Faut-il quitter Twitter

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Titre : Faut-il quitter Twitter ?

Intervenant·e·s : Joëlle Toledano - Olivier lascar - Julien Pillot - Romain Auzouy

Lieu : Débar du jour - RFI

Date : 18 avril 2023

Durée : 29 min 30

Podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Jusqu’où ira le divorce entre médias publics et Twitter ? Après la radio américaine NPR la semaine dernière, le groupe CBC/Radio Canada et le Suédois SR ont annoncé en ce début de semaine qu’ils ne publieraient plus sur le réseau social. En cause, la nouvelle politique de Twitter, racheté en octobre par Elon Musk pour 44 milliards de dollars. Une atteinte à l’indépendance est notamment dénoncée après que l’étiquette « média financé par le gouvernement » a été accolée à plusieurs comptes.

Transcription

Romain Auzouy : Bonsoir à tous. Le divorce est consommé entre les médias publics et Twitter. C’est l’hécatombe. La semaine dernière la radio américaine NPR a annoncé qu’elle cessait de publier sur le réseau social. Hier, le groupe CBC/Radio Canada lui a emboîté le pas et ce mardi c’est autour de la radio suédoise, SR. En cause, la nouvelle politique de Twitter, Twitter racheté à prix d’or le milliardaire Elon Musk il y a six mois. Dès lors, faut-il quitter Twitter ? Voilà la question qu’on pose ce soir. Quel risque de dérive pour le réseau social ? Est-ce que le bateau peut tanguer ? Soyez les bienvenus dans le Débat du jour.
Pour répondre à toutes ces questions, nos trois invités. D’abord en studio avec moi, Joëlle Toledano, bonsoir.

Joëlle Toledano : Bonsoir.

Romain Auzouy : Membre du Conseil National du Numérique, professeure émérite d’Économie et associée à la Chaire Gouvernance et Régulation.
Face à vous Olivier Lascar

Olivier Lascar : Bonsoir.

Journaliste : Rédacteur en chef du pôle digital de Sciences et Avenir ; votre livre Enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science.
Notre troisième invité est en ligne. Bonsoir Julien Pillot.

Julien Pillot : Bonsoir.

Romain Auzouy : Vous êtes enseignant-chercheur en économie et stratégie numérique à l’école de commerce INSEC.
Merci à vous trois d’avoir accepté l’invitation du Débat du jour sur RFI.
On va d’abord faire du pédago, Olivier Lacar, pour que nos auditeurs comprennent bien ce qui se pose entre Twitter et les médias publics, pourquoi les uns après les autres ils décident ainsi de claquer la porte du réseau social.

Olivier Lacar : Une crise couvait depuis qu’Elon Musk a racheté Twitter. La pierre d’achoppement c’est sur différentes questions. Jusqu’à présent, quand on était un média officiel ou une personnalité publique, on avait droit à un petit macaron bleu, un petit signe qui permettait de dire qu’on était bien celui qu’on prétendait être. C’était quelque chose qui arrivait gratuitement, mais sur la seule décision du réseau social.
Musk a décidé d’inverser la pratique en disant « maintenant n’importe qui pourra avoir ce petit macaron, mais il faudra payer pour cela », ça arrive, très prochainement..

Romain Auzouy : Huit dollars. Elon Musk a dit « la certification payante à partir de jeudi ».

Olivier Lacar : C’est cela, le jour du lancement de sa super fusée, le Starship, une coïncidence qui n’en est certainement pas une.
C’est un premier problème parce que ça veut dire qu’aujourd’hui n’importe quel mauvais plaisant , qui aura envie de déverser n’importe quoi sur Twitter, peut se payer le macaron. Ça veut même dire que quelqu’un qui se prend comme nom New-York Times, alors qu'il ne l’est pas du tout, peut s’offrir le macaron, alors que dans le même temps le New-Yok Times ne le fera pas. Premier problème.
Le second c’est que Musk, dans sa pratique très muskienne du pouvoir, très polémiste, prend de haut tous les médias publics en les qualifiant d’une formule qui veut dire que ce sont des médias de propagande, ce sont des médias financés par l’argent public, donc ce sont des médias de propagande

Romain Auzouy : Médias affiliés au gouvernement, en tout cas pour le média américain NPR, média financé par de l’argent public accolé au compte de la BBC. Pourquoi accole-t-il ces mentions aux médias ? Qu’a-t-il, Musk, contre médias actuellement ?

