Différences entre les versions de « Formation et culture numérique - un numérique inclusif, accessible et choisi »

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<b>Jean-Christophe Becquet : </b>Effectivement,
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<b>Jean-Christophe Becquet : </b>Effectivement, je peux peut-être introduire sur cette citation de Richard Stallman qui a formalisé le concept de logiciel libre en 1984 et qui disait : « La liberté logicielle n’est pas plus importante que les autres libertés. Simplement la liberté informatique est essentielle parce que, aujourd’hui, l’informatique traverse tous les aspects de nos vies ». Aujourd’hui on utilise le numérique, on utilise les outils informatiques pour communiquer, pour apprendre, pour travailler, pour exercer sa vie citoyenne, pour consommer. Donc à chaque instant et dans tous les aspects de nos vies, que ce soit personnelle ou professionnelle, on est dépendant de ces outils et, du coup, il est extrêmement important, il est essentiel, comme l’a dit Dorie, de permettre à chacun l’accès à ces outils et leur maîtrise.<br/>
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Je voudrais vraiment revenir sur un mythe. Tout à l’heure, dans la conversation, il y avait une discussion sur la formation informatique et ça parlait des jeunes, des vieux. Mon sentiment c’est qu’on est tous égaux devant l’incompétence face au numérique qu’on soit jeune, qu’on soit vieux. En tout cas cette idée, de la part notamment de certains parents, que nos ados naîtraient nativement compétents au numérique et que juste le fait de vivre dans cette société, baignés de numérique, les rendrait compétents. C’est non seulement faux de penser ça mais c’est extrêmement dangereux ! Personne n’est nativement compétent. On a besoin d’être formé, on a besoin d’être accompagné sur ses usages du numérique qu’on soit jeune ou qu’on soit vieux, qu’on soit scientifique ou littéraire, féru de technique ou pas, qu’on soit d’une classe sociale favorisée ou, au contraire, dans une situation de précarité, on est tous concernés par cette problématique de la compétence et de l’accès au numérique. Je ne parle pas de l’accès, effectivement, matériel et connexion qui va être plus facile pour les classes favorisées, mais sur l’aspect compétence et maîtrise des outils, on est tous égaux. C’est pour ça qu’il faut absolument actionner tous les leviers qu’on peut actionner pour accompagner ces usages du numérique. Ça va d’abord être l’école. Je pense que l’école doit être un lieu de sensibilisation et d’apprentissage des usages éclairés du numérique. Puis la formation professionnelle, parce que, quand on sort de l’école. on est loin de tout maîtriser et on a encore besoin d’être formé et pas seulement formé à des usages techniques, mais formé à des pratiques et à la compréhension des enjeux, par exemple ceux que tu évoquais tout à l’heure sur les réseaux sociaux et ce que les réseaux sociaux induisent sur notre manière de communiquer, d’interagir, de s’afficher en public. Après l’école, après la formation professionnelle, bien sûr l’éducation populaire, donc tous ces acteurs de la médiation numérique qui, effectivement, accompagnent les usages du numérique.<br/>
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Ce que le logiciel libre apporte là-dessus c’est que, effectivement, derrière le logiciel libre il y a cette idée que chacun doit pouvoir comprendre et maîtriser son outil informatique.<br/>
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Un logiciel libre est un logiciel qu’on peut étudier, on peut aller voir comment il est fait à l’intérieur. Quand on dit qu’on peut étudier, ça veut dire qu’on en a la possibilité, qu’on en a le droit, ça ne veut pas dire qu’on est obligé de le faire. Dans cette idée du logiciel libre, il y a cette envie que chacun, en fonction de là d’où il part, en fonction de son appétence, puisse en tout cas ouvrir le capot, aller voir comment ça fonctionne sans rencontrer de barrière, notamment de barrière juridique, puisqu’en fait les licences libres sont un outil juridique qui a été pensé pour permettre l’accès au savoir – les logiciels, en fait, sont du savoir. Les licences libres sont un outil juridique qui autorise l’accès à ces savoirs.<br/>
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D’ailleurs on observe, depuis le début des années 2000, que les licences libres qui ont été, au départ, pensées pour les logiciels, pour permettre d’avoir des logiciels qu’on peut utiliser librement sans restriction, qu’on peut copier, qu’on peut étudier et qu’on peut modifier pour les adapter à ses besoins, ces licences qui, au départ, se déclinent aujourd’hui sur toutes sortes de contenus au-delà du logiciel. La première, et peut-être la plus connue, c’est l’encyclopédie libre Wikipédia. Dans ma présentation on a aussi parlé d’OpenStreetMap, un projet libre de données géographiques sur lequel je travaille beaucoup en ce moment et je pense qu’il y a un enjeu majeur pour les collectivités, pour les territoires, pour les administrations, à s’emparer de cette base de données libre territorialisée qu’est OpenStreetMap.<br/>
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Aujourd’hui, on voit que les licences libres se déclinent et se propagent pour s’appliquer à des contenus culturels, à des contenus artistiques, à des contenus pédagogiques. Je pense qu’il y a un enjeu de société à apprendre aussi, du coup, à nos jeunes, à nos enfants, mais aussi à tout un chacun, à utiliser ces licences libres pour fabriquer de nouveaux communs effectivement, notamment de nouveaux savoirs, de nouvelles ressources qui sont souvent – c’est le cas de Wikipédia, c’est le cas d’OpenStreetMap – fabriquées par un collectif, fabriquées sur un mode collaboratif avec l’objectif d’être accessibles à tous, d’être partagées. Comme on est nombreux à contribuer à ces communs, ces communs atteignent une taille et une qualité impressionnantes et, parce qu’on a choisi de les partager sous licence libre, ces communs sont accessibles à tout un chacun.<br/>
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Dans ces communs, la licence libre est aussi une sorte de contrat social que se donnent les contributeurs pour travailler ensemble. C’est-à-dire que si je contribue aujourd’hui à Wikipédia ou à OpenStreetMap, j’accepte que mes contributions soient partagées sous licence libre et je sais, en retour, que je profiterai, je bénéficierai des contributions, sous licence libre, de tous les autres.<br/>
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Je vois, dans la conversation, les machines agricoles libres. Dans le cadre d’une émission de radio à laquelle l’April participe j’anime une chronique qui s’appelle « Pépites libres » et chaque mois je présente une nouvelle ressource sous licence libre, autre que logicielle, je vous mettrai un lien tout à l’heure pour aller retrouver ces pépites. Je parlais par exemple, il y a quelques semaines, de l’association grenobloise Entropie qui partage des notices de fabrication d’objets, de fabrication de meubles, de fabrication d’éoliennes, de fabrication de fours solaires. Ces notices de fabrication d’objets sont partagées sous licence libre avec un objectif qui est proche, en fait, de celui des fondateurs du logiciel libre, c’est-à-dire un objectif d’accès à tous, d’amélioration collaborative et de partage des savoirs.<br/>
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Voilà un petit peu ce que je voulais dire sur cette question de la formation ; j’aime bien le mot « sensibilisation au numérique ». Je pense que c’est vraiment un enjeu pour lequel on est tous concernés dans tous les aspects de nos vies.
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<b>Florian Cartellier :</b>J’aimerais bien rebondir sur ce que vient de dire Jean-Christophe. Ce qui est intéressant, comme il vient de dire, c’est une philosophie qui permet d’être vraiment dans quelque chose de commun, où tout le monde va collectivement construire, enrichir, en fait, l’ensemble des autres personnes. Du coup, c’est ce que disait Dorie au début, sur la transformation que ça peut provoquer en termes de valeurs, de relations, etc. Ici on est clairement sur quelque chose où on peut, à travers le numérique, porter une valeur de partage et de relation aux autres avec des outils et qu’on n’aurait pas forcément sans. En plus, Jean-Christophe nous a montré qu’on pouvait avoir ça aussi dans d’autres domaines.<br/>
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Je voulais insister là-dessus parce que, justement, ça s’oppose complètement à une forme du numérique qui existe aussi aujourd’hui, qui est un numérique complètement contraint, où un certain nombre de personnes se retrouvent face à un service – typiquement on parlait des services de l’État ou des collectivités. Les gens doivent passer par le numérique pour accéder à ces services, on le leur a imposé, ils n’ont contribué à quoi que ce soit, on ne leur a pas demandé leur avis. Là on est dans un modèle complètement différent qui est un numérique subi.<br/>
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Ce qui dit Jean-Christophe est vachement intéressant par rapport à cette question du choisi qui est dans le titre de la table ronde de ce soir. Quand on contribue aussi au modèle global, eh bien on peut aussi choisir ce qu’on fait, alors que si on est simplement sur un modèle où il y a une administration qui impose de passer par le numérique et puis c’est comme ça, il n’y a pas d’autre choix, il n’y a pas de guichet, en plus le site n’a pas même pas été développé en accord avec les usagers, on est sur deux philosophies complètement différentes.<br/>
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Je trouve que ce que nous présente Jean-Christophe est vraiment un exemple important à suivre.
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<b>Jean-Christophe Becquet : </b>Ça commence très tôt ! Ce numérique subi commence à l’école. Si on enseigne l’informatique avec des logiciels non libres, on prescrit à des futurs consommateurs des outils non maîtrisés et non maîtrisables. C’est pour ça qu’à l’April on défend cette priorité au logiciel libre dans l’éducation, dans l’administration et dans tous les aspects de la vie publique, parce que, en fait, c’est le seul moyen qu’on a de maîtriser son informatique.
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<b>Vincent :</b>Du coup, je prends la balle au bond. Merci jean-Christophe parce que, effectivement, l’école, l’éducation est un des lieux importants de fabrique d’une culture numérique. Il me semble que Judicaël a des choses à nous raconter en termes de retour d’expérience sur comment ça se passe dans les lycées. Tendre la perche à Judicaël m’intéresse d’autant plus que je rappelle que les lycées font partie du spectre des compétences de la région, que ce sont les régions qui équipent et financent les équipements, notamment informatiques des lycées, donc pas simplement les bâtiments des lycées, mais aussi les équipements informatiques des lycées. Judicaël, si je ne me trompe pas, tu as justement vécu une espèce de changement de politique par rapport à la gestion du numérique dans les lycées.
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<b>Judicaël Courant :</b>Oui, tout à fait.<br/>

