Différences entre les versions de « Education Numérique : une génération sacrifiée - Sophie Comte »

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<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
 
<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
  
==Quelles sont les initiatives déjà à l’œuvre   21’30==
 
  
<b>Cyrille Chaudois : </b>Merci Fabienne.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Merci Fabienne. Ça fait effectivement du bien de te retrouver.
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Avec Mike et Thibaut, nous avons décidé de créer <em>Trench Tech</em>, en 2022, partant du constat qu'on trouvait que les enjeux de société, charriés par le progrès technologique, n'étaient pas suffisamment mis au cœur du débat public, ce qui empêchait le citoyen, selon nous, le décideur aussi, le parent, bref !, d'exercer son esprit critique sur ces sujets pourtant ô combien structurants pour notre société.<br/>
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En matière de sensibilisation des enfants et des ados aux enjeux de leurs usages de l'outil technologique pour eux-mêmes, pour leurs rapports aux autres, pour l'environnement, etc., il doit aussi exister des initiatives, des médias comme le tien, par exemple, Sophie, mais aussi des associations de parents d'élèves, peut-être, ou même tout simplement l'Éducation nationale. Où en est-on, concrètement, dans ce panorama des initiatives qui existent à date ?
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<b>Sophie Comte : </b>Il y a des choses qui existent, je trouve qu'elles sont encore peut-être timides, elles ne sont pas suffisantes au regard de cette grande transformation numérique qui concernent les ados. Mais oui, il y a déjà des choses qui existent, heureusement. Il y a un public qui est particulièrement actif, ce sont les professeurs documentalistes dans les collèges et lycées qui font un gros travail parce que c'est leur métier, justement, d'aller chercher des ressources pédagogiques, de faire de la veille et d'aller trouver les bonnes ressources. Ils sont très intéressés par ces sujets-là du numérique et c'est presque eux, en fait, qui sont venus à nous pour nous dire « on manque de ressources pédagogiques sur numérique pour les ados ».
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Ça veut dire que l'idée de <em>Chut! Explore</em> vient en partie de cet <em>insight</em>-là ?
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<b>Sophie Comte : </b>Tout à fait. On y avait pensé aussi, mais on a eu ce retour des profs docs. Pas mal de lycées, maintenant, sont abonnés à <em>Chut!</em> magazine. Des lycées qui font aussi collège nous ont demandé le même support pour le collège parce qu’ils l’ont trouvé vraiment trop pointu pour des collégiens, et c'est clair qu'il l'est. Ils nous ont dit « si vous faites quelque chose pour les collégiens, ça nous intéresse ».<br/>
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C'est vrai qu’ il y a quelques ressources, il n'y a pas de médias. Bon, on ne va pas se mentir, il n'y a pas beaucoup de médias pour les ados, tout simplement, on a tendance à dire que les ados ne lisent pas beaucoup et, en même temps, on ne leur propose pas grand-chose non plus.
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<b>Thibaut le Masne : </b>Il n’y a pas vraiment d’offre. C'est le serpent qui se mord la queue !
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<b>Sophie Comte : </b>Voilà ! D’où ça vient ?, je ne sais pas, en tout cas, il faut tenter des propositions éditoriales. Des choses sont faites, différentes ressources existent. Tu parlais de l'Éducation nationale, il y a le CLEMI qui forme justement ces professeurs documentalistes et qui s'est beaucoup intéressé, maintenant, à la question d'éducation aux médias.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>On peut juste redire ce qu'est le CLEMI ?
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<b>Sophie Comte : </b>Le <b>Sophie Comte : </b> c’est le centre de formation. J'ai plus en tête l'acronyme.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Centre pour l'éducation aux médias et à l'information
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<b>Mick Levy : </b>Le mec a tout préparé ! Même les acronymes de ouf !
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Il est là pour effectivement porter cette volonté gouvernementale et ministérielle de pousser l'éducation aux médias et à l'information au sein de l'école. Par contre, je crois que ça touche plutôt les cycles 2 et 3, c'est ça ? Plutôt l'école élémentaire ? J'ai bien compris ça, ou pas ? Est-ce que tu peux nous éclairer ?
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<b>Sophie Comte : </b>En collège aussi, il me semble, je ne pense pas dire de bêtise. Tout à fait.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Ça prend quelle forme cette éducation aux médias et à l'information ? Quels sont les sujets qu’on aborde ?
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<b>Sophie Comte : </b>L'éducation aux médias c'est justement un des volets qui amène la question du numérique aujourd'hui dans les écoles, les collèges et les lycées. C'est très intéressant, c'est comment s'informer en ligne, donc c’est apprendre des techniques journalistiques assez simples au final : savoir sourcer un article, identifier des titres qu'on va dire <em>click page</em>, qui donnent envie de cliquer et qui n’apportent aucun intérêt derrière ; c'est apprendre ces techniques-là, aiguiser son esprit critique, à chaque fois se poser des questions, être en recherche de vérité en fait, essayer de faire croiser ses sources pour les vérifier. Ce n'est pas si compliqué, en réalité ; ce sont des réflexes à avoir, à développer.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Quel est le volume horaire, juste pour se rendre compte du poids que ça a dans l'emploi du temps d'un gamin aujourd'hui ? Est-ce que c'est une heure tous les mois ou c'est beaucoup plus que ça ?
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<b>Sophie Comte : </b>Malheureusement, ce n'est pas encore fixé. L’année dernière, Pap Ndiaye avait lancé une grande journée d'éducation aux médias, avait instauré une journée par an d'éducation aux médias, une journée ! Après, finalement, c'est au bon vouloir des établissements qui ont une personne dédiée à ce sujet-là ; soit ils l’ont soit ils ne l’ont pas. Par exemple, dans le collège de ma fille, qui est un collège public, il devait y avoir une heure de cours toutes les deux semaines d'éducation aux médias, j'étais ravie et je viens d'apprendre que c'est annulé parce que la prof ne peut pas.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>L’intention est bonne, mais, pour le moment, on voit qu'en termes de déploiement c’est fait un peu à l'envie et à l’opportunité. Avant ça soit structurant, c'est compliqué. Par contre, ce qui est structurant c'est que l'heure de techno à l'entrée en sixième, a été supprimée en 2023 pour tout le monde. Est-ce que c'est un bon signal envoyé sur l'acculturation à la techno ?
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<b>Sophie Comte : </b>C’est plutôt un problème de l'Éducation nationale elle-même, d'un manque de profs. En fait, il n’y a plus de profs de techno, puisqu'il n’y a plus de profs de maths ??? [26 min 45].
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<b>Thibaut le Masne : </b>C'est justement là que la question peut se poser : est-ce que tout doit passer nécessairement par l'Éducation nationale ? Est-ce qu'on ne peut pas faire autrement ?
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<b>Sophie Comte : </b>En tout cas à mon sens et à notre sens chez <em>Chut!</em>, oui. Je ne dis pas que tout doit passer par l’Éducation nationale, mais l'Éducation nationale doit porter ce que nous appelons de l’e-civisme en fait. De la même façon qu’on a de l'éducation morale et civique, on devrait avoir une éducation e-civique ; aujourd'hui c'est indispensable. En fait, nous sommes des citoyens et citoyennes et nous sommes des citoyens et citoyennes numériques, donc cette dimension-là, la question de la citoyenneté, c'est beaucoup l'école qui l’amène.
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<b>Thibaut le Masne : </b>Pour la dimension apprentissage, aller rechercher quelque chose. Mais si on essaye de les atteindre par différents canaux, par quels canaux pourrait-on un peu mieux les atteindre au-delà de l’école ? L'école va apprendre à chercher « magazine » par exemple.
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<b>Sophie Comte : </b>Par exemple ! Merci !
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<b>Thibaut le Masne : </b>Comment peut-on essayer de les toucher ?
