Designer pour le service public - Anne-Sophie Tranchet

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Designer pour le service public

Intervenante : Anne-Sophie Tranchet

Lieu : Lyon - MiXiT

Date : 24 mai 2022

Durée : 46 min 29

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.


Description

Qu'est-ce que ça veut dire, être UX designer pour le service public, après 10 ans dans des entreprises privées ? Qu'est-ce que ça change, de concevoir pour des citoyen·nes ? Comment travailler dans l'administration ?
Où l'on parlera de design pour le service public. À qui s'adressent les services numériques du service public : aux citoyens et citoyennes, mais pas seulement ! Quels genres de produits développe-t-on ? Comment on travaille avec une administration ? Comment intégrer les méthodologies agile et lean dans des administrations ? Qu'est-ce que ça change par rapport au privé ? Quels points d'attention à avoir ? Quels pièges éviter quand on vient du public ?

Transcription

Bonjour. J’attends que tout le monde s’installe. Merci d’être venus pour ce talk « Designer pour le service public ».
Pour commencer je me présente. Je suis Anne-Sophie Tranchet, je suis UX Designer. En ce moment je travaille pour le service public, je suis spécialisée en accessibilité, j’aime aussi beaucoup l’UX Writing et je m’intéresse à tout ce qui est formation et sensibilisation, vous verrez que ça peut avoir son importance dans mon parcours. Je parle un peu trop sur Twitter, il y a mon login @annso_, et j’ai aussi conçu un site qui s’appelle design-accessible.fr, si vous êtes designer et que vous vous intéressez à l’accessibilité ça peut vous intéresser.

Je vais commencer par raconter un petit peu mon parcours.
En 2019 ça faisait sept ans dans la même boîte et je me suis dit « tiens, si je commençais à regarder un petit peu ce qui se fait ailleurs ». J’ai fait un peu comme tout le monde fait, quand on cherche un boulot on va sur des plateformes comme Welcome to the jungle, ils ont une promesse qui est super intéressante, on parlait d’une nouvelle expérience au travail, c’était exactement ce que je cherchais parce que j’avais envie d’une rupture et de travailler un petit différemment de ce que j’avais pu voir auparavant, donc j’ai commencé à regarder les annonces. Il y avait par exemple « Blablabla a vocation d’accompagner un écosystème numérique en forte expansion afin de relever des défis de transformation digitale », bof ! OK. Une autre « Acteur dans la transformation digitale depuis plus de dix ans » et « Son ambition : toujours de chercher à faire mieux tout en restant beyond the codes ». OK. Je continue. Une autre me promettait « le plaisir de concevoir, développer et d’opérer sur le cloud ». OK ! Je m’excuse, si vous avez reconnu votre entreprise dans ces exemples-là. C’est juste que ça ne me pas rêver, mais j’ai des rêves un peu particuliers. J’ai réfléchi à ce que j’avais envie de faire et mon rêve c’était de travailler sur un truc bien chiant genre les impôts ou la CAF, là on parle, là c’est intéressant.
Du coup je me suis un peu posé la question : « Comment fait-on pour travailler sur ce genre de projet ? Comment peut-on rejoindre le service public ? ». Je n’ai pas trouvé la réponse de manière facile. En tout cas je vais vous faire un petit résumé des différents moyens que je connais.
La première chose à laquelle j’ai pensé, qui était un peu évidente, c’était de rejoindre une administration. Une administration c’est une structure avec plein de gens qui sont matérialisés là par des petits ronds, qui construisent des services numériques. Il y a des administrations comme des ministères ou des choses comme ça et puis il y a des structures comme Pôle emploi, il y a tout plein de choses qui vont, de temps en temps, recruter des experts du numérique pour construire des services numériques. Ce qui est intéressant c’est le « de temps en temps », c’est pour ça que j’ai mis une petite licorne, en fait c’est le genre de poste qui ne s’ouvre pas souvent, ce n’est pas facile à trouver.
Après j’ai vu qu’il y avait d’autres manières de rejoindre le service public, par exemple en infiltrant une administration. Peut-être que vous avez entendu parler de ces programmes. Il y a le programme EIG, Entrepreneurs d’Intérêt Général, ou bien un programme qui s’appelle Commando UX, je n’aime pas ce nom mais ce n’est pas moi qui l’ai choisi. L’idée c’est de recruter des experts du numérique, des UX Designers comme moi, ou des devs ou des datascientists, de les mettre le plus souvent en binôme ou en trinôme et ils vont infiltrer une administration, c’est-à-dire qu’ils vont arriver en tant qu’experts dans une administration pour travailler sur un service public avec une équipe qui est déjà existante. Comme on est en France et que tout est un peu centralisé autour de Paris ça veut aussi de dire que la plupart de ces programmes, même si ce n’est pas le cas pour tous, ça se passe souvent à Paris, ce qui ne m’arrangeait pas forcément parce que je suis lyonnaise et j’avais l’intention de le rester.
Un troisième moyen de travailler dans le service public, que j’ai découvert, c’est un autre programme qui s’appelle le programme beta.gouv. Le fonctionnement est un petit différent. On va concevoir pour l’administration mais en dehors de l’administration. Un agent public, je détaillerai un petit peu après, quelqu’un qui vient de la sphère publique devient intrapreneur ou intrapreneuse, va monter une équipe d’experts du numérique pour construire un service public en dehors de l’administration et quand le service numérique tournera bien on le transférera à l’administration qui s’en occupera. Ce sont les trois moyens que je connais. Il y a peut-être d’autres passerelles que je n’ai pas encore découvertes. Tout ça ce sont des statuts très variables. Pour vous donner un peu un ordre d’idées. Déjà il n’y a pas de CDI dans la fonction publique parce qu‘après les gens seraient fonctionnaires, resteraient à tout jamais, ce serait horrible. Donc tout ce qui est au sein d’une administration, programma EIG ou Commando UX, ce sont des CDD, en gros ça va de dix mois à trois ans.beta-gouv La rémunération ne va pas mal varier. Si on est au sein d’une administration on va être aligné sur la grille des fonctionnaires. Si on a l’intention de la même manière qu’on le serait dans le privé, ce n’est pas ouf ! Par contre les programmes comme EIG ou Commando UX vont essayer de valoriser et d’être attractifs pour les profils externes, donc ils vont promettre des salaires un petit peu plus attractifs à défaut d’avoir une mission longue.
Chez beta.gouv.fr. c’est un autre principe. Puisqu’on est en dehors de l’administration, il faut recruter des gens, mais l’État n’a pas le droit de recruter des gens, donc ça passe par des ESM [Entreprises de services du numérique], c’est le nouveau mot pour SS2I [Sociétés de services en ingénierie informatique], qui ont remporté des marchés publics et globalement soit on est free-lance et on facture à l’ESN qui facture à beta.gouv, soit on a la chance, je ne sais pas si c’est une chance, mais si on veut être en CDI on est embauché par la SS2I et, avec un peu de chance, elle nous met en mission sur un produit chez beta.gouv.fr plutôt que dans une entreprise du privé.
Chez beta.gouv aussi les missions sont plutôt courtes même si c’est renouvelable, ce sont six mois renouvelables. En vrai ça fait deux ans que j’y suis, donc ce n’est pas si court, et la rémunération est selon le profil puisque c’est une négociation en tant que free-lance.

