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<b>Anne-Marie Reytier : </b>Bonsoir à tous et à toutes. Merci encore d’être ici ce soir pour cette nouvelle manifestation des 75 ans de l’informatique.<br/>
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N’hésitez pas à nous dire si jamais vous n’entendez pas très bien, parce qu’il m’arrive de baisser le volume au fur et à mesure. Si vous n’entendez pas surtout manifestez-vous parce que le but c’est quand même que vous puissiez profiter.<br/>
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Pour les non habitués, parce que je vois qu’il y a de nouvelles têtes dans l’amphithéâtre, les 75 ans de l’informatique, pour un petit peu de contexte, on a commencé au mois d’octobre 2021. Pourquoi 75 ans ? Parce que 2021 marquait les 75 ans, du coup, de la création de l’Institut Blaise Pascal qui a été fondé à l’Université de Paris à l’époque. Cet institut n’existe plus on va dire dans son nom propre. Il y a eu des fusions, des séparations, des regroupements, en tout cas beaucoup d’aventures en 75 ans, mais il y a quand même des héritiers, on va dire, à cet institut. Le LIP6, le laboratoire qui célèbre les 75 ans, avec l’IRIF, un autre héritier est un héritier de cet institut.<br/>
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Les 75 ans c‘est une opportunité, on va dire, de marquer un petit peu le coup, vu que c'est une date, 75, pour présenter des travaux des membres du laboratoire évidemment, pour rendre visibles leurs domaines de recherche mais aussi leurs compétences. C’est aussi l’occasion, on va dire, d’ouvrir des conversations sur des enjeux de société et c’est ce qu’on va faire ensemble ce soir.<br/>
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Autour de moi ce soir j’ai des personnes pour discuter, évidemment. Je vais partir de ma gauche pour aller vers ma droite. Je ferai une petite phrase de présentation et après je vous laisserai un petit temps pour vous présenter plus en détail, puisqu’il y a des personnes avec nous ce soir qui ne sont pas du laboratoire.<br/>
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Tout à gauche nous avons Christine Tasson. Vous êtes enseignante-chercheuse ici au LIP6.<br/>
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Ensuite nous avons Anne Siegel. Vous êtes directrice de recherche au CNRS en informatique et plus précisément en bio-informatique.<br/>
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À ma droite directement j’ai Isabelle Collet. Vous êtes informaticienne de formation et vous êtes professeur en science de l’éducation à l’Université de Genève.<br/>
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Et enfin, à ma toute droite, j’ai Alexis Kauffmann, vous êtes chef de projet logiciel et ressources éducatives libres et mixité dans les filières du numérique pour la Direction du numérique pour l’éducation au sein du ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse et des Sports. Je reprends un peu de souffle parce que c'est sacré rédigé. Pour la petite histoire, o n vous connaît aussi comme créateur de Framasoft.
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Ce soir on va donc aborder, comme je disais, un sujet de société qui concerne aussi notre laboratoire, c’est la faible présence des femmes dans les domaines du numérique. On sait que les femmes y sont peu représentées, du coup pour illustrer un petit peu le laboratoire, j’ai pris quelques chiffres. Pour vous donner quelques exemples, le laboratoire n’est pas si mauvais élève comparé à d’autres puisque toutes catégories confondues de personnels, donc autant les enseignants-chercheurs, les doctorants, les personnels administratifs, on arrive à presque 30 % de femmes. Cette moyenne est un petit peu biaisée puisque la moyenne est forcément attirée par des extrêmes et, dans les personnels administratifs, il y a quand même forcément plus de femmes, donc elle est un petit peu attirée par ça. Je me suis dit que j’allais regarder d’autres chiffres pour voir si la tendance est toujours la même. Quand on regarde un peu de plus près, je me suis intéressés par exemple aux fonctions de professeur, maître de conférence et chargé de recherche. Au laboratoire on a 20 équipes différentes. Sur ces 20 équipes 12 sont à moins de 30 %. Du coup, la tendance de tout à l’heure avec la moyenne est un petit peu moins vraie. Il faut aussi noter que dans ces 12 équipes il y en a carrément deux où il y a zéro femme, il n’y a pas de personnel féminin. Pour finir sur un point positif, dans toutes ces équipes il y en a quand même trois qui sont au-dessus de 50 % dans les domaines que je vous ai cités avant, pour finir sur un petit point un peu plus positif.<br/>
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Le but de la discussion de ce soir sera d’échanger autour des mécanismes qui continuent à creuser cet écart. On pourrait se dire, finalement, que 30 % ça va, ce n’est quand même pas mal. On est loin de la parité et, comme vous avez vu avec quelques exemples, on peut voir que ce n’est pas vrai dans toutes les équipes quand on prend exemple par exemple.br/>