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<b>Mick Levy : </b>Je connais aussi quelques podcasts dont l’écoute ne ferait pas de mal aux ados !
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<b>Sophie Comte : </b>Toutes ces initiatives, c’est ta question ?
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<b>Thibaut le Masne : </b>C'était un peu ça. Effectivement, si on leur dit d'aller chercher, est-ce qu’on leur donne aussi des pistes, par exemple aller chercher un certain magazine ou un certain podcast ? Est-ce qu'on leur donne aussi des pistes de réflexion et, dans ce cas-là, est-ce qu’on multiplie aussi les propositions auprès des étudiants, des enfants.
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<b>Sophie Comte : </b>En tout cas, il faudrait, effectivement, multiplier les ressources pédagogiques pour les jeunes. D’autres choses existent, évidemment. Aujourd'hui Pix propose une certification, mais plus pour le côté informatique, je dirais. Il y a un manga super sur la cybersécurité. Il est créé par une association sur la cybersécurité qui s'appelle ISSA, je crois, le manga en question s'appelle <em>Snake News</em>. Il y a donc quelques initiatives, mais il en faudrait davantage, évidemment, pour ne pas tout faire reposer sur l'Éducation nationale.
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<b>Mick Levy : </b>Chez <em>Chut!</em>, pour le coup, vous avez fait un choix assez singulier qui est de sortir votre magazine uniquement en format papier. Pour toucher au maximum les ados, ne faudrait-il pas aller sur les médias sur lesquels ils sont et donc, plutôt avoir un <em>Chut!</em> sur TikTok ?
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<b>Sophie Comte : </b>C'est notre proposition éditoriale de dire qu’on a besoin du papier dans un monde numérique. C'est pour cela qu'on a créé <em>Chut! magazine</em>. On parle de numérique en format papier parce que le papier existe toujours et existera certainement encore longtemps et qu'il permet une temporalité que n'offre pas le numérique. Il donne, il offre presque une intemporalité en fait, là où, sur les réseaux sociaux, on est vraiment sur des contenus de plus en plus courts, tout doit aller très vite. On propose de prendre un temps de réflexion.
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<b>Mick Levy : </b>Ça collait aux valeurs et au message que vous voulez véhiculer.
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<b>Sophie Comte : </b>C'est un sacré risque, évidemment, on s’est dit « on va y aller », sauf que notre support est un petit peu original puisqu'il se déplie complètement, un peu comme <em>Le 1</em>, une expérience de lecture en accordéon, qui s'ouvre, et qui permet, du coup, d'avoir un grand support qui s'ouvre en classe, qui permet de l'afficher en classe – il y a un grand poster intérieur – , qui permet aussi d'échanger avec ses parents. L'idée c'est aussi de trouver des temps de pause et des temps de dialogue. C'est vraiment un support qu'on imagine pour la famille, pour prendre le temps de se dire « en fait les ados connaissent des trucs que je ne connais pas » et inversement, les parents peuvent aussi en profiter pour raconter deux/trois trucs sur ce qu'ils apprennent dans leurs usages numériques au boulot.<br/>
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L'écran peut créer une barrière, on le sait ! On sait très bien que l’écran peut renforcer l’isolement, la solitude, etc. L'idée c'est justement ne pas passer pas par ce support.<br/>
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C'est un risque qu’on comprend. On s'adresse beaucoup aux collèges et aux lycées, ils adorent. En vrai, notre objectif, c'est de faire en sorte que ce magazine soit dans tous les collèges et les lycées de France.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Sophie, je ne peux pas te laisser comme ça, revenir à la nostalgie, à l'époque il y avait <em>Il était une fois... la Vie</em> qui nous apprenait un peu les cours de bio.
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<b>Sophie Comte : </b>C’était trop bien.
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<b>Cyrille Chaudoid : </b>Il y avait également <em>C'est pas sorcier</em>, pour tous les amateurs.
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<b>Thibaut le Masne : </b>Il y avait <em>Temps X</em>, encore plus loin.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Aujourd'hui il n’y a plus rien de tout ça qui existe, justement, derrière les écrans. Pourquoi cette absence des médias ? Est-ce que je suis mal renseigné, parce que, forcément, je ne suis plus de cette génération-là, est-ce que les médias peuvent jouer un rôle dans ce domaine-là et où sont-ils dans cette éducation-là ?
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<b>Sophie Comte : </b>Les médias ont un rôle énorme à jouer là-dedans, je suis encore surprise de voir que peu de choses existent, mais je sais que plein de choses se préparent poussées, justement, par la CNIL, par le ministère de l'Éducation nationale qui souhaite vraiment mettre un vrai pied là-dedans en utilisant différentes ressources extérieures et pas que des ressources produites par le ministère. Le ministère de l’Éducation nationale a créé une charte qui a un nom un petit peu difficile à retenir, c’est la Charte pour l'éducation à la culture et à la citoyenneté numériques, qui va être diffusée dans tous les collèges et lycées.
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<b>Mick Levy : </b>Avec un nom comme celui-là, a classe à la française !
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<b>Sophie Comte : </b>Il y a un acronyme, il faut vraiment essayer de le retenir en entier.
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<b>Mick Levy : </b>C'est bien comme ça.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Ça fait partie des récits à réinventer, dont on parlait tout à l’heure.
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<b>Sophie Comte : </b>Exactement ! Dans le cadre de cette charte il y a différents médias et je n'en dirai pas plus parce que ça va sortir l'année prochaine. Différents médias se sont associés à cette initiative et vont venir apporter leur expertise de médias qui est la capacité à vulgariser des sujets difficiles, amener quelque chose de ludique, amener une autre expérience pour faire en sorte que ça intéresse les jeunes.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>Super. Néanmoins on voit quand même que l'essentiel des initiatives est aujourd'hui porté par le ministère de l’Éducation nationale, globalement des initiatives gouvernementales. Je voudrais juste conclure cette séquence en rappelant que le fameux CLEMI, qu'on a évoqué tout à l'heure, met à disposition, sur son site web, qu'on peut retrouver sur education.gouv.fr, un certain nombre d'outils et de fiches pratiques, etc., notamment à destination des parents. Pour répondre à la question de Thibaut « est-ce que ça doit être porté uniquement par l'école », non, ça doit être porté en partie par l'école, mais pas que par l'école, donc, y compris par les parents et, éventuellement, par les associations de parents d'élèves, etc. Un certain nombre d'outils sont déjà mis à disposition, donc qui sont « validés » par le ministère. Et puis il y a des initiatives plus personnelles et je tenais simplement à saluer celle de Louis Derrac, que je suis depuis un moment sur les réseaux sociaux et sur Linkedin en particulier. Je cite la façon dont il se présente, il fait de l'éducation au numérique, il dit « j'explore les contours d'une éducation politique, populaire, technocritique et émancipatrice au numérique » et il met tous ces outils en <em>open source</em>, à disposition sous licence Creative Commons. Louis Derrac, allez regarder, et merci Louis pour ce que tu fais.
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<b>Sophie Comte : </b>Je pensais aussi à TRALALERE qui est l'opérateur français d’Internet Sans Crainte, je ne sais pas si vous connaissez. Un jour qui s'appelle le Safer Internet Day qui a lieu en février, avec tout un mois sur la sensibilisation autour du numérique pour les ados et les familles. Il y a un effectivement vrai travail à faire au sein des familles, c'est un dispositif européen avec un certain nombre d'actions qui sont faites à ce moment-là, je voulais aussi préciser.
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<b>Cyrille Chaudoit : </b>C'est l'heure de la « Philo Tech » d'Emmanuel Goffi.
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==« Philo Tech » - Emmanuel Goffi 34’35==
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<b>Voix off : </b>De la philo, de la tech, c’est « Philo Tech ».

