Frama.space : du (Next)cloud pour renforcer le pouvoir d'agir des associations - Pierre-Yves Gosset

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Titre : Frama.space : du (Next)cloud pour renforcer le pouvoir d'agir des associations

Intervenant : Pierre-Yves Gosset

Lieu : Toulouse - Capitole du Libre

Date : 19 novembre 2022

Durée : 58 min 42

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Le projet Frama.space vise à tenter d’apporter une réponse non seulement au problème de disponibilité d’outils cohérents avec les valeurs des associations, mais aussi à la question de l’amplification de leur pouvoir d’agir au travers du développement de leurs compétences collaboratives numériques.

La conférence présentera les ambitions et les limites de ce projet, en abordant succinctement ses aspects politiques, éthiques, financiers, techniques.

Transcription

Bienvenue.
Je m’appelle Pierre-Yves Gosset. Je suis codirecteur d’une association qui s’appelle Framasoft. Je ne vais pas du tout vous parler de Framasoft, faire la présentation de Framasoft aujourd’hui vu que ma collègue Angie s’en chargera dans la conférence d’après, dans la même pièce, et pareil, mon collègue Pouhiou fait une conférence demain après-midi dans le grand amphi sur notre campagne qui s’appelle Collectivisons Internet et Convivialisons Internet , alias coin-coin. Je vais juste zapper la partie présentation de Framasoft pour me concentrer sur le projet Frama.space et pourquoi on fait ce projet.
J’ai noté l’heure en bas. Comme c’est la première fois que je fais cette conférence, je ne l’ai pas bien filée, ça me permettra de savoir si je suis à la bourre, pas à la bourre, vous pourrez me taper sur les doigts. Pour l’instant on a même quatre minutes d’avance, donc tout ce qui est grappillé pourra servir, en plus, à d’autres questions, je crois que j’ai prévu dix minutes pour les questions, mais on pourra faire plus si on finit avant.

C’est la merde !

Désolé, du coup ça ne commence pas très bien, pas très joyeusement. C’est la merde, la planète crame, la COP 27 ça ne marche pas trop, il y a des guerres, une pandémie, m’a-t-on dit aussi, il n’y a pas longtemps. Il y a des problématiques sociales, économiques, des problèmes de tous types. Que fait-on de nos vieux ? Les crises un peu de partout, les pannes, la déforestation.
C’est juste pour placer les choses de façon un petit peu claire. Quand je dis que c’est la merde, je le pense sincèrement, c’est un point de vue, évidemment, très personnel, mais c’est important pour savoir pourquoi on fait ce projet et comment on le fait. On a même réussi à foutre le feu à l’eau maintenant, c’est génial ! Trop bien !

Pour les associations aussi c’est la merde, c’est la merde à plein d’endroits.
Celui auquel tout le monde pense, c’est la merde d’un point de vue financements, effectivement. Il y a eu la fin des emplois aidés, je crois, en 2017 ou en 2018, peu de temps après le changement Hollande/Macron.
Les baisses de subventions aux associations sont quand même assez courantes. Si vous regardez le montant global des subventions aux associations il a tendance à augmenter, mais ce sont quelques grosses associations qui captent plus de moyens, du coup les petites sont moins financées.
Troisième point qu’on a pu repérer, ce sont les coupes budgétaires politiques, typiquement pour moi qui vis à Lyon, Laurent Wauquiez qui, en président de Région de Rhône-Alpes arrive et dit « je vais prendre tous les sous des associations d’éducation à l’environnement et de défense de l’environnement et je vais tout filer aux chasseurs », c’est un cas concret et ça pose évidemment un certain nombre de soucis pour la vie des associations.

