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'''Titre :''' Données personnelles : De la pub à la démocratie
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Publié [https://www.librealire.org/donnees-personnelles-de-la-pub-a-la-democratie ici] - Novembre 2023
 
 
'''Intervenant·e·s :''' Thomas Jamet - Emmanuel Goffi - Louis de Diesbach - Cyrille Chaudoit - Mick Levy - Thibaut le Masne
 
 
 
'''Lieu :''' <em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
 
 
 
'''Date :''' 5 juillet 2023
 
 
 
'''Durée :''' 1 h 13 min
 
 
 
'''[https://audiofiles.ausha.co/fr-par/16/zTtlQV0MTqL2Xcc9To64G6reim6YVwBoHP1JOI0x.mp3?token=1698651459-LbM592JfyMcfDAQXUsl5OhyJs3MfNumJu0b%2BT9%2BhfqI%3D Podcast]'''
 
 
 
'''[https://trench-tech.fr/podcast/episode/thomas-jamet-donnees-personnnelles-de-la-pub-a-la-democratie/ Présentation du podcast]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :''' À Prévoir
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Diverses voix off : </b>Les copains, je suis content parce que voilà l'été !Effectivement, c’est bientôt les vacances.<br/>
 
Voilà l’été, dernier épisode !<br/>
 
Et pas des moindres. J’ai connu Thomas Jamet il y a bien longtemps, c’est un gars vraiment super.<br/>
 
C’est un pote à toi.<br/>
 
Pote, non, mais ce qui est intéressant avec ce garçon, vous verrez, c'est qu’il a deux casquettes.<br/>
 
J’avoue effectivement entre sa casquette, le côté très pub, et son bouquin <em>Data démocratie - Être un citoyen libre à l'ère du numérique</em> !<br/>
 
Au début ça t’a un peu choqué, je me souviens, c'est quoi le risque ?<br/>
 
Le mec ça va, il s'en sort bien, on va voir qui est <em>Dr Jekyll, Mr Hyde</em>.<br/>
 
Ça va nous faire encore une bonne rencontre, encore un personnage intéressant à découvrir dans <em>Trench Tech</em> avant de partir pour l’été.<br/>
 
Je sais qu’on va bien l'accueillir, mais je vous demande, Messieurs, de rentrer les crocs, de ne trop agresser.<br/>
 
Esprit critique.<br/>
 
 
 
<b>Jean Dujardin, voix off, film <em>99 Francs</em> : </b>On mettait des photographies géantes sur les murs, les arrêts d'autobus, les camions les taxis. L’œil humain n'avait jamais été autant sollicité de toute son histoire et on avait calculé qu'entre la naissance et l'âge de 18 ans, toute personne avait été exposée en moyenne à 350 000 publicités. Il avait fallu 2000 ans pour en arriver là !
 
 
 
<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Bienvenue dans <em>Trench Tech</em>, le podcast qui aiguise votre esprit critique sur les impacts de la tech dans notre société. Cyrille Chaudoit pour vous servir, toujours accompagné de Mick Lévy.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Salut, salut !
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Et Thibaut Le Masne.
 
 
 
<b>Thibaut Le Masne : </b>Hello, hello.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Bonjour Messieurs.<br/>
 
Notre invité, Thomas Jamet, symbolise presque à lui seul la société dans laquelle nous baignons, charriant à la fois l'héritage d'une certaine idée du progrès né de la précédente révolution industrielle, celle de la société de consommation et, en même temps, les intentions d'un honnête homme cherchant à nous affranchir du joug de ces figures tutélaires que sont devenues les géants de la tech, aux manettes de nos désirs, de nos comportements, bref, de nos vies mises en données. Oui, Thomas Jamet est à la fois patron d'une grande agence média, c'est-à-dire qu'il contribue à notre quotidien rythmé par les sollicitations publicitaires, et aussi homme de convictions, de foi presque, quand il s'agit de remettre le citoyen à sa juste place, c'est-à-dire non plus seulement comme une cible marketing, mais comme souverain de sa destinée surtout quand il s'agit de ces données.<br/>
 
Injonctions contradictoires, paradoxes, l'industrie de la publicité n'est pas à proprement parler la première à laquelle on pense quand on cherche un parangon de l'utilisation raisonnée de nos données personnelles, et pourtant, c'est bien ce que nous allons faire dans cet épisode. Ce n'est peut-être pas un hasard, d'ailleurs, si le personnage de <em>99 Francs</em>, livre de l'ancien publicitaire Frédéric Beigbeder, incarné dans l'extrait qui introduit cet épisode par Jean Dujardin dans l'adaptation de Yann Kounen au cinéma en 2007, se nomme lui-même Octave Parangon, non, Parango.<br/>
 