Version du 2 janvier 2024 à 14:08


Titre : Éducation Numérique : une génération sacrifiée ?

Intervenant·e·s : Sophie Comte - Fabienne Billat - Emmanuel Goffi - Mick Levy - Thibaut le Masne - Cyrille Chaudois

Lieu : Trench Tech, Esprits critiques pour Tech Ethique

Date : 13 décembre 2023

Durée : 55 min 38

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Mick Levy : Les gars, je sais pas vous, mais moi j'ai le plus grand mal à détacher ma fille de son l'iPhone. Elle y passe des plombes !

Thibaut le Masne : Oui, mais j'ai eu ta mère au téléphone, elle m’a dit que c'était pareil avec toi devant le Club Dorothée à l'époque.

Mick Levy : Devant le téléphone et puis elle disait que j’utilisais la ligne.

Thibaut le Masne : Tu étais en mode « je prends le téléphone fixe, je tire le câble, je vais me mettre dans ma chambre je passe des soirées entières... »

Cyrille Chaudois : Dans les toilettes !

Mick Levy : Ho là, là, c'était mieux avant !

Cyrille Chaudois : Je ne sais pas ! C'est un réflexe de vieux daron, je reste poli.

Mick Levy : De vieux daron pourri même.

Thibaut le Masne : Le vieux papa ronchon, disait Michel Serres.

Voix off, Les Mitchell contre les machines : « Après une longue journée de travail ça fait du bien de voir vos têtes baignées d'une lumière bleue sinistre, merveille. Bon ! Écoutez-moi, idée de génie, c'est notre dernière soirée ensemble avant que Cathy parte, alors, on va la savourer : si on posait nos téléphones et qu'on s'offrait dix secondes ininterrompues de fusion familiale, les yeux dans les yeux. On va commencer. — Attends ! — Pose ton téléphone, maintenant ! »

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Ados vs. numérique : une crainte de daron·ne ?

Cyrille Chaudois : Bienvenue à toutes et à tous. Vous êtes bien dans Trench Tech, le podcast qui titille votre esprit critique pour une tech plus éthique. Cyrille Chaudois pour vous accueillir, toujours avec Thibaut le Masne et Mick Levy.

Thibaut le Masne : Hello.

Mick Levy : Salut à tous.

Cyrille Chaudois : Si vous êtes parent, vous avez peut-être déjà vécu cette scène du long-métrage animé, Les Mitchell contre les machines, sorti en 2021 sur Netflix que l'on vient d'entendre.

Mick Levy : Oui. D'ailleurs, ça m'a rappelé quelques souvenirs de la maison.

Cyrille Chaudois : Pour ma part, si je faisais témoigner mes deux filles de 14 et 9 ans, elles vous diraient probablement à quel point j'use et abuse de tous les ressorts pour les sensibiliser, comme je peux, aux vertus et aux risques du numérique.

Thibaut le Masne : « Comme je peux ! » Tu as encore fait ton daron des temps modernes !

Cyrille Chaudois : J'avoue, de base, c'est compliqué. Déjà, va dire aux kids qu'il ne faut pas être addict à son smartphone ou son laptop quand tu es, toi-même, continuellement connecté.

Thibaut le Masne : Je ne sais pas de qui tu parles !

Cyrille Chaudois : Pour le boulot en plus. L’angoisse !

Mick Levy : Là, je vois !

Cyrille Chaudois : Et puis, comment leur donner envie de te croire même si tu tiens un podcast sur le sujet, alors qu’elles voient dans l'outil un super moyen de s'amuser, de papoter avec leurs copines et de créer des super chorés en plus. Être parent est déjà un drôle de métier pour lequel aucune formation digne de ce nom n'existe, mais, depuis la propagation des écrans et des réseaux sociaux, il y a de quoi s'inquiéter de ne pas être à la fois diplômé du MIT, de Sciences Po et de Montessori.
Sophie Comte est la cofondatrice de Chut!, en 2019, un média qui se décrit lui-même comme féministe et inclusif et qui invite ses lecteurs et lectrices à observer un temps de pause pour mieux s’acculturer à la vague digitale. Alors ça, chez Trench Tech, ça nous parle forcément, surtout que depuis 2023, Chut! se déclinent aussi en Chut! Explore à destination de nos ados.
Avec Sophie, nous allons nous demander comment éduquer nos enfants au numérique ou plutôt comment intégrer le numérique dans l'éducation de nos enfants, en commençant par nous demander simplement s'il est si nécessaire que cela de s'en soucier ou si c'est juste un réflexe de daron et de daronne, puis en interrogeant les initiatives déjà en cours, avant de nous demander si intéresser les jeunes aux enjeux du numérique, ce n'est pas, avant tout, comme pour l'écologie, une question de récit à réinventer. Pour aérer notre réflexion du jour, deux chroniques dont vous êtes fan, je le sais, le « Patch Tech » de Fabienne Billard, « Comment parler d'éthique de l'IA en entreprise ? », c'est la question de Fabienne, et la « Philo Tech » d'Emmanuel Goffi où il sera question des biais des IA, sûrement en écho à notre épisode avec Olivier Sibony sur nos biais cognitifs. Enfin, dans moins d’une heure à présent, nous débrieferons, juste entre vous et nous, cher public, des idées clés partagées dans cet épisode. Restez donc jusqu'au bout !
À présent, accueillons Sophie. Bonjour Sophie.