Version du 1 septembre 2021 à 13:10


Titre : Formation et culture numérique - un numérique inclusif, accessible et choisi - Table ronde

Intervenant·e·s : Dorie Bruyas - Jean-Christophe Becquet - Judicaël Courant - Florian Cartellier

Lieu : En ligne sur BigBlueButton

Date : 1er juin 2021

Durée : 1 h 34 min

Vidéo

Page de présentation de la conférence sur le site de l'April

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Présentateur : Cette conférence est enregistrée à partir de maintenant. Pour celles et ceux qui n’auront pas eu l’occasion d’y participer, il y aura une rediffusion qui sera accessible un petit peu après. On transmettra aussi l’information.
Peut-être, pour introduire cette soirée, c’est l’idée que ce soir on va beaucoup plus traiter du numérique mais sur son versant inclusif, accessible et choisi, donc être autour des problématiques de l’appropriation du numérique.
À l’horizon 2022, la très grande majorité des services de l’État et des collectivités territoriales devrait être dématérialisé à partir, notamment, d’un cadre qui a été défini par l’État de 22 propositions, d’un groupe qui s’appelle le CAP 2022, donc un groupe dépendant du gouvernement qui est l’acronyme de Comité Action Publique 2022. C’est l’idée qu’on aurait un service public augmenté jusqu’au dernier kilomètre. Voilà un petit peu comment on pourrait essayer de résumer cette perspective qui ambitionne que le numérique soit accessible pour toutes et tous et partout et que, du coup, la plupart des services des collectivités territoriales soit transférée du côté du numérique, la plupart des actions qu’on devrait faire devrait pouvoir se faire en ligne ou à partir d’appareils type téléphones, ordinateurs, etc.
La région est une collectivité locale qui aura sa part dans ce dispositif. Il conviendra qu’elle agisse avec éthique et discernement pour que ces propositions s’adaptent aux enjeux sociaux, culturels, économiques de nos territoires. 22 propositions pour 2022, c’est un joli coup de com’ manifestement. Si on avait pris les choses en main une décennie plus tôt, on aurait peut-être eu besoin de 10 propositions de moins. Toujours est-il qu’on s’en tire bien, on est en 2022 ; en 2023, vous voyez, il en faudra un petit peu plus. Prenons les choses dès aujourd’hui et dès maintenant et ce soir nous nous focaliserons non pas sur l’ensemble des thématiques, mais plutôt sur quelques-unes d’entre elles et, en particulier, celles qui interrogent l’accessibilité au numérique en termes d’appropriation, de culture et d’éducation. Ça sera peut-être plutôt sur ces domaines que nous serons ce soir.
Face à nous l’ensemble de nos invités, parce que c’est un des privilèges que nous offrent les visios, des tables rondes, imaginairement rondes. Si vous le souhaitez, dans un premier temps, vous l’avez remarqué avec l’application que nous utilisons, une application libre qui s’appelle BigBlueButton, vous pouvez réduire la fenêtre de présentation là où vous avez la vignette en cliquant dans l’icône en bas à droite pour réduire. Vous verrez que si vous faites ça vous aurez une autre icône qui apparaîtra, qui montrera qu’il y a la possibilité d’activer une présentation. Je vous inviterai à cliquer à nouveau sur cette icône-là si, parmi nos invités, et je pense que certains l’ont prévu, il y a des présentations qui seront diffusées. Si vous voulez voir les présentations diffusées, il faudra à ce moment-là réduire. Mais si vous voulez voir toutes les têtes vous mettez en réduction. Pour l’instant c’est affiché « Les mardis du numérique ».

