Différences entre les versions de « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte »

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<b>Hervé Gardette : </b>Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans <em>Du Grain à moudre</em>. Ce soir « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ? » Vous êtes musicien, vous avez envie de percer dans le milieu ; ce soir c’est la fête de la musique et c’est peut-être la chance de votre vie : soit parce qu’un producteur passait par hasard devant votre prestation et épaté par la qualité de vos compositions va vous faire signer un gros contrat, soit parce que dans le public quelqu’un va vous filmer avec son smartphone, va publier la vidéo sur YouTube, laquelle va faire le buzz et vous valoir des millions de vues. Quelques jours auront passé, vous voilà donc désormais célèbre mais pas riche pour autant car en dépit du nombre plus que conséquent de clics, la plateforme sur laquelle circule votre musique vous rémunère à peine ; mais heureusement, les choses vont bientôt changer.
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Le Parlement européen est en effet en train d’adopter une directive sur le droit d’auteur, directive qui vise à mieux rémunérer les créateurs de contenus. La commission des affaires juridiques du Parlement l’a adoptée hier. Est-ce une bonne nouvelle ? Eh bien pas pour tous les créateurs. Certains dénoncent, en effet, un des articles de cette directive, l’article 13 ; celui-ci prévoit la mise en place de filtres automatiques sur les plateformes numériques pour détecter les contenus qui relèvent du droit d’auteur, avec la possibilité d’effacer les œuvres qui enfreindraient ce droit. Les parodies, remix et autres reprises pourraient ainsi faire les frais de ce contrôle automatisé, réduisant d’autant la liberté de création alors que l’objectif initial est bien de la protéger. « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ? » C’est le titre de ce soir en compagnie de trois invités. Léa Chamboncel bonsoir.
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<b>Léa Chamboncel : </b>Bonsoir.
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<b>Hervé Gardette : </b>Vous êtes créatrice, vous faites de la photo, vous publiez notamment une série de podcasts intitulée « Place du Palais Bourbon » et vous êtes membre du mouvement Create.Refresh qui fait campagne contre cet article 13 que j’évoquais de la directive européenne sur le droit d’auteur. Je précise que c’est un mouvement qui a été lancé par des ONG et pas des organisations de la société civile. Pour discuter avec vous David El Sayegh bonsoir.
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<b>David El Sayegh : </b>Bonsoir.
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<b>Hervé Gardette : </b>Secrétaire général de la Sacem ; la Sacem c’est une des grandes sociétés d’auteurs en France, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, et vous y êtes en charge notamment, à la Sacem, de la direction juridique. Et puis troisième invitée Séverine Dusollier, bonsoir.
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<b>Séverine Dusollier : </b>Bonsoir.
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<b>Hervé Gardette : </b>Juriste, spécialiste des questions de droit d’auteur. Vous êtes professeur à l’école de droit de Sciences Po et cofondatrice de la European Copyright Society en un mot qu’est-ce que c’est ?
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<b>Séverine Dusollier : </b>Il s’agit d’un groupement d’une quinzaine, vingtaine de professeurs du droit d’auteur en Europe qui se sont regroupés pour émettre des avis sur les évolutions du droit d’auteur en Europe, faire entendre la voix des professeurs.
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<b>Hervé Gardette : </b>C’est une société qui va avoir l’occasion de revoir un petit peu, justement, ses avis parce que c’est en train de bouger. J’ai presque envie de dire, Séverine Dusollier, c’est en train de bouger enfin, parce que cette directive des droits d’auteur elle vient de loin, il ne faut peut-être pas exagérer, mais en tout cas ça fait déjà quelques années qu’on l’évoque.
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<b>Séverine Dusollier : </b>En fait, pour le moment, le droit l’auteur à l’échelon européen est régi principalement par une directive qui date de 2001, donc quelques années après l’émergence d’Internet comme un média public. 2001 Google n’existait pas, YouTube n’existait pas, Facebook n’existait pas, les smartphones n’existaient pas. Donc vous imaginez combien le cadre juridique peut sembler peut-être un peu dépassé, un peu ringard, et donc ça fait plusieurs années que la Commission européenne essaye d’intervenir et, contrairement à ce qui avait été fait dans cette première directive, je pense que l’objectif réel était de développer le marché européen. Donc de permettre à des opérateurs économiques de proposer des œuvres sur Internet, en accord avec le droit d’auteur, pour rémunérer les auteurs, mais de le faire de manière plus efficace que c’est le cas à l’heure actuelle. Donc d’essayer d’enlever les barrières.
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Les textes qui étaient qui étaient proposés il y a quelques années allaient dans ce sens-là. Le texte qui est en train d’être discuté au Parlement et qui mènera, peut-être, à une directive dans les mois qui viennent, est un texte un peu fourre-tout dans lequel il y a plusieurs dispositions et plus tellement, on s’est un peu éloigné de l’objectif initial de favoriser l’exploitation des œuvres sur Internet.
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<b>Hervé Gardette : </b>L’objectif aujourd’hui c’est peut-être quoi ? De mieux réguler et de mieux harmoniser et rémunérer les créateurs David El Sayegh ?
