels libres, des gens dont le métier c'est de fabriquer un logiciel libre, quand vous regardez sur les deux grandes zones, US et Europe, en Europe il y a énormément d'entreprises qui éditent du Logiciel Libre. notamment sur les couches hautes du système d’information, alors qu'aux États-Unis, ils sont plutôt sur les couches basses.

Un autre truc aussi, tous les entrepreneurs qui vont voulu tenter l’aventure américaine vous en parleront, s'ils ont bien envie, souvent une entreprise qui va aux États-Unis, elle s'implante, et au bout de quelques semaines, quelques mois, elle reçoit un joli courrier, on lui demande de l'argent pour violation de brevet logiciel. Alors des fois ça n'a absolument rien à voir, et tout entrepreneur qui se respecte il regarde combien ça me coûte de payer, combien me coûte la procédure judiciaire et les gens qui demandent de l'argent sont malins, ça coûte moins cher que la procédure judiciaire, donc ils payent. Et à partir de là, ça commence à créer aux États-Unis un système économique d'extorsion. J'appelle ça clairement de l'extorsion.

Le deuxième grand danger, je pense que ce sont les logiciels en tant que services. Pourquoi c'est un énorme danger ? Parce que ça fait disparaître le logiciel. Il n'y a plus de logiciel, il n'y a plus que du service. Et à partir du moment où il n'y a plus de logiciel et bien pourquoi du Logiciel Libre ? Donc il faut vraiment faire très attention au logiciel en tant que service. Ça peut répondre à des besoins, mais il faut toujours faire attention. C'est un sujet sur lequel on a réfléchi depuis à peu près six ou sept ans à l'AFUL et la solution est venue de quelqu'un. Oui Rosaire ?

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Un logiciel en tant que service, ça peut être, alors qu'est-ce c'est qu'un logiciel en tant que service ? Ça peut être ton CRM en ligne, ta gestion de relation clientèle qui est par exemple chez Salesforce, qui est un grand leader mondial de ce genre de services et, en fait, au lieu d'avoir ton logiciel installé sur tes propres serveurs ou installé chez ton hébergeur, lui te fournit juste un accès au service. Donc c'est juste un service, tu n'as pas le logiciel du tout.

Donc la réponse à ça on l'a trouvée avec un membre commun AFUL FFII encore une fois. Côté FFII ils appellent ça TIO pour Total Information Outsourcing. À l'AFUL on appelle ça les services en ligne, libres et loyaux. L'idée c'était de réfléchir à comment, avec un service en ligne, je peux avoir presque, presque, les mêmes libertés qu'avec un logiciel installé sur mon ordinateur. Donc ces services en ligne, libres et loyaux, il y a différents critères qui sont rentrés dans les statuts de l'AFUL en 2011 et donc l'AFUL s'occupe des logiciels libres, des ressources libres et maintenant des services en ligne, libres et loyaux.

Et le dernier grand danger immédiat. Oui ? De ?

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Un exemple de SaaS libre ? ERP5 est un SaaS libre quand il le fait en SaaS. C'est un des rares qui le fait vraiment, libre et loyal. On peut faire libre, facilement, ça ne coûte pas trop cher, faire loyal, c'est beaucoup plus compliqué.

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Google Apps, ce n'est ni libre, ni loyal, ni rien.

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Voilà. Framasoft est en train d'en monter. Il y en a quelques-uns.

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Le troisième grand danger, pour moi, c'est le logiciel non libre et on ne le dit pas assez en fait. Je suis un des rares à voir tous les logiciels pas libres comme une menace pour le Libre. Pourquoi ? Parce que, à partir du moment où les gens pensent, ont rentré dans leur vocabulaire le nom d'un logiciel pas libre, eh bien l'équivalent libre ne va pas grandir en termes d'usages. Typiquement, les gens ils auront besoin d'une retouche photo, même si c'est minime, il pensent Photoshop. On dit même le verbe « photoshoper », et pourquoi on ne dit pas « gimper », par exemple ? Donc là c'est, je vous dis, sur un logiciel grand public, mais c'est exactement la même chose dans les logiciels d'entreprise. C’est-à-dire qu'un grand décideur informatique d'une entreprise, quand il va penser gestion ERP, il va penser SAP, forcément. Quand il pense base de données, il pense Oracle. Et donc c'est une vraie menace pour le Libre et donc, il faut contrer un petit peu ça.

