Différences entre les versions de « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte »

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'''Titre :''' Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ?
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Publié [https://www.april.org/droit-d-auteur-doit-marquer-les-oeuvres-a-la-culotte ici] - Juin 2018
 
 
'''Intervenants :''' Séverine Dusollier - Léa Chamboncel - David El Sayegh - Hervé Gardette
 
 
 
'''Lieu :''' émission <em>Du grain à moudre</em> - France Culture
 
 
 
'''Date :''' juin 2018
 
 
 
'''Durée :''' 39 min 50
 
 
 
'''[https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/du-grain-a-moudre-du-jeudi-21-juin-2018 Écouter le podcast] ou [https://www.dailymotion.com/video/x6mfihw visualiser la vidéo]
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.</em>
 
 
 
'''Statut :''' Transcrit MO
 
 
 
==Description==
 
 
 
La directive européenne « copyright » vise à renforcer la protection des droits d’auteurs sur internet. L’article 13 oblige l’utilisation de technologies de filtrage des contenus avant publication. Est-ce une forme de censure ou une nécessité pour la protection des artistes ?
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans <em>Du Grain à moudre</em>. Ce soir « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ? » Vous êtes musicien, vous avez envie de percer dans le milieu ; ce soir c’est la fête de la musique et c’est peut-être la chance de votre vie : soit parce qu’un producteur passait par hasard devant votre prestation et épaté par la qualité de vos compositions va vous faire signer un gros contrat, soit parce que dans le public quelqu’un va vous filmer avec son smartphone, va publier la vidéo sur YouTube, laquelle va faire le buzz et vous valoir des millions de vues. Quelques jours auront passé, vous voilà donc désormais célèbre mais pas riche pour autant car en dépit du nombre plus que conséquent de clics, la plateforme sur laquelle circule votre musique vous rémunère à peine ; mais heureusement, les choses vont bientôt changer.
 
 
 
Le Parlement européen est en effet en train d’adopter une directive sur le droit d’auteur, directive qui vise à mieux rémunérer les créateurs de contenus. La commission des affaires juridiques du Parlement l’a adoptée hier. Est-ce une bonne nouvelle ? Eh bien pas pour tous les créateurs. Certains dénoncent, en effet, un des articles de cette directive, l’article 13 ; celui-ci prévoit la mise en place de filtres automatiques sur les plateformes numériques pour détecter les contenus qui relèvent du droit d’auteur, avec la possibilité d’effacer les œuvres qui enfreindraient ce droit. Les parodies, remix et autres reprises pourraient ainsi faire les frais de ce contrôle automatisé, réduisant d’autant la liberté de création alors que l’objectif initial est bien de la protéger. « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ? » C’est le titre de ce soir en compagnie de trois invités. Léa Chamboncel bonsoir.
 
 
 
<b>Léa Chamboncel : </b>Bonsoir.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Vous êtes créatrice, vous faites de la photo, vous publiez notamment une série de podcasts intitulée « Place du Palais Bourbon » et vous êtes membre du mouvement Create.Refresh qui fait campagne contre cet article 13 que j’évoquais de la directive européenne sur le droit d’auteur. Je précise que c’est un mouvement qui a été lancé par des ONG et pas des organisations de la société civile. Pour discuter avec vous David El Sayegh bonsoir.
 
 
 