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On va voir quels mécanismes creusent toujours cet écart. On va aussi essayer d’aborder des leviers qui sont activés aujourd’hui avec des exemples qu’on va aborder toutes et tous ensemble qui tentent à réduire cette disparité.
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Je propose, parce que j’ai assez parlé je pense pour l’instant, qu’on fasse un petit peu tour de table pour que vous puissiez vous présenter, chacun et chacune, un petit peu plus en détail et après on ira dans le cœur du sujet. Je ne sais pas dans quel ordre vous voulez commencer. On refait peut-être de gauche à droite.
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<b>Christine Tasson : </b>Je suis Christine Tasson, je suis professeur d’informatique au LIP6 depuis presque deux ans. Mon domaine de recherche ce sont les langages de programmation, la sémantique et j’enseigne l’informatique à tous les niveaux du L1 au M2.<br/>
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Je me suis pas mal intéressée au sujet de l’égalité filles/garçons en intervenant à différents endroits, que ce soit en école primaire, dans la formation des enseignants à ce genre de question, au collège et au lycée, en animant des ateliers et en faisant connaître un petit peu l’informatique et aussi dans mes différentes fonctions, dans mes charges d’enseignement, dans le recrutement des post-bac et aussi dans la formation des enseignants qui vont enseigner l’informatique au lycée.<br/>
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Toutes ces questions m’intéressent et je pense qu’on va pouvoir en discuter ce soir.
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<b>Anne-Marie Reytier : </b>Merci Christine.
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<b>Anne Siegel : </b>Je suis Anne Siegel. Je suis directrice de recherche en informatique, localisée à Rennes, en Bretagne. Je me suis beaucoup intéressée, depuis une dizaine d’années, aux enjeux de parité, d’abord dans mon laboratoire en créant un groupe de travail Égalité, qui ensuite a grossi, qui est devenu une commission Égalité avec un certain nombre d’actions dont de la médiation en particulier, énormément d’actions, du mentorat aussi qui nous a beaucoup occupées. Depuis trois ans je travaille une partie de mon temps pour la direction du CNRS, pour l’INS2I, l’Institut des sciences du numérique au niveau national et j’ai en charge la politique parité dans les laboratoires d’informatique qui dépendent du CNRS. Là aussi on a développé pas mal d’actions, en particulier on a développé un réseau de référents égalité dans les laboratoires qui permet de transmettre de l’information et de pousser la dynamique dans les laboratoires. Une action plus nationale, aussi, de médiation qui a été la création d’une bande dessinée qu’on appelle <em>Les décodeuses du numérique</em>, c'est le côté pub !, qui est à la fois un outil de la valorisation de la science faite par nos chercheuses, nos enseignantes-chercheuses et nos ingénieures dans les laboratoires, mais aussi un outil de médiation scientifique, finalement, puisque ça permet aux jeunes de comprendre que l’informatique est vivante, est réalisée par des filles « vivantes et normales » entre guillemets, c’est ??? C’est à ce titre-là, je pense, que je suis invitée.
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<b>Anne-Marie Reytier : </b>Merci beaucoup Anne.
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<b>Isabelle Collet : </b>Je suis Isabelle Collet. Il y a très longtemps j’ai fait de l’informatique, j’ai été diplômée en 1991 en traitement du signal numérique. Je le dis parce que je me suis rendu compte que les gens pensaient, vu que j’étais une fille, je devais être dans l’informatique de gestion. Non ! Dans l’informatique j’étais en plus dans un truc où il n’y avait pas beaucoup de filles. Je dois être une des rares personnes à ne pas avoir trouvé de travail en informatique mais à en avoir trouvé en sociologie, normalement on ne fait pas ça. À cette époque-là, c’est au moment où j’ai cherché du boulot que j‘ai découvert que j’étais une fille. Je veux dire par là qu’avant j’étais une informaticienne comme les autres, à l’école je n’avais pas compris que ça pouvait être un problème et, en cherchant du travail, j’ai été vue par des employeurs comme une personne qui allait faire des quantités considérables d’enfants. C’était à un moment où il y avait une crise en informatique en France, eh bien je n’ai pas trouvé de travail intéressant dans mon domaine, donc j’ai travaillé dans la formation, la documentation, c’est en général là qu’on retrouve les femmes en informatique quand elles n’arrivent pas à se stabiliser dans la technique. Coup de chance pour moi j’ai découvert ce qu’on n’appelait pas encore les études de genre à l’époque mais les rapports sociaux de sexe en éducation. J’ai eu une grande lumière, je me suis dit « je commence à comprendre mon parcours, pourquoi ça s’est passé comme ça », donc j’ai fait une thèse sur la masculinisation des études d’informatique, elle est sortie en 2004, parce que j’ai découvert, à ma grande surprise, que si à mon époque il n’y avait pas tellement de femmes mais elles n’étaient pas ultra-minoritaires, au moment où je faisais mes recherches il y en avait encore moins.<br/>