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : D'accord. Dans les logiciels non libres, il y a une partie, qui est assez récente, qui sont les logiciels à base de Libre. On en connaît tous plus ou moins. Il y a différentes façons de faire du logiciel à base de Libre. Une des façons, c'est enfermer du code libre dans un agrégat non libre. En gros, vous faites un logiciel qui n'est pas libre et puis vous allez mettre dedans du logiciel libre. Quand c'est juste une petite bibliothèque je dirais ce n'est pas grave. Sur certains cas industriels que j'ai vus, la partie libre correspondait à plus de 80 % du tout. Donc ça veut dire qu'un gars il a fait une toute petite base de code, il a pris tout le reste en Libre et il vend ça comme un logiciel non libre.

La deuxième façon de faire c'est de contaminer du code libre par du code non libre. J'insiste bien que la contamination ne se fait que dans ce sens. On ne peut pas contaminer du code pas libre avec du code libre, même s'il est sous GPL, ce n'est pas une contamination, c'est une obligation de réciprocité. Donc la contamination de code libre par code non libre, eh bien on connaît tous, ne serait-ce que le noyau Linux, où il y a des firmwares qui ne sont pas libres. Ça peut être aussi, par exemple WordPress, que tout le monde connaît, il y a beaucoup de modules WordPress qui sont extrêmement utiles, sauf qu'il n'y en a pas beaucoup de libres, et donc là c'est une contamination par du code non libre.

Et la troisième façon de faire, c'est l'exploitation de code libre pour exécuter du code non libre. Donc là on s'appuie sur une base qui est libre et puis on va exécuter du code non libre. Là, on peut citer tous les frameworks qui existent, quelque soit le langage. On peut aussi donner l’exemple de STIM qui arrive sur Ubuntu. C'est un cheval de Troie assez magnifique, parce que ça évite, en fait, de faire des jeux libres, puisqu'on peut passer par STIM pour les vendre.

Donc maintenant qu'on a vu qu'il existait des logiciel non libres à base de Libre on peut se poser la question mais pourquoi il y en a ? Pourquoi certaines personnes en font ? Il y a des raisons explicables, qui ne sont pas forcément acceptables, mais qui sont explicables. La première c'est parce qu'on veut cacher un savoir ou un savoir-faire, soit parce qu'il y a un secret industriel derrière, soit parce qu'il y a une obligation juridique, soit parce qu'on fait de l’open innovation et on va intégrer du code pas libre d'une autre entreprise. Et même des fois ce sont les trois à la fois. Je pense que MedinTux, qui est la solution médicale libre, a eu ce problème des trois à la fois quand ils ont voulu gérer les cartes vitales. C'est-à-dire que un, ils n'avaient pas le droit, deux, c'est obligation d'utiliser du code proprio et trois, interdiction de dire comment ça marche. Donc il y a différentes raisons de vouloir cacher un savoir, un savoir-faire, mais il ne faut pas se leurrer, généralement on fait du « à base de » parce qu'on vend des licences et ça ramène des gros « sousous » dans la « popoche ».

Maintenant je vais regarder un petit peu plus au niveau des acteurs. Je vais passer sous silence tout le modèle de logiciel de fondation, donc fondation Eclipse, Apache, etc. Je vais m’intéresser plutôt aux gens qui font, en tant qu'éditeurs, du logiciel libre, même s'ils s'appuient sur un logiciel de fondation, et, de côté, le service. La France est un pays un peu spécial qui est structuré avec d'un côté les éditeurs et de l'autre des sociétés de service. Et donc l'éditeur essaie de faire un peu de services alors que la société de services, de temps en temps, fait un peu de code, mais ce n'est pas son métier de maintenir un logiciel. Et il y a un réel point d’achoppement entre ces deux métiers. Le premier c'est sur l'argent. C'est que du point de vue de l'éditeur, eh bien l'intégrateur prend tout l'argent, puisqu'il signe des clients, il installe le logiciel de l'éditeur et puis il ne lui donne pas un rond. Mais du point de vue de l’intégrateur, c'est que quand il regarde les offres proposées par l'éditeur de logiciel libre, il voit qu'il n'a rien à revendre à son client. Donc, du coup, il n'y a pas de circulation d'argent entre les deux. Donc ça pose un petit problème, déjà sur l'argent. Après, on peut se dire, bon, ce n'est pas grave, il y a quand même une coopération technologique parce que, de toutes façons, voilà, on est dans le monde du logiciel libre, donc tout le monde est sympa et tout le monde est gentil. Sauf que non. Non, du point de vue de l'éditeur, tout ce qui est SS2i ou intégrateur, ils codent comme des porcs, donc on le commite sur dev/null. Et puis du côté de l'intégrateur, qui lui a peut-être voulu jouer un peu le jeu proprement, je ne vous parle des exemples connus de certaines grosses SS2i qui envoient un million de lignes de code à l'éditeur, je vous parle de quelqu'un qui a voulu faire le processus de contribution et il s'est rendu compte, qu'en fait, ses contributions n'étaient jamais acceptées, donc du coup, au bout d'un moment, il arrête.

Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de contribuer à un logiciel libre d'éditeur, c'est extrêmement compliqué. Ils ne sont pas tous très ouverts, parce qu'il y a un problème, c'est que l'éditeur va être propriétaire de son Libre. Ça c'est une autre chose. Donc pas de flux d'argent entre ces deux métiers, pas de flux technologique, et en plus, chacun veut garder son petit business à lui. Ah ouais, parce l'éditeur, lui, son métier c'est de faire du support, c'est faire des développements spécifiques et tout ça, ouais mais sauf que c'est l'intégrateur, qui lui a une armée de commerciaux qui ramènent les clients, donc il n'a pas envie de partager son client avec l'éditeur. Voilà, il y a un vrai problème entre ces deux métiers et ça me fait poser la question de la coopétition. La coopétition, donc ceux qui ne connaissent pas ce mot, c'est un mot valise de concurrence et coopération. Ce sont des gens qui sont concurrents sur le marché mais qui vont quand même coopérer. Elle existe dans le monde du logiciel libre, la coopétition, elle existe notamment dans les fondations. Il y a des gens qui sont extrêmement ennemis sur le marché mais qui vont collaborer dans les fondations. Par contre, quand on commence à parler d’éditeurs de logiciels et de sociétés de services, la coopétition, eh bien, non, non il n'y en a pas. C'est du business pur, dur, méchant, violent.

Donc ils ont trouvé une solution c'est vous enlever des libertés pour vous faire payer. C'est ça la solution qu'ils ont trouvée, parce qu'il faut bien, quand même, qu'ils travaillent un peu. Ils attaquent les mêmes clients, ils font presque le même métier, et donc la solution qu'ils ont trouvée pour pouvoir ne pas trop se bouffer le nez sur le marché c'est de vous enlever des libertés. Donc soit l'éditeur va faire une version libre qui est un petit peu limitée, donc il n'y a pas toutes les fonctionnalités, il n'y a pas tout ce qui va bien. Soit elle est moins aboutie, genre il n'y a pas les « je teste », vous n’avez aucun test d'intégration. « Ah non, ça monsieur c'est la version professionnelle qui n'est pas libre ». Vous l’avez tous entendu ça : il y a la version communautaire et la version pro. Un éditeur qui vous dit il y a une version communautaire et une version pro, ça veut dire que la version pro n'est pas libre ; ou alors la version libre est obsolète, c'est-à-dire qu'il va faire une licence chrono-dégradable, donc il innove en pas libre et, au bout d'un, deux ans, il va passer sous licence libre le truc qui, de toutes façons, n’intéresse plus personne. Ça, j'appelle ça du shareware à base d'open source. C'est vraiment le modèle du shareware, c'est ça qu'il faut voir. Oui ? Pardon ?