<b>David El Sayegh : </b>Bonsoir.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Secrétaire général de la Sacem ; la Sacem c’est une des grandes sociétés d’auteurs en France, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, et vous y êtes en charge notamment, à la Sacem, de la direction juridique. Et puis troisième invitée Séverine Dusollier, bonsoir.
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>Bonsoir.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Juriste, spécialiste des questions de droit d’auteur. Vous êtes professeur à l’école de droit de Sciences Po et cofondatrice de la European Copyright Society en un mot qu’est-ce que c’est ?
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>Il s’agit d’un groupement d’une quinzaine, vingtaine de professeurs du droit d’auteur en Europe qui se sont regroupés pour émettre des avis sur les évolutions du droit d’auteur en Europe, faire entendre la voix des professeurs.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>C’est une société qui va avoir l’occasion de revoir un petit peu, justement, ses avis parce que c’est en train de bouger. J’ai presque envie de dire, Séverine Dusollier, c’est en train de bouger enfin, parce que cette directive des droits d’auteur elle vient de loin, il ne faut peut-être pas exagérer, mais en tout cas ça fait déjà quelques années qu’on l’évoque.
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>En fait, pour le moment, le droit l’auteur à l’échelon européen est régi principalement par une directive qui date de 2001, donc quelques années après l’émergence d’Internet comme un média public. 2001 Google n’existait pas, YouTube n’existait pas, Facebook n’existait pas, les smartphones n’existaient pas. Donc vous imaginez combien le cadre juridique peut sembler peut-être un peu dépassé, un peu ringard, et donc ça fait plusieurs années que la Commission européenne essaye d’intervenir et, contrairement à ce qui avait été fait dans cette première directive, je pense que l’objectif réel était de développer le marché européen. Donc de permettre à des opérateurs économiques de proposer des œuvres sur Internet, en accord avec le droit d’auteur, pour rémunérer les auteurs, mais de le faire de manière plus efficace que c’est le cas à l’heure actuelle. Donc d’essayer d’enlever les barrières.
 
 
 
Les textes qui étaient qui étaient proposés il y a quelques années allaient dans ce sens-là. Le texte qui est en train d’être discuté au Parlement et qui mènera, peut-être, à une directive dans les mois qui viennent, est un texte un peu fourre-tout dans lequel il y a plusieurs dispositions et plus tellement, on s’est un peu éloigné de l’objectif initial de favoriser l’exploitation des œuvres sur Internet.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>L’objectif aujourd’hui c’est peut-être quoi ? De mieux réguler et de mieux harmoniser et rémunérer les créateurs David El Sayegh ?
 
 
 
<b>David El Sayegh : </b>Oui, c’est un peu l’objectif. Mais peut-être pour comprendre où l’on va il est nécessaire de faire un retour sur d’où on vient. Et madame Dusollier l’a très bien expliqué. Il y avait d’abord une directive de 2001 dont l’objectif était d’accorder des droits aux créateurs sur Internet, mais en parallèle il y a eu une autre directive très importante à la même époque, qui est la directive commerce électronique, qui organisait un système d’irresponsabilité pour les prestataires techniques de l’Internet. Et je dirais que ces directives coexistaient pacifiquement jusqu’au moment où certains acteurs de l’Internet, qui n’étaient pas de simples intermédiaires techniques, qui étaient en réalité de véritables diffuseurs – YouTube, SoundCloud, Dailymotion pour citer quelques-uns d’entre eux – sont devenus donc des véritables diffuseurs. Et là on a eu une problématique très forte pour les créateurs, c’était comment mettre en œuvre nos droits vis-à-vis d’entités qui bénéficiaient d’un régime d’hypo-responsabilité et qui ne contractualisaient pas des accords avec les créateurs.
 
 
 
D’où cette difficulté de trouver un point d’équilibre entre des revendications légitimes de la part de créateurs et un système vis-à-vis d’entités qui n’étaient pas de simples prestataires techniques, pas des hébergeurs, qui étaient plus que des hébergeurs mais pas forcément des éditeurs au sens traditionnel comme peuvent l’être une chaîne de télévision ou une radio. Voilà, c’est ça l’objectif aussiqu’entend poursuivre la directive.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Et ces entités justement, David El Sayegh, qui sont plus que des hébergeurs mais pas tout à fait des éditeurs au sens juridique du terme, est-ce qu’elles en sont toujours à ce point ou bien est-ce que certaines, quand même, ont commencé à contractualiser avec les créateurs ?
 