Avec nous trois invités principaux et un quatrième qui a un statut un peu particulier.
Parmi ces invités, je vais commencer par Jean-Christophe Becquet qui est vice-président de l’April. L’April c’est l’association pour la promotion et la défense du logiciel libre – elle compte 4000 membres, des personnes morales et des personnes physiques – et basiquement, professionnellement, il est formateur en informatique libre, expert et conseil sur l’open data et aussi sur OpenStreetMap, pour rappel OpenStreetMap c’est le système de cartographie participative qui est, en quelque sorte, l’équivalent du Wikipédia à la cartographie des territoires.
Dorie Bias, qui est cofondatrice de HINAURA. HINAURA c’est Hub pour l’Inclusion Numérique en Auvergne Rhône-Alpes. Elle aussi directrice de l’association Fréquence écoles qui est une association d’éducation aux médias numériques et organisatrice de l’évènement Super Demain qui est dédié au numérique éducatif pour les familles et qui se déroule en métropole de Lyon. Généralement, si mes souvenirs sont bons, ça se passe à La Sucrière. Non !

Dorie Bias : Ça s’est passé aux Subsistances, mais maintenant c’est à l’Hôtel de Métropole.

Présentateur : OK, c’est ça, effectivement.
Et puis Judicaël Courant qui est docteur en informatique ingénieur et ancien professeur d’informatique en prépa au lycée La Martinière à Lyon, responsable informatique dans son ancien lycée où il a géré l’administration des serveurs du parc informatique du lycée, pas du lycée du Parc, quand on dit le Parc du lycée ce n’est pas le lycée du Parc ce n’est pas la même chose.

Judicaël Courant : J’ai aussi enseigné au lycée du Parc, mais je ne m’coupais pas du parc informatique là-bas.

Présentateur : Voilà. En même temps ce n’est quand même pas la même cour. Donc gestion des postes, notamment il gérait 140 postes qui étaient sous GNU/Linux.
Et puis il y aura aussi présent, vous l’apercevez en visio, Florian Cartellier qui est candidat pour le Pôle écologiste en Isère et membre du groupe de travail sur la campagne dédiée à l’éthique et au numérique.
Sera présente aussi, plus en petit peu en backstage, une autre personne qui a préparé cette discussion, Nicolas Marcovic qui est candidat sur la liste de la métropole de Lyon.
Je me propose, dans un premier temps, de solliciter nos invités sur plusieurs points qui ont ponctué les échanges qui ont servi à préparer cette soirée. Peut-être que dans un premier temps, on va notamment s’intéresser à la question du besoin de formation aussi bien professionnelle que personnelle en abordant aussi bien la découverte, l’initiation, que comment on peut monter jusque vers le perfectionnement et monter avec des compétences qui sont avancées. Peut-être que sur ce point-là, ce besoin peut s’aborder peut-être au travers de l’offre de médiation numérique qu’il y a sur le territoire de la région. Je pense que cette cartographie de l’offre qui existe est plutôt bien connue par Dorie qui a certainement déjà des choses à nous dire et nous montrer un petit peu, justement, sur cette espèce de panorama du numérique et de la médiation numérique en région Rhône-Alpes-Auvergne.
Dorie, est-ce que ça te va si je te lance sur ce sujet-là ?