C’était un peu pour vous montrer qu’il existe de nombreuses manières d’être designer dans le service public. On arrive avec des postures différentes : envoyé qu’expert ce n’est pas pareil que quand on construit une équipe de soi, ce sont des contextes différents, ce sont des accueils différents. Dans la suite je vais plutôt parler de mon expérience personnelle même si je vais toujours essayer de faire des parallèles avec les autres possibilités.

Je reviens sur mon histoire perso, désolée, je vais parler de moi.
En 2020, comme je suis quelqu’un de pas très intuitif, je me suis dit que j’allais quitter un CDI confortable pour tenter ma chance dans le service public, c’était quelque mois avant une pandémie mondiale, donc ce n’était pas non plus le mouv du siècle. J’ai quand même réussi, après quelques candidatures, à décrocher une mission chez beta.gouv. Le hasard du calendrier a fait que j’ai commencé le premier jour du premier confinement. Mes collègues de travail étaient un peu bruyants et prenaient de l’espace, ça n’a pas facilité les débuts, mais ça s’est fait et on a tous commencé dans des conditions pas évidentes.

Je vais vous raconter un petit peu plus en détail comment chez beta.gouv on construit des services publics numériques.
Beta.gouv est à la base un programme pour aider à concevoir un service. Peut-être que dans le privé on sait concevoir des produits : on commence à avoir une idée, on prend un financement et on la développe. L’idée c’était de reporter ça petit peu dans le public.
On commence par identifier un problème, pendant un ou deux mois, avec quelqu’un de la fonction publique qui peut être une ancienne inspectrice des comptes ou bien une assistante sociale dans une PMI. Les PMI sont les espaces médicaux qu’il y a un petit peu partout en France, on travaille vraiment avec des gens qui ont des profils hyper-variés, qui ont identifié des problèmes ; par exemple, en PMI, plein de gens prennent rendez-vous pour le bébé et ne viennent pas, c’est un problème de santé publique. En investiguant le problème, en rencontrant des gens, en essayant de le qualifier, on valide : est-ce que problème et est-ce que la solution peut-être numérique parce que parfois la solution, finalement, ce n’est pas du numérique, ça va être mettre plus de moyens dans quelque chose.
Une fois qu’on a identifié que ce problème peut être résolu par du numérique, on va pouvoir commencer à coder, en tout cas à réaliser un service public.
La première étape va être de construire une équipe, recruter des devs, commencer à développer une première version et à chaque fois tester ce petit MVP [Minimum Viable Product ].
Quand on commence à avoir un produit qui marche on va passer en phase d’accélération : consolider les fonctionnalités et déployer ce produit nationalement. Au début on aura testé le service juste dans une ville, par exemple, et puis on se dit « OK, ça marche dans une ville, maintenant tous les Français et toutes les Françaises sont intéressés donc on va passer à l’échelle. »
La dernière étape, qui n’est pas la plus anodine, c’est la phase de transfert. On a un produit qui marche avec cette petite équipe, combien faut-il de personnes et de quoi a-t-on besoin pour que ce produit reste pérenne et qu’il puisse continuer sa vie dans les années à venir ? Qui est-ce qui va le reprendre ? Est-ce que c’est une administration ? Est-ce que ça va devenir un produit, un service à part entière, qui devient une entreprise ? On a déjà vu le cas. Il y a plein d’issues pour ces produits du service public incubés chez beta.gouv.

