Contributopia - Dégoogliser ne suffit pas ! Pierre-Yves Gosset

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Contributopia : Dégoogliser ne suffit pas !

Intervenant : Pierre-Yves Gosset

Lieu : Rencontres mondiales du logiciel libre 2018 - Strasbourg

Date : juillet 2018

Durée : 1 h 29 min 40

Visualiser la vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Description

Peut-on faire du libre sans vision politique ?
Suite à sa campagne "Dégooglisons Internet" (oct 2014 - oct 2017), l'association a fait le bilan, calmement. Et il n'est pas brillant. En quelques années, les GAFAM/BATX/NATU (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, Netflix, AirBnb, Tesla, Uber) ont "colonisé" le monde, en formatant nos interactions, en normalisant nos relations, en orientant nos consommations, en contrôlant notre pouvoir d'agir. À l’œuvre derrière cette mécanique, une mutation économique et sociale : le capitalisme de surveillance. Avec sa nouvelle feuille de route "Contributopia", Framasoft souhaite mettre en place des outils et accompagner des dynamiques collectives qui permettraient de pouvoir agir, plutôt que de subir. Il ne s'agit plus seulement de savoir « ce que nous refusons » (le logiciel propriétaire, les attaques contre nos libertés fondamentales, etc), mais aussi de définir « quel monde nous souhaitons », et comment le logiciel libre et les communs peuvent nous aider à y le mettre en œuvre.
Nous essaierons donc de poser les faits qui démontrent que l'opensource se porte (très) bien mais que le logiciel libre (= opensource + valeurs + éthique) soit dans une ornière depuis plusieurs années. Pour sortir de l'ornière, mais aussi de l'épuisement, ne devrions nous pas faire un pas de côté et réinterroger les pratiques, les fonctionnements et les visions de nos communautés libristes ? De ne plus voir le logiciel libre comme une fin en soi nous permettant de nous libérer nous (libristes), mais comme un outil inspirant capable de favoriser l'émancipation de toutes et tous, et d'accélerer des transformations sociales positives ?
La question politique a toujours été centrale dans le mouvement du logiciel libre, mais les questions économiques, techniques et juridiques - elles aussi profondément politiques, mais évitant soigneusement notre capacité d'avoir une vision globale - ont parfois posé un voile sur notre faculté à nous projeter ou à passer de la réaction à l'action. Et vous, comment imaginez la place du logiciel libre dans la société dans 3, 5 ou 10 ans ?

Transcription

Dégoogliser ne suffit pas. Peut-on faire du Libre sans vision politique ? Déjà je spoile la réponse est non ; je vais réexpliquer pourquoi. Encore une fois je redis parce que là, du coup, la conférence sera coupée, enfin la vidéo sera probablement coupée en deux, donc pour ceux qui n’ont pas pu ou qui n’auront pas visionné la vidéo d’avant. Tu veux peut-être une pause pour le côté ? Non c’est bon ! Ça continue à tourner.

Je vais quand même me représenter, ça va faire un peu bizarre mais c’est volontaire.

Je m’appelle Pierre-Yves Gosset, je suis délégué général d’une association qui s’appelle Framasoft qui, depuis une dizaine d’années, fait la promotion du Libre, culture libre, logiciels libres, maintenant on déborde sur les communs, on déborde sur le capitalisme de surveillance aussi.
L’objectif de cette deuxième conférence qui suit le bilan de ces trois années de campagne de Dégooglisons Internet, je l’ai donc appelée « Peut-on faire du Libre sans vision politique ? », sachant que chaque année aux RMLL et là, rien que cette année, je crois qu’il y a au moins trois conférences qui tournent autour de ce sujet-là. Ce n’est pas un sujet nouveau, ce n’est pas un sujet qu’amène Framasoft, c’est un sujet sur lequel Framasoft veut un, se positionner et deux, utiliser finalement notre capacité médiatique et notre légitimité dans ce milieu du logiciel libre pour porter, nous aussi, ce message-là. Ce que je vais dire n’aura peut-être rien de nouveau pour certains et certaines d’entre vous, mais il faut bien, à un moment donné aussi, que ça soit redit par d’autres personnes.

Soyez indulgent·e·s

Je vais vous demander d’être indulgents et indulgentes, la conférence c’est la première fois que je la fais, je l’ai finie hier soir, celle du bilan je l’ai finie tout à l’heure, mais celle-là je l’ai finie hier soir.
55 diapositives qui sont un peu chargées, très inspirées, finalement, d’autres visions, d’autres personnes, des rencontres, voilà. Aussi de mon expérience plus que de celle de Framasoft sur des sujets qui vont être parfois clivants, parfois trollesques, mais bon, après tout !
J’utilise l’écriture inclusive et je vous emmerde !
Et c’est plus moi qui parle que Framasoft dans cette conférence-là, même s’il y a beaucoup de points communs et je vais m’inclure dans l’autocritique que je vais faire.