 
 
<b>David El Sayegh : </b>On n’a pas attendu le projet de directive pour avoir des relations contractuelles avec ces nouvelles entités et par exemple, une société comme YouTube, ça fait plus de dix ans qu’on a un accord avec cette société ; on a signé un accord avec Facebook, on a signé un accord avec SoundCoud. Donc il existe des accords. Mais malheureusement ces accords sont insuffisants parce que les règles qui les régissent dépendent de la volonté de ces plateformes pour qui nous sommes de simples créateurs. Il faut bien comprendre que quand vous négociez avec un GAFA, je veux dire une grosse société américaine, et que vous représentez des créateurs français, vous n’êtes qu’une petite province dans une stratégie internationale et vous êtes souvent laissé pour compte. D’où la nécessité dans un rapport par nature déséquilibré de réintroduire un dispositif permettant de mieux faire valoir les prérogatives de créateurs.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Léa Chamboncel, donc vous qui êtes créatrice, qui pouvez avoir par exemple certaines de vos œuvres qui se retrouvent sur ces plateformes, pas forcément d’ailleurs à votre insu, peut-être aussi parce que vous vous avez intérêt à être visible ; on va beaucoup parler de YouTube ce soir parce que c’est vrai que c’est la principale plateforme à laquelle on pense. Est-ce que vous partagez déjà ce constat d’une relation assez déséquilibrée et de la nécessité, en tout cas, de revoir les relations qu’il peut y avoir entre ces diffuseurs que sont quand même les plateformes numériques et ceux qui les alimentent, notamment les créateurs ?
 
 
 
<b>Léa Chamboncel : </b>Oui effectivement, je pense que la problématique est celle-ci. Il ne faut pas non plus qu’on tombe dans une autre problématique qui est celle de la régulation des plateformes. Et on a parfois le sentiment qu’à travers cet article c’est aussi ce qu’on cherche à faire.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>On parlera de l’article plus tard, si vous voulez bien, de l’article 13. Mais simplement déjà sur la philosophie générale et sur l’idée que quand on crée des œuvres et qu’on les diffuse sur une plateforme comme YouTube on n’a peut-être pas un traitement suffisamment équitable, en tout cas qui permet par exemple d’être rémunéré à la hauteur de ce qu’en retirent ces plateformes.
 
 
 
<b>Léa Chamboncel : </b>À mon avis ça dépend aussi de quel type de créateur vous êtes en quelque sorte. Si vous êtes effectivement un créateur très établi je comprends qu’on ait envie d’essayer de retirer de l’argent de ce travail qui est fait. Nous on n’est pas contre le droit d’auteur ; ça permet quand même aux auteurs d’en vivre. La question du copyright, en revanche, je pense que ça ne doit pas non plus être un frein à la création. C’est-à-dire que moi aujourd’hui, si je n’avais pas eu l’opportunité de pouvoir poster effectivement ce que j’ai créé tant sur SounCloud ou sur YouTube, ce qui serait la réalité demain avec l’adoption de l’article 13, car ça viendrait à être bloqué en amont, c’est-à-dire que je n’aurais même pas eu la possibilité d’avoir la chance de mettre mon travail et de pouvoir le partager avec mon audience, c’est-à-dire que je n’aurais pas été connue, en fait, tout simplement, ç’aurait été quand même très compliqué. Donc je pense que la question dépend aussi de comment on se positionne.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Ça veut dire que pour vous, finalement, ces plateformes-là sont plus intéressantes en termes de notoriété qu’en termes de rémunération. C’est-à-dire que vous n’attendez pas forcément une rémunération ?
 
 
 
<b>Léa Chamboncel : </b>Absolument. En termes de notoriété. Si la question de la rémunération peut se poser, mais en tout cas moi, je parle en ce qui me concerne, ce n’est pas une priorité à ce stade. La priorité à ce stade, c’est d’arriver à me faire connaître, tout simplement.
 