Beta.gouv est un programme, je vous ai un peu expliqué comment ça marche, mais c’est aussi une communauté avec plein de gens. La grosse partie des gens ce sont des développeurs et des développeuses, à peu près une personne sur trois dans l‘incubateur. Aujourd’hui il y a 800 personnes dans l’incubateur, c’est quand même pas mal de monde. Il y a des gens qui se chargent du déploiement, c’est peut-être l’équivalent des commerciaux dans le privé. On va chercher des villes, des communautés ou du grand public qui est intéressé par le produit. Il y a un petit peu de designers, un petit peu de gens qui vont gérer le produit, mais ce n’est pas hyper répandu.
En bleu, il y a les intrapreneurs et les coachs. Les intrapreneurs et les intrapreneuses sont des gens qui n’ont pas du tout – c’est un peu moche de dire ça, il y a peut-être une meilleure de le formuler, mais elle ne me vient pas – , à la base en tout cas, une formation pour concevoir des produits web, par contre ils ont une excellente connaissance du métier et de là où ils en sont. Les coachs vont s’occuper de la gestion de projet, ils vont accompagner l’intra pour se poser les bonnes questions et un petit peu construire ce produit.

Tout à l’heure j’ai parlé un petit peu de statut. Pour vous donner un ordre d’idées, chez beta.gouv 30 % des gens sont des agents de la fonction publique. Nous sommes beaucoup d’indépendants ou d’indépendantes, plus de la moitié, et les prestataires, dont je parlais tout à l’heure, sont des gens qui sont directement embauchés via les SS2I qui ont remporté le marché public.

Tout ça pour faire un petit aperçu.
Je vous ai parlé des gens, je vous ai parlé de comment ça marche, maintenant je vais parler de ce qu’on fait. Chez beta.gouv on incube des services publics. Je vous ai mis quelques exemples.
Par exemple une application qui s’appelle 1 000 jours est une application mobile destinée aux jeunes parents. L’objectif derrière c’est de lutter contre la dépression post-partum et les suicides de jeunes mamans, ce sont des choses qui arrivent encore aujourd’hui et ce n’est pas acceptable.
RDV Solidarité est un projet sur lequel j’avais justement travaillé pour les outils de prise de rendez-vous en PMI, Protection maternelle infantile, ce n’est pas très inclusif. C’est un outil de prise de rendez-vous, un petit peu à la Doctolib, avec l’idée que si on rappelle aux gens qu’ils ont un rendez-vous en PMI ils vont peut-être un peu plus s’y rendre et il y aura plus d’enfants de 0 à 3 ans qui auront accès à des soins.
Dans le genre rien à voir il y a un Track Déchets. C’est un outil professionnel pour tous les professionnels qui génèrent des déchets, ça peut être les usines, mais c’est aussi une infirmière ou une sage-femme qui génère des déchets, une seringue ou tout plein de trucs.
Un dernier exemple que je voulais donner c’est le Code du Travail Numérique. C’est un site grand public qui contient beaucoup de contenus et de simulateurs. Le but de ce produit c’est dé-jargonner le Code du travail qui n’est pas évident à comprendre. Il y a plein de fiches, à combien j’ai droit si je demande une rupture conventionnelle ?, qui un petit peu vont aider à comprendre selon sa convention, selon son travail, son entreprise, quels sont ses droits.

Ça peut être très varié en termes de à qui ça s’adresse et quelle forme prend ce produit.

Pour résumer c’est un joyeux bordel. Il y a des experts de tout horizon, il y a des métiers différents, des statuts différents, des backgrounds différents et tous ces gens développent des produits de toutes sortes. Ça peut être des logiciels pros, des applications mobiles, des sites plutôt orientés contenus, des sites orientés professionnels qui vont être du CRM [Customer Relationship Management]. Ces sites ont des maturités différentes. Un produit qui est en phase de construction n’a pas du tout la même maturité qu’un produit qui est en phase de transfert et qui est abouti. Tout ce petit monde cohabite au sein de beta.gouv et l’idée de beta.gouv, l’incubateur, c’est d’apporter une structure, d’apporter des standards, de favoriser les échanges et les retours d’expérience sur ce qui marche ou ce qui ne marche pas.