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Zimbra ? Ouais, Zimbra, est un exemple comme ça. Il y en a d’autres, je n'ai pas envie de me faire plein d’ennemis, mais je peux en citer pas mal. Donc ce shareware à base d'open source, pourquoi ils le font ? Eh bien ils le font pour des bonnes raisons. Déjà ça simplifie les flux entre l'édition et le service, parce que là, l'éditeur a quelque chose à revendre puisqu'il doit revendre des licences. Donc c'est cool, il peut lui donner de l'argent, parce que si jamais il ne fait que des bénéfice sur une solution complètement libre, il n'a aucune raison, autre que morale, de lui donner de l'argent. Là, il est obligé, avec ce système de licences. Donc c'est assez traditionnel, ils connaissent. Les clients, ils maîtrisent ça parfaitement, parce que, comme je vous l'ai dit en début, le plus grand danger, enfin un des plus grands dangers du logiciel libre ce sont les logiciels pas libres, et le client il achète quand même beaucoup plus de logiciels pas libres que de logiciels libres. Donc c'est plus facile pour lui, il n'a pas besoin de réfléchir. Et puis les investisseurs connaissent. Quand on est un éditeur, qu'on va voir un investisseur et qu'on lui dit : « Eh bien voilà moi j'ai des retours sur des coûts de licences », eh bien l'investisseur ça va, il connaît, ça rentre dans ses feuilles de calcul, il peut investir proprement. Et ce modèle-là est également enseigné dans toutes les écoles de commerce, alors ce n'est pas le modèle du shareware, c'est le modèle du freemium. Donc il y a une partie libre, usage simplifié, et quand on veut faire un vrai usage, un peu plus poussé ou un peu plus professionnel, eh bien là il faut payer. Et ça, c'est un modèle qui est extrêmement enseigné, c'est pour ça qu'on le voit de plus en plus. C'est pour ça que vous voyez tout maintenant, tous les jeux vidéos sont en free to play. Mais en fait ce sont des pay to win.


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Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que ça, ça a un impact direct sur le marché. Si c'était deux ou trois entreprises qui le faisaient, je ne serais pas venu vous en parler. Le problème qu'il y a, c'est que c’est la majorité de l'écosystème professionnel du logiciel libre open source qui pratique ça. Et ça, ça a un impact direct du point de vue des acteurs demande, ceux qui payent. Donc les utilisateurs de logiciel libre qui payent, on peut les appeler des clients, et eux ils ont l’habitude de voir des commerciaux d'éditeurs de logiciels non libres et quand ils voient les commerciaux d'éditeurs de logiciels qui disent : « Eh bien oui, mais monsieur, nous on fait de l'open source », donc ils sont très contents, ils ont les deux feuilles et c'est un peu le jeu des sept erreurs quoi. Et là ça pose un vrai problème, parce moi en tant que militant à l'AFUL, je vais voir ces décideurs informatiques, je fais le tour des DSI, je crée mon réseau, je leur parle de logiciel libre, je parle des logiciels libres de certains qui sont dans la salle, et puis là ils me disent : « Mais, sérieux, ouais, j'en ai acheté, ça fait trois ans que tu m'en parles, c'est bon j'en ai acheté. Sauf que voilà, vu de celui qui paye, je ne vois aucune différence avec le propriétaire ».

Et là c’est le choc. Là, quinze ans de militantisme à essayer d'expliquer aux entreprises qu'il faut qu'elles achètent du logiciel libre, qu'elles financent du logiciel libre, et là, cette phrase-là c'est une citation d'un DSI d'un très grand groupe français, qui m'a dit : « Vu de celui qui paye, je ne vois aucune différence ». Donc ça veut dire qu'il n'a pas de critère supplémentaire. Ça veut dire qu'il ne voit pas les gains qui lui apporte le logiciel libre open source. Donc ça pose de vrais problèmes. Moi ça me pose de vrais problèmes et ça devrait vous poser de vrais problèmes, parce que ce qui se passe, c'est que, comme dans le logiciel non libre, eh bien le logiciel libre open source, il est vu que d'un côté il y a les clients, de l'autre côté il y a les fournisseurs, mais en fait les clients ce sont les vaches à lait du fournisseur. Et ça, eh bien ils ont bien compris et ils n'ont plus trop envie. Donc on peut se demander qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce qu'on peut faire nous, militants ? On a plein de choses à faire. Ça tient en trois verbes d'action : il faut expliquer, il faut accompagner et il faut soutenir. Trois verbes d'action, c'est super simple.

