Des manuels scolaires libres conf RMLL 2013

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Intervenants : Jean Pierre Archambault - Gilles Dowek - François Élie

Lieu : RMLL juillet 2013

Durée : 41 mn 18


00' transcrit Marie-Odile

Jean-Pierre Archambault : Bonjour. Donc on et là pour parler des manuels scolaires libres. C'est une question importante. Moi j'ai tendance à dire que dans l'éducation le libre c'est bien sûr le logiciel mais est-ce que ce n'est pas aussi éventuellement surtout les ressources pédagogiques libres, étant entendu qu'en France il y a dix millions d’élèves et qu'il y a des enjeux financiers très très forts et que toutes les difficultés, les obstacles qu'on a pu rencontrer dans le déploiement du libre depuis une dizaine d'années dans le système éducatif en France est-ce qu'il n'y pas ça en arrière plan ?

Alors rapidement il y a trois types de ressources pédagogiques. Il y a celles que les enseignants fabriquent depuis toujours pour préparer leurs cours, il y a les ressources éditorialisées, éditeurs, des auteurs, avec un modèle économique puisque c'est une activité professionnelle et puis il y a aussi les ressources qu'on appelle brutes ce qui veut dire un film, une interprétation d'un opéra, qui sont des ressources qui n'ont pas été fabriquées à des fins pédagogiques mais qui peuvent bien entendu être utilisées dans le cadre d'un cours et qui posent la question de l'exception pédagogiques c'est-à-dire la possibilité pour un enseignant d'utiliser gratuitement, dans le sens de l’intérêt général, des ressources qui ne sont pas des ressources éditorialisées. Il est clair que l'équilibre qui avait au moins cent ans, cent cinquante ans, de l'édition scolaire a été complètement perturbé, mis à mal par l'arrivée de l'informatique, par la banalisation des outils de production de ressources pédagogiques et puis par le développement des réseaux. Donc ça interroge quelque part et en premier lieu les éditeurs donc on va parler de ça mais d'une manière assez ouverte, libre.

Je vais d’abord donner la parole à Gilles qui va partir d'une expérience d'un manuel qu'on a fait sur l’enseignement de l'informatique, la question d'un modèle économique, d'une éventuelle licence globale avec les régions qui en France financent les manuels scolaires. Un certain nombre de questions, licence sous laquelle on a mis le manuel et puis François-Élie qui nous parlera de quid de l’institution par rapport à la production de ressources pédagogiques libres étant entendu qu'en France on a un grand succès dont on est très fier qui est Sésamaths qui est devenu le premier acteur éditorial pour les mathématiques au collège. Pour autant la question de l'implication de l'institution est posée. Alors Gilles.

03'12

Gilles Dowek : Merci. Je vais essentiellement vous raconter une histoire qui est l'histoire d'un échec mais ce qui est important dans la vie c'est d'apprendre de ses échecs, donc ce n'est pas très grave de rencontrer quelques échecs de temps en temps. Comme Jean- Pierre l'a rappelé, l'an dernier, enfin il y a dix-huit mois à peu près, nous avons commencé à écrire un manuel d'informatique qui s'adressait à des élèves français de la classe de Terminale, la dernière classe du lycée, et qui correspondait à l'introduction de la discipline informatique au lycée après une longue histoire où elle avait été mise, supprimée, remise, etc. Et donc ça nous semblait important qu'il y ait un manuel scolaire dès la première rentrée, donc c'est un livre qu'on a écrit un peu dans l'urgence avec l'idée qu'il devait être absolument prêt en septembre 2012, à la rentrée dernière. Et en écrivant ce livre, il y a tout un tas de paragraphes qui parlent de choses différentes, la boucle while, la boucle for, le codage des sons, le codage des images, les algorithmes de tri, etc, mais il y avait aussi un certain nombre de questions qu'on se posait avec les élèves en disant on incite les élèves à réfléchir sur la manière par exemple dont la notion de propriété a évolué sous l'influence du développement d'objets informatiques donc en particulier de logiciels qui sont copiables à coût nul, donc qui sont des biens non rivaux où chacun peut les utiliser sans que ça n’empêche d’autres personnes de les utiliser.

