Données personnelles : De la pub à la démocratie - Trench Tech

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Titre : Données personnelles : De la pub à la démocratie

Intervenant·e·s : Thomas Jamet - Emmanuel Goffi - Louis de Diesbach - Cyrille Chaudoit - Mick Levy - Thibaut le Masne

Lieu : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Date : 5 juillet 2023

Durée : 1 h 13 min

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À Prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Diverses voix off : Les copains, je suis content parce que voilà l'été !Effectivement, c’est bientôt les vacances.
Voilà l’été, dernier épisode !
Et pas des moindres. J’ai connu Thomas Jamet il y a bien longtemps, c’est un gars vraiment super.
C’est un pote à toi.
Pote, non, mais ce qui est intéressant avec ce garçon, vous verrez, c'est qu’il a deux casquettes.
J’avoue effectivement entre sa casquette, le côté très pub, et son bouquin Data démocratie - Être un citoyen libre à l'ère du numérique !
Au début ça t’a un peu choqué, je me souviens, c'est quoi le risque ?
Le mec ça va, il s'en sort bien, on va voir qui est Dr Jekyll, Mr Hyde.
Ça va nous faire encore une bonne rencontre, encore un personnage intéressant à découvrir dans Trench Tech avant de partir pour l’été.
Je sais qu’on va bien l'accueillir, mais je vous demande, Messieurs, de rentrer les crocs, de ne trop agresser.
Esprit critique.

Jean Dujardin, voix off, film 99 Francs : On mettait des photographies géantes sur les murs, les arrêts d'autobus, les camions les taxis. L’œil humain n'avait jamais été autant sollicité de toute son histoire et on avait calculé qu'entre la naissance et l'âge de 18 ans, toute personne avait été exposée en moyenne à 350 000 publicités. Il avait fallu 2000 ans pour en arriver là !

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Bienvenue dans Trench Tech, le podcast qui aiguise votre esprit critique sur les impacts de la tech dans notre société. Cyrille Chaudoit pour vous servir, toujours accompagné de Mick Lévy.

Mick Lévy : Salut, salut !

Cyrille Chaudoit : Et Thibaut Le Masne.

Thibaut Le Masne : Hello, hello.

Cyrille Chaudoit : Bonjour Messieurs.
Notre invité, Thomas Jamet, symbolise presque à lui seul la société dans laquelle nous baignons, charriant à la fois l'héritage d'une certaine idée du progrès né de la précédente révolution industrielle, celle de la société de consommation et, en même temps, les intentions d'un honnête homme cherchant à nous affranchir du joug de ces figures tutélaires que sont devenues les géants de la tech, aux manettes de nos désirs, de nos comportements, bref, de nos vies mises en données. Oui, Thomas Jamet est à la fois patron d'une grande agence média, c'est-à-dire qu'il contribue à notre quotidien rythmé par les sollicitations publicitaires, et aussi homme de convictions, de foi presque, quand il s'agit de remettre le citoyen à sa juste place, c'est-à-dire non plus seulement comme une cible marketing, mais comme souverain de sa destinée surtout quand il s'agit de ces données.
Injonctions contradictoires, paradoxes, l'industrie de la publicité n'est pas à proprement parler la première à laquelle on pense quand on cherche un parangon de l'utilisation raisonnée de nos données personnelles, et pourtant, c'est bien ce que nous allons faire dans cet épisode. Ce n'est peut-être pas un hasard, d'ailleurs, si le personnage de 99 Francs, livre de l'ancien publicitaire Frédéric Beigbeder, incarné dans l'extrait qui introduit cet épisode par Jean Dujardin dans l'adaptation de Yann Kounen au cinéma en 2007, se nomme lui-même Octave Parangon, non, Parango.
En tout cas, le débat est posé nous allons parler de data et de démocratie, tout d'abord en questionnant le rôle du marketing et de la pub dans la mise en données de nos existences, puis en nous demandant si nos données personnelles sont un produit marchand comme un autre, avant d'explorer comment elles pourraient plutôt insuffler un regain de démocratie.
Dans cet épisode également deux chroniques que vous adorez, je le sais, « Philo Tech » d’Emmanuel Goffi qui nous parlera de l'éthique de l'essentiel et de l'éthique du superflu, et puis « La tech entre les lignes », de Louis de Diesbach, qui nous parlera de « Confucius, Cyberpunk & Mr Science ». Enfin, nous débrieferons, juste entre vous et nous, des idées clés de cet épisode, alors restez bien jusqu'au bout. Mais pour l'heure, c'est l'heure d'accueillir notre invité, Thomas Jamet. Salut Thomas.