Sophie Comte : Bonjour. Bonjour à tous les trois.

Thibaut le Masne : Salut Sophie.

Mick Levy : Salut Sophie.

Cyrille Chaudois : Sophie, on se tutoie ?

Sophie Comte : Très bien, ça me va.

Cyrille Chaudois : Super. Est-ce que le programme, tel qu'il est posé dans l'intro, te plaît ?

Sophie Comte : Super, j'ai hâte.

Cyrille Chaudois : Nickel. Eh bien écoute, on va y aller. On lance le grand entretien. Vous êtes bien dans Trench Tech et ça commence maintenant.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Mick Levy : Moi, quand j'étais ado, je ne suis pas sûr que c'était finalement vraiment beaucoup mieux que nos ados d'aujourd'hui. Je passais des mercredis entiers devant la télé entre sitcoms et autres émissions au niveau très douteux, d'une part, et au téléphone.

Thibaut le Masne : Tu fais des révélations !

Mick Levy : Non, rien de très particulier, comme vous les gars d’ailleurs ! Donc des heures au téléphone, d'autre part, « Mick, tu mobilises la ligne, quand est-ce que tu vas raccrocher ? » Vous voyez le truc c'était avant les smartphones.

Cyrille Chaudois : Je vois d’où ça vient.

Mick Levy : Du fond du couloir, de mes parents. Bref ! Aujourd'hui nos enfants passent sur TikTok, YouTube, WhatsApp, et font finalement aussi beaucoup d'activités sociales comme nous quand nous étions au téléphone. À chaque génération, on critique les comportements de la génération suivante et je crois pouvoir dire que c'est à peu près le cas depuis la nuit des temps pour avoir lu des auteurs du 19e siècle qui, déjà, pouvaient critiquer les comportements des ados de la génération suivante.
Sophie, pourquoi faudrait-il particulièrement s'inquiéter vis-à-vis des usages du numérique ? Est-ce qu'on n'est pas dans un vieux réflexe de daron rétrograde qui ne supporte pas les comportements disruptifs de la génération qui vient ? J'y vais fort !

Sophie Comte : Oui et non forcément. Je trouve ça très drôle parce que je me reconnais aussi beaucoup dans ce que tu dis là. Quand j'étais plus jeune, je fais partie de la génération Club Dorothée, j'ai passé des mercredis à regarder la télé et j'ai aussi passé de longues heures au téléphone à discuter avec les copines, clairement, à l'adolescence.

Mick Levy : Et tu te faisais engueuler par tes parents qui gueulaient du fond de couloir « tu vas raccrocher ! ». Je ne vais pas vous la refaire.

Sophie Comte : Je connais encore des numéros de téléphone par cœur, si tu veux. À l'époque, on n’avait que des fixes, n'est-ce pas ! La grande époque.

Thibaut le Masne : Du coup, faut-il s’inquiéter ou pas ? Ou est-ce qu’on est juste dans cette reproduction de « la génération d'après elle est naze ! »

Sophie Comte : C’est forcément oui et non. Oui, il y a ce truc de parent et ce truc d'adulte, effectivement, qui juge la génération qui arrive, qui la trouve moins brillante, moins intelligente. Des études sortent de temps en temps sur la baisse du QI et d'autres qui sont contradictoires.

Cyrille Chaudois : On sort le rapport PISA à l’instant, on est pile poil dedans.

Sophie Comte : Oui, ce n’est pas le QI, mais c’'est vrai que ces études-là ne s'accordent pas entre elles pour dire qu’il y aurait vraiment une baisse du niveau intellectuel dans le monde, en France. Mais c'est certain que depuis, peut-être qu'on peut le dater justement depuis la génération Club Dorothée, depuis que l'écran a pris de la place dans les foyers, les choses ont changé.
Ça pose des questions pour les plus jeunes, évidemment, il y a justement des choses qui ont été faites pour les plus petits, pour alerter sur le fait que c'est effectivement mauvais de laisser un enfant en dessous de trois ans avec un téléphone portable ou une tablette à longueur de journée ; c'est mauvais pour son développement cognitif, tout simplement, maintenant on le sait, c’est avéré.
On sait aussi que c'est mauvais pour la sédentarité de rester trop devant son écran toute la journée, quatre heures, cinq heures, six heures, ce n'est possible ! On le sait aussi en tant qu'adultes parce qu'on travaille tout le temps avec ces outils-là et qu'on est beaucoup, aujourd'hui, nomades, on travaille en télétravail.
En fait, il y a d'énormes changements avec ces écrans qui cristallisent beaucoup de tensions. Il y a un débat très clivé, partout maintenant, dans tous les domaines.

Thibaut le Masne : Comme souvent : les débats qui touchent à l'éducation sont très clivants, forcément !

Sophie Comte : C'est clair, mais il y a des risques avérés, on le sait aujourd'hui. Je parlais des jeunes enfants, il y a effectivement le problème de la sédentarité et du manque de sport par exemple. On alerte beaucoup là-dessus maintenant, sur le fait que les jeunes doivent faire du sport.

Cyrille Chaudois : Pas mal d'études universitaires qui sont sorties aux États-Unis montrent effectivement davantage de sédentarité liée à l'usage du smartphone. Nous, nous étions calés devant le Club Dorothée le mercredi après-midi ; les jeunes d'aujourd'hui restent calés dans leur canapé ou sur leur lit dès qu'ils sortent de l'école et ça peut aller jusqu'à très tard la nuit. Il y a donc ces problèmes d'obésité. Il y a aussi des problèmes de sommeil, je crois, et, au-delà de ça, l'usage des applications en elle-mêmes comme Snapchat ou Instagram, etc., avec la question des filtres pose même, je crois, des problèmes psychologiques avec un phénomène qui a été appelé « Snapchat dysmorphia ». As-tu des éléments là-dessus ?

Sophie Comte : Bien sûr. C'est vraiment un phénomène plus lié aux applications en elles-mêmes et c'est tout un champ de risques important à soulever : les réseaux sociaux, la façon dont ils sont conçus, les designs et, effectivement, le fameux filtre Bold Glamour de TikTok, par exemple, qui crée ce problème de dysmorphie.

Thibaut le Masne : Bold Glamour, c'est le filtre qui rend super beau d'un seul coup et qui paraît, en plus, hyperréaliste, donc ça transforme vraiment l’image de la personne.

Mick Levy : Tu fais bien de le préciser.

Sophie Comte : Les normes de beauté actuels avec des pommettes très dessinées, de grands yeux. Et qui concerne principalement les filles, évidemment, c’est aussi un sujet !