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À cette époque ça n’intéressait à peu près personnes, donc j’ai arrêté de travailler là-dessus pendant une période. J’ai travaillé sur la formation des enseignants et des enseignantes plutôt de sciences, mais pas seulement, aux questions de genre et j’ai été recrutée à l’université de Genève. Depuis 2015, c’est avec un grand plaisir que je me rends compte que ça y est, ça devient un sujet tant du côté de l’éducation que du côté des professionnels de l’informatique ou des universités d’informatique qui, finalement, trouvent que ce n’est pas très normal. Si on part du principe qu’il n’y a pas de cerveaux roses et qu’il n’y a pas de cerveaux bleus qu’est-ce qui se passe qui fait que les femmes soient si minoritaires dans ces disciplines ?
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<b>Anne-Marie Reytier : </b>Merci beaucoup Isabelle. On termine avec vous, du coup, Alexis.
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<b>Alexis Kauffmann : </b>À l’origine je suis enseignant, je suis professeur de mathématiques et également de la nouvelle spécialité de NSI de la réforme du lycée, je l’ai enseignée un an. Par ailleurs j’ai des activités, un engagement associatif, étant notamment à l’initiative de Framasoft, un réseau autour du logiciel libre, qui s’attache à la promotion et la diffusion du logiciel libre.<br/>
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C’est à ce titre que le ministère m’a contacté pour rejoindre l’équipe en disant on va créer un poste fléché, spécifique pour développer l’<em>open source</em>, etc., et on m’a dit « mais, Alexis, on ne peut pas te faire un poste plein, tu dois reprendre la mission de la mixité dans les filières du numérique ». Nous sommes en train de raconter notre propre histoire, je raconte mon histoire, c’est la vérité. J’ai dit « donnez-moi une journée de réflexion parce que je n’ai rien écrit, je ne suis pas identifié, je ne suis pas légitime, je suis un homme blanc de 50 ans, etc. » J’ai réfléchi. En une journée j’ai lu tous les articles et regardé les vidéos d’Isabelle Collet pour être à la page. Plus sérieusement, je ne suis plus dans l’association, mais au sein de Framasoft on est parti avec 0 % de filles et on a la parité. L’association s’est posé cette question et aujourd’hui on a la parité. En tant qu’enseignant de sciences au lycée, c’est vraiment une question qui m’a intéressé. Ma fille a fait des études d’informatique, l’École 42 à une époque. Justement. où l’École 42 a complètement basculé de quelque chose de toxique à quelque chose de très accueillant.<br/>
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J’ai donc cette mission depuis septembre et elle me passionne parce que les défis sont grands.<br/>
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Sinon je suis ravi, je viens de twitter en disant que la première fois que je suis venu ici le Web n’existait pas, pour vous dire mon âge, le Web, pas Internet, et ça s’appelait Paris 6 d’où LIP6. Le 6 c’est Paris 6 Pierre et Marie Curie pour moi.
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<b>Anne-Marie Reytier : </b>Merci beaucoup Alexis. Effectivement Pierre et Marie Curie a fusionné en 2018 pour former cette grande entité de Sorbonne-Université.
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Je vais revenir sur ce que vous disiez Anne. Vous avez évoqué rapidement une histoire de référent parité. Je vais un peu le mixer à ce que vous disiez par rapport au fait que quand vous avez commencé un peu tout le monde s’en fichait, en tout cas ne voyait pas trop ou, plutôt, avait des grosses œillères. Dans <em>Les oubliées du numérique</em> que vous avez écrit, dans l’introduction vous expliquez, vous commencez directement avec ça que finalement il y a un petit basculement sociétal qui peut peut-être expliquer pourquoi il y a eu un peu cette directive qui est arrivée avec #MeToo. Je ne pense pas devoir expliquer à la salle, vous avez tous entendu parler de cette déferlante qui nous est arrivée des États-Unis. Ma question est : est-ce qu’on peut revenir un peu sur ces référents parité. Est-ce que finalement cette ouverture, ce coup de projecteur, c’est un peu ça qui a mis un coup dans la fourmilière et qui a un peu déclenché cette idée ? Ou est-ce que c’était déjà en amont ou va dire déjà un peu dans les tiroirs ?
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<b>Anne Siegel : </b>Je vais un peu dissocier.