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<b>David El Sayegh : </b>Oui, c’est un peu l’objectif. Mais peut-être pour comprendre où l’on va il est nécessaire de faire un retour sur d’où on vient. Et madame Dusollier l’a très bien expliqué. Il y avait d’abord une directive de 2001 dont l’objectif était d’accorder des droits aux créateurs sur Internet, mais en parallèle il y a eu une autre directive très importante à la même époque, qui est la directive commerce électronique, qui organisait un système d’irresponsabilité pour les prestataires techniques de l’Internet. Et je dirais que ces directives coexistaient pacifiquement jusqu’au moment où certains acteurs de l’Internet, qui n’étaient pas de simples intermédiaires techniques, qui étaient en réalité de véritables diffuseurs – YouTube, SoundCloud, Dailymotion pour citer quelques-uns d’entre eux – sont devenus donc des véritables diffuseurs. Et là on a eu une problématique très forte pour les créateurs, c’était comment mettre en œuvre nos droits vis-à-vis d’entités qui bénéficiaient d’un régime d’hypo-responsabilité et qui ne contractualisaient pas des accords avec les créateurs.
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D’où cette difficulté de trouver un point d’équilibre entre des revendications légitimes de la part de créateurs et un système vis-à-vis d’entités qui n’étaient pas de simples prestataires techniques, pas des hébergeurs, qui étaient plus que des hébergeurs mais pas forcément des éditeurs au sens traditionnel comme peuvent l’être une chaîne de télévision ou une radio. Voilà, c’est ça l’objectif aussiqu’entend poursuivre la directive.
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<b>Hervé Gardette : </b>Et ces entités justement, David El Sayegh, qui sont plus que des hébergeurs mais pas tout à fait des éditeurs au sens juridique du terme, est-ce qu’elles en sont toujours à ce point ou bien est-ce que certaines, quand même, ont commencé à contractualiser avec les créateurs ?
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<b>David El Sayegh : </b>On n’a pas attendu le projet de directive pour avoir des relations contractuelles avec ces nouvelles entités et par exemple, une société comme YouTube, ça fait plus de dix ans qu’on a un accord avec cette société ; on a signé un accord avec Facebook, on a signé un accord avec SoundCoud. Donc il existe des accords. Mais malheureusement ces accords sont insuffisants parce que les règles qui les régissent dépendent de la volonté de ces plateformes pour qui nous sommes de simples créateurs. Il faut bien comprendre que quand vous négociez avec un GAFA, je veux dire une grosse société américaine, et que vous représentez des créateurs français, vous n’êtes qu’une petite province dans une stratégie internationale et vous êtes souvent laissé pour compte. D’où la nécessité dans un rapport par nature déséquilibré de réintroduire un dispositif permettant de mieux faire valoir les prérogatives de créateurs.
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<b>Hervé Gardette : </b>Léa Chamboncel, donc vous qui êtes créatrice, qui pouvez avoir par exemple certaines de vos œuvres qui se retrouvent sur ces plateformes, pas forcément d’ailleurs à votre insu, peut-être aussi parce que vous vous avez intérêt à être visible ; on va beaucoup parler de YouTube ce soir parce que c’est vrai que c’est la principale plateforme à laquelle on pense. Est-ce que vous partagez déjà ce constat d’une relation assez déséquilibrée et de la nécessité, en tout cas, de revoir les relations qu’il peut y avoir entre ces diffuseurs que sont quand même les plateformes numériques et ceux qui les alimentent, notamment les créateurs ?
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<b>Léa Chamboncel : </b>Oui effectivement, je pense que la problématique est celle-ci. Il ne faut pas non plus qu’on tombe dans une autre problématique qui est celle de la régulation des plateformes. Et on a parfois le sentiment qu’à travers cet article c’est aussi ce qu’on cherche à faire.
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<b>Hervé Gardette : </b>On parlera de l’article plus tard, si vous voulez bien, de l’article 13. Mais simplement déjà sur la philosophie générale et sur l’idée que quand on crée des œuvres et qu’on les diffuse sur une plateforme comme YouTube on n’a peut-être pas un traitement suffisamment équitable, en tout cas qui permet par exemple d’être rémunéré à la hauteur de ce qu’en retirent ces plateformes.
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<b>Léa Chamboncel : </b>À mon avis ça dépend aussi de quel type de créateur vous êtes en quelque sorte. Si vous êtes effectivement un créateur très établi je comprends qu’on ait envie d’essayer de retirer de l’argent de ce travail qui est fait. Nous on n’est pas contre le droit d’auteur ; ça permet quand même aux auteurs d’en vivre. La question du copyright, en revanche, je pense que ça ne doit pas non plus être un frein à la création. C’est-à-dire que moi aujourd’hui, si je n’avais pas eu l’opportunité de pouvoir poster effectivement ce que j’ai créé tant sur SounCloud ou sur YouTube, ce qui serait la réalité demain avec l’adoption de l’article 13, car ça viendrait à être bloqué en amont, c’est-à-dire que je n’aurais même pas eu la possibilité d’avoir la chance de mettre mon travail et de pouvoir le partager avec mon audience, c’est-à-dire que je n’aurais pas été connue, en fait, tout simplement, ç’aurait été quand même très compliqué. Donc je pense que la question dépend aussi de comment on se positionne.
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<b>Hervé Gardette : </b>Ça veut dire que pour vous, finalement, ces plateformes-là sont plus intéressantes en termes de notoriété qu’en termes de rémunération. C’est-à-dire que vous n’attendez pas forcément une rémunération ?
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<b>Léa Chamboncel : </b>Absolument. En termes de notoriété. Si la question de la rémunération peut se poser, mais en tout cas moi, je parle en ce qui me concerne, ce n’est pas une priorité à ce stade. La priorité à ce stade, c’est d’arriver à me faire connaître, tout simplement.
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<b>Hervé Gardette : </b>S’agissant alors de la rémunération