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Dorie Bias : Oui, on peut faire ça.
J’avais prévu un support, je voulais clarifier une chose ou deux, sans vouloir être pénible, avant qu’on démarre véritablement sur le sujet de la médiation. C’est un sujet qui n’est pas forcément évident d’une part parce que, en tout cas, la question écologique n’est pas un de mes sujets de prédilection au départ, mais ce sont des sujets qu’on essaye de théoriser au sein de Fréquence écoles en lien, évidemment, avec ce qui se passe et aussi parce qu’on est interpellés par les acteurs et par les décideurs sur ces sujets-là.
Du coup, j’ai essayé de montrer que le sujet était peut-être plus complexe qu’on l’imaginait donc je suis revenue du côté de ce qu’on appelle les cultures numériques. De quoi parle-t-on quand on parle des cultures numériques ? Je pense que c’est important de considérer qu’on est quand même sur un changement sociétal. On ne parle pas que des ordinateurs ou la question de la dématérialisation. C’est l’idée que face à ce nouveau contexte on assiste à des bouleversements qui sont importants et qui sont d’ordre civilisationnel, en tout cas ce bouleversement va modifier nos regards sur les objets, les relations, les valeurs et, du coup, c’est de tout ça dont on parle quand on parle de culture numérique. On peut reprendre aussi, par exemple, la comparaison que Cardon fait, mais il n’est pas le seul, finalement la comparaison entre la révolution dite numérique et l’invention de l’imprimerie qui avait aussi changé beaucoup la donne à l’époque puisque l’invention de l’imprimerie va changer même la question des religions et au-delà de ça même la manière dont la société est organisée. Là on assiste aussi à quelque chose qui est un peu similaire.
On dit OK, nouveau paradigme, nouvelle ère, nouvelle civilisation. Cela dit il ne faut pas non plus être trop prophétique, on sait que ça peut être aussi l’envie d’imaginer qu’on est dans une nouvelle ère et dans une nouvelle civilisation, donc il faut peut-être nuancer ce point de vue. N’empêche qu’on peut aussi considérer que ça a modifié notre manière de communiquer, que ça a modifié notre accès à l’information, certainement la manière que nous avons de nous exprimer publiquement, donc ça va dans le champ de la communication, mais aussi peut-être, par exemple, que ça impacte nos capacités de mémorisation.
Du coup on voit bien que ces changements sont importants et qu’ils viennent beaucoup nous questionner. Évidemment la médiation a un rôle à jouer puisque l’enjeu que souhaite défendre, je crois, la question de la médiation, et on verra que le mot est compliqué, c’est de permettre à chacun et chacune de devenir des citoyens numériques, en fait des citoyens, ou de rester des citoyens ou même d’être des citoyens augmentés, on pourrait dire ça, ou tout simplement être des citoyens dans une société qui, du coup, a intégré la question numérique. On voit bien aussi que 2020 est une année dont on se souviendra sur la question numérique puisque le numérique s’est aussi un peu imposé à nous, en tout cas comme une réponse qui permettait de maintenir un certain nombre d’accès aux droits et pas que.
Je voulais juste refaire un distinguo très clair entre l’inclusion numérique et l’éducation numérique. La question de l’inclusion numérique est une question de justice sociale et d’équité. C’est la question de l’accès aux droits, c’est le fait que, par exemple, dans une situation dématérialisation nous ne sommes pas égaux et la question de l’éducation au numérique, pour moi en tout cas, c’est une question d’émancipation. J’ai mis le terme « agentivité » puisque je l’aime bien, mais c’est l’idée vraiment de la capacitation, l’empowerment si on utilise un mot anglais, l’idée qu’on va pouvoir s’autonomiser, se saisir, changer des choses, agir sur notre environnement et j’entends bien là que potentiellement le sujet n’est pas du tout le même. D’un côté l’intégration juste et de l’autre côté l’émancipation.
Une fois qu’on a dit ça et qu’on se dit que l’enjeu c’est l’émancipation, ça veut dire quoi pour nous, en tout cas au sein de Fréquence écoles ou de l’équipe(???) d’HENAURA ? C’est apprendre à contourner les pièges, c’est développer son esprit critique pour être en capacité de faire des choix et ça marche sur tout, ça marche sur le matériel comme sur les services ; c’est aussi déconstruire ce qu’on voit mais aussi, par exemple, tout est ce qui l’influence publicitaire pour résister aux injonctions normatives. C’est aussi utiliser les technologies de manière active, en tout cas utile, et utiliser, évidemment, Internet potentiellement comme un levier d’expression ou de participation citoyenne, qui sont quand même des idées qui nous semblent aussi être importantes dans une société des médias et de la communication.
Comment ? Eh bien ce n’est pas si simple. Ça veut dire, pour nous, qu’il faut comprendre le fonctionnement actuel du numérique mais c’est aussi développer ce qu’on appelle des compétences stratégiques, j’y reviendrai très rapidement, c’est-à-dire aller au-delà de simplement des compétences manipulatoires qui sont souvent des compétences logicielles ou informationnelles qui est notre capacité à accéder à l’information pour réussir, finalement, à articuler tout ça, par exemple pour résoudre des problèmes ou pour, j’allais dire s’émanciper mais c’est un peu redondant, pour, par exemple, trouver une réponse qu’on n’attendait pas sur un sujet qu’on avait commencé à investiguer. Du coup ce sont aussi les apports de la sérendipité, c’est-à-dire trouver une réponse qui n’était pas celle qu’on attendait voire, d’ailleurs, ne pas se poser de questions et se plonger un peu dans des recherches qui donnent des contenus et après, par un phénomène de sauts de puce qui nous permet de sortir des sentiers battus, on va dire ça comme ça.
Une fois que j’ai dit ça, l’idée c’était de montrer qu’il y a des controverses qui ont des impacts potentiellement sur la manière d’accompagner sur les stratégies de médiation numérique puisque, du coup, il y en a plusieurs. Aujourd’hui ce qui est vrai c’est qu’il y a des médiateurs numériques installés dans des structures, mais il y a aussi de l’éducation au numérique à l’école, même si, de mon point de vue, elle est encore insuffisante. Il y a aussi des enjeux. Tout à l’heure il y a un projet qui a été cité dans le chat, qui s’appelle Tandem, qui posait la question de la coéducation, c’est-à-dire du rôle des familles ajouté à celui des enseignants ou, par exemple, des bibliothécaires comme en ce moment sur les questions d’éducation aux médias numériques. En fait il y a tous ces gens-là qui peuvent agir ou qui agissent déjà sur ces sujets. Mais on se rend bien compte qu’il y a des controverses et en particulier, si on s’intéresse à la question écologique, il y a des controverses qui sont sérieuses et qui méritent en tout cas d’être traitées.
Le numérique, historiquement, c’était plutôt un projet collectif et on se rend compte que finalement, aujourd’hui, on est sur des développements d’interfaces qui favorisent des accès solo, du coup on utilise plutôt une machine/une personne et, finalement, les usages collectifs se retrouvent en ligne. C’est ça qu’il est intéressant d’observer. Si on prend, par exemple, les consoles de jeux vidéo, au final on a souvent une possibilité seulement. Le partage d’écran comme dans les années 90 avec les consoles de jeu vidéo avec quatre manettes c’est quelque chose qui ne se fait quasiment plus à part sur les consoles très familiales et, au final, on a besoin de plusieurs interfaces pour partager un jeu en commun.
Les usages collectifs se passent plutôt en ligne, dans ces cas-là en tout cas.
Un autre point important, on se rend compte que même si certains outils numériques sont pensés pour faire à plusieurs, en fait on ne sait pas bien travailler à plusieurs. On apprend, évidemment, là on est en train de vivre des transformations. N’empêche que ce n’est pas si facile et ce n’est pas parce qu’il y a des outils numériques collaboratifs que les usages sont nécessairement collaboratifs.
Il y a quand même évidemment, quand on parle de collectif et de numérique, la question des communs. Je laisserai le représentant de l’April évoquer ces questions-là, mais la question des communs numériques c’est aussi, d’ailleurs, la question des communs pédagogiques et c’est comment on partage des ressources. L’avantage des ressources numériques c’est qu’elles sont non rivales, du coup on va pouvoir les partager : ce n’est pas parce que moi je l’utilise que ça va priver quelqu’un d’autre de l’utiliser. Ça fait quand même partie des choses qui sont importantes.
