Faut-il breveter les logiciels

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Titre : Table ronde : Faut-il breveter les logiciels ?

Animateur : Jacky Chartier

Intervenant : Céline Serrano, Pierre Breesé, Hervé Lardin, Owen Lagadec-Iriarte

Lieu : Aquitaine Science Transfert®

Date : Novembre 2013

Durée : 2 h 03 min

Lien vers la vidéo : [1]

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Jacky Chartier : Je propose de commencer cette cinquième table ronde. Donc c'est la cinquième d'une série de huit tables rondes qui se sont déroulées depuis quelques mois maintenant et qui se termineront avant la fin de cette année. Donc la table ronde d'aujourd'hui s'intitule « Faut-il breveter les logiciels ? ». Cette table ronde est organisée par Aquitaine Science Transfert. Aquitaine Science Transfert est la société d’accélération du transfert technologique de la région Aquitaine. Les missions d'Aquitaine Science Transfert, juste en quelques mots avant de rentrer clairement dans le vif du sujet, sont pour le compte de ses actionnaires que sont l'université de Bordeaux, l’université de Pau et des Pays de l'Adour, le CNRS et l'Inserm, principalement d'assurer le suivi du portefeuille de titres ou d'assurer finalement la valorisation des résultats de la recherche, avec un pan important en termes de maturation, c'est-à-dire simplement investir le juste nécessaire qui permet à ce que les résultats de la recherche et des laboratoires de nos actionnaires, finalement puissent être correctement appréhendés et saisis par les entreprises ou les entités vers lesquelles on souhaite effectuer ce transfert. Voilà en quelques mots les missions d'Aquitaine Science Transfert.

Pour cette table ronde nous sommes en retransmission aussi au sein de l'université de Pau et des Pays de l'Adour et nous aussi en retransmission en direct par Internet. Nous pourrons, à certains moments, avoir des questions qui pourront venir de la part des personnes connectées par le web, c'est pour ça que, du coup, je ne manquerai pas à certains moments de regarder sur la tablette si certaines informations ou si certaines questions ou précisions nous arrivent.

Donc pour cette table ronde nous avons fait le choix d'avoir quatre intervenants qui vont se présenter ensuite rapidement. Donc Céline Serrano qui est responsable du Patrimoine Brevets à la Direction du transfert et de l'innovation au sein de l'Inria, Pierre Breesé, qui est président de Fidal Innovation, Hervé Lardin, qui est le président de ProLibre et Owen Lagadec-Iriarte, qui est du coup le président d'IKlax. Je vous propose peut-être en quelques mots de commencer simplement par une courte présentation de qui vous êtes.

Céline Serrano : Oui donc Céline Serrano. Je suis à l'INRIA l'Institut National de Recherche en Informatique et Automatique, à la direction du transfert et de l'innovation et donc je gère le portefeuille de brevets de l'Inria, portefeuille de brevets qui est de taille très modeste, cent vingt familles, puisque la plus grosse production donc de l'Inria c'est essentiellement du logiciel. Donc voilà. Petit portefeuille de brevets mais qui m’occupe quand même pas mal.

Pierre Breesé : Pierre Breesé, je suis conseil en propriété industrielle, mandataire européen en brevets. Je suis physicien de formation au départ avec une formation complémentaire en droit de la propriété industrielle. J'ai commencé à travailler dans la recherche publique à L'Inserm. Il se posait d'ailleurs déjà des questions de protection des logiciels dans le domaine de l'imagerie notamment. Et donc je dirige un cabinet de conseil en propriété industrielle qui intervient auprès de start-up dans la recherche publique et de grandes entreprises et je suis souvent confronté à la question de « faut-il breveter ou non des innovations dans le domaine pour utiliser langue de bois des inventions mises en œuvre par ordinateur »?

Hervé Lardin : Bonjour je suis Hervé Lardin. Je suis ici pour représenter l’association ProLibre qui est le groupement des entreprises logiciel libre en Aquitaine et donc je suis également, évidemment, un entrepreneur dans ce domaine, selon qu'on me considère par un angle ou par un autre, je suis soit une société de service en logiciel libre, soit un éditeur en logiciel libre, les deux ayant tendance à se confondre. Nous en parlerons plus tard.

Owen Lagadec : Bonjour. Je suis donc Owen Lagadec, le président d'IKlax et de la société Apps and Co. Mon expérience dans les brevets c'est d'avoir conçu un brevet en partenariat avec le LaBRI, Laboratoire Bordelais de Recherche Informatique, que nous avons amené jusqu'à devenir une énorme MPEG. Ça a été une des justifications de la brevetabilité on en parlera tout à l'heure. Mais toute la journée je fais un peu comme mon collègue à gauche, je fais de la prestation de service informatique, donc je suis amené à développer de nombreuses lignes de code et la question de la brevetabilité se pose, bien sûr.