En tout cas, le débat est posé nous allons parler de data et de démocratie, tout d'abord en questionnant le rôle du marketing et de la pub dans la mise en données de nos existences, puis en nous demandant si nos données personnelles sont un produit marchand comme un autre, avant d'explorer comment elles pourraient plutôt insuffler un regain de démocratie.<br/>
 
Dans cet épisode également deux chroniques que vous adorez, je le sais, « Philo Tech » d’Emmanuel Goffi qui nous parlera de l'éthique de l'essentiel et de l'éthique du superflu, et puis « La tech entre les lignes », de Louis de Diesbach, qui nous parlera de « Confucius, Cyberpunk & Mr Science ». Enfin, nous débrieferons, juste entre vous et nous, des idées clés de cet épisode, alors restez bien jusqu'au bout.
 
Mais pour l'heure, c'est l'heure d'accueillir notre invité, Thomas Jamet. Salut Thomas.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Salut.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Thomas, on ne va pas faire semblant on se connaît depuis quoi ?, plus de plus de 12 ans, on se tutoie, on continue ?
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Si tu veux.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Encore une affaire et un épisode qui ne va pas nous rajeunir, je crois. Super !
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>De toute façon, on s’en fout !<br/>
 
Thomas, on va faire les présentations. Tu es donc le patron, le CEO [<em>Chief Executive Officer </em>] comme on dit, de IPG Mediabrands & UM France depuis 2015, tu es diplômé de Sciences Po Paris, titulaire d'une maîtrise en philo et en sociologie politique, rien que cela, tu as débuté sa carrière en tant que planneur stratégique Carat, groupe Dentsu, on a ce point en commun d'avoir fait un peu de <em>planning strat</em>. Tu es passé par le groupe Publicis Media. Tu es président de l’UDECAM, pour celles et ceux qui ne connaissent pas c'est l'Union Des Entreprises de Conseil et Achat Média, c'est une espèce de syndicat des agences médias, je crois qu'on peut dire que tu es un expert des stratégies en communication, mais ce n'est pas tout, tu es essayiste. Tu as publié quatre livres en 2012, 2014 et 2018 et puis deux, récemment, fin 2022, un, qui parle de rock et du groupe Ghost [<em>Ghost: Le dictionnaire diabolique </em>], mais surtout, celui qui nous intéresse aujourd'hui, c'est <em>Data démocratie</em> sous-titré <em>Être un citoyen libre à l'ère du numérique</em>, que tu as coécrit avec Florian Freyssenet et Lionel Dos Santos De Sousa, qui est paru aux éditions Diateino. C'est validé de ton côté ?
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Tout à fait, c’est ça.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Alors en route pour notre grand entretien et on va commencer par, on va le dire, crever l'abcès en questionnant le rôle de la pub en tant que fleuron industriel de la captologie au service de l'économie de l'attention
 
 
 