 
 
== 9’ 30==
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>S’agissant alors de la rémunération, j’ai trouvé un article sur le <em>Journal du Geek</em> qui est un magazine en ligne qui date de janvier 2018, donc assez récent, qui s’intéresse aux rémunérations ; alors c’est au niveau américain, au niveau des États-Unis, et où on trouve sur les dix principales plateformes qui diffusent en l’occurrence de la musique, la première c’est Groove Musique, je ne connaissais pas, et à chaque, je ne sais pas comment dire, écoute d’un morceau voilà, à chaque écoute d’un morceau l’auteur va toucher 0,0273 dollar ; le dixième c’est YouTube : à chaque écoute 0,00074 dollar. Donc Séverine Dusollier, est-ce que déjà du point de la rémunération, il y a de vrais déséquilibres entre les plateformes et c’est ce que la directive européenne sur le droit d’auteur vise aussi, peut-être, à rééquilibrer ? Et à ce que celles qui sont peut-être les plus populaires rémunèrent un peu mieux les auteurs ?
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>La directive ne va pas vraiment essayer d’amener une égalité dans le niveau des rémunérations, mais elle essaye de mettre tous les opérateurs sur le même plan. C’est vrai qu’il peut paraître extrêmement injuste que des plateformes, telle YouTube qui exploite des œuvres protégées – il faut quand même savoir que chaque minute il y a des centaines d’heures qui sont postées sur YouTube, avec de la publicité, donc YouTube se rémunère au passage du flux d’internautes qui vont le visiter. Donc il y a des flux monétaires qui sont créés qui ne reviennent pas aux auteurs ou un peu avec les accords que les titulaires de droits arrivent à négocier avec ces plateformes.
 
 
 
En revanche, on a d’autres opérateurs tel Deezer, Spotify, qui eux jouent le jeu et rémunèrent les auteurs. Donc il y a à la fois une injustice pour les créateurs qui ne sont pas rémunérés alors que ces plateformes se rémunèrent très grassement et aussi une injustice par rapport à des concurrents économiques qui eux rémunèrent les auteurs. Donc il y a là plusieurs <em>gaps</em> ou <em>value gaps</em>, comme on en a parlé au niveau européen, que la directive essaye de combler.
 
 
 
Ensuite, sur la manière dont les rémunérations vont réellement arriver chez les auteurs, c’est un autre débat sur lequel par exemple la France a agi par rapport aux plateformes de streaming de musique, mais la directive ne donne que le moyen aux auteurs de négocier leurs droits. Elle ne leur donne pas de garantie qu’ils obtiendront une rémunération juste.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Léa Chamboncel.
 
 
 
<b>Léa Chamboncel : </b>Excusez-moi, je voulais juste intervenir. Effectivement la question de la pluralité des plateformes, c’est une question assez intéressante et souvent on met en avant un monopole qui est un fait, d’un certain nombre de plateformes qui sont déjà très bien établies dont on a déjà cité le nom donc je ne reviendrai pas là-dessus. Le problème du système qui est aujourd’hui envisagé c’est qu’il risque, en fait, de renforcer la centralisation du Web au profit de ces plateformes-là qui ont, elles, les capacités de mettre en place ce type de filtrage, car il faut savoir que ça coûte énormément d’argent et que c’est très compliqué à mettre en œuvre. Donc ça veut dire qu’il y aura certainement des petites plateformes émergentes qui auraient la volonté, imaginons, de mieux rémunérer les auteurs, qui n’auront pas la capacité de venir sur ce marché qui est déjà complètement saturé et qui, demain, sera parfaitement centralisé au profit des grosses plateformes qu’on vient de citer.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Le système de filtrage. On va y arriver dans un court instant ; ça fait partie effectivement de la discussion, mais pour qu’on comprenne bien le cadre je retarde encore un tout petit peu bien, si vous le voulez bien, le débat juste sur ce sujet. Je voudrais d’abord vous poser une question, David El Sayegh, et après promis, on arrive sur cet article 13. Par rapport à ce que disait Séverine Dusollier, donc ces plateformes, dont YouTube notamment, qui captent effectivement cette production sans rémunérer très bien, c’est un euphémisme, ceux qui produisent, ceux qui sont les créateurs.
 