La première chose c'est expliquer aux développeurs qu'une licence normale pour du code libre, c'est une licence à copyleft. Le copyleft est la seule manière d’empêcher que le code continue d’être innové en non libre. Donc une licence normale, c'est une licence à copyleft et de temps en temps, éventuellement, peut-être, en fonction du cas d'usage, on peut utiliser une licence sans copyleft, dite permissive. Et ça c'est extrêmement important parce que quand on regarde dans les grandes forges de code comme GitHub, Githorious, Gitlab, Sourceforge, peu importe, quand on regarde les statistiques de code utilisé, c'est beaucoup de licences permissives. On voit beaucoup de licences Apache, on voit beaucoup de licences MIT, on voit un petit peu de licences Eclipse et ce sont des licences non copyleft. Donc, vous développeurs, vous amis de développeurs, dites-leur d'utiliser le copyleft. Il n'y a pas besoin que ce soit du copyleft fort, ils peuvent faire un copyleft standard, avec du LGPL, avec du MPL, peu importe. Le mieux c'est GPL. Mais il faut que les développeurs utilisent du copyleft. Mais il faut aussi aller expliquer aux clients, il faut leur dire l'importance du Libre, pourquoi on fait du Libre. Mais il ne faut pas juste lui dire « utilise du logiciel libre, c'est cool ». C'est clair, on est dans un univers business, moi j'ai une entreprise à faire tourner, c'est cool, tu es gentil, mais je m'en fous. Non il faut lui expliquer les gains qu'il va avoir dans son entreprise. Parce que utiliser du logiciel libre, ça veut dire des gains de compétitivité. Quand on est une grande entreprise et qu'on commence à intégrer du logiciel libre, on a des gains de compétitivité : Et ça généralement, ils oublient de le mesurer et donc il faut leur expliquer tout ça, les avantages des libertés, etc.

Et de faire attention à leurs contrats, qu'ils ne se fassent pas refiler du freemium, que dans le contrat qu'ils signent avec un éditeur ou avec une société de services, ils ne soit pas complètement verrouillés sur l'usage possible des libertés. Je ne dis pas que tous les clients doivent utiliser les libertés qui leurs sont accordées par la licence, je dis qu'elle ne doivent pas être entravées. Et j'ai vu un cas, donc ça c'est un cas réel, d'un très gros groupe français, qui a signé avec un très gros intégrateur français, et dans le contrat, si jamais il faisait une modification de code, il payait toute une année de maintenance. Et le contrat a été annulé. Donc ça, clairement, c'est comment détourner avec le droit des contrats le logiciel libre ? C'est très grave. Donc ça, ça se sait maintenant au sein des DSI parce que les DSI se sont regroupées dans des associations, donc de temps en temps il faut aller les voir pour leur dire ce qui se passe.

Accompagner. Il faut accompagner les gens, c'est très important. Comme je vous ai dit aller voir une entreprise dont le métier n'est absolument informatique et lui dire utiliser du logiciel libre c'est cool, ça ne sert à rien. Non, il faut l'accompagner. Il faut lui dire oui utiliser du logiciel libre, mais quoi ? Pourquoi ? Comment ? Aller voir EDF et leur dire « Eh tu passes en LibreOffice et tu mets un GNU/Linux sur toutes les machines ». Non, ça ne sert à rien. Non. Par contre, si on va le voir, et qu'on dit « tiens tes bases de données Oracle, ce serait peut-être intéressant que tu passes en PostgreSQL, par exemple sur certains de tes projets ? » Un truc comme ça. « Ah ouais, tiens pas con, on va économiser tant ». « Et puis tes sondes là si tu prenais du Shinken, en plus c'est une petite boîte, à Bordeaux, super sympa ? » « Ah ouais pas con ! » « Et puis pour ton automatisation, tiens si tu prenais du ??? ? » Il est juste là. Voilà ça peut être sympa. Et voilà. Et ce sont des choses comme ça. Et après il faut mettre aussi les gens en relation, donc il y a vraiment un accompagnement. Et il y a à accompagner aussi les entreprises qui font du Libre. Il faut leur parler, il faut essayer de comprendre leur modèle, leurs difficultés, les points d'accroche avec les clients, parce que derrière, après nous on affine le discours que ce soit auprès des clients ou auprès des autres éditeurs, il faut savoir les mettre en relation, Ceux qui ont des succès, ceux qui ont des modèles économiques un peu novateurs ou un peu intéressants du point de vue des libertés eh bien il faut peut-être les mettre en frontal avec d'autres. C'est ce que j'ai fait avec Jonathan, qui a rencontré quelqu'un et il a eu plein d'idées derrière sur son business. Il faut accompagner côté offre et côté demande, toujours.