<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Thomas, quand on se rend sur leboncoin, chacun de nos clics est partagé avec 268 entreprises, j’ai fait le compte pas plus tard que ce matin. Leboncoin n’est ici, évidemment, qu'un exemple, c'est globalement la même sur tous les sites web marchands ou, notamment, sur tous les sites de médias qu'on peut utiliser au quotidien. Du coup, par l'usage de nos données, tous nos comportements sont traqués à travers notre navigation, notre comportement, nos achats, nos d'utilisations d'apps, et tout cela est, en plus, partagé à l'échelle globale, non pas seulement avec le site qu'on visite à un instant t donné, mais avec des sites qui, ensuite, viennent agréger toutes ces données pour avoir une vision globale de tous nos comportements. Je vais donc être très direct avec toi, Thomas, on démarre cet épisode par la face nord , mais j'ai un peu l'impression que le marché de la pub sur Internet est l'un des plus néfastes à la fois en termes d'éthique et surtout de respect de la vie privée. Quel est ton regard sur ce marché que tu connais finalement très bien ?
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Comme tous les marchés relativement nouveaux et matures à la fois, parce qu'on est, finalement, dans une évolution permanente, donc tout est nouveau toujours : les technologies, la manière dont on recueille les data, l'évolution de tout ce qu'on peut imaginer des révolutions qui vont arriver, sachant qu’il y a eu le métavers, l'intelligence artificielle, la prochaine sera autre chose, tout ça se cumule en plus. Il y a d’ailleurs un graphe assez intéressant, que vous voyez peut-être, celui dont je veux parler, qui montre toutes les évolutions et les innovations digitales depuis les années 90 et c'est complètement exponentiel : il y a un coup Myspace, après AOL, après Yahoo, après… Aujourd'hui on est presque sur une révolution par jour. On est donc sur une base mouvante, déjà, et, pour autant, c'est très mature. Pourquoi ? Parce qu’on se rend compte qu’on est sur une vraie capacité à aller chercher, toujours, de l'amélioration permanente sur ce qui est finalement aujourd'hui notre mode de vie, de consommation digitale. Quand je dis qu'on est sur quelque chose de très mature c'est qu’on a à la fois énormément de régulation, tout le temps.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Notamment avec le RGPD, le Règlement général sur la protection des données auquel on fait très souvent référence.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Sur lequel on reviendra très probablement.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Ça va être au cœur de nos échanges.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>La critique peut toujours être facile, mais on dit dans pas de démocraties que la France est plutôt un havre de paix sur la protection des données du citoyen numérique.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Si on le voit au niveau mondial, on est effectivement bien protégés globalement.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Tu prends cet exemple-là, oui. Ce qui est intéressant c'est de voir à quel point, finalement, toutes ces données qui sont captées sont à la fois utilisées pour améliorer l'expérience de l'utilisateur, donc ce n'est qu’à fins publicitaires – il faudra demander au bon coin, je ne suis pas du bon coin, je ne sais pas ce qu'ils en font –, en tout cas, d'une manière générale, la maturité fait que c'est un marché auto-apprenant, le <em>test and learn</em> c'est le maître-mot, le mode d'emploi de base de toutes ces boîtes-là : ce qui marche, on continue, ce qui ne marche pas, on arrête. Finalement,tout cela est dans une amélioration générale qui va aussi bénéficier aux utilisateurs.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Constamment pour plus vendre ! Pour améliorer l'expérience utilisateur, je l'entends, mais globalement le dessein qui est derrière c'est de plus vendre
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Oui ! Leboncoin ce n'est pas la Croix-Rouge !
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>On est bien d’accord.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>En fait, leboncoin, ils sont là pour vendre. Il faut être aussi très pragmatique, ce qu'on essaye d'être dans le livre, la personne qui arrive sur leboncoin c’est pour acheter.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>La personne qui vient sur leboncoin est là pour acheter, le problème c'est qu’elle va être influencée par des pubs dans sa navigation, non seulement par son comportement d'achat sur leboncoin, mais sur ce qu'elle aura lui aussi sur le site du <em>Figaro</em>, sur ce qu'elle aura partagé sur Facebook, les publications auxquelles elle aura été exposée sur Twitter.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Absolument. C'est à la fois une amélioration du service utilisateur. Deuxièmement une capacité à proposer plus rapidement ce que la personne vient chercher, comme sur Netflix par exemple : si tu regardes une série sur Netflix, on va te proposer effectivement 50 fois les mêmes séries, sur TikTok c'est pareil. En fait, c'est le principe de l'algorithme, c'est le principe d'un algorithme qui propose de filtrer : en fonction de ce qu'on pense être la navigation de la personne qui cherche, on va lui proposer ce qu'on pense être bien pour elle ou pour lui.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Justement Thomas, si on fait le parallèle avec l'extrait qu'on a entendu en début d'émission, tiré de <em>99 Francs</em>, la publicité et le marketing tel qu'on l'a connu auparavant – on était gamins, on à peu près le même âge, on a, grosso modo, commencé à bosser dans la pub à la fin de cette ère-là et quand le digital est arrivé. On a beaucoup parlé, d'ailleurs à posteriori, de ce marketing et de cette pub comme du marketing interruptif, très intrusif, pour pouvoir mieux nous servir la soupe d'un marketing digital qui serait plus de l'ordre du <em>Permission marketing</em>, c'était le titre d'un bouquin de Seth Godin en 2000, je m’en souviens très bien, là où, en vérité, on cherchait, évidemment déjà, à nous vendre des produits et des services, on nous interrompait, sauf que là on continue de nous interrompre mais en nous disant « c'est mieux ciblé ». On pourrait prendre comme exemple particulier le fameux <em>retargeting</em> qui gonfle tout le monde mais qui est redoutablement efficace, parce que tu finis par cliquer et tu finis par acheter.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Explique en deux secondes <em>retargeting</em>.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Le <em>retargeting</em>, c'est un peu ce que tu dis avec leboncoin. Tu vas sur n’importe quel site web, tu vois une paire de baskets qui te plaisent – c'est l'exemple typique –, tu pars, et puis comme on sait que tu as passé un peu de temps sur cette paire de baskets, on va te balancer des pubs sur la paire de baskets pendant les trois prochaines années jusqu'à ce que tu finisses par craquer.<br/>
 