Version du 1 juillet 2022 à 15:55


Titre : Femmes dans le numérique : disparition réversible ?

Intervenant·e·s : Isabelle Collet - Christine Tasson - Anne Siegel - Alexis Kauffmann - Annhe-Marie Reytier

Lieu : 75 ans d’Informatique - Sorbonne Université - Faculté des Sciences

Date : 15 mars 2022

Durée : 1 h 45 min 41

Vidéo

Présentation de la table ronde

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Pour cette deuxième table ronde, le LIP6 vous propose de plonger au cœur d’un sujet de société et de laboratoires : la faible présence des femmes dans les milieux du numérique. Pour mener cette discussion, nous retrouverons Isabelle Collet (Université de Genève), Christine Tasson (LIP6), Anne Siegel (IRISA) et Alexis Kauffmann (Direction du numérique pour l’éducation) qui échangeront autour des mécanismes qui continuent à creuser cet écart et des leviers qui sont activés aujourd’hui pour tenter de réduire cette disparité.

Transcription

Anne-Marie Reytier : Bonsoir à tous et à toutes. Merci encore d’être ici ce soir pour cette nouvelle manifestation des 75 ans de l’informatique.
N’hésitez pas à nous dire si jamais vous n’entendez pas très bien, parce qu’il m’arrive de baisser le volume au fur et à mesure. Si vous n’entendez pas surtout manifestez-vous parce que le but c’est quand même que vous puissiez profiter.
Pour les non habitués, parce que je vois qu’il y a de nouvelles têtes dans l’amphithéâtre, les 75 ans de l’informatique, pour un petit peu de contexte, on a commencé au mois d’octobre 2021. Pourquoi 75 ans ? Parce que 2021 marquait les 75 ans, du coup, de la création de l’Institut Blaise Pascal qui a été fondé à l’Université de Paris à l’époque. Cet institut n’existe plus on va dire dans son nom propre. Il y a eu des fusions, des séparations, des regroupements, en tout cas beaucoup d’aventures en 75 ans, mais il y a quand même des héritiers, on va dire, à cet institut. Le LIP6, le laboratoire qui célèbre les 75 ans, avec l’IRIF, un autre héritier est un héritier de cet institut.
Les 75 ans c‘est une opportunité, on va dire, de marquer un petit peu le coup, vu que c'est une date, 75, pour présenter des travaux des membres du laboratoire évidemment, pour rendre visibles leurs domaines de recherche mais aussi leurs compétences. C’est aussi l’occasion, on va dire, d’ouvrir des conversations sur des enjeux de société et c’est ce qu’on va faire ensemble ce soir.
Autour de moi ce soir j’ai des personnes pour discuter, évidemment. Je vais partir de ma gauche pour aller vers ma droite. Je ferai une petite phrase de présentation et après je vous laisserai un petit temps pour vous présenter plus en détail, puisqu’il y a des personnes avec nous ce soir qui ne sont pas du laboratoire.
Tout à gauche nous avons Christine Tasson. Vous êtes enseignante-chercheuse ici au LIP6.
Ensuite nous avons Anne Siegel. Vous êtes directrice de recherche au CNRS en informatique et plus précisément en bio-informatique.
