De l’État de droit à l’État de surveillance - Asma Mhalla

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Titre : De l’État de droit à l’État de surveillance

Intervenante : Asma Mhalla

Lieu : Ubuntu Party - Paris

Date : mai 2019

Durée : 51 min 20

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Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription - MO

Description

Nous voyons aujourd’hui une répartition inédite du pouvoir prendre forme, cristallisée autour de la capacité à récolter et exploiter des métadonnées. Un nouveau régime de vérité contemporain se met alors en place...

Transcription

Bienvenue à tous, venus de façon aussi matinale.
Rapidement je me présente. Je suis Asma Mhalla. Je suis maître de conférence à Sciences Po sur les enjeux de l’économie numérique et, par ailleurs, je suis aussi consultante à mon propre compte autour de ces sujets-là et d’autres sujets qui sont connexes.
Pour ce matin, on m’a demandé de vous parler de ce qui m’anime depuis quelque temps, c’est-à-dire qu’est-ce qu’est en train de devenir l’État de droit dans lequel on vit, on croit vivre. Quel est le cadre ? Est-ce qu’il y a une évolution ? Est-ce que c’est une dérive ? Et vous me direz quel est le lien avec l’économie numérique dont je suis spécialiste, c’est que ce que je vois advenir de l’économie numérique ou plutôt la collusion entre les mégas plateformes et l’État en réalité font apparaître une nouvelle gouvernance mondiale. Donc c’est ce qu’on m’a demandé de venir exposer ce matin.

La première partie de mon « exposé » entre guillemets, ne va pas du tout toucher les sujets numériques, mais va plutôt apporter une perspective sur l’État de droit. C’est un concept qui est extrêmement difficile à manier en général, dont on ne sait pas très bien ce qu’il inclut, ce qu’il veut dire très concrètement. Donc c’est juste pour remettre un peu les choses dans leur contexte.
La première chose, qui est plus une clarification conceptuelle et là je reprends ma casquette de prof, c’est qu’en réalité, surveillance et État de droit… La surveillance ce n’est pas un gros mot. C’est-à-dire qu’on a souvent tendance à penser, quand on parle de surveillance, qu’on va rentrer dans des analyses type complotistes ou un peu radicales. La surveillance, en réalité, est absolument consubstantielle et concomitante à la création de l’État de droit, pour une raison très simple, c’est que quand l’État de droit est apparu, c’est-à-dire qu’on a essayé de cadrer l’arbitraire par la loi, il a fallu s’assurer que la loi était respectée. Or comment on fait ? Comment un État centralisé fait pour prouver ou pour s’assurer qu’une loi est assurée, c’est tout simplement par le contrôle.
Donc en réalité l’État de droit ce sont trois éléments, très rapidement :
c’est la loi en tant que telle ;
c’est le contrôle de la loi, la surveillance. Donc initialement la surveillance pourrait même être perçue comme un concept plutôt positif. Quand on relit un peu les travaux de Michel Foucault, il a servi à récolter des données scientifiques, à contrer des épidémies, à améliorer des plans d’urbanisation, donc la surveillance n’est pas forcément quelque chose qui est fondamentalement connoté négativement, en tout cas initialement. Du coup le triptyque de l’État de droit pour moi c’est la loi, le contrôle de la loi, donc la surveillance et ensuite, et c’est là où peut-être on a un petit sujet aujourd’hui, c’est le concept difficile à mesurer, qui est celui de la bienveillance.
L’État de droit initialement c’est ça, c’est-à-dire que quand on reprend un peu le contrat social de Hobbes c’est de dire qu’on va rogner un tout petit peu sur nos libertés en échange d’une forme de sécurité. Mais la finalité c’est bien de vivre tranquillement, de vivre en paix, donc d’éviter l’état permanent, présupposé, de la guerre de tous contre tous.
Donc le triptyque c’est ça.