Ton discours, je l'entends, mais, pour autant, il ne faut pas nier le fait que même si tout le monde a envie de vendre, et c'était déjà le cas au 20e siècle, là on vient te saisir par le col et on ne te lâche plus tant que tu n’as pas craqué.
 
 
 
==11’ 20==
 
<b>Thomas Jamet : </b>Non ! Personne n'oblige personne à acheter, on propose en fait. Je ne fais pas particulièrement la promotion de ce système, mais, d'une certaine manière, on fait tous partie de ce système. La publicité, de façon générale, a toujours été critiquée, a toujours été la cible d'attaques faciles parce que, d'une certaine façon, c'est facile de critiquer la consommation, c'est facile de dire « je suis au-dessus de tout ça, etc. », il s'avère qu’il y a beaucoup de paradoxes. Tu parlais d'injonctions contradictoires tout à l'heure, les citoyens numériques disent « il y en a marre de la pub », mais, en même temps, ils se ruent, passent leur temps, tu parlais du boncoin ou de Netflix. Quel est le rationnel là-dedans ? Le rationnel c'est qu'on est dans une société qui est bâtie sur un système qui, d'ailleurs, évolue, il y a une vraie critique du capitalisme, en ce moment, qui est tout à fait légitime. On est effectivement sur un système qui est, je dirais, le pilier de ce monde dans lequel on vit et ça qui m'intéresse.<br/>
 
Tout à l'heure, Cyrille, tu faisais référence à mes chères études, mais ce qui m’intéresse dans mon métier c’est la philosophie, la sociologie, aussi, bien sûr, vendre et faire en sorte que nos clients puissent être là pour avoir une réussite business. Notre métier, en tant qu'agence média, c'est d'être des interfaces entre les entreprises que sont les annonceurs et les publics que sont les consommateurs in fine et de le faire, évidemment, avec les règles légales qui sont en place. En France, on a la protection au monde sans doute la plus la plus avancée en termes de protection des data, en termes de ce qu'on peut faire ou ne pas faire en pub. Il suffit de regarder ce qui se passe juste à côté de nous, par exemple en Espagne, en Angleterre ou même en Belgique, pour se rendre compte que la publicité, en France, est la plus encadrée d’Europe et du monde. Si vous avez la chance d'aller au Japon, j'ai eu la chance d'y aller, il y a de la pub absolument partout, et quand je dis partout, les sollicitations c'est hallucinant ! Il y a cinq ou six fois plus de sollicitations publicitaires aux États-Unis qu'en France. Donc, d'une certaine manière, la publicité fait partie du paysage, a toujours fait partie du paysage.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Bien sûr, c'est de bonne guerre et c'est normal.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Et surtout, c'est ça qui est très important, elle finance le contenant.
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Justement, là on touche peut-être au cœur du problème.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>En fait, ça paye les journalistes, ça paye les rédactions. Aujourd’hui c'est aussi comme ça qu’on a construit – on, enfin le monde entier s'est construit –, mais la garantie d'avoir une ligne éditoriale de qualité, en tout cas en France, par exemple, quand on est un titre de presse écrite ou quand on est un titre de presse magazine par exemple, eh bien c'est d'avoir une régie publicitaire qui fait en sorte de pouvoir vous faire vivre.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Une partie. En général, des subventions.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Ou d’être cofinancés par des acteurs comme Google.<br/>
 