Olivier Lacar : Il prétend depuis longtemps que les médias publics contrôlent la parole publique et ne disent que ce qu’ils ont envie de dire, qu’ils sont dans la doxa, qu’ils sont dans la parole woke comme on dit maintenant et qu’il faudrait qu’il y ait des personnes comme lui pour déverrouiller la parole, pour faire en sorte que la liberté d’expression puisse réellement se développer sur la place publique et la place publique numérique aujourd’hui c’est Twitter. Il faut peut-être dire en quelques mots ce qu’est Twitter parce que ça ne va pas forcément de soi.
Twiter est un réseau social qui, à la base, a été construit comme une sorte d’émetteur de SMS, ce sont des messages très courts. Ça s’est développé avec le temps, c’est-à-dire qu’en plus du message très court on peut mettre des liens à cliquer, on peut mettre de la photo, on peut mettre de la vidéo, et c’est devenu aujourd’hui non pas le pas le réseau social qui a le plus de succès au monde : quand on regarde les chiffes, Twitter est plutôt un nain face à Instagram, face à Facebook.

Romain Auzouy : 250 millions d’utilisateurs quotidiens tout de même .

Olivier Lacar : C’est un nain costaud.

Joëlle Toledano : Seulement quelques milliards de chiffre d’affaires, par rapport à d’autres, pour lesquels il faut mettre des zéros derrière.

Romain Auzouy : On va évoquer l’enjeu de la finance qui est important.

Olivier Lacar : Mais c’est devenu le réseau social préféré des entreprises, des hommes et des femmes politiques, des personnalités publiques donc c’est devenu un instrument de communication, l’instrument préférentiel des, entre guillemets, « grands de ce monde ». C’est pour ça qu’aujourd’hui voir ce réseau social aux mains d’un olibrius comme Musk, ça pose évidemment question.

Romain Auzouy : Joëlle Toledano.

Joëlle Toledano : Au fond, je m’interroge sur l’histoire qu'il faut raconter. Est-ce que l’histoire qu’il faut raconter c’est effectivement celle politique, telle qu’on est en train de la raconter, ou est-ce qu’il n’y a pas aussi un bout d’histoire économique, parce qu’il ne nous a pas habitués à faire des choses juste que pour des raisons idéologiques.

Romain Auzouy : Ça a soulevé un point politique pour des réseaux affiliés au gouvernement et à la fois économique aussi avec la certification désormais payante.

Joëlle Toledano : Oui, mais pourquoi ? Pourquoi et où est-on ? L’histoire de Twitter c’est effectivement l’histoire de ce qu’est devenu un média de microblogging qui a à la fois plusieurs centaines de millions d’utilisateurs et souvent des utilisateurs qui font quelque part le buzz, mais par ailleurs, il était arrivé à une sorte de situation où il ne faisait ni profit ni perte si on fait la moyenne.
Ce qui est très fascinant et qui renvoie probablement au mythe d’Elon Musk, au tout début de l’histoire – je ne sais pas si vous vous en souvenez, tout cela va très vite –, quand Elon Musk a dit qu’il s’intéressait à Twitter, on a dit « Elon Musk est un génie, il veut racheter Twitter parce que lui sait que dans Twitter il y a une valeur extraordinaire grâce aux données, il va pouvoir faire cette fameuse application dont tout le monde rêve, qui est une application où on fait tout comme les équivalents chinois. » Et puis on a eu pendant plusieurs mois cette histoire où il s’est mis à contester les chiffres qui étaient donnés par Twitter, il a dit je ne veux plus acheter, puis il a été obligé d’acheter. Cette histoire est un roman ! Maintenant, après avoir licencié, grosso modo, deux tiers du personnel, avoir perdu une partie, quelques pour cents de son chiffre d’affaires.