Et alors à force comme ça de réfléchir nous-mêmes pour faire réfléchir les élèves et les lecteurs du livre, ça nous a amené à nous demander s'il était raisonnable que ce livre soit simplement édité et vendu comme un livre traditionnel, c'est-à-dire essentiellement quelque chose qui n'est pas accessible gratuitement sur le web ou ailleurs.

Avec l'équipe, ça a été vraiment un travail collectif, on était une équipe de huit auteurs, et donc il s'est passé, dans les réunions qu'on avait pour réfléchir aux contenus du livre, qu'il y avait tout le temps à la fin une petite réunion, on réfléchissait à sa diffusion et donc il nous semblait qu'une bonne chose était de terminer le livre et de le mettre au moins à disposition de tous sur le web disons sous la forme d'un pdf. On n'avait pas énormément réfléchi sur l'idée de rendre le livre interactif, de mettre des vidéos, d'en faire un Mooc, etc, à cette époque on était plus sur l'idée de diffuser des informations qui étaient sous forme d'un pdf ou d'un fichier texte, enfin peu importe, et que dans l’idée d'innover en utilisant l’informatique qui est aussi une idée intéressante mais ce n’était pas notre idée à cette époque.

On s'est quand même heurté à une certaine difficulté c'est que ce projet avait besoin d'argent. On avait besoin d'argent quand même. Écrire un livre ça coûte de l'argent. Il y a un certain nombre de coûts différents. Il y a d'abord la rémunération des auteurs et ça, en fait, c'est ce qui pose le moins de problèmes puisque la plupart des auteurs sont ou bien profs en lycée donc déjà payés par l'institution pour travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l'édification des élèves ou bien professeurs à l'université, ou chercheurs dans une institution publique et donc également déjà payés par les contribuables pour en particulier l’édification des professeurs qui effectivement vont contribuer à l'édification des élèves.

Il s'avère que la plupart des auteurs étaient prêts éventuellement à travailler gratuitement. On n'est pas sûrs que ce soit la meilleure chose. Pourquoi après tout devraient-ils travailler gratuitement puisque c'est un travail supplémentaire par rapport à leur travail habituel, mais disons ça ça n’avait pas l'air de poser trop de problèmes. En revanche ce qui posait un véritable problème, c'était que quand on écrit un livre pour des lycéens ce n'est pas tout à fait pareil que quand on écrit un poly pour des étudiants de master ou quelque chose comme ça. D'abord il était important qu'il n'y ait pas de fautes d'orthographe dans le livre, qu'il n'y ait pas trop de fautes de français, de grammaire, etc, et donc il avait un travail d'édition minutieux. Un livre ça demande un travail d'édition plus minutieux qu'un poly qu'on donne à des adultes, disons des jeunes adultes ; enfin des vieux ados sont plus sensibles à cette qualité.

Également il y avait besoin d'un travail d’illustrateur professionnel, donc on avait fait un certain nombre de figures un peu à main levée, un peu en Xfig enfin avec des outils du 20ème siècle et on se rendait compte que, par rapport à un livre scolaire traditionnel, nos talents d’illustrateur étaient un peu en deçà des talents d’illustrateurs professionnels et donc que le risque était qu'on ait un livre qui soit un peu tchip, qui véhicule une idée sur l'informatique, que l'informatique c'est toujours un truc qui se fait avec trois bouts de chandelle et donc on ne voulait pas de ça. Et même le travail de mise en page, on pouvait faire un truc très sobre, très austère en LaTeX par exemple mais il s'avère que les lycéens sont habitués à des trucs avec du rouge, du vert, du bleu, des encadrés, des trucs qu'on ne sait pas très bien faire et donc que ces compétences on ne les avait pas dans l'équipe et on n'a trouvé personne qui voulait travailler jour et nuit avec nous pour faire des illustrations, éditer le livre, etc, gratuitement. Et donc ça ça a l'air d’être, quand on écrit un livre, une espèce de coût incompressible qui est le travail d'édition. Et donc l'idée de faire ça de manière artisanale, d'écrire juste ce pdf et de le mettre sur le net tout seuls et bien ne nous semblait pas une bonne idée et on a plutôt cherché à avoir des financements.