Dans la partie un petit peu, comment peut-on dépolitiser les associations, voilà ! Typiquement, depuis le premier janvier 2022, si vous êtes une association vous devez signer le Contrat d’Engagement Républicain qui vous engage à sept points qui peuvent paraître plutôt jolis dit comme ça, sauf que le diable se cache dans les détails : le respect des symboles de la République ça veut dire que vous signez un papier où vous vous engagez, en tant qu’association, à respecter le drapeau français, La Marseillaise et la devise républicaine. Je vous laisse imaginer toutes les dérives qu’on peut avoir sur ce type de projet, qui est un projet issu de la loi séparatisme ; séparatisme c’était, à la base, normalement pour lutter contre le terrorisme. Si vous ne signez pas, pas de bras, pas de chocolat ; pas de signature pas de subvention. On est vraiment dans le style Darmanin, ce qui est la continuation de Manuel Valls, on ne va pas se mentir.
Les associations sont souvent considérées comme des ennemis de la République. J’ai des exemples assez concrets. Le plus connu c’est celui qui est à la droite, Alternatiba Poitiers, Alternatiba 76, à qui le préfet de Charente-Maritime avait écrit en disant « comment ça, vous faites des ateliers de désobéissance civile, vous voulez apprendre aux gens à désobéir ! » Eh bien pouf !, plus de subventions, ce qui est quand même assez inquiétant, c’est typiquement le genre de chose qui va probablement se multiplier dans le temps. Alternatiba a finalement eu sa subvention parce que la mairie de Poitiers a soutenu l’association.
D’autres exemples c’était Sarah El Haïry, qui est la Secrétaire d’État à la Jeunesse [Secrétaire d'État auprès du ministre des Armées et du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse] qui, lors d’un évènement organisé par la Fédération des centres sociaux, avait rencontré des jeunes et les jeunes disaient « on a quand même des problèmes pour réfléchir à quelle est la place de la religion, quelle est la place de la religion à l’école, c’est quoi les violences policières ». Réponse de Sarah El Haïry : « Il faut aimer la police, car elle est là pour nous protéger au quotidien. Elle ne peut pas être raciste, car elle est républicaine. » Perso ça m’interroge. Pas que je pense nécessairement que la police est violente, mais j’aimerais au moins qu’on puisse en débattre et si une Secrétaire d’État dit que non et déclenche derrière une inspection à la Fédération des centres sociaux, je pense qu’on a un vrai problème de démocratie.

Troisième point. La marchandisation. La marchandisation c’est assez pervers. Comment est-ce qu’on marchandise un secteur associatif qui, par défaut et dans son ADN, est censé être non lucratif ? C’est assez simple, on peut les mettre en concurrence. Donc typiquement, vu qu’il y a moins de subventions, on dit qu’il faut faire plus de crowdfunding, plus de collectes, donc elles font de la retape à la fois sur Facebook ou sur Mastodon, peu importe, et j’inclus Framasoft dedans qui est en campagne de dons, sachez-le, je reviendrai dessus évidemment.
On essaye de ringardiser les associations en leur disant « les associations c’est bien pour le club de bridge, pour la petite asso du coin. Par contre, si vous êtes une asso un peu sérieuse, en fait vous n’êtes pas une asso, vous êtes une entreprise », donc le secteur de l’économie sociale et solidaire a débarqué avec ses gros sabots, à la fois des très chouettes sabots et, à la fois, des sabots beaucoup moins propres, en disant « vous avez d’autres types de statuts que le statut associatif, vous avez le statut des SCOP [Société coopérative de production], des sociétés coopératives, vous avez le statut de SCIC, sociétés coopératives d’intérêt collectif dans lesquels l’État ou une collectivité peut être partie prenante ». Donc on transforme petit à petit le secteur associatif ; on transforme petit à petit la loi de 1901 qui, selon moi, est la plus belle loi qu’on n’ait jamais écrite, pour la vider de sa substance politique.