Cyrille Chaudois : Peut-on juste, déjà, expliquer au public, grosso modo ce qu’est la dysmorphie ? À partir d'un filtre qui renvoie de nous une image qui a été liftée, en quelque sorte, de façon synthétique par l'effet du filtre, cette image devient une espèce de norme et, quand on se voit après dans la vraie vie et dans le miroir, ça nous pose un problème psychologique et ça mène à quoi ça exactement ?

Sophie Comte : À une perte de confiance en soi ! On ne se reconnaît plus en fait. J’ai la chance d'avoir des ados autour de moi, donc j'arrive à voir beaucoup de choses maintenant et je me sens très concernée, je vois des jeunes filles qui ne savent plus se prendre en photo. Elles font des selfies entre elles, alors qu'elles s'envoient des snaps avec des filtres, c'est une chose, mais maintenant, même quand elles sortent, qu’elles vont à la fête foraine toutes ensemble, elles se prennent en photo avec des filtres, systématiquement, et elles ne sont pas choquées. Moi j'étais vraiment surprise je me dis que ce n’est pas possible !

Cyrille Chaudois : D'une certaine manière, elles se travestissent en permanence grâce à ces filtres. Je voudrais juste pointer du doigt un élément clé de ce phénomène, c'est qu'il y a une explosion partout dans le monde, aux États-Unis en particulier mais partout dans le monde, du recours à la chirurgie esthétique. Est-ce que tu peux nous en dire deux mots parce que c'est quand même un truc qui, autrefois, était plutôt réservé aux seniors qui allaient se faire lifter ? Aujourd'hui, ce sont les jeunes qui y vont, je crois que c'est une explosion.

Sophie Comte : Principalement je crois, quand même aux États-Unis parce que c'est plus accessible qu'en France. Mais oui, il y a ce problème, à tel point que des jeunes filles en viennent à la chirurgie esthétique, clairement. Après c’est aussi tout le phénomène de l'influence, des influenceuses, qui a aussi lancé des phénomènes comme ça de chirurgie esthétique, qui a un peu banalisé la chirurgie esthétique chez les femmes. Il y a aussi la lanceuse d'alerte dont je voulais parler tout à l'heure, Frances Haugen, qui travaillait chez Facebook. Facebook a fait des études en interne qui, justement, montraient que l’utilisation d'Instagram créait chez les jeunes filles une baisse de confiance en soi et c'est pour cela qu'elle en a parlé.

Thibaut le Masne : Je vais tourner une question un peu un peu différemment. J’ai l'impression qu'on essaye de confirmer un prisme dans lequel l'ensemble des technologies qu'on utilise est dangereuse en faisant un peu un écho avec ce qu'on avait dit avec Olivier : on a des biais de confirmation, c'est-à-dire qu'on va tirer des éléments qui vont nous confirmer dans l'idée que la technologie est dangereuse pour les jeunes – je tire le trait involontairement – mais déjà à l'époque tu parlais du Club Dorothée que tu as suivi, on disait que le Club Dorothée était un déchaînement de violence, était abêtissant et qu'on allait créer une génération d'abrutis. J’ai l’impression que la génération d'abrutis ! Soit on l’est.

Cyrille Chaudois : Michel Desmurget a écrit La fabrique du crétin digital.

Sophie Comte : Peut-être sommes-nous tous, déjà ,des crétins digitaux !

Thibaut le Masne : En fait, même si on remonte à l'époque, l'apparition du rock'n'roll, la musique des uns et des autres qui était absolument ahurissante, bref ! Finalement est-ce qu'on ne crie pas un peu au loup ? Est-ce qu'on ne fait pas peur, justement, à cette génération qui, au final, avec peut-être un peu plus d'éducation, avec un peu plus de… ce n'est pas si dangereux que ça ? Je tire le trait volontairement un peu fort.

Sophie Comte : La question de l'éducation de nos enfants nous tient effectivement à cœur, elle est viscérale, on a donc une réaction forte par rapport à ça. Je pense que ce qui se passe c'est que nous-mêmes, maintenant nous utilisons tout le temps tous ces outils sans prendre forcément de recul, sans prendre le temps de comprendre ce qui se passe et les changements que cela induit, et je pense qu'il y a un effet miroir qui se crée avec nos enfants. Nous-mêmes sommes en train de scroller et on dit à son enfant « mais tu vas arrêter de regarder cette tablette ! ». C'est intéressant parce que, au lieu de pointer peut-être les difficultés qu'ont les ados, ça veut dire qu'il faut aller chercher là nos propres difficultés que nous avons nous-mêmes avec le numérique. Mais, évidemment, on sait aussi qu’il y a des choses très intéressantes qu'on peut faire avec.
Comme ça cristallise beaucoup de tensions, tout est lié à l'écran en lui-même. On parle du téléphone et on se focalise sur l'objet au lieu d'aller au-delà et de voir qu'il y a certaines applications, certains sites qui sont conçus de telle sorte que tu y passes trop de temps, tu fais choses qui, effectivement, ne sont pas très intéressantes, qui sont de l'ordre du divertissement et qu’il ne faut pas que se divertir. Une télé, c'est un objet incroyable quand on regarde les émissions d’Arte, c’est passionnant !

Thibaut le Masne : Sophie, je sais que quand vous avez lancé Chut! Explore, vous avez forcément beaucoup réfléchi à la ligne édito et aux problèmes sur lesquels il fallait alerter ou sensibiliser les ados. Quels sont les principaux axes à explorer vis-à-vis des adolescents et du numérique ?

Sophie Comte : On aime parler d'éducation au numérique. Aujourd'hui, le numérique est absolument partout et ce qui rend le sujet difficile à appréhender c'est que, justement, il est diffus, il touche tous les secteurs. Aujourd’hui, des initiatives existent, des cours de code ou des cours de techno, etc., mais l'idée d'adresser ces sujets aux ados, c'est de montrer que ça concerne, justement, comme nous adultes, aussi bien leurs interactions au quotidien, la façon dont ils sociabilisent, d'ailleurs tu en parlais tout à l'heure, justement, la façon dont ils s'informent. Aujourd'hui ce n’est pas juste s'informer. Ce qu'on demande aux ados aujourd'hui c'est d'apprendre, c'est de l'apprentissage en fait. J'ai un exemple qui date d'hier ma fille : devait faire un exposé sur la Voie lactée en physique chimie, elle est en un sixième et on lui a demandé de faire des recherches sur Internet ! Elle n'avait jamais eu l'occasion d'aller taper « Voie lactée » sur Google et d'aller faire une sélection des résultats !

Mick levy : Et là, tu lui as dit d'aller voir ChatGPT ? Tu lui as dit « gagne du temps, ma fille ! »

Sophie Comte : Pas encore ! Je n’ai pas osé.