Romain Auzouy : Pas mal de pour cents. Aujourd’hui, on estime que Twitter vaut 20 milliards de dollars, il l’a acheté 44 milliards il y a six mois.

Joëlle Toledano : Je vous parlais de son chiffre d’affaires. Je ne vous parlais pas de la valorisation. La valorisation est quelque chose qui évolue quand même beaucoup plus vite que le chiffre d’affaires.

Romain Auzouy : D’accord.

Joëlle Toledano : Il a perdu un certain nombre de clients, probablement pour les mêmes raisons que ce qu’on est en train d’avoir du côté des médias publics, c’est-à-dire l’image, ce qui est en train d’évoluer. On peut se poser une question : face à cette entreprise qu’il a achetée sûrement très cher, 44 milliards, il semble être en train de chercher à modifier le modèle économique. Si j’avais une image, je me demande un peu s’il ne se dit pas « je vais gagner plus d’argent en fait quelque chose qui ressemble à Fox News, plus qu’à NBC ou BBS, etc.
C’est-à-dire que, certes, vous avez tout l’aspect idéologique, mais on peut s’interroger sur la façon dont il espère retomber sur ses pieds. Je ne crois pas qu’il ait très envie de perdre des dizaines de milliards et je me demande s’il n’est pas en train d’essayer – va-t-il réussir ?, c’est une autre affaire, par rapport à une situation qui s’est dégradée et par rapport aux clients et par rapport à la pub Fox News – de se positionner sur un modèle économique plus polémique, plus partisan, dans lequel les discours sur la liberté d’expression n’ont effectivement pas toujours la même signification que celle que nous donnons nous à la liberté d’expression.

Romain Auzouy : On dit Elon Musk libertarien, il prône la liberté d’expression sans limite.

Joëlle Toledano : Absolument. Très honnêtement je ne sais pas choisir, mais je me demande vraiment si tout ça n’est pas assez largement destiné à provoquer une certaine communication autour et à attirer tous les gens, tous les polémistes. Fox News est effectivement le réseau qui gagne quand même le mieux sa vie aux États-Unis aujourd’hui.

Romain Auzouy : On va parler de l’infox aussi. Julien Pillot, cet aspect économique, vous qui êtes enseignant-chercheur en économique, est-ce que Twitter, aujourd’hui, n’est plus qu’un enjeu financier pour Elon Musk ? Est-ce que ça pose la question de la concentration d’un réseau social qui n’est pas qu’une marchandisation de la part d’un patron qui possède SpaceX, qui possède Tesla, qui est un des hommes les plus riches du monde ?

Julien Pillot : Je voudrais déjà m’inscrire dans la suite logique des propos de Joëlle Toledano. Je crois qu’elle a mis le point sur quelque chose de très important et de très intéressant. Il n’est pas impossible, effectivement, que l’on soit en train de vivre, chaque jour que dieu fait, une espèce de transformation du business modèle qui passe par un remodelage d’un réseau social qui, dans quelques années peut-être, s’il existe toujours, ne ressemblera plus du tout à celui qu’on a connu ces dernières années.
Quitter Twitter, c’est effectivement un challenge aujourd’hui. Pourquoi ? À mon sens il y a trois dimensions à étudier.
Quitter Twitter ce n’est pas si simple que ça si vous êtes un utilisateur. Pourquoi ? Parce que, en fait, il y a de fortes chances que si vous êtes un utilisateur régulier de Twitter, vous ayez une communauté, une communauté d’intérêt qui, elle-même, est présente sur Twitter. Si vous êtes présent sur Twitter et que vous ressentez cette utilité d’être présent sur Twitter c’est parce que cette communauté est présente. Elle sert à relayer vos informations et elle sert également à vous informer de vous-même. Sauf à trouver un réseau social alternatif qui n’existe pas aujourd’hui avec la qualité des interactions que l’on peut néanmoins trouver sur Twitter, vous n’avez pas vraiment d’intérêt à changer de réseau social.
On a vu arriver des alternatives tel que Mastodon, pour ne citer qu’elle. Pour l’instant ça a fait un gros pschitt dans la mesure où très peu d’utilisateurs réguliers de Twitter ont été effectivement suffisamment incités à quitter le réseau social pour tenter une aventure sur une autre application.
Les annonceurs, de leur côté, qui représentent aujourd’hui en fait la quasi-totalité des revenus de Twitter ont, quelque part, plus d’alternatives. Ils pourraient très bien dire « à côté de Twitter il y a d’autres réseaux sur lesquels je peux faire de la réclame digitale, il y a TikTok, il y a Facebook, il y a Instagram, il y a les liens sponsorisés de Google, pas de problème, je peux me passer de Twitter ». Sauf que, encore une fois, si vous voulez l’audience qualifiée qu’il y a chez Twitter, avec des CSP +, avec les influents de ce monde, eh bien vous avez peut-être besoin, malgré tout, d’être sur Twitter, raison pour laquelle, pour l’instant, tous les annonceurs n’ont pas encore déserté la plateforme.