À ma droite directement j’ai Isabelle Collet. Vous êtes informaticienne de formation et vous êtes professeur en science de l’éducation à l’Université de Genève.
Et enfin, à ma toute droite, j’ai Alexis Kauffmann, vous êtes chef de projet logiciel et ressources éducatives libres et mixité dans les filières du numérique pour la Direction du numérique pour l’éducation au sein du ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse et des Sports. Je reprends un peu de souffle parce que c'est sacré rédigé. Pour la petite histoire, o n vous connaît aussi comme créateur de Framasoft.

Ce soir on va donc aborder, comme je disais, un sujet de société qui concerne aussi notre laboratoire, c’est la faible présence des femmes dans les domaines du numérique. On sait que les femmes y sont peu représentées, du coup pour illustrer un petit peu le laboratoire, j’ai pris quelques chiffres. Pour vous donner quelques exemples, le laboratoire n’est pas si mauvais élève comparé à d’autres puisque toutes catégories confondues de personnels, donc autant les enseignants-chercheurs, les doctorants, les personnels administratifs, on arrive à presque 30 % de femmes. Cette moyenne est un petit peu biaisée puisque la moyenne est forcément attirée par des extrêmes et, dans les personnels administratifs, il y a quand même forcément plus de femmes, donc elle est un petit peu attirée par ça. Je me suis dit que j’allais regarder d’autres chiffres pour voir si la tendance est toujours la même. Quand on regarde un peu de plus près, je me suis intéressés par exemple aux fonctions de professeur, maître de conférence et chargé de recherche. Au laboratoire on a 20 équipes différentes. Sur ces 20 équipes 12 sont à moins de 30 %. Du coup, la tendance de tout à l’heure avec la moyenne est un petit peu moins vraie. Il faut aussi noter que dans ces 12 équipes il y en a carrément deux où il y a zéro femme, il n’y a pas de personnel féminin. Pour finir sur un point positif, dans toutes ces équipes il y en a quand même trois qui sont au-dessus de 50 % dans les domaines que je vous ai cités avant, pour finir sur un petit point un peu plus positif.
Le but de la discussion de ce soir sera d’échanger autour des mécanismes qui continuent à creuser cet écart. On pourrait se dire, finalement, que 30 % ça va, ce n’est quand même pas mal. On est loin de la parité et, comme vous avez vu avec quelques exemples, on peut voir que ce n’est pas vrai dans toutes les équipes quand on prend exemple par exemple.br/> On va voir quels mécanismes creusent toujours cet écart. On va aussi essayer d’aborder des leviers qui sont activés aujourd’hui avec des exemples qu’on va aborder toutes et tous ensemble qui tentent à réduire cette disparité.

Je propose, parce que j’ai assez parlé je pense pour l’instant, qu’on fasse un petit peu tour de table pour que vous puissiez vous présenter, chacun et chacune, un petit peu plus en détail et après on ira dans le cœur du sujet. Je ne sais pas dans quel ordre vous voulez commencer. On refait peut-être de gauche à droite.