La question qui se pose aujourd’hui c’est est-ce que un des trois éléments, un des trois angles de triptyque, est aujourd’hui en dérive ? On pourra en discuter tout à l’heure ensemble. Mon hypothèse à moi c’est que sur la loi on est plutôt très bons en France parce qu’on a même une espèce de logorrhée juridique, en réalité, qui fait qu’on a aujourd’hui pour chaque évènement particulier, parfois même anecdote, on va avoir ce réflexe de créer un projet de loi, de pousser un projet de loi, de créer une loi supplémentaire. Il y une étude très intéressante qui est sortie par le Conseil d’État lui-même qui dit qu’en fait en 2016 le corpus législatif français a été augmenté, je crois, de trois millions de mots, quelque chose comme ça. Donc en France il y a un réflexe à légiférer qui est assez évident et qui s’explique aussi par cette forme de centralisation de l’État qui décide un peu de tout du haut de son piédestal en quelque sorte. Donc ça c’est la première chose, la loi.
Je ne pense qu’on soit réellement dans une dérive, on est plus dans un réflexe, un réflexe qui peut aussi se comprendre par l’évolution contextuelle. C’est-à-dire qu’aujourd’hui on est dans une époque historique de transition fondamentale, donc les lois sont amenées ou à changer ou on est amené à en créer d’autres pour s’adapter au cadre, pour s’adapter au nouvel ordre économique, politique, etc.

Le contrôle, sur l’angle contrôle de mon triptyque, on peut avoir un sujet dans le sens où le contrôle qui était fait initialement pour accompagner les populations, aujourd’hui est-ce qu’il est toujours dans cet objectif d’accompagnement ou est-ce que, en réalité, l’État ne l’a pas d’un certaine façon usurpé pour jouer sa propre survie ? Ça c’est une question que je développerai un peu plus tard.
Et ensuite, et c’est là où j’ai peut-être plus de choses à dire, c’est sur le concept de bienveillance.
Sur les deux autres points on peut en discuter et je ne pense pas que ce sont fondamentalement les deux sujets qui posent question. En réalité la question de la bienveillance est fondamentale. C’est-à-dire qu’aujourd’hui le contrôle, la surveillance, qui sont aux mains, qui est aux mains des surveillants, donc l’État d’une part et les métas plateformes d’autre part – les métas plates-formes, pour parler très vite et très brièvement, ce que je vais entendre par métas plateformes ce sont les GAFAM. Alors GAFAM tout le monde sait ce que c’est ? Donc Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. La question de la surveillance est préemptée par ces deux surveillants-là, j’en parlerai. Mais la question de la bienveillance est fondamentale parce qu’il s’agit de se poser la question de savoir si l’État est toujours en train de maintenir un État de droit pour le bien commun, l’intérêt général – ce sont deux concepts dont on parle de plus en plus, y compris d’ailleurs pour les entreprises – est-ce que nous participons collectivement à l’intérêt général ou est-ce qu’en réalité l’État s’est un petit peu éloigné de ce concept pour jouer quelque chose qui est de l’ordre, vraiment, de sa propre survie ?
Ce sont un peu ces problématiques-là que je vais essayer de brosser ce matin.

Juste pour qu’on soit tous alignés en termes de niveau d’information, je ne sais pas si vous avez vu les dernières lois qui sont sorties en France récemment, notamment autour, un tout petit avant et autour des gilets jaunes, notamment deux lois qui ont été votées. La première qui était la loi anti-fake news et la seconde qui est la loi anti-casseurs. Et si on remonte un tout petit peu dans le temps, fin 2017, ce qui a été fait, vous en avez probablement et certainement entendu parler, c’est qu’on a pérennisé dans le Code pénal toutes les mesures d’état d’urgence. Donc si on prend un peu chronologiquement, fin 2017 l’entrée fracassante dans le Code pénal des mesures d’état d’urgence, c’est la loi antiterroriste pour parler brièvement, et ce qui est très intéressant dans l’ensemble de ces lois-là c’est que – et c’est peut-être le principal problème – les termes sont toujours très vagues. Qu’est-ce qu’un terroriste ? Demain, potentiellement, on peut tous être des potentiels terroristes en fonction de la cause, en fonction des moyens, en fonction du discours. Donc c’est très compliqué d’avoir des lois qui sont aussi vagues parce que là ré-intervient le concept de bienveillance, c’est-à-dire qu’en fonction des mains et des têtes qui manipulent le concept, on peut faire dire et faire faire n’importe quoi à n’importe qui.
Donc fin 2017, la loi antiterroriste ; en fin d’année aussi la loi anti-fake news. Pareil, on a toujours un problème de terminologie, c’est-à-dire que ce sont toujours des termes qui sont très vagues donc très difficiles à définir ; donc ils font, par définition, intervenir l’interprétation donc l’arbitraire d’une certaine façon. Dans la loi anti-fake news, c’est quoi une fake news fake news ? Ça va être très difficile. Comment ?