Je trouve hyper-choquant, récemment, à chaque fois je tombe sur un site média presse écrite auquel je ne suis pas abonné, on me dit « ça te coûte tant et ça te coûte deux fois moins cher si tu le fais avec Google ». Ça veut donc bien dire, quand même, que Google vend derrière, ce qui est quand même très surprenant puisque Google les a quand même vampirisés depuis des années et ça a posé énormément de problèmes, y compris aux publicitaires.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Effectivement, cette fameuse « kiosquisation » de la presse en digital est encore un autre problème. Il n'empêche que c'est grâce à la publicité qu’on peut avoir aussi une information de qualité. ??? [15 min] pour les GAFA, c'est ce qu'on explique dans le livre, l'idée n'est pas de se dire « on va mettre à bas Google, on va on va démanteler Facebook », en France on adore toujours vouloir démanteler les trucs, créer des lois, des commissions.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Sans les démanteler, ils trustent quand même tellement le marché que même à vous ça pose problème. Comment faites-vous ? En fait, vous êtes obligé de bosser avec eux. Vous avez essayé de créer des consortiums pour, justement, vous affranchir un petit peu de ces acteurs-là.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Une vraie bataille de chaque instant bataille et partenariat, les deux. Je mets ma casquette UDECAM, comme tu disais tout à l’heure, l'Union Des Entreprises de Conseil et Achat Média que je représente, c'est 92 % des investissements publicitaires en France dans nos membres. C'est effectivement une vraie bataille, concrètement pourquoi ? Parce qu’on lutte vraiment pied à pied pour faire en sorte que ce soient les médias français qui puissent bénéficier de ce que les annonceurs dépensent comme investissements publicitaires en France et que ça ne parte pas chez Google chez Facebook, quand on parle de GAFAM au sens très large du terme.<br/>
 
On trouve qu’on a beaucoup de chemin à faire, notamment avec le syndicat des régies internet en France, le SRI, pour arriver à travailler ensemble et faire en sorte qui, déjà, n’est pas approuvée, démontrer avec les acteurs français, qu’il y a une qualité de contexte qui est, je dirais, bien plus valorisante pour les marques. Il y a eu beaucoup de problèmes sur YouTube avec de l'exposition de messages à côté de vidéos, ce n’était vraiment pas du tout le bon contexte, il y a d’ailleurs eu suffisamment de scandales, on peut le dire, pour que ça serve de leçon à tout le monde et puis surtout faire en sorte qu'on puisse le mesurer. Un autre point nous semble problématique avec les GAFAM :c'est très compliqué de mesurer concrètement et de manière neutre l'efficacité des campagnes des annonceurs. C’est un vrai problème parce qu’on fait deux choses : on aime les marques et on aime mesurer l'efficacité de nos actions.<br/>
 
C'est à la fois une bataille et en même temps un partenariat : aujourd'hui, il faut qu'on puisse aussi regarder ce que ces grosses boîtes internationales ont à proposer, parce que, souvent, ce sont des choses particulièrement intéressantes.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Ce que tu nous dis, Thomas, c’est évidemment vu des marques.<br/>
 
Pour rester sur le côté consommateur, je vais poser une question qui est certainement vieille comme les débuts de la publicité : finalement où commence l'influence, où s'arrête-t-elle et à quel moment va-t-on commencer à parler de manipulation par la publicité ? Quand c'était juste des pubs en 4X3 on en était très loin. Quand on est exposé à une pub qui débarque parce qu’on a croisé tout des milliers de <em>data points</em> récoltés sur toute notre navigation, tous nos comportements digitaux, la frontière entre l'influence et la manipulation devient un peu plus ténue.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>C'est le capitalisme de surveillance.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Et ça va avec la notion de capitalisme de surveillance dont on a déjà parlé ici, mot de Shoshana Zuboff, rappelons-le.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Là-dessus, il faut être très clair, je ne crois pas qu'il y ait des tics de la publicité ou des tics du digital, on va dire
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>C'est violent !
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>C’est intéressant.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>C’est intéressant et c’est violent !
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Je ne veux pas faire de morale, ce n'est pas moralisateur, c'est comme dire, quelque part, « je suis contre la voiture parce qu’elle pollue, elle continue à polluer, du coup je refuse la voiture ». Tu ne peux pas refuser les véhicules avec des roues, par exemple, tu ne peux pas refuser non plus la publicité parce que c'est la publicité, ne serait-ce que dans le métro, métro/bus, je n'ai pas les chiffres en tête, qui finance énormément de choses.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Si je peux me permettre, Thomas, désolé de l’interrompre, ce n’est pas ce que dit Mick. Il ne dit pas « on refuse la publicité », on peut accepter la publicité ou la voiture, mais refuser qu'elle roule d'une certaine manière ou qu'elle soit conçue d'une certaine façon et là, en l'occurrence, que la pub utilise tous les <em>data points</em>. On n'a pas trop le temps, mais on pourrait parler de <em>nudge</em>, etc.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Exactement, la notion de manipulation.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Plus on est sur l'analyse comportementale des gens pour pouvoir changer ce comportement, plus on se rapproche quand même de l'origine même de la pub qui vient de la propagande qui, elle-même était quand même issue de milieux moins louables. La question vaut quand même ??? en cacahuètes [19 min 02].
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>En fait, la publicité c’est la gestion du désir. La gestion du désir c’est créer le désir et, à la fois, le satisfaire. Aujourd'hui, on est dans un temps de désirs multiples, il y a un attachement à la consommation, un attachement à l’hédonisme, on est dans une dans une ère qui complètement différente de celle d'avant, sociologiquement c'est très intéressant – on peut relire Gilbert Durand par exemple, on peut lire Michel Maffesoli : la publicité c'est le miroir de l'époque. Aujourd'hui on est dans une évolution technologique, publicitaire, qui est miroir de cette mutation et on se rend compte, que le fameux 4X3, le spot de 30 secondes, etc., étaient déjà vus comme de la manipulation.<br/>
 