Thomas Jamet : Salut.

Cyrille Chaudoit : Thomas, on ne va pas faire semblant on se connaît depuis quoi ?, plus de plus de 12 ans, on se tutoie, on continue ?

Thomas Jamet : Si tu veux.

Mick Lévy : Encore une affaire et un épisode qui ne va pas nous rajeunir, je crois. Super !

Cyrille Chaudoit : De toute façon, on s’en fout !
Thomas, on va faire les présentations. Tu es donc le patron, le CEO [<em<Chief Executive Officer ] comme on dit, de IPG Mediabrands & UM France depuis 2015, tu es diplômé de Sciences Po Paris, titulaire d'une maîtrise en philo et en sociologie politique, rien que cela, tu as débuté sa carrière en tant que planneur stratégique Carat, groupe Dentsu, on a ce point en commun d'avoir fait un peu de planning strat. Tu es passé par le groupe Publicis Media. Tu es président de l’UDECAM, pour celles et ceux qui ne connaissent pas c'est l'Union Des Entreprises de Conseil et Achat Média, c'est une espèce de syndicat des agences médias, je crois qu'on peut dire que tu es un expert des stratégies en communication, mais ce n'est pas tout, tu es essayiste. Tu as publié quatre livres en 2012, 2014 et 2018 et puis deux, récemment, fin 2022, un, qui parle de rock et du groupe Ghost [Ghost: Le dictionnaire diabolique ], mais surtout, celui qui nous intéresse aujourd'hui, c'est Data démocratie sous-titré Être un citoyen libre à l'ère du numérique, que tu as coécrit avec Florian Freyssenet et Lionel Dos Santos De Sousa, qui est paru aux éditions Diateino. C'est validé de ton côté ?

Thomas Jamet : Tout à fait, c’est ça.

Cyrille Chaudoit : Alors en route pour notre grand entretien et on va commencer par, on va le dire, crever l'abcès en questionnant le rôle de la pub en tant que fleuron industriel de la captologie au service de l'économie de l'attention

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Mick Lévy : Thomas, quand on se rend sur leboncoin, chacun de nos clics est partagé avec 268 entreprises, j’ai fait le compte pas plus tard que ce matin. Leboncoin n’est ici, évidemment, qu'un exemple, c'est globalement la même sur tous les sites web marchands ou, notamment, sur tous les sites de médias qu'on peut utiliser au quotidien. Du coup, par l'usage de nos données, tous nos comportements sont traqués à travers notre navigation, notre comportement, nos achats, nos d'utilisations d'apps, et tout cela est, en plus, partagé à l'échelle globale, non pas seulement avec le site qu'on visite à un instant t donné, mais avec des sites qui, ensuite, viennent agréger toutes ces données pour avoir une vision globale de tous nos comportements. Je vais donc être très direct avec toi, Thomas, on démarre cet épisode par la face nord , mais j'ai un peu l'impression que le marché de la pub sur Internet est l'un des plus néfastes à la fois en termes d'éthique et surtout de respect de la vie privée. Quel est ton regard sur ce marché que tu connais finalement très bien ?

Thomas Jamet : Comme tous les marchés relativement nouveaux et matures à la fois, parce qu'on est, finalement, dans une évolution permanente, donc tout est nouveau toujours : les technologies, la manière dont on recueille les data, l'évolution de tout ce qu'on peut imaginer des révolutions qui vont arriver, sachant qu’il y a eu le métavers, l'intelligence artificielle, la prochaine sera autre chose, tout ça se cumule en plus. Il y a d’ailleurs un graphe assez intéressant, que vous voyez peut-être, celui dont je veux parler, qui montre toutes les évolutions et les innovations digitales depuis les années 90 et c'est complètement exponentiel : il y a un coup Myspace, après AOL, après Yahoo, après… Aujourd'hui on est presque sur une révolution par jour. On est donc sur une base mouvante, déjà, et, pour autant, c'est très mature. Pourquoi ? Parce qu’on se rend compte qu’on est sur une vraie capacité à aller chercher, toujours, de l'amélioration permanente sur ce qui est finalement aujourd'hui notre mode de vie, de consommation digitale. Quand je dis qu'on est sur quelque chose de très mature c'est qu’on a à la fois énormément de régulation, tout le temps.

Mick Lévy : Notamment avec le RGPD, le Règlement général sur la protection des données auquel on fait très souvent référence.