La dernière j’allais dire saloperie, je n’ai pas d’autre mot, désolé, qu’on a dans cette thématique de marchandisation, c’est ce qu’on appelle les Contrats à impact social. Je vais vous faire la traduction du schéma à droite qui est le schéma officiel, comment ça marche : un besoin social est identifié. La traduction c’est « quelqu’un est dans la merde, quelqu’un souffre », c’est ça un besoin social, quelqu’un qui souffre. Un acteur social propose une solution. Globalement c’est « une association essaye de répondre à cette souffrance puisque l’État se désengage ». Des investisseurs privés financent le programme, sous-entendu « des entreprises donnent des sous à l’association pour réaliser ce que l’État ne fait pas ». Un évaluateur indépendant mesure les résultats du programme, donc autant vous dire que l’association n’a pas son mot à dire sur qui est l’évaluateur, l’entreprise non plus d’ailleurs, c’est l’État qui choisit, sur quels critères va-t-il évaluer ?, je ne sais pas : est-ce que ça vaut plus la peine d’aider telle personne ou tel groupe de personnes vis-à-vis de tel groupe de personnes ? Apparemment c’est un évaluateur qui va aller cocher les cases, pour dire « ça c’est bien, ça ce n’est pas bien, etc. » Et le dernier point, qui est quand même merveilleux, c’est la puissance publique qui rembourse les investisseurs en cas de succès. Traduction : « l’État, donc nous, avec nos impôts, remboursons l’entreprise ». Ça me glace complètement de me dire qu’on est quand même dans un monde où, maintenant, ce sont les entreprises qui vont décider les actions sociales à mettre en œuvre parce que l’État n’y répond plus, parce qu’il a vidé les associations de leur capacité d’action.

Donc signer un Contrat à impact social, non ! Faire vivre le contrat social oui. Le contrat social c’est évidemment la référence à Rousseau. Je ne suis pas du tout un grand fan de Rousseau, mais il dit, en gros, que pour passer de l’état de nature, c’est-à-dire de personnes qui effectivement ne font pas collectif, à un état de société, nous avons besoin d’un contrat social. – Attention, ne faites pas ça chez vous, j’ai tenté de faire des petits dessins avec LibreOffice cette nuit, tardivement !
En gros, comment marche le contrat social aujourd’hui en France ? Du caca vous arrive dessus parce que ça arrive à tout le monde, pas de bol, tout le monde, dans sa vie, va être malade, va rencontrer des difficultés, va avoir des difficultés pour se loger, pour manger, pour que sais-je ; la thématique, en ce moment, c’est typiquement comment on va se chauffer cet hiver. Ça vous arrive dessus. Normalement vous avez au moins deux filets de sécurité. On pourrait rajouter la famille, on pourrait en rajouter d’autres, mais vous avez principalement deux filets de sécurité. Le premier, normalement, c’est l’État qui est censé être là pour nous aider, nous soutenir, etc., et qu’on fasse société ensemble. Le deuxième c’est la société civile, je mets les assos, les syndicats, des collectifs qui peuvent, d’ailleurs, être tout à fait informels et qui nous évitent, finalement, de finir dans les abysses de la société.

La problématique, vous l’aurez compris, c’est que cette société civile est amoindrie, affaiblie, diminuée par ce que je vous ai rapidement montré – il y a plein d’autres cas, mais je ne voulais trop m’étendre là-dessus : la dépolitisation, le définancement, la marchandisation et les attaques contre les libertés associatives. Donc on a, aujourd’hui, une société civile qui est moins forte, c’est un vrai terme y compris en anglais, avec réduction de sa capacité d’expression et d’action en France, mais c’est complètement le cas aussi en Europe.

Si vous affaiblissez cette société civile, le contrat social marche quand même vachement moins bien. J’ai mis une photo du médecin qui tient une radio, c’est valable à l’hôpital, mais c’est valable dans plein d’autres domaines, évidemment. Si vous avez l’État qui finance moins bien, mois de subventions, par exemple les hôpitaux, le système de santé – quand je dis l’État encore une fois c’est nous et comment on répartit finalement la richesse –, si les hôpitaux sont moins bien soutenus, vous voyez bien que, concrètement, ça créée un trou dans le filet.
Si la société civile est moins en capacité de nous aider à ne pas toucher le fond, eh bien on a plus de facilités à toucher le fond. Désolé, j’enfonce des protes ouvertes, mais c’est malheureusement comme ça que ça se passe.

Donc on a vraiment un gros souci de ce côté-là.

Les associations se retrouvent entre « est-ce que je me vends aux entreprises » ou « est-ce que je me prosterne devant l’État » ? C’est un peu ça le choix pour beaucoup d’associations, de collectifs aujourd’hui.

Oui, oui, Mais… et alors ?