Public : Inaudible.

Asma Mhalla : Et comment est-ce qu’on définit si on ment ou pas ? Sur la base de quoi ? D’ailleurs c’est très difficile parce que aujourd’hui le mot même de fake news a été totalement galvaudé. On voit aujourd’hui, même pendant la campagne des Européennes, tout le monde s’invective : oui, il y a envoyé des fake news. Pas plus tard qu’avant-hier il y avait Marine Le Pen qui était interviewée à la radio et qui disait – elle a eu une petite polémique sur une photo – « oui mais c’est une fake news qui a été lancée ». Non ! C’est-à-dire qu’il y a une espèce de flou artistique qui est en train de se développer entre la vérité et le mensonge et les deux deviennent, en réalité, totalement imbriqués et deviennent les deux faces d’une même pièce. C’est-à-dire qu’en manipulant ces concepts qui sont extrêmement fragiles, en fait, on ne sait plus exactement où est la vérité. Le premier organe de diffusion d’une fake news ce n’est rien d’autre, en réalité, que l’État. C’est-à-dire que la propagande d’État a toujours existé, l’information qui passe par l’État, le premier organe de diffusion c’est bien, en réalité, l’information officielle… [coupure du son]… les deux blocs c’était d’abord des guerres informationnelles. Donc c’est quoi une fake news ? Et ce qui déstabilise énormément les États sur la question des fake news c’est bien de se dire « zut, on n’a plus le monopole de la diffusion de l’information officielle ! » Donc c’est très compliqué cette histoire-là. Donc créer une loi aussi vite, de façon aussi bâclée, de façon aussi vague et aussi floue, c’est un non-sens total et, de toute façon, quand on la regarde dans les détails, elle est absolument inapplicable.
La loi anti-casseurs, pareil sur un autre thème, qui est intervenue au moment des gilets jaunes : il y a eu des débordements, etc., hop ! On va faire une loi anti-casseur ; dès qu’il se passe quelque chose hop ! On fait une loi. La loi anti-casseur va aussi avoir un certain nombre de sujets. Le premier problème qu’elle a posé et qui a lancé un énorme débat, je ne sais pas si vous l’avez suivi, c’est de dire, en fait, on va ficher les gens, on va ficher les manifestants pour mieux, derrière, leur interdire la manifestation, etc.
Donc en gros, je vous donnais ces trois exemples-là qui sont symptomatiques et qui sont arrivés en l’espace d’une année, en fait. On a eu trois lois, je ne dirais pas liberticides, mais qui pourraient être hostiles aux libertés si mal manipulées, si mal interprétées, en l’espace d’une année.
Ça qu’est-ce que ça nous dit ? Ça nous dit qu’on est en train de rentrer dans une forme de sécurité radicale. C’est-à-dire que l’État de droit initial où on avait loi – contrôle – bienveillance est en train de devenir une forme d’État de l’ultra-sécurité. Et la question, si on est tous d’accord sur ça, et après on en parlera, c’est qu’est-ce qui explique la nouvelle rationalité de cette sécurité-là, parce que c’est une nouvelle rationalité, c’est un nouveau régime de vérité qui est en train de s’installer qui dit que la sécurité n’est plus le moyen d’assurer la vie paisible de tous, mais ça devient, en réalité, la fin, l’horizon indépassable, on vit pour la sécurité. Le discours est fondamentalement et obsessionnellement tourné autour de ce discours-là.
Et ce qui est très intéressant à observer c’est que non seulement le discours sécuritaire, donc de la peur, donc de l’insécurité, donc de la méfiance, vient d’en haut, mais en réalité il vient aussi d’en bas, c’est-à-dire de nous citoyens. La première demande aujourd’hui est une demande sécuritaire. Et le fait qu’aucune réaction fondamentale ne soit générée contre l’ensemble de ces lois-là – on a quelques articles, quelques tribunes, des intellectuels, des juristes des avocats qui vont prendre la parole, mais globalement, de façon collective et massive, ça ne génère que très peu d’émotion – c’est le signal qu’il y a une fatigue généralisée de ce qu’est la démocratie et plus généralement, des risques que la liberté implique.

J’avais besoin de vous remettre un peu les choses un peu dans le contexte et je vais continuer ma généalogie de l’État de droit pour arriver progressivement à la collusion avec les métas plateformes.