16’ 07

Je voulais passer à la deuxième partie de cette présentation. Après deux ans que je suis chez beta.gouv je voulais un petit peu parler de ce que ça change de travailler pour le service public.
On va aborder plusieurs sujets. Le premier, pour moi c’est un des plus importants, ce sont les enjeux.
Quand on travaille pour le service public, en tout cas à mon sens, on a une responsabilité qui est encore plus forte que celle qu’on pourrait avoir dans une entreprise privée où c’est un peu à la volonté des fondateurs et fondatrices des entreprises privées.
Un des premiers enjeux c’est de transformer les administrations parce que, encore trop souvent, la manière de concevoir les produits est un peu en cycle en V, on va dépenser 300 millions d’euros pour un service, ça va prendre dix ans et une fois que le truc sort il est déjà obsolète, il ne marche pas et on a perdu de l’argent.
L’idée de transformer les administrations c’est montrer qu’on peut avoir une approche centrée besoins utilisateur, ce n’est pas évident pour le service public.
C’est aussi d’être piloté par l’impact, c’est-à-dire essayer de montrer que quelque chose marche, est utile pour les usagers, avant de continuer à investir plus d’argent et de dire, à un moment, « en fait ça ne résout pas le problème qu’on avait trouvé, ce n’est peut-être pas la bonne solution et peut-être arrêter d’investir de l’argent et passer à autre chose ».
Le troisième levier qu’on essaie de transformer, c’est de redonner la main aux fonctionnaires et aux agents publics, ces personnes qui connaissent le terrain et qui sont plus à même de comprendre quels sont les enjeux, plutôt que d’avoir un truc où ce serait un haut placé d’un ministère, qui n’y connaît rien, qui dit « on va vous faire une plateforme, ça va être génial » et qui, en fait, n’a aucune connaissance des problèmes sur le terrain. C’est un des premiers enjeux.
Ça veut dire aussi qu’en tant qui designer dans le service public il va falloir expliquer, être pédagogue, notamment sur l’approche centrée besoins utilisateur. Quand on est face à une administration récalcitrante vraiment expliquer, réexpliquer pourquoi l’usager, finalement, sait mieux ce dont il a besoin.
Un autre enjeu c’est que chez beta.gouv on fait des services numériques, donc on va travailler sur du design d’interface. Le design d’interface ce n’est évidemment qu’une petite partie de l’iceberg. Une collègue avait eu un cri du cœur, elle disait : « Parfois on a envie de revoir plus loin que le formulaire ». Elle travaille sur un produit qui est une adaptation numérique d’un formulaire CERFA et le truc c’est de la merde. Elle aimerait bien revoir toute la procédure, donc i y a vraiment cette idée de revoir l’expérience dans sa globalité. Le numérique n’est qu’un pendant du physique, ce n’est pas la solution à tout, donc comment est-ce qu’on peut faire pour revoir plus loin ? En toute honnêteté c’est un enjeu qui est très compliqué. Il y a des histoires positives chez beta.gouv où des gens arrivent à avoir un impact sur la manière dont le service est conçu et il y a des fois où ce n’est pas aussi évident de changer les rouages d’une administration qui est quand même un peu lourde.
Le dernier enjeu, qui m’est peut-être le plus cher, c’est celui de construire des services de qualité. Je me suis un peu interrogée en arrivant dans le service public, je pensais que c’était évident pour tout le monde : plein de gens vont utiliser nos services, il faut qu’ils soient bien foutus. Dans l’idée tout le monde est d’accord, mais, dans la pratique, si vous avez déjà utilisé des services publics, vous avez vu que ce n’est pas toujours le cas, du coup c’était intéressant d’étudier, de voir quels sont les leviers qui permettent de construire des services de qualité.
Déjà au premier niveau il y a le cadre légal. J’image que vous avez toutes et tous entendu parler du RGPD, il y a aussi le RGAA qui est le cadre légal en termes d’accessibilité, bientôt il va y avoir le RGESN pour tout ce qui est écoconception. En gros ce cadre légal dit « tu fais de la qualité ou tu auras une amende ». Niveau efficacité c’est à peu près zéro. Par exemple aujourd’hui, en termes d’accessibilité, on a 10 ans de retard. Ce cadre légal est posé depuis 10 ans, si vous étiez dans la salle d’à côté, à priori non, vous sauriez que nos services ne sont pas du tout accessibles ou encore trop peu. Le cadre légal existe, il a le mérite d’exister, mais il n’est pas hyper-efficace pour plein de raisons : il y a un manque de formation, parfois un manque d’envie de prendre le temps de faire les choses bien.
Il y a un deuxième niveau au-dessus. Quand on est dans le service public on est soumis à certaines conditions. C’est le SIG, le Service d’informatique du Gouvernement qui impose ses conditions. Par exemple si on veut un domaine en .gouv.fr, il faut avoir passé une homologation de sécurité ou bien avoir passé un audit d’accessibilité, avoir un score supérieur à tant. Là il y a une notion de carotte et de bâton. Si tu fais de la merde, tu n’auras pas ton .gouv.fr, ça va retarder la sortie du produit. Ça commence déjà à marcher un petit peu mieux, même si trop souvent on arrive dans le cas « tiens, on aimerait sortir le mois prochain, on va commander notre .gouv.fr. Ah, il y a un audit d’accessibilité ! Ah, il faut un  bon ! ». En fait c’est déjà trop tard.
Le levier encore au-dessus c’est d’accompagner. En fait c’est triste mais les gens qui construisent des services publics ont la même formation que les gens qui sont dans le privé et l’accessibilité, l’écoconception, la vie privée, OK, on en parle à des évènements comme MiXiT ou à des conférences, mais en formation, je ne sais pas si vous avez entendu parler de ces termes-là mais moi jamais ! On a plein de gens réunis qui travaillent sur des trucs, mais qui ne savent globalement pas comment faire pour les faire bien.
C’est là que vient le dernier levier, les programmes comme beta.gouv ou Commando UX vont recruter des experts ou des expertes sur ces sujets pour vraiment accompagner. En termes d’efficacité c’est peut-être encore ce qu’il y a de mieux mais c’est difficilement scalable parce que ça avance lentement, il faut deux/trois experts pour chaque produit. Il y a un nombre inimaginable de produits et de services, du coup c’est hyper-lent.