L’idée c’est de dire que pour agir on est plutôt censés, et c’est le rôle de la médiation, créer des projets collaboratifs qui s’appuient sur la diversité des outils numériques et s’appuyer aussi sur la réalité des usages numériques, ce qui n’est pas facile à entendre, du coup ça peut vouloir dire utiliser les services que les personnes utilisent dans un premier temps avant d’essayer de les embarquer sur, peut-être, d’autres services. C’est, en tout cas, s’intéresser aussi bien à la question de la nature de la collaboration qu’à la question du choix des outils.
J’essaye d’aller vite.
Les usages problématiques évidemment du point de vue de l’impact écologiques.
On voit bien que le numérique permet, par exemple, d’éviter du déplacement, de réduire, on l’a vu, mais en même temps, le numérique a un lourd coût écologique, que ce soit du côté du stockage des données, du streaming, etc., mais aussi de la gestion des matériaux rares. Ce sont des questions qui méritent d’être posée, évidemment. Les réseaux sociaux, par contre, vont permettre aussi des mobilisations citoyennes, des prises de conscience, de communiquer au sein de réseaux, de faire ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui, donc ce sont aussi, en tout cas, des possibilités de soutenir des propositions écologiques ou l’émergence de formes politiques qui, au départ, n’avaient pas d’audience dans les médias principaux.
Du coup, évidemment, ça nécessite de penser des actions de recyclage ou de reconditionnement des matériels, de mutualiser des équipements et de mettre l’usage avant l’équipement ; peut-être envisager, parfois, de faire de la pédagogie numérique sans nécessairement, d’ailleurs, utiliser des écrans, mais aussi apprendre à réparer. Aujourd’hui les enfants et les adolescents apprennent très peu à réparer les machines, d’abord ils ne savent même pas très bien comment ça marche et ça, ça peut aussi faire partie des choses qui seraient travaillées dans l’éducation en tout cas.
La question des humains. En effet la dématérialisation est très engagée, il y a quand même un objectif affiché par le gouvernement, c’est 100 % de dématérialisation en 2022. J’ai vu dans le chat, en effet, qu’il y a plein de gens pour qui c’est inacceptable et, du coup, comment fait-on si on ne veut pas passer par le numérique, sachant que pour 15 % de la population ça reste quand même très difficile et, en même temps, rappeler que, par exemple, les adolescents qui ont perdu beaucoup d’autonomie de déplacement peuvent, grâce au numérique, continuer de construire des relations de sociabilisation en ligne qui sont extrêmement importantes pour eux, en particulier les adolescents qui sont le moins dans la norme, ceux qui ont un peu des goûts bizarres ou des délires bizarres, eh bien c’est en ligne qu’ils trouvent aussi beaucoup de copains. Je dis bizarres, en tout cas marginaux. C’est, par exemple, hyper-intéressant de voir ce qui se passe sur Discord : quand on regarde la manière dont les adolescents sont en relation, c’est absolument fascinant.
Du coup on pense qu’il ne faut pas opposer réel et virtuel et on pense qu’il faut aussi considérer avec bienveillance les relations entretenues par les adolescents en ligne. Très dur pour nous les adultes, parce qu’on a du mal à le comprendre ce qu’ils vivent [Coupure de son]. Évidemment garder de la médiation humaine de manière systématique dans tout dispositif.[Coupure de son]
Ce qui explique le rôle des médiateurs numériques dans la société et tout passe par de la médiation humaine, ???. Je vous donne un chiffre : ??? numérique qui a été mis en place et auquel on a contribué pendant le premier confinement, qui a été un dispositif de médiation par téléphone tout simple, il y avait 400 appels par jour de gens qui étaient perdus, véritablement perdus, et qui avaient beaucoup besoin d’être rassurés alors que parfois ce n’était pas un problème, il fallait juste les rassurer, ils avaient juste peur. Je pense que c’est important de se dire que l’humain a encore un rôle extrêmement important à jouer.
On avait dit un numérique juste et il faut bien considérer que les fractures numériques sont des fractures sociales et que, du coup, si on vient d’un milieu défavorisé, qu’on a des problèmes de scolarité, etc., il y a plus de chances qu’on rencontre des grandes difficultés avec le numérique. Par exemple les femmes sont beaucoup plus victimes des problématiques de compétences numériques parce qu’en fait elles ont moins d’usages. D’ailleurs je ne sais pas combien il y a de femmes avec nous sur cette réunion, mais je pense qu’on est complètement en minorité. Du coup il y a ces questions qui sont posées aussi.
Je disais que les compétences à développer doivent aller au-delà des compétences manipulatoires, il faut aussi être capable de penser.
La question du handicap dans le monde numérique est aujourd’hui assez problématique en termes d’accessibilité.
Il faut imaginer que le secteur de la médiation numérique est en grand bouleversement.
L’autre question qui mérite d’être posée c’est, finalement, est-ce que les professionnels de l’action sociale ne doivent-ils pas développer des compétences de médiation numérique parce qu’ils sont au contact des populations qui sont déjà les plus en difficulté ? Donc c’est aussi un projet de transformation des compétences des professionnels dans des contextes d’économies, de tensions et même parfois de rôles à jouer qui sont un peu problématiques.
Un chiffre : 13 millions, 17 % de la population est en difficulté, parfois par choix, aussi, parce qu’on a le droit de ne pas être d’accord. Du coup qu’est-ce qu’on fait de ces 13 millions de Français qui ont besoin de pouvoir, évidemment, accéder à leurs droits ?
Ce petit schéma permet juste de très bien comprendre les trois niveaux de compétence, ce sont des travaux belges d’un chercheur qui s’appelle Valenduc, pour ceux que ça intéresse. On voit bien que les compétences instrumentales, c’est-à-dire manipulatoires, sont importantes, elles sont là. Par-dessus on a la surcouche des compétences informationnelles autour de la recherche, la sélection, la compréhension de l’information, mais juste autour ce sont les compétences stratégiques qui sont les plus essentielles, qui permettent d’utiliser toutes ces choses-là de manière pro-active, on va dire ça comme ça.
Pour agir : des programmes pour développer les compétences qui aillent évidemment, au-delà du Pix. Même si Pix, franchement, c’est déjà une brique que je ne trouve pas inintéressante puisque, par exemple sur les data qui sont un des grands enjeux de la révolution numérique, si on peut parler de révolution, eh bien le pilier Pix qui travaille là-dessus est assez intéressant et permet vraiment de mesurer son niveau de compétence. Il y a aussi des appuis possibles avec les médiateurs qui travaillent sur les territoires, que ce soit dans les Espaces Publics Numériques mais aussi dans les bibliothèques, médiathèques, voire les travailleurs sociaux qui se forment de plus en plus. Pix est gratuit, c’est la traduction de ce qu’on appelle le « DigComp » qui est le référentiel européen de compétences en matière de compétences numériques.
Oui, les libristes sont des vieux mâles blancs de plus de 50 ans, absolument !
Un numérique libre du coup pour finir. On est d’accord, les modèles économiques sont très problématiques, la pression de la publicité aussi, la gestion des data, mais, en même temps, un accès renouvelé à l’information avec des canaux qui se sont créés, qui ne sont pas inintéressants, des logiciels et des projets ouverts qui, pour nous en tout cas, ont particulièrement du sens pour le coup, et des fonctionnements algorithmiques qui méritent d’être questionnés et interpellés pour ne pas tomber, justement, dans des cercles extrêmement fermés. Évidemment ça veut dire qu’il faut envisager, au titre de l’éducation aux médias numériques ou au titre de l’émancipation numérique, des projets d’éducation à la publicité qui permettent de la comprendre, de la penser de manière un peu complexe d’ailleurs, et évidemment des projets d’éducation à la data, ce qu’on appelle la data literacy en lien avec les questions d’identité numérique.
Voilà. Je suis allée très vite, je suis désolée, mais je trouvais important de repréciser ces éléments-là parce qu’on ne parle pas de la même chose si on parle d’émancipation, d’inclusion, et si on parle de culture numérique de manière large ou juste, par exemple, de l’aspect équipement informatique.
Je ne suis pas sûre d’avoir répondu à la question, je suis hyper-emmerdée. Vincent.