Et il faut soutenir. Il faut soutenir les gens qui font du Libre. Il faut soutenir les utilisateurs parce qu'une fois qu'ils ont commencé leur plan de migration ou un truc comme ça, il faut continuer à essayer de savoir, tiens pourquoi il y a des blocages ? Est-ce qu'il y en a ? La conduite du changement. Est-ce que tu n'as pas oublié la conduite du changement ? C'est super important la conduite du changement. Comme disait Pierre faire des 1 et 0 c'est facile, gérer la matière humaine, c'est plus compliqué.

Mais il faut aussi, surtout, soutenir ceux qui font du code. On est combien de libristes en tout en France ? Allez on va dire qu'on est, en tout à peu près quinze mille. On peut tous ramener un pote, donc ça fait trente mille personnes. Maintenant on dit tiens par semaine on met un euro et on va le dédier au Libre. Un euro par semaine. Et puis, tous ensemble, nous trente mille, on dit tel logiciel libre, on donne notre euro de la semaine, ça fait trente mille euros dans la semaine, dis donc, on est contents, un est très contents. Maintenant on décide de tous financer une année. Là ça commence à chiffrer, ça fait plus d'un million cinq. Donc voyez, on a tous, collectivement, une puissance financière phénoménale. Alors, bien sûr, on ne peut pas faire ce genre de projets, je pourrais l'imaginer au sein de l'AFUL, mais je ne ferai jamais, eh bien voilà vous mettez votre euro par semaine chez nous et puis nous on va flécher sur un logiciel librement. Parce que vous, vous n'avez pas envie du logiciel qu'on a choisi, parce que vous êtes fâché avec telle ou telle personne. Moi ce à quoi je vous encourage plutôt, c'est de donner de temps en temps un peu d'argent aux logiciels que vous utilisez et que vous aimez, et bien je dis bien aussi que vous aimez, parce qu'on peut donner à des logiciels qu'on nutilise pas mais qu'on aime bien. C'est aussi important.

Et aussi les entreprises doivent réfléchir à comment accepter de l'argent des gens sans contrat. Il faut réfléchir à ça. Ça passe peut-être par création d'une asso, plein de trucs comme ça ou je ne sais pas. Il y a des choses à réfléchir, mais collectivement on a une puissance financière assez phénoménale, et surtout, une seconde Robert, et surtout on doit aller parler aux clients, aux utilisateurs et leur dire que tu as fait le choix d'un logiciel libre, ce n'est pas du papier toilette, ce n'est pas une dépense de fonctionnement. C'est un investissement et un investissement il se protège. Et comment il se protège ? Il se protège en protégeant ceux qui font le code. Et ça passe par les financer, parce qu'il faut bien qu'ils mangent. Et le problème qu'il y a et pourquoi je vous dis ça ? C'est parce que l'éditeur, s'il voit que son logiciel est utilisé et que ne fait pas de bénéfice, s'il fait un petit chiffre d’affaires eh bien il va se protéger. Et il va se protéger en vous enlevant des libertés. C'est ça ou il crève. Généralement dans une entreprise, on n'a pas envie de mourir rapidement, donc il faut penser à tout ça, il faut apprendre aux clients à financer les R&D, il faut apprendre aux clients peut-être à investir dans les entreprises qui font un logiciel hyper stratégique pour leur fonctionnement. Voilà, il y a tout ça à réfléchir et donc le soutien est extrêmement important.

J'ai fait assez vite. Je vous remercie de votre attention. Feet the troll, comme on dit. S'il vous plaît, parlez-en, parlez-en autour. C'est vraiment un sujet critique parce que je vois des éditeurs qui faisaient du vrai logiciel libre et qui passent en modèle moins libre. Je vois des éditeurs qui commencent à avoir des soucis de tréso et qui font appel à des investisseurs qui leurs imposent de passer en modèle moins libre. Je vois des clients qui ont complètement perdu leurs repères par rapport au Libre et au pas libre. Donc voilà, Feet the troll. Parlez-en. Si j'ai dit de bêtises n'hésitez pas à reprendre. À votre disposition si vous avez des questions.

Applaudissements

Robert ? Oui ?

33' 20

Public : Inaudible.

Laurent Seguin : Il faut encourager l'utilisation de copyleft. Oui.