J’aurais peut-être pu commencer par ça, je vais détailler un petit peu ce que j’entends par la qualité.
Dans le cadre légal ou dans les conditions du SIG on parle d’accessibilité, de sécurité, de protection des données personnelles, bientôt il y aura l’écoconception. Chez beta.gouv ou dans les programmes comme Commado UX on va un petit peu plus loin sur ces accompagnements, on va aussi se poser des questions de design, ergonomie et UX, de qualité logicielle, est-ce que le logiciel est maintenable ?, ce genre de choses. La qualité du support aussi, la transparence, comment on utilise l’argent public, à qui est-ce que ça va, et les mesures d’impact. C’est un petit peu prouvé qu’on ne fait pas un truc parce qu’il y a une commande ministérielle mais parce que ça a un impact et ça va servir à des vrais gens, donc comment peut-on mesurer cet impact.

C’était la théorie, c’était chouette. Dans la pratique ce n’est pas aussi beau.
Ce sont des chiffres de fin 2021 sur l’accessibilité. Il y avait, en gros, une équipe sur quatre qui n’avait encore jamais entamé de démarche concernant l’accessibilité. Ça ne veut pas dire qu’elles ne vont pas le faire, mais juste que ce n’est pas leur premier réflexe et ça montre que c’est un peu lent. Si on voit plus loin que chez beta.gouv, il y a un Observatoire de la qualité des démarches en ligne avec une équipe qui, justement, essaie un peu de mesurer et d’auditer les démarches les plus utilisées en France, donc les 250 démarches, ça peut être un changement d’adresse, une déclaration des revenus, c’est probablement la numéro 1.
Si on regarde un petit peu les chiffres sur les différentes métriques qui sont évaluées sur ces démarches, il y en a seulement 30 % qui sont partiellement accessibles. Si on compte les démarches totalement accessibles, je crois qu’on tombe à 0,5 %, je n’ai pas osé l’écrire parce que j’avais un peu top honte. Il y a du travail dans la réalité.

Maintenant qu’on a parlé un peu des enjeux, je vais parler de à qui s’adressent tous ces services publics.
Au début, quand j’avais l’idée de travailler pour le service public, je ne pensais qu’aux citoyens, aux gens comme moi et j’ai réalisé qu’en fait ça va un peu plus loin. Oui, on fait des services publics pour les citoyens et les citoyennes, mais il y a aussi beaucoup de services qui vont être dédiés aux professionnels, aux associations, aux écoles, et surtout des services qui sont orientés pour les agents et les agentes de la fonction publique et qui, par ricochet, vont être utiles à toutes les autres populations citées.
En termes de design et d’UX c’est intéressant parce que, pour le coup, on va vraiment beaucoup travaillé avec les personnels, on va toujours avoir des cibles hyper-différentes pour un même produit. On peut avoir une cible grand public, une cible professionnelle et quelqu’un de la fonction publique, évidemment ça ne va pas être les mêmes enjeux, pas les mêmes interfaces, pas les mêmes problématiques. C’est assez intéressant d’avoir ce grand champ d’action.

Tous les services publics ne sont pas égaux face à leurs usagers. Il y en a qui jouent en mode facile parce qu’ils ont des usagers captifs. Tout à l’heure je donnais comme exemple Track Déchets qui est un outil pour traquer les déchets. Début 2021, je crois, un décret est passé et, du jour au lendemain, toutes les entreprises qui généraient des déchets étaient obligées d’utiliser Track Déchets. C’est génial en termes de base usager, du jour au lendemain paf !, on a plein de gens, par contre on a des enjeux. Il y a une nouvelle démarche, il y a une nouvelle obligation qui est ennuyeuse en plus, il va falloir accompagner les gens à le faire, dé-jargonner ce projet ; il y a vraiment une notion d’accompagnement.
Et puis il y a d’autres produits qui vont être en mode un peu plus difficile parce qu’ils vont devoir aller chercher des gens, attirer, convaincre, donc avoir une vision vraiment claire de l’avantage du produit. C’est encore plus compliqué quand c’est en concurrence avec le privé. Je vais prendre un exemple : les métropoles vont avoir des besoins, mesurer l’avancement d’un projet, donc elles vont avoir besoin d’un logiciel de cartographie par exemple. Que ce soit la métropole de Strasbourg, de Nancy ou de Lyon, toutes vont avoir le même besoin. Si elles se tournent vers le privé elles peuvent avoir un super produit, mais chaque métropole va payer le service. Donc chez beta.gouv des agents publics se sont dit « on va faire un truc pour toute la France », sauf qu’ils vont être une petite équipe de quelques personnes et, parfois, ça va être compliqué de faire le poids face à des entreprises privées qui savent mettre les moyens aussi bien en termes marketing, qu’en termes d’UX, qu’en termes de devs.
Encore une fois, chez beta.gouv il y a toutes sortes de produits, ils n’ont pas tous les mêmes contraintes, les mêmes enjeux et les mêmes problématiques.