Vincent : Je suis là. Je « chattait » en même temps, en parallèle, mais dans le chat public.
Du coup oui, effectivement je pense malgré tout que j’inviterai les gens à aller faire un tour du côté du site d’HINAURA et voir qu’il y a effectivement un ensemble de choses qui sont cartographiées sur les actions, justement, de médiation numérique et sur cette idée de l’inclusivité même si, personnellement, j’ai tendance à placer l’accessibilité avant l’inclusivité parce que, d’une façon peut-être bête et méchante, j’ai tendance à dire « pas de bras, pas de chocolat ». Donc ça se ressemble, les deux se complètent.

Dorie Bias : Ça se tient aussi. Si déjà les systèmes sont accessibles, lisibles et simples à utiliser. Si tu veux, pour l’instant, les personnes qui ont développé le meilleur système de recherche que je connais ça commence par G, après il y a deux o, après il y a un g…

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Vincent : À côté de ça, tu n’as pas forcément tort, mais tu n’as pas raison sur l’usage quotidien et systématique. Quand tu cherches le site de la SNCF, tous les moteurs de recherche te le trouvent. Comme aujourd’hui les moteurs de recherche servent avant tout de gestionnaire de signets, en règle générale ils ne sont pas plus utiles que cela si ce n’est de savoir où on va mettre ses billes à un moment ou à un autre.
Et puis, personnellement, je « place », entre guillemets, la question de l’accessibilité, mais je vais refiler la main, avant l’inclusivité, dans cette idée que si on n’a pas la possibilité de se brancher au numérique, effectivement que l’inclusivité commence par le fait de pouvoir utiliser du numérique.
Je vais relancer sur le sujet, même si, peut-être, il croisera ça avec la problématique de la formation professionnelle et personnelle et de la médiation en direction des individus, mais je relancerai peut-être Florian sur cette idée du réseau jusqu’au dernier kilomètre, sur cette accessibilité. Je pense que c’est important aussi de resituer la question de l’accessibilité dans un débat qui est celui de la région et la région a des prérogatives en termes de territorialité et en termes d’égalité d’accès à l’information sur l’ensemble du territoire.
Si je te lance là-dessus, Florian, tu as des billes, tu as des trucs à nous raconter ?

Florian Cartellier : Je n’avais pas prévu de parler de réseau technique précisément.

Vincent : Sans rentrer dans la dimension technique à proprement parler, mais cette idée de l’accessibilité au numérique partout, par tous et par toutes.

Florian Cartellier : C’est sûr, effectivement, que pour pouvoir utiliser le numérique déjà il faut y avoir accès et il y a la question de comment on y accède aussi et quels réseaux on développe. Typiquement, en fait, on a un réseau de fibre qui s’est développé, on a aussi un réseau Wifi, en ce moment il y a beaucoup de débats autour du réseau 5G. À chaque fois ce sont des réseaux différents, donc au moment du développement du réseau il y a aussi un choix technique qui est un choix organisationnel global qui, du coup, doit prendre en compte, effectivement, tous les territoires, notamment les territoires ruraux qui sont en général les plus délaissés. La région peut effectivement agir par rapport à ça pour s’assurer que tout le monde ait accès, pour ce qui me concerne préférentiellement en filaire dans un premier temps, mais que tout le monde ait accès à du numérique et à Internet puisque c’est quand même un des grands intérêts du numérique aujourd’hui.
J’aurais envie de rebondir un peu sur cette question de l’accessibilité . Justement on disait qu’après il faut l’inclusion, il faut que les gens puissent se servir complètement de l’outil. C’est vrai que le numérique est pensé aujourd’hui, par défaut, comme étant facilitateur. Il y a cette idée que si on met les gens en réseau de toute façon ils vont savoir faire et le simple fait d’être en réseau va générer du mieux ou une accélération ou une facilité. En fait ce n’est pas forcément vrai parce que ce sont des outils qu’il faut maîtriser et ce sont aussi des outils pour lesquels des choix sont faits au moment de leur développement. Là on parlait du choix du réseau, mais il y a aussi des choix, on va dire, dans les formes numériques qui sont données. Si on prend les réseaux sociaux ils sont construits, en tout cas les Facebook et consorts, déjà pour utiliser les données des utilisateurs et, en fait, pour rendre le plus dépendant possible, qu’on soit accro au réseau. Je donne cet exemple pour dire que dans le choix du numérique il y a effectivement avoir accès au numérique, mais il y a aussi quel numérique on développe et comment on le développe collectivement. Ce que disait Dorie sur le fait d’avoir des outils pour se défendre contre ça c’est effectivement fondamental, mais on peut aussi avoir une réponse collective pour voir comment on développe – ce n’est pas forcément le thème de ce soir – un numérique sur des bases choisies collectivement pour construire le numérique qui soit celui du lien et pas celui de la captation des profits par quelques multinationales.
Je dévie un peu de la question.