 
 
<b>David El Sayegh : </b>C’est tout le problème.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Mais personne n’oblige les créateurs à aller sur ces plateformes. Pourquoi, par exemple quand on est un musicien, on ne se contenterait pas de proposer sa musique sur Deezer, sur Spotify, puisqu’il y a des accords, et de ne pas la proposer sur YouTube ? Est-ce que c’est tellement puissant aujourd’hui qu’on ne peut pas faire autrement que d’y être ?
 
 
 
<b>David El Sayegh : </b>C’est tellement puissant qu’on ne peut pas faire autrement que d’y être ! Et vous avez raison, il y a deux problématiques en réalité. Il y a une problématique d’exposition et on a besoin de ces plateformes quand on est un artiste pour se faire connaître, mais indépendamment de l’exposition vous avez une problématique de rémunération. Et parlons bien et parlons chiffres. Moi je vais vous donner deux chiffres : quand vous faites un million de vues de <em>stream</em> sur YouTube, la Sacem vous donne 80 euros. Quand vous faites le même nombre de <em>stream</em> sur Spotify ou Deezer vous touchez environ, ça dépend des services, mais à peu près 1 000 euros. Donc on est dans un rapport de plus de 1 à 10 en termes de rémunération. Un autre chiffre qui vous permettra de prendre l’ampleur du phénomène, aujourd’hui en matière de streaming YouTube capte 94 % du trafic de <em>stream</em> ; donc le nombre de <em>streams</em> c’est à 94 % YouTube, et c’est moins de 3 % de la rémunération des créateurs. Donc on a un vrai souci d’équilibre économique que la directive, au travers d’un système tendant à mieux responsabiliser les plateformes, tente de remédier. C’est une problématique très forte. Qu’est-ce que c’est YouTube en réalité ou une plateforme ? Ce sont deux choses. C’est un cloud, c’est-à-dire un service dans lequel les gens vont déposer des vidéos pour que d’autres personnes les regardent et une régie publicitaire puisque, à chaque message, vous avez un passage publicitaire. Et YouTube prend automatiquement, que vous soyez petit, grand ou moyen, plus de 50 % des revenus ; et autre problématique, c’est que personne ne connaît le chiffre d’affaires de YouTube. Ce n’est pas une société, c’est un service qui appartient à Google et on travaille dans une totale opacité. Quand bien même on augmenterait nos pourcentages de rémunération, à partir du moment où nous n’avons aucune maîtrise sur la monétisation des flux générés par la plateforme, nous ne pouvons que prendre une portion congrue, si je puis m’exprimer ainsi, des recettes générées par la plateforme. Donc c’est une vraie problématique et je comprends tout à fait la problématique d’exposition : elle est prégnante, elle est essentielle et nous avons besoin d’exposition. La radio aussi est un formidable outil d’exposition, mais la radio, quand votre titre passe sur France Culture il est bien mieux rémunéré que quand il passe sur YouTube, je vous le garantis ! Donc c’est ça aussi et pourquoi ? Parce que la radio a une responsabilité primaire et doit négocier en amont des accords avec les titulaires de droits alors qu’aujourd’hui l’article 14 de la directive commerce électronique c’est-à-dire le statut d’hébergeur, ne rend pas, à priori, ces plateformes des contenus qu’elles diffusent pour autant.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Séverine Dusollier.
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>Je voulais revenir sur votre question : pourquoi est-ce que les auteurs iraient sur ces plateformes ? Une des grandes difficultés et spécificités de YouTube c’est que ce ne sont pas uniquement les auteurs qui mettent leurs contenus sur les plateformes, c’est ce que vous faites vous [Léa Chamboncel] comme artiste. Mais il y a beaucoup de contenus et la majorité des contenus qui sont sur YouTube sont mis par des gens qui n’ont pas les droits d’auteur sur les contenus. Tous les contenus audiovisuels, la musique, ce sont vous et moi qui pouvons, en tant qu’internaute, aller mettre cela sur YouTube sans aucune autorisation. Et c’est ce qui rend le débat plus compliqué puisque YouTube n’est pas un éditeur pour cette raison. Deezer, Spotify, ils décident ce qu’ils insèrent dans leur catalogue, ça les rend éditeurs, alors que YouTube a un catalogue très flou qui est constitué par les internautes, par des artistes qui volontairement mettent leurs contenus sur YouTube, mais aussi par tout un chacun et c’est bien là la difficulté ; c’est qu’on a à la fois des créateurs qui veulent être exposés et qui alors, peut-être, acceptent de ne pas être rémunérés contre exposition, mais on a toute une série de contenus qui sont mis à l’insu ou contre la volonté des créateurs.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Et donc il y a cette directive européenne qui arrive sur le droit d’auteur et qui vise à quoi et notamment dans son article 13, Séverine Dusollier, pour nous expliquer alors peut-être le plus concrètement possible ce qui est envisagé ? Mais c’est quoi ? C’est trouver, mettre en place des outils qui vont permettre d’avoir une gestion la plus, comment dire, la plus fine possible, la plus pertinente possible du droit d’auteur ? C’est ça ?
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>L’article 13 a eu une longue évolution et est parti d’un texte très flou, très contestable dans ses principes juridiques, je ne vais pas aller dans la technicité juridique, pour aboutir à une version. Pour le moment on a deux versions sur la table : celle qui a été négociée, acceptée par le Conseil de l’Union européenne et celle qui a été votée hier par le comité juridique du Parlement européen et qui sera peut-être votée en assemblée plénière début juillet par le Parlement européen. Ensuite, sur ces deux versions il faudra avoir un accord entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen ; on n’y est pas.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Globalement ça dit quoi ?
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>Mais deux versions sur la table. Ça prévoit en fait deux options. La première c’est celle dont on parle le plus, c’est en fait c’est la deuxième, c’est le filtrage. Mais il y a d’abord une première option qui a émergé durant les discussions qui est de dire que les plateformes font un acte de communication au public. Cet acte de communication au public doit être autorisé par les créateurs et par les titulaires de droits d’auteurs, donc notamment par les sociétés de gestion collective.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Comme la Sacem.
 