Romain Auzouy : Pas tous.

Julien Pillot : Et puis il y a ceux dont on parle un peu moins souvent, qui sont des utilisateurs un peu particuliers, qui sont les relais d’influence. Là-dessus, je pense qu’il faut prendre une minute pour essayer de bien comprendre ce qui se passe à ce niveau-là.
Les relais d’influence, finalement, ce sont des individus ou des organismes qui relaient une info, qui se servent de Twitter pour pouvoir informer et s’informer. Pour eux, Twitter est en fait un outil de travail et, pour les mêmes raisons que celles que j’évoquais tout à l’heure, il y a peu de raisons pour eux de déserter Twitter aujourd’hui parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible à Twitter. Là où ça devient absolument dangereux c’est qu’aujourd’hui, à côté de ces relais d’influence on va dire vertueux, appelons-les ainsi, il y a aussi des relais d’influence qui sont là pour relayer de la désinformation, des informations à des fins économiques, à des fins politiques, à des fins idéologiques et, pour eux aussi, Twitter est devenu un outil de travail absolument incontournable. Mais eux, contrairement aux premiers qu’on a cités, bénéficient à plein de la nouvelle politique générale d’entreprise, les comptes certifiés dont parlait Olivier Lascar tout à l’heure, ce petit macaron bleu dont parlait Olivier. Aujourd’hui, à partir du moment où j’ai les moyens d’investir dans de la visibilité, dans de la notoriété sur Twitter – et croyez-moi, les organes de désinformation ne manquent pas de moyens économiques et techniques pour pouvoir le faire – eh bien j’ai la possibilité, finalement, de phagocyter ce réseau social Twitter au nom d’une sacro-sainte liberté d’expression à la sauce muskienne qui me permet, aujourd’hui, d’avoir des relais de désinformation et éventuellement de propagande absolument majeurs sur ce réseau social. C’est là-dessus, à mon sens, qu’il faut être particulièrement vigilant.

Romain Auzouy : Pour aller dans le sens de ce que vous dites, je vais citer cette étude de NewsGuard, un spécialiste de la désinformation, qui a épinglé 25 comptes certifiés par Twitter Blue, la certification qu’on évoque, car contenant des informations fausses, trompeuses ou sans fondement, donc 25 comptes épinglés ; parmi ces 25 comptes, 10 avaient été suspendus avant qu’Elon Musk prenne le contrôle de Twitter et ils ont été, évidemment, restaurés par Elon Musk qui prône cette liberté d’expression sans limite avec le risque, et c’est la question que je veux vous poser Olivier Lascar, de laisser un réseau social tomber aux mains de la désinformation. Si tout le monde quitte le navire, s’il faut quitter Twitter, c’est la question qu’on pose ce soir « Faut-il quitter Twitter », est-ce qu’il n’y a pas une responsabilité à rester sur Twitter. Julien Pillot évoquait le rôle des influenceurs ; LeBron James, star du basket-ball, l’écrivain Stephen King ont menacé de quitter Twitter. Si tout le monde quitte Twitter, n’y a-t-il pas le risque que la désinformation prenne le dessus ?

14’ 34

Julien Pillot : Si tous les gens vertueux quittent Twitter,