Vincent : Je vais reprendre aussi. Du coup, effectivement, il y a cette dimension qui est de couvrir le territoire aussi bien d’un point de vue technologique et de raccordement que du point de vue des services et de l’accompagnement. La question du numérique interroge aussi ce qu’on met – on parle de numérique depuis un moment – derrière la terminologie « numérique » et de quel numérique parle-t-on ? Est-ce qu’on est dans quelque chose qui est de l’ordre du gadget ou de ce qui est, un petit peu, de son utilité. Il y a, derrière, un certain nombre d’enjeux qui sont des enjeux économiques, des enjeux financiers. On sait aujourd’hui, quand on parle de GAFAM – on pourrait aller un petit peu plus loin et ajouter quelques lettres – que les principales, parmi les dix premières sociétés qui sont cotées en bourse et qui ont la plus grosse capitalisation, je n’ai pas vérifié dernièrement, mais je pense qu’on est approximativement à sept sociétés si on prend aussi bien les GAFAM américains que les quelques sociétés chinoises qui les ont rejointes dans ce top 10 alors qu’il y a une vingtaine, une trentaine d’années c’étaient des entreprises du pétrole qui étaient à cet endroit-là et au début du 20e siècle, dans la première partie du 20e siècle, c’étaient des fabricants d’acier qui y étaient ou de chimie plus tard. On voit bien que ça nous raconte quelque chose de la société.
Du coup j’ai envie de demander, peut-être à Jean-Christophe, de l’April, de revenir un petit peu sur cette notion de numérique. Qu’est-ce qu’on peut mettre derrière le numérique et quels enjeux y a-t-il autour de l’appropriation du numérique non pas par ceux qui le fabriquent, mais par ceux qui l’utilisent ? Et peut-être, à ce moment-là, revenir effectivement sur cette notion de logiciel libre qui, je pense, poindra immanquablement lorsque j’interroge le vice-président de l’April.

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Jean-Christophe Becquet : Effectivement, je peux peut-être introduire sur cette citation de Richard Stallman qui a formalisé le concept de logiciel libre en 1984 et qui disait : « La liberté logicielle n’est pas plus importante que les autres libertés. Simplement la liberté informatique est essentielle parce que, aujourd’hui, l’informatique traverse tous les aspects de nos vies ». Aujourd’hui on utilise le numérique, on utilise les outils informatiques pour communiquer, pour apprendre, pour travailler, pour exercer sa vie citoyenne, pour consommer. Donc à chaque instant et dans tous les aspects de nos vies, que ce soit personnelle ou professionnelle, on est dépendant de ces outils et, du coup, il est extrêmement important, il est essentiel, comme l’a dit Dorie, de permettre à chacun l’accès à ces outils et leur maîtrise.
Je voudrais vraiment revenir sur un mythe. Tout à l’heure, dans la conversation, il y avait une discussion sur la formation informatique et ça parlait des jeunes, des vieux. Mon sentiment c’est qu’on est tous égaux devant l’incompétence face au numérique qu’on soit jeune, qu’on soit vieux. En tout cas cette idée, de la part notamment de certains parents, que nos ados naîtraient nativement compétents au numérique et que juste le fait de vivre dans cette société, baignés de numérique, les rendrait compétents. C’est non seulement faux de penser ça mais c’est extrêmement dangereux ! Personne n’est nativement compétent. On a besoin d’être formé, on a besoin d’être accompagné sur ses usages du numérique qu’on soit jeune ou qu’on soit vieux, qu’on soit scientifique ou littéraire, féru de technique ou pas, qu’on soit d’une classe sociale favorisée ou, au contraire, dans une situation de précarité, on est tous concernés par cette problématique de la compétence et de l’accès au numérique. Je ne parle pas de l’accès, effectivement, matériel et connexion qui va être plus facile pour les classes favorisées, mais sur l’aspect compétence et maîtrise des outils, on est tous égaux. C’est pour ça qu’il faut absolument actionner tous les leviers qu’on peut actionner pour accompagner ces usages du numérique. Ça va d’abord être l’école. Je pense que l’école doit être un lieu de sensibilisation et d’apprentissage des usages éclairés du numérique. Puis la formation professionnelle, parce que, quand on sort de l’école. on est loin de tout maîtriser et on a encore besoin d’être formé et pas seulement formé à des usages techniques, mais formé à des pratiques et à la compréhension des enjeux, par exemple ceux que tu évoquais tout à l’heure sur les réseaux sociaux et ce que les réseaux sociaux induisent sur notre manière de communiquer, d’interagir, de s’afficher en public. Après l’école, après la formation professionnelle, bien sûr l’éducation populaire, donc tous ces acteurs de la médiation numérique qui, effectivement, accompagnent les usages du numérique.
Ce que le logiciel libre apporte là-dessus c’est que, effectivement, derrière le logiciel libre il y a cette idée que chacun doit pouvoir comprendre et maîtriser son outil informatique.
Un logiciel libre est un logiciel qu’on peut étudier, on peut aller voir comment il est fait à l’intérieur. Quand on dit qu’on peut étudier, ça veut dire qu’on en a la possibilité, qu’on en a le droit, ça ne veut pas dire qu’on est obligé de le faire. Dans cette idée du logiciel libre, il y a cette envie que chacun, en fonction de là d’où il part, en fonction de son appétence, puisse en tout cas ouvrir le capot, aller voir comment ça fonctionne sans rencontrer de barrière, notamment de barrière juridique, puisqu’en fait les licences libres sont un outil juridique qui a été pensé pour permettre l’accès au savoir – les logiciels, en fait, sont du savoir. Les licences libres sont un outil juridique qui autorise l’accès à ces savoirs.
D’ailleurs on observe, depuis le début des années 2000, que les licences libres qui ont été, au départ, pensées pour les logiciels, pour permettre d’avoir des logiciels qu’on peut utiliser librement sans restriction, qu’on peut copier, qu’on peut étudier et qu’on peut modifier pour les adapter à ses besoins, ces licences qui, au départ, se déclinent aujourd’hui sur toutes sortes de contenus au-delà du logiciel. La première, et peut-être la plus connue, c’est l’encyclopédie libre Wikipédia. Dans ma présentation on a aussi parlé d’OpenStreetMap, un projet libre de données géographiques sur lequel je travaille beaucoup en ce moment et je pense qu’il y a un enjeu majeur pour les collectivités, pour les territoires, pour les administrations, à s’emparer de cette base de données libre territorialisée qu’est OpenStreetMap.
Aujourd’hui, on voit que les licences libres se déclinent et se propagent pour s’appliquer à des contenus culturels, à des contenus artistiques, à des contenus pédagogiques. Je pense qu’il y a un enjeu de société à apprendre aussi, du coup, à nos jeunes, à nos enfants, mais aussi à tout un chacun, à utiliser ces licences libres pour fabriquer de nouveaux communs effectivement, notamment de nouveaux savoirs, de nouvelles ressources qui sont souvent – c’est le cas de Wikipédia, c’est le cas d’OpenStreetMap – fabriquées par un collectif, fabriquées sur un mode collaboratif avec l’objectif d’être accessibles à tous, d’être partagées. Comme on est nombreux à contribuer à ces communs, ces communs atteignent une taille et une qualité impressionnantes et, parce qu’on a choisi de les partager sous licence libre, ces communs sont accessibles à tout un chacun.
Dans ces communs, la licence libre est aussi une sorte de contrat social que se donnent les contributeurs pour travailler ensemble. C’est-à-dire que si je contribue aujourd’hui à Wikipédia ou à OpenStreetMap, j’accepte que mes contributions soient partagées sous licence libre et je sais, en retour, que je profiterai, je bénéficierai des contributions, sous licence libre, de tous les autres.
Je vois, dans la conversation, les machines agricoles libres. Dans le cadre d’une émission de radio à laquelle l’April participe j’anime une chronique qui s’appelle « Pépites libres » et chaque mois je présente une nouvelle ressource sous licence libre, autre que logicielle, je vous mettrai un lien tout à l’heure pour aller retrouver ces pépites. Je parlais par exemple, il y a quelques semaines, de l’association grenobloise Entropie qui partage des notices de fabrication d’objets, de fabrication de meubles, de fabrication d’éoliennes, de fabrication de fours solaires. Ces notices de fabrication d’objets sont partagées sous licence libre avec un objectif qui est proche, en fait, de celui des fondateurs du logiciel libre, c’est-à-dire un objectif d’accès à tous, d’amélioration collaborative et de partage des savoirs.
Voilà un petit peu ce que je voulais dire sur cette question de la formation ; j’aime bien le mot « sensibilisation au numérique ». Je pense que c’est vraiment un enjeu pour lequel on est tous concernés dans tous les aspects de nos vies.