 
 
<b>Séverine Dusollier : </b>Et donc ça impose, ça donne un pouvoir en effet aux sociétés de gestion collective d’aller négocier avec ces opérateurs en leur disant « vous voyez, vous n’avez pas le choix ; vous devez négocier avec nous parce que ce que vous faites est une atteinte à notre droit d’auteur ». Si les plateformes ne le font pas elles doivent mettre en place des outils qui peuvent reconnaître les contenus sur indication des titulaires de droits. C’est pour ça que le cas des artistes qui mettent automatique leurs contenus en ligne ne sera pas vraiment concerné puisqu’ils ne vont jamais indiquer que ces contenus-là doivent être filtrés. Mais en effet, ça met en place un filtrage extrêmement étendu, préventif, proactif, alors qu’à l’heure actuelle on n’a que des identifications de contenus illicites qui sont ponctuels et qui sont réactifs.
 
 
 
<b>Hervé Gardette : </b>Donc soit il y a des accords qui sont passés avec les sociétés d’auteurs, soit il n’y en a pas et donc il y a l’obligation de mettre en place ce système de filtrage qui est un système de filtrage automatique, c’est-à-dire on délègue, en gros, à une machine le fait de pouvoir constater s’il y a un problème sur les droits d’auteur ou pas. Vous n’êtes pas d’accord avec cette interprétation David El Sayegh.
 
 
 
==20’ 07==
 
 
 
<b>David El Sayegh : </b>Je voudrais nuancer.
 

Dernière version du 29 juin 2018 à 12:36


Publié ici - Juin 2018