Les premières affiches, le premier média publicitaire à être né, c'est l'affichage, quasiment au 16e siècle. Après il y a eu la presse écrite, à l'ère moderne, il y a eu des encarts publicitaires, on disait déjà que c'était de la manipulation. Et puis, petit à petit, on voit où on en est aujourd'hui, je ne vais refaire le paysage, on se rend compte qu’il y a un environnement qui est effectivement beaucoup plus riche. Pour autant est-ce qu'il a changé ? Le principe est exactement même. Aujourd'hui, la publicité est là pour développer une manière d’engager un dialogue avec les consommateurs. Pour engager le dialogue avec les consommateurs, tu peux le faire en utilisant tous les ressorts à ta disposition. Comme la publicité est sans doute un des pans de l'économie le plus rapide, le plus véloce, le plus en avance sur les tendances parce qu’il y a de l'argent et aussi parce que l'efficacité se voit tout de suite – la pub est un laboratoire des évolutions d'utilisation du digital –, on se rend compte que oui, il y a souvent effectivement une sorte d'utilisation de plein de leviers à disposition. Pour autant est-ce qu'on peut dire que c'est bien ou pas bien ? Je ne sais pas.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Ce n’est pas c’est bien ou pas bien : c’est où s'arrête l'influence, où commence la manipulation. C'est le grand débat qui, à mon avis, il devrait y avoir.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>C'est un débat un peu stérile et vieux comme le monde, pardon. Je trouve que la figure de la réclame, le côté « on veut nous vendre un truc qu’on n'a pas envie d'acheter », je parlais de Gilbert Durand tout à l'heure, René Girard appelait ça « le désir mimétique », ce qu'a l'autre et qu'on n'a pas soi-même. C’est vieux comme le monde.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>On va dire que c'est consubstantiel de l'être humain, mais la pub souffle sur les braises quand elle le peut.<br/>
 