Assertions

Très rapidement, donc là deux affirmations que je ne prétends pas universelles.
Quand je vais parler du Libre, ma définition à moi du Libre, celle que j’utilise aujourd’hui ce n’est pas celle que j’utilisais hier qui était plutôt celle des quatre libertés ; ce n’est peut-être pas celle que j’utiliserai demain, peu importe, mais en tout cas aujourd’hui, quand je vais vous dire libre, je vais penser open source plus valeurs, notamment valeurs éthiques et valeurs sociales. Ce qui veut dire que l’open source, quelque part, si on retourne l’équation, c’est bien du Libre moins des valeurs éthiques et sociales.
Et quand je vais parler de politique c’est l’ « ensemble des discours, actions et réflexions ayant pour objet l’organisation du pouvoir au sein d’une société. »
Vous pouvez ne pas être d’accord avec ça, ce n’est pas grave, personnellement ça m’en touche une sans bouger l’autre, c’est juste le point de départ de tout ça.

Nous avons cru nos propres mensonges

Première chose – oui, j’avais dit que je ferai du clickbait aussi – nous avons cru nos propres mensonges, donc je vais redire là encore des choses qui ont souvent été dites, mais je vais essayer d’en ré-synthétiser quelques-unes.

  • Premier c’est que « Le libre a gagné ! »
    Pour moi c’est faux. Jusqu’à il y a peu, on va dire cinq-dix ans, on avait d’un côté le logiciel privateur dont les valeurs sont l’enclosure, le marché, les formats fermés, la propriété intellectuelle et tout, le tout basé sur un code propriétaire c’est-à-dire pour lequel on n’a pas accès à la recette de cuisine du code et, en face, vous aviez le logiciel libre avec ses valeurs, son éthique et surtout, enfin surtout, aussi des qualités techniques de transparence, de pérennité du code, de partage éventuellement du code, alors pas toujours dans l’open source, mais voilà ! Don des qualités techniques et des qualités éthiques, des valeurs éthiques et sociales. Depuis quelques années, mon analyse à moi que j’ai c’est que le capitalisme de surveillance est venu un petit peu transformer tout ça. Typiquement quand on voit la Linux Foundation qui travaille essentiellement avec des grosses boîtes c’est très bien, mais ils font plutôt de l’open source. Quand on voit, je ne sais pas, Microsoft qui rachète GitHub, pareil, on voit bien que Microsoft fait de l’open source, Microsoft ne fait pas du logiciel libre, si on part de ma définition.
    Donc on a petit à petit une forme de réduction des valeurs éthiques et sociales du logiciel libre par rapport à cette open source très envahissant. Ça ne veut pas dire que nous, intérieurement, on est moins militants, mais concrètement ça devient difficile de ne pas être assommés par la puissance de l’open source en face, à partir du moment où vous avez dans les plus gros contributeurs à l’open source Google, Apple, Facebook – enfin Apple pas trop – Google, Facebook, Microsoft maintenant, etc. De l’autre côté, du camp d’en face, du coup comme il y a moins de production de code propriétaire quelque part, enfin moins ça ne veut pas dire en quantité mais potentiellement moins visible, ça a laissé, à mon sens, par une espèce de jeu de vases communicants beaucoup plus de place et ils sont beaucoup plus hargneux sur le fait de défendre leurs valeurs. Et c’est un petit peu de ça dont je voulais parler. Est-ce que les libristes se détournent de l’open source ? Je ne sais pas. Quand on vient me dire « non mais c’est bon le logiciel libre a gagné », concrètement ce qu’on m’a dit il y a quelques semaines lors d’une interview radio, la réponse est non, le logiciel libre n’a pas du tout gagné. Ça va être assez compliqué là-dessus.
  • Le libre c’est simple, je vais t’expliquer.
    Faux. [Projection de la page Wikipédia logiciel libre]. Sans déconner si vous allez sur la page Wikipédia – logiciel libre, c’est ça. À un moment donné, on ne peut pas dire aux gens « c’est simple, machin et tout » ; réflexe. Admettons que la personne soit un petit peu ouverte d’esprit elle va se dire je vais regarder sur Wikipédia ; elle tombe sur ce graphique-là, tout en haut. Voilà ! C’est ça qui explique le logiciel libre aujourd’hui. Vous allez me dire les Anglo-saxons sont meilleurs ! [Projection de la page en.wipedia/free_licence]. Raté ! Après on dit ouais, de toutes façons il y a des équivalents. Nous, à Framasoft, on parle toujours d’alternatives et on est conscients que ce ne sont pas des équivalents.
  •  « Le libre c’est pas pareil ! »
    Mais non ! Le libre ce n’est pas pareil ! Voilà la page d’accueil de Discord [1] par exemple, qui est un logiciel qui permet de faire de la discussion, enfin c’est une espèce de chat texte plus voix, utilisé par des millions de personnes sur la planète, qui sert aux gens à s’auto-organiser. Donc c’est un outil important si on veut, nous, réussir à nous auto-organiser, on peut aller regarder comment ça fonctionne, etc.