Version du 25 juin 2018 à 09:38


Titre : Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ?

Intervenants : Séverine Dusollier - Léa Chamboncel - David El Sayegh - Hervé Gardette

Lieu : émission Du grain à moudre - France Culture

Date : juin 2018

Durée : 39 min 50

Écouter le podcast ou visualiser la vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Description

La directive européenne « copyright » vise à renforcer la protection des droits d’auteurs sur internet. L’article 13 oblige l’utilisation de technologies de filtrage des contenus avant publication. Est-ce une forme de censure ou une nécessité pour la protection des artistes ?

Transcription

Hervé Gardette : Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans Du Grain à moudre. Ce soir « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ? » Vous êtes musicien, vous avez envie de percer dans le milieu ; ce soir c’est la fête de la musique et c’est peut-être la chance de votre vie : soit parce qu’un producteur passait par hasard devant votre prestation et épaté par la qualité de vos compositions va vous faire signer un gros contrat, soit parce que dans le public quelqu’un va vous filmer avec son smartphone, va publier la vidéo sur YouTube, laquelle va faire le buzz et vous valoir des millions de vues. Quelques jours auront passé, vous voilà donc désormais célèbre mais pas riche pour autant car en dépit du nombre plus que conséquent de clics, la plateforme sur laquelle circule votre musique vous rémunère à peine ; mais heureusement, les choses vont bientôt changer.

Le Parlement européen est en effet en train d’adopter une directive sur le droit d’auteur, directive qui vise à mieux rémunérer les créateurs de contenus. La commission des affaires juridiques du Parlement l’a adoptée hier. Est-ce une bonne nouvelle ? Eh bien pas pour tous les créateurs. Certains dénoncent, en effet, un des articles de cette directive, l’article 13 ; celui-ci prévoit la mise en place de filtres automatiques sur les plateformes numériques pour détecter les contenus qui relèvent du droit d’auteur, avec la possibilité d’effacer les œuvres qui enfreindraient ce droit. Les parodies, remix et autres reprises pourraient ainsi faire les frais de ce contrôle automatisé, réduisant d’autant la liberté de création alors que l’objectif initial est bien de la protéger. « Droit d’auteur, doit-on marquer les œuvres à la culotte ? » C’est le titre de ce soir en compagnie de trois invités. Léa Chamboncel bonsoir.

Léa Chamboncel : Bonsoir.