Cette notion de manipulation a très longtemps été, d’ailleurs nous en sommes aussi des vecteurs, poussée, en tout cas attribuée à l'œuvre des Big Tech et on a évoqué les Big Tech et on a l'impression que les Français seraient plus clean. Je ne peux pas passer à côté de l'actualité récente, au moment où on enregistre cet épisode, avec l'affaire Criteo – Criteo s'est faite épingler par la CNIL – , à qui on demande 40 millions d'euros d'amende parce qu'ils n’ont pas vraiment respecté les règles du jeu du RGPD. Qu'est-ce qu'il faut penser de ça ? Je ne te demande pas t'exprimer sur Criteo, mais plutôt de se dire : est-ce que ce sont toujours les Big Tech qu’il faut avoir dans le viseur ou est-ce que les Français sont si bien que ça ?
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Déjà, on est sur un point particulier. On regarde effectivement l'affaire Criteo avec attention dans les agences médias, on en discute avec eux et on fait en sorte d'avoir des règles très strictes, tous les groupes le font, même les agences indépendantes. Dans le groupe IPG Mediabrands, on a mis en place ce qu'on appelle des <em>Media Responsibility Principles</em>, des principes de responsabilité média. On ne va pas investir de l'argent pour nos clients dans des points de contact ou chez des acteurs qui ne respectent pas un certain nombre de principes ; ce n'est pas de l'éthique, c'est autre chose, c'est du pragmatisme. Il y a évidemment un certain nombre de principes, évidemment les principes de transparence ; il y a les principes de mesure ; il y a les principes, également, de contenu. On a été les premiers, alors qu’on ne fait pas de politique, mais on a estimé qu’au moment où il y a une condamnation d'un certain chroniqueur politique qui a ensuite présenté des éléments, on a décidé qu’on n'allait plus investir pour nos clients dans cette émission-là, sur une certaine chaîne. Ça fait partie des choix qu'on fait.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>C'est, en gros, une forme de déontologie.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>On ne boycotte pas, ce n'est une question de boycott ou de dire « on est au-dessus, on a raison, ils ont tort », ce n’est pas la question. Il y a un environnement, il y a un contexte et on recommande plus à nos annonceurs d’y aller.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>C'est de la stratégie.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>Je reviens sur le mot de propagande qui m'embête beaucoup parce que c'est complètement différent.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Tu sais, comme moi, que la pub vient quand même de là.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>C’est autre chose que la propagande, je suis tout à fait d’accord. C'est vraiment le terme manipulation qui m'intéressait, tu nous as répondu, je t’en remercie, Thomas. La propagande c’est autre chose.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>La propagande, c'est complètement chose. Pour le coup, le livre le plus intéressant sur la propagande c'est un livre de 1939 de Serge Tchakhotine qui s'appelle <em>Le viol des foules par la propagande politique</em>, qui explique ce que vous dites là, qui explique que les médias font rentrer un truc dans le cerveau des gens et les manipulent. Sauf que le livre est totalement à charge, un contre-exemple et un modèle absolu dans toutes les écoles de sociologie, de philosophie politique et de science politique d'un biais complet, justement politique, pour montrer que, quelque part, il y a une certaine domination des médias, les méchants médias.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Je pensais plutôt à celui d'Edward Bernays.
 
 
 
<b>Thomas Jamet : </b>On a aussi un antisémitisme aussi, toi il y a un truc très craigneux.
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Je parlais plus de <em>Propaganda</em> le livre d'Edward Bernays.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Pour s’inspirer, j'ai une autre proposition, qu’on écoute « Philo Tech » d’Emmanuel Goffi, qui veut, lui, nous ramener à une notion d'éthique de l'essentiel ou d'éthique de superflu. Je pense qu'on va rester dans le thème finalement.
 
 
 
<b>Voix off : </b> De la philo, de la tech, c’est « Philo Tech ».
 
 
 
==25’ 04 « Philo Tech » d’Emmanuel Goffi==
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Emmanuel, dans tes précédentes chroniques, tu as déjà eu l'occasion d'évoquer la complexité des notions derrière le mot éthique qu'il faut apprécier sous de multiples angles – théorique, culturel ou de courants philosophiques. Aujourd'hui, vraiment, tu veux encore en rajouter une couche ?
 
 
 
<b>Emmanuel Goffi : </b>Dit comme ça, c'est sûr que ce n'est pas très engageant, ajouter de la complexité à la complexité, ce n'est pas toujours une stratégie gagnante.<br/>
 
Comme notre objet c'est le développement de l'esprit critique, il m'a paru pertinent de rappeler que derrière des mots et des idées apparemment simples se terrent souvent d'infinies difficultés qu'il ne faut ni éluder ni nier au risque de poser de mauvais diagnostics et de proposer des solutions inadaptées, voire contre-productives.<br/>
 
On a déjà évoqué la potentielle différence entre éthique et morale, en reprenant Ricœur. On a parlé des différentes théories – la déontologie, la vertu, le conséquentialisme – ou des approches culturelles avec le Japon. On pourrait ajouter d'autres déclinaisons sur l'éthique, comme celle introduite par le philosophe britannique Bernard Williams, entre l'éthique fine et l’éthique épaisse.<br/>
 
L'idée c'est surtout de comprendre qu'en éthique rien n'est facile et que toute réflexion requiert des efforts intellectuels conséquents.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Donc, Emmanuel, dans cette complexité tu penses que nous avons manqué une dimension importante, un autre degré de nuance finalement ?
 