Thibaut le Masne : Là c'est vraiment sur la partie vous avez appelé « Décode » autour de l'information et du numérique, de savoir décoder quelles sont les bonnes informations, d'exercer un esprit critique, etc.

Sophie Comte : Comment se former, c’est ça, exactement.

Thibaut le Masne : On a parlé d'une deuxième approche qui était finalement autour de l'estime de soi, vous l'avez appelée « en mode selfie », si je ne me trompe pas.

Sophie Comte : « En mode selfie », justement ce dont on a parlé tout à l'heure, ces filtres qui changent son apparence.

Thibaut le Masne : Tu nous disais qu’il y a un troisième axe – on a un peu préparé avant ensemble, disons-le au public, quand même – qui est aussi vraiment important dans cette éducation au numérique qui est ?

Sophie Comte : Les métiers de demain

Thibaut le Masne : Comment je serai demain. C'est-à-dire à la fois comment le numérique transforme l'ensemble des métiers et, à la fois, s'intéresser aux métiers du numérique, c'est ça l'idée ?

Sophie Comte : C’est montrer tous ces métiers-là. Le numérique est tel, aujourd'hui, les applications sont telles qu'elles sont aujourd'hui parce qu'elles sont conçues par des personnes qui travaillent dans ce domaine et c'est à nous à prendre ce pouvoir, d'agir, et à venir travailler dans ce domaine pour le transformer de l'intérieur. Donc oui, il y a aussi un enjeu d'orientation pour les jeunes qui est hyper-important puisque les métiers du numérique sont les métiers de demain, je ne vous apprends rien.

Mick levy : Ce sont aussi le métier d'aujourd'hui, d’ailleurs. On peut en témoigner tous les trois.

Thibaut le Masne : Et d’aujourd’hui ! C'est ça. Pour nous c'est un peu un socle de base de la culture numérique, de l'éducation même au numérique que ces trois domaines : l'information, l'estime de soi et les métiers de demain.

Thibaut le Masne : C’est maintenant l'heure du  « Patch Tech » de Fabienne Billard.

« Patch Tech » de Fabienne Billard 17'40

Mick Levy : Hou, Fabienne, dis donc, on ne t'as pas entendue depuis un moment dans Trench Tech. Ça nous fait bien plaisir de te retrouver!
Pour cette reprise, tu vas nous parler du délicat sujet de l'éthique qui connaît des rebondissements singuliers avec l'irruption des IA.

Fabienne Billat : Effectivement, l'éthique de la technologie bat son plein et a insufflé la création de ce podcast. Au fil des échanges, des intervenants aux multiples regards, il est évident que cela peut s'étudier sous différents angles, avec de nombreuses possibilités d'appréhender sa complexité multidimensionnelle.
L'engouement porté à l’IA générative, par le biais de ChatGPT, rebat à nouveau toutes les cartes. Cependant l'éviction de Sam Altman d'OpenAI est révélatrice d'une tension croissante entre l'idéalisme vertueux et le pragmatisme commercial. Or, le terme « intelligence » est ici trompeur et devient anthropomorphique. Rappelons qu'il s'agit d'un dispositif de mathématiques, de probabilités, de statistiques, et non pas de conscience. Pour autant, de la production de cette intelligence artificielle et de son usage découlent des problématiques éthiques. D'ailleurs, 94 % des dirigeants français sont activement engagés dans l'élaboration de nouveaux cadres plus adéquats.

En premier lieu, on peut regretter que l'on ne puisse pas compter sur nous-mêmes, contemporains connectés, pour délivrer des données intelligentes, sourcées, pour des échanges instructifs, pondérés sur les plateformes. Notre éthique serait alors directement infusée dans les algorithmes. On ne peut accréditer non plus les déclarations angéliques des big boss de la tech portée par leurs propres idéaux messianiques et pas si universels.

Mick Levy : Oui, mais avec tout ça, quand on est dans une grande entreprise qui s'apprête à utiliser ces méga-IA, quelles questions faut-il se poser ? Comment instaurer une approche corporate et éthique ?

Fabienne Billat : Tu as raison cela implique des réflexions philosophiques, des choix technologiques, des actions de formation éducative et des cadres législatifs. Mais je ne reviendrai pas sur ce dernier point abondamment traité, notamment avec les règlements européens. On se tourne naturellement vers les philosophes, les éthiciens, qui questionnent les finalités et les limites de l’IA et proposent des cadres en résonance avec nos valeurs et notre déontologie.
La technologie est également une ressource. Les concepteurs d'algorithmes peuvent intégrer des principes éthiques dès la phase de conception, mais aussi de la transparence, de la robustesse. Pour cela, il faut recourir à des méthodes et des outils appropriés tels que l'audit, la certification. On peut envisager aussi l'attribution d'un label.
L’explicabilité de l’IA contribue à la confiance et, plus intelligible encore, l'auto-explicabilité de l'intérieur vise à rendre plus compréhensibles les décisions d'un système. Puis, la traçabilité, la protection des données, la correction des biais ou, ce que je considère comme essentiel, la conception centrée sur l'utilisateur. Toutes les parties prenantes peuvent être sensibilisées avec des formations. Et plus tôt, dès le collège, les programmes scolaires et universitaires devraient inclure l'éthique qui s'insérerait dans des disciplines fondamentales.

Mick Levy : Il faut peut-être aussi se tourner vers l'extérieur pour prendre le pouls sociétal, finalement.

Fabienne Billat : Effectivement, il y a un autre outil efficient pour y avoir contribué : la création d’un comité d'éthique indépendant qui invite à appliquer les principes de base. Régulièrement convoqué, il intervient sur les cas d'usage et pose des repères. Cet exercice est un challenge, car des situations concrètes et singulières se font jour avec leur lot de questionnements.
Fort à propos, comme l'observait le philosophe Dominique Lecourt, l'éthique de l’IA est une éthique de la discussion. On n'a pas fini d'en parler !

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.


Cyrille Chaudoit : Merci Fabienne. Ça fait effectivement du bien de te retrouver.

Avec Mike et Thibaut, nous avons décidé de créer Trench Tech, en 2022, partant du constat qu'on trouvait que les enjeux de société, charriés par le progrès technologique, n'étaient pas suffisamment mis au cœur du débat public, ce qui empêchait le citoyen, selon nous, le décideur aussi, le parent, bref !, d'exercer son esprit critique sur ces sujets pourtant ô combien structurants pour notre société.
En matière de sensibilisation des enfants et des ados aux enjeux de leurs usages de l'outil technologique pour eux-mêmes, pour leurs rapports aux autres, pour l'environnement, etc., il doit aussi exister des initiatives, des médias comme le tien, par exemple, Sophie, mais aussi des associations de parents d'élèves, peut-être, ou même tout simplement l'Éducation nationale. Où en est-on, concrètement, dans ce panorama des initiatives qui existent à date ?