Christine Tasson : Je suis Christine Tasson, je suis professeur d’informatique au LIP6 depuis presque deux ans. Mon domaine de recherche ce sont les langages de programmation, la sémantique et j’enseigne l’informatique à tous les niveaux du L1 au M2.
Je me suis pas mal intéressée au sujet de l’égalité filles/garçons en intervenant à différents endroits, que ce soit en école primaire, dans la formation des enseignants à ce genre de question, au collège et au lycée, en animant des ateliers et en faisant connaître un petit peu l’informatique et aussi dans mes différentes fonctions, dans mes charges d’enseignement, dans le recrutement des post-bac et aussi dans la formation des enseignants qui vont enseigner l’informatique au lycée.
Toutes ces questions m’intéressent et je pense qu’on va pouvoir en discuter ce soir.

Anne-Marie Reytier : Merci Christine.

Anne Siegel : Je suis Anne Siegel. Je suis directrice de recherche en informatique, localisée à Rennes, en Bretagne. Je me suis beaucoup intéressée, depuis une dizaine d’années, aux enjeux de parité, d’abord dans mon laboratoire en créant un groupe de travail Égalité, qui ensuite a grossi, qui est devenu une commission Égalité avec un certain nombre d’actions dont de la médiation en particulier, énormément d’actions, du mentorat aussi qui nous a beaucoup occupées. Depuis trois ans je travaille une partie de mon temps pour la direction du CNRS, pour l’INS2I, l’Institut des sciences du numérique au niveau national et j’ai en charge la politique parité dans les laboratoires d’informatique qui dépendent du CNRS. Là aussi on a développé pas mal d’actions, en particulier on a développé un réseau de référents égalité dans les laboratoires qui permet de transmettre de l’information et de pousser la dynamique dans les laboratoires. Une action plus nationale, aussi, de médiation qui a été la création d’une bande dessinée qu’on appelle Les décodeuses du numérique, c'est le côté pub !, qui est à la fois un outil de la valorisation de la science faite par nos chercheuses, nos enseignantes-chercheuses et nos ingénieures dans les laboratoires, mais aussi un outil de médiation scientifique, finalement, puisque ça permet aux jeunes de comprendre que l’informatique est vivante, est réalisée par des filles « vivantes et normales » entre guillemets, c’est ??? C’est à ce titre-là, je pense, que je suis invitée.

Anne-Marie Reytier : Merci beaucoup Anne.

Isabelle Collet : Je suis Isabelle Collet. Il y a très longtemps j’ai fait de l’informatique, j’ai été diplômée en 1991 en traitement du signal numérique. Je le dis parce que je me suis rendu compte que les gens pensaient, vu que j’étais une fille, je devais être dans l’informatique de gestion. Non ! Dans l’informatique j’étais en plus dans un truc où il n’y avait pas beaucoup de filles. Je dois être une des rares personnes à ne pas avoir trouvé de travail en informatique mais à en avoir trouvé en sociologie, normalement on ne fait pas ça. À cette époque-là, c’est au moment où j’ai cherché du boulot que j‘ai découvert que j’étais une fille. Je veux dire par là qu’avant j’étais une informaticienne comme les autres, à l’école je n’avais pas compris que ça pouvait être un problème et, en cherchant du travail, j’ai été vue par des employeurs comme une personne qui allait faire des quantités considérables d’enfants. C’était à un moment où il y avait une crise en informatique en France, eh bien je n’ai pas trouvé de travail intéressant dans mon domaine, donc j’ai travaillé dans la formation, la documentation, c’est en général là qu’on retrouve les femmes en informatique quand elles n’arrivent pas à se stabiliser dans la technique. Coup de chance pour moi j’ai découvert ce qu’on n’appelait pas encore les études de genre à l’époque mais les rapports sociaux de sexe en éducation. J’ai eu une grande lumière, je me suis dit « je commence à comprendre mon parcours, pourquoi ça s’est passé comme ça », donc j’ai fait une thèse sur la masculinisation des études d’informatique, elle est sortie en 2004, parce que j’ai découvert, à ma grande surprise, que si à mon époque il n’y avait pas tellement de femmes mais elles n’étaient pas ultra-minoritaires, au moment où je faisais mes recherches il y en avait encore moins.
À cette époque ça n’intéressait à peu près personnes, donc j’ai arrêté de travailler là-dessus pendant une période. J’ai travaillé sur la formation des enseignants et des enseignantes plutôt de sciences, mais pas seulement, aux questions de genre et j’ai été recrutée à l’université de Genève. Depuis 2015, c’est avec un grand plaisir que je me rends compte que ça y est, ça devient un sujet tant du côté de l’éducation que du côté des professionnels de l’informatique ou des universités d’informatique qui, finalement, trouvent que ce n’est pas très normal. Si on part du principe qu’il n’y a pas de cerveaux roses et qu’il n’y a pas de cerveaux bleus qu’est-ce qui se passe qui fait que les femmes soient si minoritaires dans ces disciplines ?