La transition avec la maturité du design. Je vous ai dit que parfois, dans le public, on n’est pas à la hauteur par rapport au privé parce que les équipes sont un peu plus petites. C’est : « Ah bon vous n’avez pas d’UX ! », certains développeurs qui arrivent chez beta.gouv peuvent s’en étonner de manière assez incrédule. Effectivement chez béta.gouv il y a une centaine d’équipes qui sont en train de développer des produits et une équipe sur deux n’a pas encore, j’espère, de designer. Ce n’est pas parce que l’équipe ne croit pas au design, c’est un peu plus vicieux que ça, c’est un peu l’idée que centrer utilisateur tout le monde peut le faire, c’est un peu une histoire de bon sens, les devs sont capables de faire des maquettes et d’interroger des tests utilisateurs. « Les biais je ne sais pas si ça existe vraiment, c’est peut-être une fake news ».
Chez beta.gouv il y a un intérêt pour le design, mais parce que c’est dans un environnement agile, parce que les équipes sont petites, elles grandissent au fur et à mesure, que les gens sont amenés à avoir plusieurs casquettes, il y a un peu ce côté où on a l’impression que tout le monde peut faire du design et, en tant que designeuse, j’ai tendance à penser que non, que c’est un vrai métier avec des vraies problématiques.
C’est un des premiers problèmes chez beta.gouv, mais aussi au sein du service public.

30’ 04

Le deuxième problème, je ne sais pas si c’est un problème, la deuxième particularité, dans la plupart les équipes qui ont des designers, donc une équipe sur deux, le ou la designer travaille seule. Ça veut dire qu’on n’est pas comme dans des grosses entreprises comme Deezer, Doctolib avec des équipes avec des UX writers, des UX researchers. Non ! Là tu as une personne qui fait de l’UX, de l’UI et de la recherche, elle fait tout, elle soit être pédagogue, elle doit être autonome, elle doit hyper-généraliste, elle doit être pragmatique aussi parce qu’une personne ne peut pas tout faire donc il faut faire des choix, etc. C’est un autre point un peu particulier qu’il faut avoir en tête quand on est designer dans ce cadre-là et même dans la plupart des équipes du service public.
Du coup chez beta.gouv ce qui a été imaginé c’est de créer une équipe de designers transverses dont je fais d’ailleurs partie. L’idée c’est un peu de travailler sur ces deux points-là : d’un côté on a des équipes sans designer, comment peut-on les aider ? On peut mettre en place des formations, on peut mettre en place des ressources. De toute façon ce sont ces personnes-là qui vont le faire en attendant de recruter, est-ce qu’on peut leur donner des billes pour qu’elles fassent un peu moins n’importe quoi ? Par exemple on a proposé un événement récurrent qui s’appelle Dr Design. Ça dure une heure. L’équipe vient avec un problème. Souvent le problème c’est « notre site n’est pas très joli ». En fait, quand on creuse, ce n’est pas qu’il n’est pas joli c’est que l’équipe n’a pas une vision claire sur le besoin des utilisateurs et sur le parcours. On va très vite dévier sur des questions d’UX, de parcours utilisateur, de à quoi on sert vraiment. Ce genre d’évènement est toujours très intéressant même si c’est intense pour le cerveau de répondre en une heure, d’apporter un regard extérieur.
Pour les desigers qui sont un peu isolés, tout le monde rencontre les mêmes problématiques, mais ils sont dans leur produit et ils ont du mal à sortir un peu la tête de l’eau, on propose d’autres types d’évènements des Cafés Design, des moments où on peut échanger un petit peu sur les pratiques et proposer des outils qui vont être communs. C’est intéressant parce qu’il y a plein de problématiques différentes.
Ces problématiques qu’on rencontre chez beta.gouv ou dans le service public français ce n’est pas du tout spécifique. En fait il y a plein de pays qui rencontrent les mêmes problèmes :comment est-ce qu‘on digilatise, comment est-ce qu’on numérise, comment est-ce qu’on construit des services publics ? J’ai cité quelques exemples : Australie, Canada, Italie, surtout Grande-Bretagne. Ce sont des pays qui vont partager sur des blogs des ressources, leurs avancées sur ces sujets-là. Ces pays-là aussi ont des incubateurs de services comme beta.gouv, ces pays-là aussi ont des Design Systems, ont une marque de l’État, ils partagent des expériences, des boîtes à outils, des observatoires. Toutes ces problématiques qu’on retrouve en France on les retrouve aussi ailleurs. Du coup c’est assez intéressant de pouvoir échanger avec des homologues d’autres pays sur ces problématiques.

En transition avec les outils.
En termes d’outils pour le designer public ça va beaucoup dépendre de son contexte. Par exemple quelqu’un qui travaille au sein d’une administration, qui travaille vraiment à Paris dans un ministère, n’a pas la vie facile. On va lui souhaiter la bienvenue, on va lui dire :« Salut, on a commandé ton ordinateur, il arrive dans trois mois. — Par contre désolé, tu ne vas pas pouvoir utiliser Figma, le cloud est bloqué au ministère. — Sketch non plus parce que Sketch ne marche que sur Mac et tu comprends bien qu’on ne va pas t’offrir un Mac, tu auras un Windows. — D’ailleurs tu ne peux pas utiliser les logiciels basés sur Chromium parce qu’il n’y a que Internet Explorer et Firefox qui sont autorisés. Ça c’est la liste des sites que tu peux consulter. Si jamais tu veux en consulter d’autres, n’hésite pas à faire une demande, elle sera approuvée dans les 48 hures. » C’est un cumul de plein de choses différentes qui sont arrivées à plein de gens différents, ça n’arrive pas le même jour à la même personne, j’exagère un petit peu, mais il y a une peu cette idée que les conditions de travail au sein d’une administration peuvent être compliquées. Chez beta.gouv, comme on a pu sortir de ce contexte-là, c’est un peu plus facile, tu as un budget, tu fais ce que tu veux, tu te débrouilles, tu choisis tes outils et voilà.