Sophie Comte : Il y a des choses qui existent, je trouve qu'elles sont encore peut-être timides, elles ne sont pas suffisantes au regard de cette grande transformation numérique qui concernent les ados. Mais oui, il y a déjà des choses qui existent, heureusement. Il y a un public qui est particulièrement actif, ce sont les professeurs documentalistes dans les collèges et lycées qui font un gros travail parce que c'est leur métier, justement, d'aller chercher des ressources pédagogiques, de faire de la veille et d'aller trouver les bonnes ressources. Ils sont très intéressés par ces sujets-là du numérique et c'est presque eux, en fait, qui sont venus à nous pour nous dire « on manque de ressources pédagogiques sur numérique pour les ados ».

Cyrille Chaudoit : Ça veut dire que l'idée de Chut! Explore vient en partie de cet insight-là ?

Sophie Comte : Tout à fait. On y avait pensé aussi, mais on a eu ce retour des profs docs. Pas mal de lycées, maintenant, sont abonnés à Chut! magazine. Des lycées qui font aussi collège nous ont demandé le même support pour le collège parce qu’ils l’ont trouvé vraiment trop pointu pour des collégiens, et c'est clair qu'il l'est. Ils nous ont dit « si vous faites quelque chose pour les collégiens, ça nous intéresse ».
C'est vrai qu’ il y a quelques ressources, il n'y a pas de médias. Bon, on ne va pas se mentir, il n'y a pas beaucoup de médias pour les ados, tout simplement, on a tendance à dire que les ados ne lisent pas beaucoup et, en même temps, on ne leur propose pas grand-chose non plus.

Thibaut le Masne : Il n’y a pas vraiment d’offre. C'est le serpent qui se mord la queue !

Sophie Comte : Voilà ! D’où ça vient ?, je ne sais pas, en tout cas, il faut tenter des propositions éditoriales. Des choses sont faites, différentes ressources existent. Tu parlais de l'Éducation nationale, il y a le CLEMI qui forme justement ces professeurs documentalistes et qui s'est beaucoup intéressé, maintenant, à la question d'éducation aux médias.

Cyrille Chaudoit : On peut juste redire ce qu'est le CLEMI ?

Sophie Comte : Le Sophie Comte : c’est le centre de formation. J'ai plus en tête l'acronyme.

Cyrille Chaudoit : Centre pour l'éducation aux médias et à l'information

Mick Levy : Le mec a tout préparé ! Même les acronymes de ouf !

Cyrille Chaudoit : Il est là pour effectivement porter cette volonté gouvernementale et ministérielle de pousser l'éducation aux médias et à l'information au sein de l'école. Par contre, je crois que ça touche plutôt les cycles 2 et 3, c'est ça ? Plutôt l'école élémentaire ? J'ai bien compris ça, ou pas ? Est-ce que tu peux nous éclairer ?

Sophie Comte : En collège aussi, il me semble, je ne pense pas dire de bêtise. Tout à fait.

Cyrille Chaudoit : Ça prend quelle forme cette éducation aux médias et à l'information ? Quels sont les sujets qu’on aborde ?

Sophie Comte : L'éducation aux médias c'est justement un des volets qui amène la question du numérique aujourd'hui dans les écoles, les collèges et les lycées. C'est très intéressant, c'est comment s'informer en ligne, donc c’est apprendre des techniques journalistiques assez simples au final : savoir sourcer un article, identifier des titres qu'on va dire click page, qui donnent envie de cliquer et qui n’apportent aucun intérêt derrière ; c'est apprendre ces techniques-là, aiguiser son esprit critique, à chaque fois se poser des questions, être en recherche de vérité en fait, essayer de faire croiser ses sources pour les vérifier. Ce n'est pas si compliqué, en réalité ; ce sont des réflexes à avoir, à développer.

Cyrille Chaudoit : Quel est le volume horaire, juste pour se rendre compte du poids que ça a dans l'emploi du temps d'un gamin aujourd'hui ? Est-ce que c'est une heure tous les mois ou c'est beaucoup plus que ça ?

Sophie Comte : Malheureusement, ce n'est pas encore fixé. L’année dernière, Pap Ndiaye avait lancé une grande journée d'éducation aux médias, avait instauré une journée par an d'éducation aux médias, une journée ! Après, finalement, c'est au bon vouloir des établissements qui ont une personne dédiée à ce sujet-là ; soit ils l’ont soit ils ne l’ont pas. Par exemple, dans le collège de ma fille, qui est un collège public, il devait y avoir une heure de cours toutes les deux semaines d'éducation aux médias, j'étais ravie et je viens d'apprendre que c'est annulé parce que la prof ne peut pas.

Cyrille Chaudoit : L’intention est bonne, mais, pour le moment, on voit qu'en termes de déploiement c’est fait un peu à l'envie et à l’opportunité. Avant ça soit structurant, c'est compliqué. Par contre, ce qui est structurant c'est que l'heure de techno à l'entrée en sixième, a été supprimée en 2023 pour tout le monde. Est-ce que c'est un bon signal envoyé sur l'acculturation à la techno ?

Sophie Comte : C’est plutôt un problème de l'Éducation nationale elle-même, d'un manque de profs. En fait, il n’y a plus de profs de techno, puisqu'il n’y a plus de profs de maths ??? [26 min 45].

Thibaut le Masne : C'est justement là que la question peut se poser : est-ce que tout doit passer nécessairement par l'Éducation nationale ? Est-ce qu'on ne peut pas faire autrement ?

Sophie Comte : En tout cas à mon sens et à notre sens chez Chut!, oui. Je ne dis pas que tout doit passer par l’Éducation nationale, mais l'Éducation nationale doit porter ce que nous appelons de l’e-civisme en fait. De la même façon qu’on a de l'éducation morale et civique, on devrait avoir une éducation e-civique ; aujourd'hui c'est indispensable. En fait, nous sommes des citoyens et citoyennes et nous sommes des citoyens et citoyennes numériques, donc cette dimension-là, la question de la citoyenneté, c'est beaucoup l'école qui l’amène.

Thibaut le Masne : Pour la dimension apprentissage, aller rechercher quelque chose. Mais si on essaye de les atteindre par différents canaux, par quels canaux pourrait-on un peu mieux les atteindre au-delà de l’école ? L'école va apprendre à chercher « magazine » par exemple.

Sophie Comte : Par exemple ! Merci !

Thibaut le Masne : Comment peut-on essayer de les toucher ?

Mick Levy : Je connais aussi quelques podcasts dont l’écoute ne ferait pas de mal aux ados !

Sophie Comte : Toutes ces initiatives, c’est ta question ?

Thibaut le Masne : C'était un peu ça. Effectivement, si on leur dit d'aller chercher, est-ce qu’on leur donne aussi des pistes, par exemple aller chercher un certain magazine ou un certain podcast ? Est-ce qu'on leur donne aussi des pistes de réflexion et, dans ce cas-là, est-ce qu’on multiplie aussi les propositions auprès des étudiants, des enfants.