09'00

Des financement ce n'est pas très difficile à trouver puisqu'en France les livres scolaires des lycéens sont sponsorisés et donc il y a vingt deux régions ou vingt six régions et les vingt six régions, vingt sept maintenant peut-être, ont des modes de financement des livres scolaires très différents les unes des autres. Il y a des régions qui achètent les livres scolaires aux éditeurs et qui les distribuent aux lycéens. Il y a d’autres qui impriment des coupons et distribuent des coupons aux lycéens puis les lycéens vont à la librairie, ils achètent avec les coupons et les coupons ensuite sont échangés, sont rachetés par la région. Mais disons quel que soit le mode de financement, il y a des régions qui achètent tous les bouquins, il y en d'autres qui donnent cent euros ou quatre-vingt euros par lycéen, ça dépend. Ça ce n'est que pour les lycées. Pour le collège ce sont les départements et pour l'école ce sont les communes. Si vous n’êtes pas français vous ne pouvez pas comprendre toute cette articulation entre des régions, des départements, des commune, etc, mais bon il y a différentes structures administratives. Il y a des structures administratives plus complexes. Et donc le bon modèle nous semblait celui de la licence globale, c'est-à-dire que les régions qui sont structurées dans une association qui s'appelle Association des Régions de France nous payent une fois le texte et comme ça, ça nous permettait de l'écrire. On ne leur demandait pas beaucoup d'argent. On leur avait dix mille euros pour les auteurs, donc on était huit auteurs, on était prêts à se partager dix mille euros comme droits d'auteur une fois et puis après zéro et on leur avait aussi demandé dix mille euros pour pouvoir payer un illustrateur, un éditeur et un metteur en page.

On avait même un peu complexifié le modèle économique puisqu'il y a eu une longue discussion qui n'est toujours pas terminée sur la vertu d'avoir un exemplaire papier d'un livre, en plus de l'avoir sous forme électronique, ou bien que ce soit en ligne ou bien que ce soit sur son ordinateur ou sur sa liseuse ou sur sa tablette ou que sais-je. Il y a un certain nombre de personnes qui n'ont peut-être pas nécessairement tort et tant qu'on n'est pas absolument sûrs qu'elles ont tort il faut prendre au moins en compte leur avis, qui disent que c'est beaucoup plus agréable et beaucoup plus efficace pour un lycéen d'avoir un livre, un exemplaire papier, que d'avoir simplement la version électronique. En particulier, il y a un argument qui est que quand on a la version électronique on ne sait pas quelle est la part du bouquin qu'on a lue, enfin c'est plus compliqué de le savoir, alors que quand on a un exemplaire papier ouvert au milieu ou au tiers ou aux trois quarts, on sait à peu près où on en est, on sait quelle est la partie qu'on a lue, qu'on n'a pas lue.

Et donc on avait un peu complexifié le modèle économique avec un éditeur, on avait trouvé un éditeur qui était prêt à nous accompagner dans ce projet donc qui était qu'en plus de la licence globale qui concernait le texte, donc le contenu immatériel du livre, on proposait d'imprimer le livre pour un coût de huit euros, donc au lieu d'avoir un manuel scolaire à vingt-cinq euros, le coût du manuel scolaire était décomposé en une partie fixe qui correspondait à la partie non rivale, c'est-à-dire le contenu, et une partie proportionnelle si jamais les lycéens voulaient des.... On avait même complexifié le modèle économique puisqu'on avait dit qu'une fois que le pdf était en ligne, si les régions voulaient les imprimer elles-mêmes et bien elles pouvaient le faire, si elles voulaient se regrouper pour faire des économies d'échelle elles pouvaient le faire, et on pouvait nous aussi leur proposer des exemplaires à huit euros.