13’ 40

D’où vient ce discours sécuritaire ? Et pourquoi est-ce qu’à la fois nous, les gens, le demandons, le réclamons, et l’État en sur-abuse de ce discours-là ? Par État, c’est-à-dire l’ensemble du personnel politique, on le voit, a aujourd’hui un discours qui est quasi exclusivement sur la sécurité. La sécurité c’est au sens générique, c’est la peur, la peur d’à peu près tout : la peur du chômage, la peur des migrants, la peur des autres, la peur de la différence. Et quand on regarde à l’échelle internationale, si on ouvre un tout petit peu son horizon, qu’est-ce qu’on voit apparaître ? Des murs. Il y a des murs à peu près… Le dernier mur en question c’est celui de Trump entre le Mexique et les États-Unis, mur qui, d’ailleurs, pour information, préexistait. Ce n’est pas lui qui a créé le mur, il y a déjà, en réalité, un mur qui sépare à la frontière.
Donc on crée des murs, on s’enclave, on se retire et on se regarde avec méfiance globalement et les populations se regardent avec méfiance.

Donc cet urgentissime sécuritaire-là s’explique en réalité, si on reprend maintenant la généalogie mainetenant de l’économie depuis ces 20-30 dernières années, par l’affaiblissement fondamental de l’État providence, de l’État social en fait. C’est-à-dire que le contrat initial de Hobbes c’était de dire liberté contre sécurité. Et l’État providence l’a récupéré en disant « vous allez nous donner un peu de votre liberté, mais en échange nous on va vous garantir un certain nombre de droits », – le droit à l’emploi, le droit au travail est un droit constitutionnel, je ne sais pas si vous êtes au courant, je ne sais pas si vous le savez, mais c’est un droit fondamental, parce que c’est le droit de subsistance, derrière, de façon digne, en fait il y a le concept de dignité – « on va prendre un tout petit de votre liberté mais en échange nous, État providence, État social, on va vous garantir des libertés, on va vous garantir des droits ». Pendant les trente glorieuses ça a été magnifique, on avait la production, la consommation de masse, tout le monde y avait accès ; on avait un taux de chômage extrêmement bas, donc on avait un plein emploi et tout allait très bien. À un moment donné patatras ! tout ça s’est un peu fracassé. Le courant ultralibéral arrivant par là, fin des années 70, on va avoir le mouvement Reagan, Thatcher, qui va arriver en France, avec toujours un peu de retard mais qui arrive assurément, est arrivé assurément, donc l’État providence est totalement fragilisé, n’a plus été en mesure de protéger sa population, n’a plus été en mesure de garantir les droits fondamentaux qu’il disait garantir. En réalité il s’est replié sur une fonction fondamentale, une fonction régalienne qui est donc la fonction de la sécurité. Progressivement, l’ambiance qui s’est installée c’est une ambiance dont j’ai beaucoup parlé, c’est la méfiance.
Donc le contrat social qui était sécurité versus liberté en réalité il a été enrobé de cette méfiance qui fait que non seulement le discours ultra-sécuritaire est parfaitement accepté, non pas toléré mais accepté, mais en plus est réclamé par la population. Parce qu’en réalité nous sommes effrayés de ce qu’on ne comprend pas d’une part et des risques qui pèsent sur nos vies individuelles. Si on creuse un peu les peurs, les peurs de l’autre, pourquoi est-ce qu’on a peur de l’autre ? Pourquoi est-ce qu’on a peur du migrant ? Ce n’est pas fondamentalement à cause de la figure de l’autre, du migrant ou de l’étranger de façon plus générale, mais c’est parce qu’on est dans une économie de survie en réalité. Et cette économie-là de survie fait qu’on protège ce qui est à soi, parfois de façon quasi irrationnelle. Donc c’est ce nouveau concept, c’est ce nouvel état des lieux, cette nouvelle organisation dans laquelle est arrivée l’économie numérique et ce qu’a amené l’économie numérique c’est, en réalité, une nouvelle gouvernance.
Avant l’État de droit, on va dire l’État, pas l’État de droit mais l’État, était absolument en monopole, en monopole sur la question sociale, était aussi en monopole sur la question de la régulation. L’économie était un champ qui était plus ou moins indépendant, c’est-à-dire que l’économie faisait sa vie, les entreprises faisaient leur vie, le marché faisait sa vie, et l’État au-dessus, se positionnait au-dessus et régulait.