Sophie Comte : En tout cas, il faudrait, effectivement, multiplier les ressources pédagogiques pour les jeunes. D’autres choses existent, évidemment. Aujourd'hui Pix propose une certification, mais plus pour le côté informatique, je dirais. Il y a un manga super sur la cybersécurité. Il est créé par une association sur la cybersécurité qui s'appelle ISSA, je crois, le manga en question s'appelle Snake News. Il y a donc quelques initiatives, mais il en faudrait davantage, évidemment, pour ne pas tout faire reposer sur l'Éducation nationale.

Mick Levy : Chez Chut!, pour le coup, vous avez fait un choix assez singulier qui est de sortir votre magazine uniquement en format papier. Pour toucher au maximum les ados, ne faudrait-il pas aller sur les médias sur lesquels ils sont et donc, plutôt avoir un Chut! sur TikTok ?

Sophie Comte : C'est notre proposition éditoriale de dire qu’on a besoin du papier dans un monde numérique. C'est pour cela qu'on a créé Chut! magazine. On parle de numérique en format papier parce que le papier existe toujours et existera certainement encore longtemps et qu'il permet une temporalité que n'offre pas le numérique. Il donne, il offre presque une intemporalité en fait, là où, sur les réseaux sociaux, on est vraiment sur des contenus de plus en plus courts, tout doit aller très vite. On propose de prendre un temps de réflexion.

Mick Levy : Ça collait aux valeurs et au message que vous voulez véhiculer.

Sophie Comte : C'est un sacré risque, évidemment, on s’est dit « on va y aller », sauf que notre support est un petit peu original puisqu'il se déplie complètement, un peu comme Le 1, une expérience de lecture en accordéon, qui s'ouvre, et qui permet, du coup, d'avoir un grand support qui s'ouvre en classe, qui permet de l'afficher en classe – il y a un grand poster intérieur – , qui permet aussi d'échanger avec ses parents. L'idée c'est aussi de trouver des temps de pause et des temps de dialogue. C'est vraiment un support qu'on imagine pour la famille, pour prendre le temps de se dire « en fait les ados connaissent des trucs que je ne connais pas » et inversement, les parents peuvent aussi en profiter pour raconter deux/trois trucs sur ce qu'ils apprennent dans leurs usages numériques au boulot.
L'écran peut créer une barrière, on le sait ! On sait très bien que l’écran peut renforcer l’isolement, la solitude, etc. L'idée c'est justement ne pas passer pas par ce support.
C'est un risque qu’on comprend. On s'adresse beaucoup aux collèges et aux lycées, ils adorent. En vrai, notre objectif, c'est de faire en sorte que ce magazine soit dans tous les collèges et les lycées de France.

Cyrille Chaudoit : Sophie, je ne peux pas te laisser comme ça, revenir à la nostalgie, à l'époque il y avait Il était une fois... la Vie qui nous apprenait un peu les cours de bio.

Sophie Comte : C’était trop bien.

Cyrille Chaudoid : Il y avait également C'est pas sorcier, pour tous les amateurs.

Thibaut le Masne : Il y avait Temps X, encore plus loin.

Cyrille Chaudoit : Aujourd'hui il n’y a plus rien de tout ça qui existe, justement, derrière les écrans. Pourquoi cette absence des médias ? Est-ce que je suis mal renseigné, parce que, forcément, je ne suis plus de cette génération-là, est-ce que les médias peuvent jouer un rôle dans ce domaine-là et où sont-ils dans cette éducation-là ?

Sophie Comte : Les médias ont un rôle énorme à jouer là-dedans, je suis encore surprise de voir que peu de choses existent, mais je sais que plein de choses se préparent poussées, justement, par la CNIL, par le ministère de l'Éducation nationale qui souhaite vraiment mettre un vrai pied là-dedans en utilisant différentes ressources extérieures et pas que des ressources produites par le ministère. Le ministère de l’Éducation nationale a créé une charte qui a un nom un petit peu difficile à retenir, c’est la Charte pour l'éducation à la culture et à la citoyenneté numériques, qui va être diffusée dans tous les collèges et lycées.

Mick Levy : Avec un nom comme celui-là, a classe à la française !

Sophie Comte : Il y a un acronyme, il faut vraiment essayer de le retenir en entier.

Mick Levy : C'est bien comme ça.

Cyrille Chaudoit : Ça fait partie des récits à réinventer, dont on parlait tout à l’heure.

Sophie Comte : Exactement ! Dans le cadre de cette charte il y a différents médias et je n'en dirai pas plus parce que ça va sortir l'année prochaine. Différents médias se sont associés à cette initiative et vont venir apporter leur expertise de médias qui est la capacité à vulgariser des sujets difficiles, amener quelque chose de ludique, amener une autre expérience pour faire en sorte que ça intéresse les jeunes.

Cyrille Chaudoit : Super. Néanmoins on voit quand même que l'essentiel des initiatives est aujourd'hui porté par le ministère de l’Éducation nationale, globalement des initiatives gouvernementales. Je voudrais juste conclure cette séquence en rappelant que le fameux CLEMI, qu'on a évoqué tout à l'heure, met à disposition, sur son site web, qu'on peut retrouver sur education.gouv.fr, un certain nombre d'outils et de fiches pratiques, etc., notamment à destination des parents. Pour répondre à la question de Thibaut « est-ce que ça doit être porté uniquement par l'école », non, ça doit être porté en partie par l'école, mais pas que par l'école, donc, y compris par les parents et, éventuellement, par les associations de parents d'élèves, etc. Un certain nombre d'outils sont déjà mis à disposition, donc qui sont « validés » par le ministère. Et puis il y a des initiatives plus personnelles et je tenais simplement à saluer celle de Louis Derrac, que je suis depuis un moment sur les réseaux sociaux et sur Linkedin en particulier. Je cite la façon dont il se présente, il fait de l'éducation au numérique, il dit « j'explore les contours d'une éducation politique, populaire, technocritique et émancipatrice au numérique » et il met tous ces outils en open source, à disposition sous licence Creative Commons. Louis Derrac, allez regarder, et merci Louis pour ce que tu fais.

Sophie Comte : Je pensais aussi à TRALALERE qui est l'opérateur français d’Internet Sans Crainte, je ne sais pas si vous connaissez. Un jour qui s'appelle le Safer Internet Day qui a lieu en février, avec tout un mois sur la sensibilisation autour du numérique pour les ados et les familles. Il y a un effectivement vrai travail à faire au sein des familles, c'est un dispositif européen avec un certain nombre d'actions qui sont faites à ce moment-là, je voulais aussi préciser.

Cyrille Chaudoit : C'est l'heure de la « Philo Tech » d'Emmanuel Goffi.

« Philo Tech » - Emmanuel Goffi 34’35

Voix off : De la philo, de la tech, c’est « Philo Tech ».