Florian Cartellier :J’aimerais bien rebondir sur ce que vient de dire Jean-Christophe. Ce qui est intéressant, comme il vient de dire, c’est une philosophie qui permet d’être vraiment dans quelque chose de commun, où tout le monde va collectivement construire, enrichir, en fait, l’ensemble des autres personnes. Du coup, c’est ce que disait Dorie au début, sur la transformation que ça peut provoquer en termes de valeurs, de relations, etc. Ici on est clairement sur quelque chose où on peut, à travers le numérique, porter une valeur de partage et de relation aux autres avec des outils et qu’on n’aurait pas forcément sans. En plus, Jean-Christophe nous a montré qu’on pouvait avoir ça aussi dans d’autres domaines.
Je voulais insister là-dessus parce que, justement, ça s’oppose complètement à une forme du numérique qui existe aussi aujourd’hui, qui est un numérique complètement contraint, où un certain nombre de personnes se retrouvent face à un service – typiquement on parlait des services de l’État ou des collectivités. Les gens doivent passer par le numérique pour accéder à ces services, on le leur a imposé, ils n’ont contribué à quoi que ce soit, on ne leur a pas demandé leur avis. Là on est dans un modèle complètement différent qui est un numérique subi.
Ce qui dit Jean-Christophe est vachement intéressant par rapport à cette question du choisi qui est dans le titre de la table ronde de ce soir. Quand on contribue aussi au modèle global, eh bien on peut aussi choisir ce qu’on fait, alors que si on est simplement sur un modèle où il y a une administration qui impose de passer par le numérique et puis c’est comme ça, il n’y a pas d’autre choix, il n’y a pas de guichet, en plus le site n’a pas même pas été développé en accord avec les usagers, on est sur deux philosophies complètement différentes.
Je trouve que ce que nous présente Jean-Christophe est vraiment un exemple important à suivre.

Jean-Christophe Becquet : Ça commence très tôt ! Ce numérique subi commence à l’école. Si on enseigne l’informatique avec des logiciels non libres, on prescrit à des futurs consommateurs des outils non maîtrisés et non maîtrisables. C’est pour ça qu’à l’April on défend cette priorité au logiciel libre dans l’éducation, dans l’administration et dans tous les aspects de la vie publique, parce que, en fait, c’est le seul moyen qu’on a de maîtriser son informatique.

Vincent :Du coup, je prends la balle au bond. Merci jean-Christophe parce que, effectivement, l’école, l’éducation est un des lieux importants de fabrique d’une culture numérique. Il me semble que Judicaël a des choses à nous raconter en termes de retour d’expérience sur comment ça se passe dans les lycées. Tendre la perche à Judicaël m’intéresse d’autant plus que je rappelle que les lycées font partie du spectre des compétences de la région, que ce sont les régions qui équipent et financent les équipements, notamment informatiques des lycées, donc pas simplement les bâtiments des lycées, mais aussi les équipements informatiques des lycées. Judicaël, si je ne me trompe pas, tu as justement vécu une espèce de changement de politique par rapport à la gestion du numérique dans les lycées.

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Judicaël Courant :Oui, tout à fait.