Hervé Gardette : Vous êtes créatrice, vous faites de la photo, vous publiez notamment une série de podcasts intitulée « Place du Palais Bourbon » et vous êtes membre du mouvement Create.Refresh qui fait campagne contre cet article 13 que j’évoquais de la directive européenne sur le droit d’auteur. Je précise que c’est un mouvement qui a été lancé par des ONG et pas des organisations de la société civile. Pour discuter avec vous David El Sayegh bonsoir.

David El Sayegh : Bonsoir.

Hervé Gardette : Secrétaire général de la Sacem ; la Sacem c’est une des grandes sociétés d’auteurs en France, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, et vous y êtes en charge notamment, à la Sacem, de la direction juridique. Et puis troisième invitée Séverine Dusollier, bonsoir.

Séverine Dusollier : Bonsoir.

Hervé Gardette : Juriste, spécialiste des questions de droit d’auteur. Vous êtes professeur à l’école de droit de Sciences Po et cofondatrice de la European Copyright Society en un mot qu’est-ce que c’est ?

Séverine Dusollier : Il s’agit d’un groupement d’une quinzaine, vingtaine de professeurs du droit d’auteur en Europe qui se sont regroupés pour émettre des avis sur les évolutions du droit d’auteur en Europe, faire entendre la voix des professeurs.

Hervé Gardette : C’est une société qui va avoir l’occasion de revoir un petit peu, justement, ses avis parce que c’est en train de bouger. J’ai presque envie de dire, Séverine Dusollier, c’est en train de bouger enfin, parce que cette directive des droits d’auteur elle vient de loin, il ne faut peut-être pas exagérer, mais en tout cas ça fait déjà quelques années qu’on l’évoque.

Séverine Dusollier : En fait, pour le moment, le droit l’auteur à l’échelon européen est régi principalement par une directive qui date de 2001, donc quelques années après l’émergence d’Internet comme un média public. 2001 Google n’existait pas, YouTube n’existait pas, Facebook n’existait pas, les smartphones n’existaient pas. Donc vous imaginez combien le cadre juridique peut sembler peut-être un peu dépassé, un peu ringard, et donc ça fait plusieurs années que la Commission européenne essaye d’intervenir et, contrairement à ce qui avait été fait dans cette première directive, je pense que l’objectif réel était de développer le marché européen. Donc de permettre à des opérateurs économiques de proposer des œuvres sur Internet, en accord avec le droit d’auteur, pour rémunérer les auteurs, mais de le faire de manière plus efficace que c’est le cas à l’heure actuelle. Donc d’essayer d’enlever les barrières.

Les textes qui étaient qui étaient proposés il y a quelques années allaient dans ce sens-là. Le texte qui est en train d’être discuté au Parlement et qui mènera, peut-être, à une directive dans les mois qui viennent, est un texte un peu fourre-tout dans lequel il y a plusieurs dispositions et plus tellement, on s’est un peu éloigné de l’objectif initial de favoriser l’exploitation des œuvres sur Internet.

Hervé Gardette : L’objectif aujourd’hui c’est peut-être quoi ? De mieux réguler et de mieux harmoniser et rémunérer les créateurs David El Sayegh ?

David El Sayegh : Oui, c’est un peu l’objectif. Mais peut-être pour comprendre où l’on va il est nécessaire de faire un retour sur d’où on vient. Et madame Dusollier l’a très bien expliqué. Il y avait d’abord une directive de 2001 dont l’objectif était d’accorder des droits aux créateurs sur Internet, mais en parallèle il y a eu une autre directive très importante à la même époque, qui est la directive commerce électronique, qui organisait un système d’irresponsabilité pour les prestataires techniques de l’Internet. Et je dirais que ces directives coexistaient pacifiquement jusqu’au moment où certains acteurs de l’Internet, qui n’étaient pas de simples intermédiaires techniques, qui étaient en réalité de véritables diffuseurs – YouTube, SoundCloud, Dailymotion pour citer quelques-uns d’entre eux – sont devenus donc des véritables diffuseurs. Et là on a eu une problématique très forte pour les créateurs, c’était comment mettre en œuvre nos droits vis-à-vis d’entités qui bénéficiaient d’un régime d’hypo-responsabilité et qui ne contractualisaient pas des accords avec les créateurs.