Jacky Chartier : Alors avant de rentrer, j’allais dire dans le vif du sujet, ce qu'on propose finalement c'est d’aborder avec Pierre qui est peut-être le plus juridique des membres autour de la table et sans rentrer exclusivement et sans orienter l'ensemble de notre table ronde autour de questions juridiques, mais c'est un peu de renter avec Pierre Breesé justement sur quelques notions et peut-être quelques définitions qui vont permettre à tout le monde d’être d'accord sur, finalement, de quoi parle t-on quand on parle de logiciel, quand on parle de programme d'ordinateur, quand on parle peut-être d'algo, enfin en quelques mots.

Pierre Breesé : Il y a un empereur chinois qui expliquait que pour que son peuple vive en harmonie il faut lui offrir un dictionnaire. Et je pense qu'on pourra débattre en harmonie si on utilise les mêmes mots pour désigner la même chose et c'est vrai que dans ce domaine entre guillemets « de la brevetabilité des logiciels », beaucoup de confusions viennent de ce qu'on n'utilise pas forcément les bons termes et donc on va partager les définitions pour être sûrs qu'on parle des mêmes choses. Quand on parle de programme d'ordinateur, que ce soit pour le juriste ou pour le technicien, pour le développeur, c'est une liste d'ordres qui indique à un ordinateur ce qu'il doit faire. On est à peu près d'accord là-dessus. Le terme de code, qu'on va utiliser probablement les uns et les autres, c'est un jeu d'instructions spécifiques à un type de processeur qui va être exécuté par une machine, donc un processeur, pour réaliser le programme informatique. Il peut être en langage machine, direct, ou dans un langage évolué qui ensuite est interprété. Le logiciel, puisque c'est le terme qui est employé dans cette thématique, le logiciel qu'on utilise tous, OpenOffice ou Word ou d'autres, souvent est constitué de plusieurs programmes d'ordinateur, parfois un très grand nombre de programmes d'ordinateur, des DLL, des applications, parfois des programmes extérieurs à l'ordinateur qui fonctionnent ensemble. L'algorithme, on peut le dire, c'est le précurseur du programme d'ordinateur, c’est la représentation schématique de la succession d'instructions qui vont être exécutées par le programme d’ordinateur.

Juste pour terminer sur cette présentation terminologique, quand on parle de propriété intellectuelle, qu'est-ce que ça recouvre ? Ça recouvre les droits de propriété industrielle dont le brevet, la marque, les dessins et modèles, et la propriété littéraire artistique ou plus simplement le droit d'auteur. Dans tous les cas la propriété intellectuelle c'est juridiquement un droit d'interdire. Le détenteur d'un droit de propriété intellectuelle a le droit d'interdire à un tiers l'usage de ce qui est protégé. Lorsqu'il s'agit d'un brevet, le titulaire du brevet est en droit d'interdire à un tiers l'exploitation de l'invention brevetée et l'invention brevetée c'est aujourd’hui une solution technique à un problème technique. Celui qui est détenteur d'un droit d'auteur est en droit d'interdire à quiconque l'utilisation de ce qui est protégé par le droit d'auteur et peut l'organiser en concédant une licence qui peut être libre ou qui peut prendre des formes diverses et variées.

Jacky Chartier : Ou qui est donc concrètement, si quelqu'un ou si par exemple je code et je crée un logiciel, quels sont mes droits finalement et comment je peux revendiquer dans un premier temps ce que j'ai fait et qu'il est à moi ?

Pierre Breesé : Alors ce qu'un développeur va produire, bien sûr va se traduire par un programme, par du code, qui peut faire l'objet de deux types de droit de propriété intellectuelle. Il peut faire l'objet d'un brevet, il peut être considéré comme une invention brevetable, on y reviendra tout à l'heure et à ce moment-là c'est le régime des inventions des salariés qui s'applique ; et il s'applique en ce sens que les inventions réalisées par un salarié dans le cadre de sa mission inventive appartiennent à l'employeur. Et le législateur, en matière de brevet, a été relativement généreux puisqu'il a prévu que, certes l'invention brevetable appartient à l'employeur, mais le salarié a droit à une rémunération supplémentaire. Mais cette création, ce développement, peut aussi, est aussi constitutif d'une œuvre de l’esprit, protégée par le droit d'auteur. Le droit d'auteur, dans le domaine de l'informatique, connaît une exception au régime général puisque, en France, les droits d'auteur portant sur un logiciel créé par un salarié appartiennent à l'employeur. Donc même statut que pour les brevets, avec une petite différence, c'est que là le législateur n'a pas jugé opportun de prévoir une rémunération supplémentaire. Bien sûr l’employeur peut, s'il est généreux, le faire, mais en tout cas la loi ne prévoit pas, de façon nécessaire, cette rémunération supplémentaire au profit du développeur salarié qui a produit un logiciel protégé par le droit d'auteur.