Un autre outil qui existe, c’est un peu un outil de niche qui est spécifique au design public, s’il y a des UX designers dans la salle vous avez peut-être entendu des échelles UX comme AttrakDif ou meCUE. En gros c’est un petit questionnaire qui va permettre de mesurer et d’avoir un chiffre à la fin : est-ce que mon service est utilisable ou pas ? Est-ce qu’il est facile à utiliser ? L’avantage d’avoir quelque chose de normalisé, un chiffre comme ça, c’est qu’on peut le comparer à la concurrence, on peut le comparer avant et après une refonte, donc le bouton « Je donne mon avis » c’est un peu le pendant spécial service public. Il a le mérite d’exister, mais comme les échelles, comme AttrakDif, il a un problème : c’est difficile de l’adapter à tous les usages. Les trois questions : est-ce que c’est facile à utiliser ? Est-ce que c’est facile comprendre ? Est-ce que j’ai pu faire cette démarche seul ? ne s’appliquent pas forcément à un service professionnel. Mais c’est un outil qui permet de récolter des verbatims et de se positionner par rapport à d’autres choses, donc ça peut être intéressant.

Un autre outil qui, par contre, est beaucoup plus intéressant c’est le Design System de l’État. Il commence à être pas mal déployé maintenant, donc peut-être que vous avez vu des sites qui utilisent le Design System de l’État.
Je vais reprendre un peu le contexte de ce projet parce que je le trouve assez intéressant. Si on prend la définition de « design system » c’est « un ensemble de composants réutilisables, guidé par des gouvernances et des standards pour être rassemblés pour construire des sites internet ». Ici les composants réutilisables pour le DSFR, c’est le petit nom du Design System de l’État, ça va être une library npm pour les devs, des librairies sketch et Figma pour les designers. Déjà on voit qu’il y a un problème parce que quelqu’un qui travaille au ministère des Armées n’a droit ni à Sketch ni à Figma, par contre il a l’obligation d’utiliser le Design System de l’État. Tu te débrouilles, tu fais comme tu peux !
Et puis il y a une documentation et une communauté.

La gouvernance derrière ce projet, donc qui s’en occupe, qui le maintient, qui le gère, c’est le SIG, le Service d’information du gouvernement, c’est aussi le service qui est derrière la marque de l’État, comment on affiche la Marianne, quel est le bleu de la Marianne, quel est le rouge de la Marianne, tout ça est normé, on ne fait pas n’importe quoi avec la Marianne, le SIG veille au grain.
Pour créer le DSFR, ils se sont basés sur des standards. C’est un des problèmes c’est que les standards, pour l’instant, ce sont tous les sites de communication de l’État. Le SIG a audité une trentaine de sites de l’État comme gouvernement.fr ou Service-Public.fr, qui sont des sites très utilisés, mais qui sont des sites très grand public et plutôt uniquement à but de consommation de contenus. Ce qui fait qu’aujourd’hui, j’espère que ça va changer, la plupart des composants permettent plutôt de construire ce type de site, parce que quand on audite un type de site on trouve uniquement ce genre de composants. Ce n’est pas encore forcément adapté pour les sites professionnels ou des applications mobiles ou ce genre de choses.

Les objectifs derrière la création de ce DSFR étaient double.
Le premier c’est que l’État gère environ 20 000 noms de domaine, on va dire que c’est à peu près un nom de domaine par projet. Ça fait beaucoup de projets, finalement ça coûte cher de créer, de maintenir tous ces sites si à chaque fois les équipes réinventent la roue. Et puis pour les usagers, pour les personnes qui utilisent ces sites, à chaque fois il faut réapprendre à utiliser, comprendre comment ça marche. L’idée c’était d’harmoniser un peu tout ça et rendre ça plus simple.

Comme j’aime bien donner mon avis, je vais vous le donner.
D’un côté j’adore ce DSFR. ça fait un an qu’il existe, du coup j’ai travaillé un an sans et un an avec. Depuis qu’il y a la librairy Figma je peux faire des prototypes qui sont hyper-intéressants en quelques minutes et franchement c’est le pied. J’espère que personne du service public ne m’entend, mais j’utilise même le DSFR pour des clients qui ne sont pas du service public, j’enlève la couleur bleue et tout ça, je mets une autre couleur. Il est vraiment bien fait, la librairy est super chouette à utiliser. Dans certains contextes ça marche hyper bien.
Un autre gros atout pour moi c’est qu’en termes d’accessibilité c’est un énorme avantage parce que ça évite aux gens de mettre en place des composants qui ne sont pas accessibles. Même si les gens sont créatifs, et on peut toujours faire de la merde avec un Design System bien foutu, ça aide quand même.