D’où cette difficulté de trouver un point d’équilibre entre des revendications légitimes de la part de créateurs et un système vis-à-vis d’entités qui n’étaient pas de simples prestataires techniques, pas des hébergeurs, qui étaient plus que des hébergeurs mais pas forcément des éditeurs au sens traditionnel comme peuvent l’être une chaîne de télévision ou une radio. Voilà, c’est ça l’objectif aussiqu’entend poursuivre la directive.

Hervé Gardette : Et ces entités justement, David El Sayegh, qui sont plus que des hébergeurs mais pas tout à fait des éditeurs au sens juridique du terme, est-ce qu’elles en sont toujours à ce point ou bien est-ce que certaines, quand même, ont commencé à contractualiser avec les créateurs ?

David El Sayegh : On n’a pas attendu le projet de directive pour avoir des relations contractuelles avec ces nouvelles entités et par exemple, une société comme YouTube, ça fait plus de dix ans qu’on a un accord avec cette société ; on a signé un accord avec Facebook, on a signé un accord avec SoundCoud. Donc il existe des accords. Mais malheureusement ces accords sont insuffisants parce que les règles qui les régissent dépendent de la volonté de ces plateformes pour qui nous sommes de simples créateurs. Il faut bien comprendre que quand vous négociez avec un GAFA, je veux dire une grosse société américaine, et que vous représentez des créateurs français, vous n’êtes qu’une petite province dans une stratégie internationale et vous êtes souvent laissé pour compte. D’où la nécessité dans un rapport par nature déséquilibré de réintroduire un dispositif permettant de mieux faire valoir les prérogatives de créateurs.

Hervé Gardette : Léa Chamboncel, donc vous qui êtes créatrice, qui pouvez avoir par exemple certaines de vos œuvres qui se retrouvent sur ces plateformes, pas forcément d’ailleurs à votre insu, peut-être aussi parce que vous vous avez intérêt à être visible ; on va beaucoup parler de YouTube ce soir parce que c’est vrai que c’est la principale plateforme à laquelle on pense. Est-ce que vous partagez déjà ce constat d’une relation assez déséquilibrée et de la nécessité, en tout cas, de revoir les relations qu’il peut y avoir entre ces diffuseurs que sont quand même les plateformes numériques et ceux qui les alimentent, notamment les créateurs ?

Léa Chamboncel : Oui effectivement, je pense que la problématique est celle-ci. Il ne faut pas non plus qu’on tombe dans une autre problématique qui est celle de la régulation des plateformes. Et on a parfois le sentiment qu’à travers cet article c’est aussi ce qu’on cherche à faire.

Hervé Gardette : On parlera de l’article plus tard, si vous voulez bien, de l’article 13. Mais simplement déjà sur la philosophie générale et sur l’idée que quand on crée des œuvres et qu’on les diffuse sur une plateforme comme YouTube on n’a peut-être pas un traitement suffisamment équitable, en tout cas qui permet par exemple d’être rémunéré à la hauteur de ce qu’en retirent ces plateformes.

Léa Chamboncel : À mon avis ça dépend aussi de quel type de créateur vous êtes en quelque sorte. Si vous êtes effectivement un créateur très établi je comprends qu’on ait envie d’essayer de retirer de l’argent de ce travail qui est fait. Nous on n’est pas contre le droit d’auteur ; ça permet quand même aux auteurs d’en vivre. La question du copyright, en revanche, je pense que ça ne doit pas non plus être un frein à la création. C’est-à-dire que moi aujourd’hui, si je n’avais pas eu l’opportunité de pouvoir poster effectivement ce que j’ai créé tant sur SounCloud ou sur YouTube, ce qui serait la réalité demain avec l’adoption de l’article 13, car ça viendrait à être bloqué en amont, c’est-à-dire que je n’aurais même pas eu la possibilité d’avoir la chance de mettre mon travail et de pouvoir le partager avec mon audience, c’est-à-dire que je n’aurais pas été connue, en fait, tout simplement, ç’aurait été quand même très compliqué. Donc je pense que la question dépend aussi de comment on se positionne.

Hervé Gardette : Ça veut dire que pour vous, finalement, ces plateformes-là sont plus intéressantes en termes de notoriété qu’en termes de rémunération. C’est-à-dire que vous n’attendez pas forcément une rémunération ?

Léa Chamboncel : Absolument. En termes de notoriété. Si la question de la rémunération peut se poser, mais en tout cas moi, je parle en ce qui me concerne, ce n’est pas une priorité à ce stade. La priorité à ce stade, c’est d’arriver à me faire connaître, tout simplement.

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Hervé Gardette : S’agissant alors de la rémunération