Hervé Lardin : Je voudrais juste apporter une petite précision. Le brevet appartient à l'arsenal juridique existant dans le domaine général de la propriété industrielle, par contre le brevet n'appartient pas à l'arsenal juridique propre au domaine du logiciel. Le logiciel est clairement exclus du domaine de la brevetabilité. Il ne peut pas y avoir de protection d'un logiciel par l'utilisation du brevet.

Pierre Breesé : Voilà. C'est un sujet qui est forcément polémique. Bien sûr que je ne partage pas ce point de vue. Le logiciel, comme un fauteuil, comme une table, est un objet qui peut être brevetable, ou pas, suivant certaines circonstances. La remarque que vous avez faite effectivement s'appuie sur une formulation que j'admets un peu en ??? du code de la propriété intellectuelle en matière de brevet, et qui a été repris dans toutes les législations internationales. Comment est formulée cette disposition ? Et je comprends votre remarque. C'est un article qui est divisé en trois alinéas. Premier alinéa, indique que sont brevetables les inventions nouvelles, inventives, et susceptibles d'applications industrielles. Jusque là ça semble clair. Juste une remarque, vous remarquez qu'on n'a pas déterminé ce qu'est une invention, alors que dans la vieille loi de 68 c’était défini.

Deuxième alinéa. Ce deuxième alinéa précise que toutefois ces éléments sont exclus de la brevetabilité, ne sont pas considérés comme des inventions brevetables au sens du premier alinéa, un certain nombre de choses : les découvertes scientifiques, les méthodes intellectuelles en tant que telles et les programmes d’ordinateur. Alors on dit, eh bien voilà, vous avez tout à fait raison, les programmes d'ordinateur ne sont pas brevetables, l'alinéa deux le précise expressément.

Alinéa trois, précise, toutefois ces éléments n'en sont exclus qu'en tant que tels. Alors là vous voyez effectivement la difficulté d'interprétation : qu'est-ce qu'un programme d'ordinateur « en tant que tel » qui n'est pas brevetable et un programme d'ordinateur « pas en tant que tel » qui est brevetable ? Je reconnais que ça peut sembler un peu byzantin mais, heureusement, la jurisprudence a aujourd'hui apporté un éclairage sur ce qui est considéré comme une invention et relève donc du brevet, y compris dans le domaine de l'informatique, et ce qui est un programme d'ordinateur « en tant que tel » ou une méthode intellectuelle ou une méthode économique « en tant que telle » qui n’est pas brevetable. Et ça, ça a été l'objet de vingt ans de débats, de jurisprudence mais qui est en train de se stabiliser, avec une évolution importante des États-Unis qui étaient très laxistes et qui se sont rapprochés très fortement de la position française.

Et quand je disais, tout au début, que j'utilisais un peu la langue de bois pour parler de brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, c'est parce que le législateur a été vigilant à ne pas créer de confusion en parlant de brevetabilité des programmes d’ordinateur ou des logiciels, comme on l'a fait pour cette table ronde, mais en utilisant ce terme plus neutre et je pense à un point qui sera abordé tout à l'heure. Aujourd’hui on admet que dans le domaine de l'informatique on a un résultat qui est brevetable lorsqu'on est face à une solution technique à un problème technique ; y compris lorsqu’il s'exprime sous une forme de code informatique. Je vais vous donner des exemples de logiciels entre guillemets « brevetés » que vous utilisez tous les jours, et notamment ceux qui nous écoutent à distance. Les logiciels, les codecs de compression et de décompression de fichiers audio ou vidéo sont protégés, certains sont maintenant dans le domaine public, mais à un moment il y avait quatre cent trente cinq brevets qui portaient sur donc la compression, qui a fait l'objet de la norme ensuit MPEG. Pourquoi est-ce que ce sont des solutions qui sont brevetables ? Parce qu'elles apportent une solution technique à un problème technique qui est, par exemple, de réduire la taille du fichier tout en préservant la qualité d'écoute inchangée ; ou qui permettent de réduire la bande passante nécessaire pour transmettre une information sans en dénaturer le sens. Donc on est bien dans une solution technique à un problème technique, qui devient brevetable, si elle est nouvelle et inventive, et qui s'exprime aussi, bien sûr, sous forme de code qui est protégé par le droit d'auteur. Et cette solution technique qui consiste à échantillonner à telle fréquence le signal puis à appliquer une transformation, une formule de Fourier, puis à supprimer telle fréquence etc, peut être implémenter sous un grand nombre de formes logicielles, un grand nombre de codes. Mais ce qui sera protégé c'est la formulation technique qui est, disons, le précurseur du code informatique qui sera ensuite développé et protégé par le droit d'auteur, éventuellement exploité sous une forme libre.

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Jacky Chartier : Donc on comprend un peu la démarche relative à la notion peut-être de brevetabilité des solutions techniques à un problème technique