Les points négatifs, j’en ai un petit peu parlé, pour l’instant il n’est pas du tout adapté aux applications métiers complexes. Quand on doit avoir un dashboard avec plein d’indicateurs complexes et un truc spécialisé ça ne marche pas parce que, pour l’instant ,il a été conçu de manière très aérée, plutôt pour ce qui est grand public. Ça a ne marche pas non plus sur les applications mobiles, même la version responsive. Si vous êtes déjà allé sur un site du gouvernement la moitié de votre écran sur mobile est prise par liberté, égalité, fraternité parce que c’est très important de le dire tout le temps. Ce n’est pas très responsive, mais on a arrêté de râler là-dessus, au bout d’un an on s’est lassés.
L’autre problématique, c’est une vraie question que je me pose, est-ce que ce Design System est adapté à toutes les applications financées par l’État ? Aujourd’hui est en train d’être mise en place l’obligation d’usage de ce DSFR. Pour vous donner un exemple, chez beta.gouv, il y a une équipe qui travaille pour la prévention des maladies sexuelles auprès des jeunes adolescents. Ils ont par exemple un site internet et un compte Instagram et ils vont parler de sexualité, de tous les sujets tabous autour de la sexualité. Je n’imagine pas que le truc puisse marcher avec la Marianne et la typo bleu, blanc, rouge partout. Aujourd’hui ils ont choisi une charte graphique très jeune, très pep’s, du coup ça marche bien. Après je suis peut-être fermée d’esprit, peut-être qu’il faut essayer. En fait je me pose de questions.
Pareil, il y a pas mal de services chez beta.gouv qui vont s’adresser à des publics qui sont un petit peu en retrait par rapport à l’État, qui sont craintifs ou bien contre le gouvernement, du coup il y a des services dont l’objectif est de réinstaurer cette confiance, de réinstaurer des politiques publiques sans forcément dire que c’est l’État. Par exemple des populations qui sont en situation d’addiction, qui boivent ou se droguent, là encore une application brandée État, je ne le visualise pas. Mais bon ! Je me pose encore des questions sur comment ce DSFR, qui est encore jeune, va être rendu obligatoire pour tout le monde. Ça m’interpelle.

J’adore me poser des questions, donc je me pose encore des questions en 2022, notamment je ne sais pas si vous avez entendu parler des évènements récents concernant les élections. Je m’en souviens à chaque fois que je vais dans les locaux des ministères. Dans toutes les salles de réunion il y a une photo de notre charmant président et on peut ne pas être à l’aise à l’idée de travailler face à une photo de Macron ou de quelqu’un d’autre si ça changeait. En fait ça remet un petit peu en contexte que dans le service public on travaille pour l’intérêt général, mais ce service public est porté par des politiques publiques et ces politiques publiques sont portées par des hommes et des femmes politiques avec lesquels on est, ou pas, en accord. Ça me questionne régulièrement. Pour l’instant j’ai la chance de travailler sur des projets avec lesquels je suis totalement en phase, pour lesquels je suis vraiment à l’aise avec l’amélioration que ça apporte, mais c’est quelque chose sur lequel je reste vigilante. Il y a aussi le côté remaniement. Quand le gouvernement change, si les priorités changent qu’est-ce qui reste ? Il y a des histoires de service qui ne sont pas pérennes parce que d’une personne à l’autre les priorités vont totalement changer, les financements vont s’arrêter et des projets qui étaient géniaux vont arrêté d’être financés parce que, finalement, ça n’a plus d’intérêt.

Ce sont peut-être un peu les problématiques autour du service public. Je n’ai pas mentionné sur la slide un collectif qui s’appelle Nos Services Publics, qui travaille sur ces questions et essaie un peu de se réapproprier de l’intérêt général et de l’intérêt public quand on est parfois face à des politiques qui ont peut-être tendance à oublier l’intérêt commun.

J’arrive à la fin. Je fais un petit résumé.
À mon sens designer pour le service c’est une mission qui est très riche de sens avec beaucoup d’impact. Par rapport à quand je travaillais dans le privé, j’ai vraiment dit adieu à tout ce qui est productivité et rentabilité. C’est assez chouette de ne plus entendre parler de ces termes-là et de plutôt parler d’intérêt général.
Il y a des enjeux assez forts, mais on est hyper-loin de les avoir atteints.
Je vois le côté positif c’est que je vais avoir du boulot pendant encore longtemps pour proposer des services qui soient utilisables et accessibles.
Du coup un truc est encore vraiment regrettable, c’est que l’existence même des programmes comme beta.gouv, Commando UX est hyper-fragile. Ce sont des espèces de patchs sur une administration qui, encore aujourd’hui, n’est pas prête à faire des services qui soient bien faits. On y travaille dans ces programmes mais ce n’est pas pérenne et ça pourrait changer à tout moment. Par exemple, en ce moment, on attend de savoir à qui beta.gouv sera rattaché, à quel ministère. Dans la théorie ça ne devrait rien changer, dans la pratique on n’est jamais sûr de rien en politique, du coup ça pose toujours des questions.
Et il n’y a pas de compétences en interne, on est obligé de recruter des gens à l’extérieur et c’est probablement dommage.
J’ai fini. Merci.

[Applaudissements]