 
 
<b>Emmanuel Goffi : </b>J'ai l'impression, mais peut-être que ce n'est qu'une impression, que nous développons énormément d'outils d'intelligence artificielle ou reposant sur l'intelligence artificielle, voire, de manière plus générale, d'objets techniques, bien plus pour notre plaisir que pour répondre à un réel besoin. En fait, ces outils et objets techniques répondent à notre conviction moderne que bonheur rime avec progrès et que progrès rime avec technologie.<br/>
 
En développant d'abord des outils qui nous permettent de contrôler notre environnement pour le rendre moins hostile, donc augmenter notre bonheur, nous avons affaibli notre résilience en même temps qu'augmenter le confort apporté par les artefacts technologiques. Notre appétence pour l'effort, notre résistance à la difficulté, se sont réduites au point que certains voudraient tout faire faire par des machines.<br/>
 
Il n’y a pas longtemps j'ai regardé l'émission <em>Envoyé spécial</em> qui abordait la question du remplacement des humains par des machines dans certains emplois. J'ai trouvé aberrante, mais tristement illustrative, la remarque de Michal Kosinski, qui est professeur associé et chercheur en psychologie à Stanford, quand même ! Il était interrogé sur le risque que certaines professions puissent être remplacées par des machines et il répondait que, je le cite, « comme les machines nous libèrent de nos tâches, nous pourrons nous consacrer à d'autres choses et — nous dit-il — on pourra passer du bon temps en tant qu'humain buvant du champagne et célébrant notre humanité ». Et là, je me suis souvenu d'une discussion que j'avais eue avec un chercheur ghanéen qui m'expliquait les difficultés que lui et son équipe avaient à trouver des soutiens et des financements pour développer un bracelet permettant de contrôler des constantes médicales de personnes qui vivent dans des endroits reculés, sans accès à des services de santé, afin de mettre en place un système d'alerte précoce et, éventuellement, de sauver des vies.<br/>
 
Et c'est là, je pense, que nous avons un problème quand nous parlons d'éthique des technologies.<br/>
 
En fait, on n'a pas conscience que notre techno-solutionnisme est trop souvent tourné vers des soucis mineurs, comme l'illustre la réponse de Michal Kosinski, vers la facilitation d'un quotidien qui est déjà très confortable, alors que dans d'autres régions du monde il s'agit de résoudre de vrais problèmes, parfois liés à la survie des populations. De fait, nos questionnements éthiques portent souvent sur des choses qui peuvent paraître frivoles comparées aux difficultés rencontrées par des gens moins gâtés que nous.<br/>
 
C'est là qu'apparaît, pour moi, une autre dichotomie qui est celle qui existe entre une éthique de l'essentiel et une éthique du superflu.
 
 
 
<b>Mick Lévy : </b>Des humains buvant du champagne et célébrant notre humanité ! Là, ça vend du rêve pour le coup.<br/>
 
Cette nouvelle dichotomie, revenons-y, est-ce que tu peux nous en dire plus, peut-être un petit exemple ?
 
 
 
<b>Emmanuel Goffi : </b>Je pense que c'est une division qui est essentielle pour comprendre que nous dépensons beaucoup de temps et d'énergie à débattre sur des questions éthiques dont l'intérêt est très limité.<br/>
 
Si je reviens à l'exemple du bracelet de contrôle des constantes médicales, je me souviens très clairement que le chercheur critiquait vertement l'exigence européenne de supervision humaine qui, selon lui, répondait à des préoccupations de populations égocentrées. Pour lui, cette exigence ne prenait pas en compte des situations comme celle à laquelle il était confronté, à savoir le besoin d'outils d'IA capables de suppléer le manque ou l'absence de ressources humaines mais aussi de compétences. Pour lui, nos questionnements éthiques sur la supervision humaine étaient un biais de gens gâtés qui ont, en fait, accès à des soins de qualité dispensés par des professionnels qualifiés.<br/>
 
Si je caricature, pendant que nous voulons de la technologie pour avoir plus de temps pour siroter du champagne en profitant de la vie, d'autres, ailleurs, ont besoin de technologie pour boire un verre d'eau potable et pour éviter la mort.<br/>
 
Il y a quelques années, un expert en IA au Moyen-Orient m'avait dit que le simple fait que nous ayons le loisir de philosopher sur l'éthique des technologies montrait à quel point nous sommes à l'abri, alors que pour d'autres, l'éthique se résume à la survie. Je pense qu'il y a de quoi mobiliser notre esprit critique.
 
 
 
<b>Voix off : </b><em>Trench Tech</em>. Esprits Critiques pour Tech Éthique.
 
 
 
==29’ 56==
 
 
 
<b>Cyrille Chaudoit : </b>Je suis content d'avoir entendu
 

Dernière version du 26 novembre 2023 à 19:17


Publié ici - Novembre 2023