Donc j'arrive à la fin de l'histoire. Nous avons avec cet éditeur contacté l'Association des Régions de France qui a lu notre dossier, qui nous a dit "c'est une très bonne idée mais on va faire ça l'année prochaine !". Et comme la rentrée arrivait et qu'on était au mois de mai et qu'on voulait absolument que le livre soit disponible en septembre et qu'il leur fallait plus d'un an pour réfléchir sur le bien-fondé de notre proposition de leur demander vingt mille euros que vingt-six régions devaient rassembler, c'est-à-dire chaque région devait donner en moyenne huit euros, peut être certaines auraient pu donner plus, certaines auraient pu donner moins, mais apparemment le process était trop compliqué et donc il prenait tellement de temps qu'il nous a semblé plus important de sortir le livre à temps.

Alors nous avons finalement trouvé une solution de compromis puisque les Éditions Eyrolles ont proposé que l'exemplaire papier soit vendu vingt euros, donc c'était déjà moins cher que les manuels scolaires habituels, mais aussi de mettre le pdf en ligne exclusivement à l'usage des profs de manière à ce que les profs puissent préparer leur enseignement même si rien n’empêche quiconque d'accéder au texte. Le texte est accessible, mais disons le code de bonne conduite qu'on propose c'est davantage que les lycéens achètent le livre et que les profs l'aient gratuitement. Ce n'est quelque chose qui est complètement formalisé. Juste pour la petite histoire, on a vendu cinq mille exemplaires du livre, ce qui n'est pas si mal quand on sait qu'il y a dix mille lycéens qui ont commencé l'informatique cette année ; et si vous multipliez cinq mille par vingt, vous verrez qu' il y a déjà cent mille euros qui ont été dépensés pour acheter ce livre, donc même si on pense qu'il n'y a que la moitié de ces cent mille qui ont été subventionnés par les régions, elles ont déjà payé deux fois et demi ce qu'on leur demandait !

C'est un échec qui a plusieurs explications. La première c'est qu'on a un peu pris l'Association des Régions de France par surprise, on les a contactés au printemps pour leur demander un chèque tout de suite. Et donc ils étaient un peu comme des lapins dans la lumière des phares, tout d'un coup on leur posait une question à laquelle ils n'avaient jamais réfléchi et ils ne pouvaient pas donner de réponse tout de suite. Mais j'espère que sur le long terme ce type d'idée va finir par un peu davantage maturer dans ce type de structure. Il y avait aussi le fait que 2012 était une année d'élection et qu’apparemment c'est très difficile de prendre une décision en France une année d'élection. Bon ça c'est un détail historique. Il y a quand même un point qu'ils ont soulevé qui je pense mérite d’être discuté, je ne vais pas le discuter tout de suite parce qu'il faut que je ne monopolise pas la parole, mais un point avec lequel, c'est une vielle discussion interactive qui pourrait être intéressante. L'Association des Régions de France nous a dit qu'est-ce qui se passe si demain il y a dix personnes comme vous qui viennent me demander vingt mille euros ? Cent personnes comme vous qui viennent me demander vingt mille euros ? Mille personnes comme vous qui viennent me demander vingt mille euros ? Est-ce qu'on doit leur dire oui à toutes ? Et-ce qu'on doit choisir ? Comment est-ce qu'on fait ? On leur a donné quelques éléments de réponse, mais c'est une vraie question. On ne peut pas faire juste comme si cette question n'existait pas.

Jean-Pierre Archambault: Merci Gilles. Avant de passer la parole une autre vraie question, c'est qu'on a mis ce livre sous licence Creative Commons avec la clause NC et que, on en parlait tout à l'heure, ça a donné lieu à une longue discussion passionnée avec Richard Stallman qui nous a dit " Non pas possible d'avoir choisi la clause NC." Ça aussi c'est une vraie question.

16' 15

François Élie : Bonsoir. Oui alors je viendrai effectivement à ce vrai problème tout à l'heure.