Anne-Marie Reytier : Merci beaucoup Isabelle. On termine avec vous, du coup, Alexis.

Alexis Kauffmann : À l’origine je suis enseignant, je suis professeur de mathématiques et également de la nouvelle spécialité de NSI de la réforme du lycée, je l’ai enseignée un an. Par ailleurs j’ai des activités, un engagement associatif, étant notamment à l’initiative de Framasoft, un réseau autour du logiciel libre, qui s’attache à la promotion et la diffusion du logiciel libre.
C’est à ce titre que le ministère m’a contacté pour rejoindre l’équipe en disant on va créer un poste fléché, spécifique pour développer l’open source, etc., et on m’a dit « mais, Alexis, on ne peut pas te faire un poste plein, tu dois reprendre la mission de la mixité dans les filières du numérique ». Nous sommes en train de raconter notre propre histoire, je raconte mon histoire, c’est la vérité. J’ai dit « donnez-moi une journée de réflexion parce que je n’ai rien écrit, je ne suis pas identifié, je ne suis pas légitime, je suis un homme blanc de 50 ans, etc. » J’ai réfléchi. En une journée j’ai lu tous les articles et regardé les vidéos d’Isabelle Collet pour être à la page. Plus sérieusement, je ne suis plus dans l’association, mais au sein de Framasoft on est parti avec 0 % de filles et on a la parité. L’association s’est posé cette question et aujourd’hui on a la parité. En tant qu’enseignant de sciences au lycée, c’est vraiment une question qui m’a intéressé. Ma fille a fait des études d’informatique, l’École 42 à une époque. Justement. où l’École 42 a complètement basculé de quelque chose de toxique à quelque chose de très accueillant.
J’ai donc cette mission depuis septembre et elle me passionne parce que les défis sont grands.
Sinon je suis ravi, je viens de twitter en disant que la première fois que je suis venu ici le Web n’existait pas, pour vous dire mon âge, le Web, pas Internet, et ça s’appelait Paris 6 d’où LIP6. Le 6 c’est Paris 6 Pierre et Marie Curie pour moi.

Anne-Marie Reytier : Merci beaucoup Alexis. Effectivement Pierre et Marie Curie a fusionné en 2018 pour former cette grande entité de Sorbonne-Université.

Je vais revenir sur ce que vous disiez Anne. Vous avez évoqué rapidement une histoire de référent parité. Je vais un peu le mixer à ce que vous disiez par rapport au fait que quand vous avez commencé un peu tout le monde s’en fichait, en tout cas ne voyait pas trop ou, plutôt, avait des grosses œillères. Dans Les oubliées du numérique que vous avez écrit, dans l’introduction vous expliquez, vous commencez directement avec ça que finalement il y a un petit basculement sociétal qui peut peut-être expliquer pourquoi il y a eu un peu cette directive qui est arrivée avec #MeToo. Je ne pense pas devoir expliquer à la salle, vous avez tous entendu parler de cette déferlante qui nous est arrivée des États-Unis. Ma question est : est-ce qu’on peut revenir un peu sur ces référents parité. Est-ce que finalement cette ouverture, ce coup de projecteur, c’est un peu ça qui a mis un coup dans la fourmilière et qui a un peu déclenché cette idée ? Ou est-ce que c’était déjà en amont ou va dire déjà un peu dans les tiroirs ?

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Anne Siegel : Je vais un peu dissocier.