Cyrille Chaudoit : Sur lequel on reviendra très probablement.

Mick Lévy : Ça va être au cœur de nos échanges.

Thomas Jamet : La critique peut toujours être facile, mais on dit dans pas de démocraties que la France est plutôt un havre de paix sur la protection des données du citoyen numérique.

Mick Lévy : Si on le voit au niveau mondial, on est effectivement bien protégés globalement.

Thomas Jamet : Tu prends cet exemple-là, oui. Ce qui est intéressant c'est de voir à quel point, finalement, toutes ces données qui sont captées sont à la fois utilisées pour améliorer l'expérience de l'utilisateur, donc ce n'est qu’à fins publicitaires – il faudra demander au bon coin, je ne suis pas du bon coin, je ne sais pas ce qu'ils en font –, en tout cas, d'une manière générale, la maturité fait que c'est un marché auto-apprenant, le test and learn c'est le maître-mot, le mode d'emploi de base de toutes ces boîtes-là : ce qui marche, on continue, ce qui ne marche pas, on arrête. Finalement,tout cela est dans une amélioration générale qui va aussi bénéficier aux utilisateurs.

Mick Lévy : Constamment pour plus vendre ! Pour améliorer l'expérience utilisateur, je l'entends, mais globalement le dessein qui est derrière c'est de plus vendre

Thomas Jamet : Oui ! Leboncoin ce n'est pas la Croix-Rouge !

Mick Lévy : On est bien d’accord.

Thomas Jamet : En fait, leboncoin, ils sont là pour vendre. Il faut être aussi très pragmatique, ce qu'on essaye d'être dans le livre, la personne qui arrive sur leboncoin c’est pour acheter.

Mick Lévy : La personne qui vient sur leboncoin est là pour acheter, le problème c'est qu’elle va être influencée par des pubs dans sa navigation, non seulement par son comportement d'achat sur leboncoin, mais sur ce qu'elle aura lui aussi sur le site du Figaro, sur ce qu'elle aura partagé sur Facebook, les publications auxquelles elle aura été exposée sur Twitter.

Thomas Jamet : Absolument. C'est à la fois une amélioration du service utilisateur. Deuxièmement une capacité à proposer plus rapidement ce que la personne vient chercher, comme sur Netflix par exemple : si tu regardes une série sur Netflix, on va te proposer effectivement 50 fois les mêmes séries, sur TikTok c'est pareil. En fait, c'est le principe de l'algorithme, c'est le principe d'un algorithme qui propose de filtrer : en fonction de ce qu'on pense être la navigation de la personne qui cherche, on va lui proposer ce qu'on pense être bien pour elle ou pour lui.

Cyrille Chaudoit : Justement Thomas, si on fait le parallèle avec l'extrait qu'on a entendu en début d'émission, tiré de 99 Francs, la publicité et le marketing tel qu'on l'a connu auparavant – on était gamins, on à peu près le même âge, on a, grosso modo, commencé à bosser dans la pub à la fin de cette ère-là et quand le digital est arrivé. On a beaucoup parlé, d'ailleurs à posteriori, de ce marketing et de cette pub comme du marketing interruptif, très intrusif, pour pouvoir mieux nous servir la soupe d'un marketing digital qui serait plus de l'ordre du Permission marketing, c'était le titre d'un bouquin de Seth Godin en 2000, je m’en souviens très bien, là où, en vérité, on cherchait, évidemment déjà, à nous vendre des produits et des services, on nous interrompait, sauf que là on continue de nous interrompre mais en nous disant « c'est mieux ciblé ». On pourrait prendre comme exemple particulier le fameux retargeting qui gonfle tout le monde mais qui est redoutablement efficace, parce que tu finis par cliquer et tu finis par acheter.

Mick Lévy : Explique en deux secondes retargeting.

Cyrille Chaudoit : Le retargeting, c'est un peu ce que tu dis avec leboncoin. Tu vas sur n’importe quel site web, tu vois une paire de baskets qui te plaisent – c'est l'exemple typique –, tu pars, et puis comme on sait que tu as passé un peu de temps sur cette paire de baskets, on va te balancer des pubs sur la paire de baskets pendant les trois prochaines années jusqu'à ce que tu finisses par craquer.
Ton discours, je l'entends, mais, pour autant, il ne faut pas nier le fait que même si tout le monde a envie de vendre, et c'était déjà le cas au 20e siècle, là on vient te saisir par le col et on ne te lâche plus tant que tu n’as pas craqué.

11’ 20

Thomas Jamet : Non !