Ce qui se passe avec les métas plateformes dont je parlais tout à l’heure c’est qu’en réalité leur puissance, leur nature même, c’est-à-dire globales, mondiales, sans limites, qui ont des fonds pharamineux et qui, surtout, contrairement aujourd’hui à l’État, elles, portent une vision du monde. Elles portent une vision de l’humanité. Elles ont vision très claire de là où elles veulent aller.
Aujourd’hui la recherche fondamentale ne se fait quasiment plus dans les universités, dans les centres de recherche ; aujourd’hui, ceux qui financent énormément la recherche ce sont Facebook, Google, etc., pour une raison très simple, et ce sont d’ailleurs des financements qui sont aujourd’hui à perte. C’est-à-dire que si on veut vraiment travailler sur le retour sur investissement, le ROI de ces investissements-là, ils n’en ont pas. Tous les travaux qu’ils mènent, les expérimentations qu’ils ont, les développements qu’ils ont sur l’intelligence artificielle aujourd’hui ne sont pas les plus rentables. En revanche, ils préparent une vision du monde qui, potentiellement, peut être parfaitement légitime, c’est-à-dire qu’en tant qu’entités privées ils sont légitimes à porter ce qu’ils portent. La question c’est de se dire est-ce que c’est le monde qu’on souhaite ? Est-ce que c’est vers là que nous on veut aller ? Est-ce qu’on partage cette vision du monde ? Est-ce que collectivement, donc via notre État, via l’État, on peut en débattre ? Est-ce que ça peut faire l’objet d’un débat public, en fait ? Et pour qu’il y ait un débat public il faut que les opinions soient éclairées sur le sujet, il faut qu’on puisse en comprendre les enjeux, en comprendre les tenants et les aboutissants. Or, quand on parle de numérique en général ou d’intelligence artificielle plus spécifiquement, ça fait peur parce qu’on a l’impression qu’on va avoir de la science, des mathématiques, du code, que c’est invisible, intangible, incompréhensible. Or non ! En réalité, ce qui se cache derrières l’économie numérique, ce sont fondamentalement des enjeux de démocratie, absolument pas des enjeux de codage. Ce ne sont pas des enjeux d’informaticiens. Ce sont des enjeux de vivre ensemble et de vision du monde.

Pour revenir à mon sujet, les métas plateformes arrivent sur ces entrefaites de discours sécuritaire et d’affaiblissement d’État social et, par cette vision du monde qu’elles ont, disent « nous on va préempter un certain nombre de fonctionnalités, un certain nombre de fonctions qui initialement étaient gratuites et étaient collectives ». Facebook pour le débat public, donc on revient aussi sur cette histoire de fake news, c’est-à-dire qu’aujourd’hui quand on regarde un peu le dernier avatar de ça, les gilets jaunes, ils se sont organisés, ils ont discuté, ils ont débattu sur les réseaux sociaux, d’accord ? Donc l’espace public s’est totalement fragmenté, a été disrupté pour prendre un mot à la mode. Aujourd’hui, pour trouver un boulot, il y a Linkedin, on peut en trouver sur Facebook, Le Bon Coin aussi, aujourd’hui ils ont une espèce de case, donc ça vient potentiellement concurrencer quelque chose qui s’appelle Pôle emploi et évidemment les investissements qu’ils font surtout, et c’est le plus grave, dans la recherche scientifique sur la santé et dans l’éducation est fondamental.
Donc ce qui était initialement à tous, ce qui nous appartenait à tous, le deal c’était « on donne nos impôts pour que derrière on finance les fonctions sociales primaires, l’éducation, la santé, etc. », en réalité aujourd’hui ces champs-là sont investis par les métas plateformes et, en plus, elles le font très bien. Elles le font très bien parce que, ce qui se passe, c’est qu’elles ont les connaissances, elles ont les compétences : aujourd’hui les meilleurs chercheurs vont chez Facebook et chez Google ; ils ne sont plus fondamentalement dans les centres de recherche ; Yann Le Cun, un Français, chef de l’intelligence artificielle chez Facebook, est un éminent chercheur français et, ce qui est absolument incroyable, c’est que ces gens-là, qui ont une très haute qualité scientifique, ont été formés par l’école publique ! Donc ça nous amène à la question de la taxation, de la participation des métas plateformes à l’intérêt général, etc.

22’ 33

Je reviens à mon sujet.