    Vous allez me dire oui, mais dans le logiciel libre, on a plein de logiciels qui font la même chose que Discord depuis avant Discord et TeamSpeak ou Skype. Typiquement il y a un truc qui s’appelle Mumble. Voilà la page d’accueil de Mumble. Et quand vous voulez télécharger Mumble, parce que c’est là, c’est Download Mumble la page n’est pas en français, vous avez tout de suite le petit schéma ; encore une fois à moi ça ne cause strictement aucun problème, mais il faut que je fasse un choix entre Windows, Windows x64, Ubuntu, iOS, machin, et après on va me dire est-ce que tu veux de la ND64, du i 386, etc. Sérieusement ! J’ai entendu je crois assez bien, quand je vais sur la page de Discord si je viens avec un Mac et on reconnaît que c’est un Mac et automatiquement on me propose ça, la version Mac par défaut et on me propose, il y a petit lien, enfin ce que fait très bien Firefox et ce que fait très bien maintenant LibreOffice mais pendant des années LibreOffice utilisait exactement le même type de page. Maintenant c’est bon, par défaut on détecte ; juste on améliore l’expérience utilisateur pour rassurer l’utilisateur qu’il a tout à fait raison de venir utiliser ce logiciel. Vous avez à gauche, du coup, la présentation de ce à quoi ressemble Discord, donc une espèce de Slack ou de Mattermost ou de RocketChat ou de Framateam, si vous voulez, en termes de visualisation et à droite la bonne vielle interface, alors je crois que c’est du ??? de chez Mumble, efficace, mais putain, qui a 15 ans, du coup c’est compliqué, je veux dire juste en termes de design, d’envoyer des utilisateurs là-dessus. Il y a une vraie problématique de design sur comment est-ce qu’on pense nos logiciels. Est-ce qu’on pense à l’utilisateur ou pas ? J’ai vraiment des doutes !
  • « Le libre, c’est des millions de contributeurs et de contributrices ».
    Faux. Vous vous en doutiez ! C’est surtout des milliers, des millions de consommateurs et de consommatrices. Donc là je fais le lien avec la conférence que je viens de finir sur cette société de consommation sur laquelle nous, du coup à Framasoft, on voit bien qu’on a surtout des clients plus que des utilisateurs et des utilisatrices et c’est un petit peu difficile parce qu’on propose quelque chose et les gens arrivent, enfin je n’ai pas précisé tout à l’heure, mais sur Framasoft le support c’est quasiment 80 mails par jour auxquels il faut répondre ; il faut ! Auxquels on répond parce qu’on a bien envie de répondre et parce qu’on paye quelqu’un pour y répondre, mais c’est quand même compliqué.
    Concrètement là je reprends ici quelques chiffres. Forcément, vous allez me dire il y a les gros paquebots du Libre ; typiquement Firefox c’est 1000 salariés ; LibreOffice c’est là aussi beaucoup de développeurs et de développeuses qui travaillent sur LibreOffice ; c’est chouette, mais si on regarde dans les faits concrètement comment ça se passe, le Libre est totalement indigent. VLC – non Jean-Baptiste n’est pas là je crois cette année, mais je lui ai demandé confirmation à Jean-Baptiste Kempf, le président de VideoLan – c’est une dizaine de personnes qui font plus de 100 commits ; un commit c’est une modification de code source ; j’ai été chercher les chiffres en 2017.
    À chaque fois que je présente cette slide on vient me voir à la fin « oui mais quand même, les commits on peut en faire plein, on peut en faire pas beaucoup, etc. » OK, pas de problème, peu importe ce avec quoi on mesure. Je maintiens que mon argument reste juste et si vous voulez vous-même faire des mesures par utilisateur, sur la taille du commit, par machin, etc., vous pouvez le faire, et moi ça m’intéresse les résultats, mais là je suis allé au plus vite et c’est pour moi assez parlant.
    Inskape c’est 8 personnes qui font plus de 50 commits dans l’année.
    Gimp c’est 6.
    Thunderbird c’est 6. Alors maintenant Thunderbird a réembauché des gens, donc c’est très bien vous allez me dire que sur ces 6 là ils ne vont pas faire seulement plus de 50 commits, ils vont peut-être en faire plus de 5000 par an, mais ça ne résout pas le problème d’un très petit nombre de personnes qui modifient et qui maintiennent le code.
    Diaspora 4.
    Etherpad 0. Etherpad qui est utilisé par des millions de personnes sur la planète n’a pas de dev. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a personne qui développe dessus. Mais ça veut dire qu’il n’y a pas une personne qui est très active dessus et moi ça me pose vraiment un problème parce que, derrière, nous on a fait les malins, on a mis du Framapad, du machin, etc., c’est cool, sauf que c’est pareil on n’a pas nous de développeur pour réellement prendre le temps de développer sur tous ces logiciels.
    Donc ça pose quand même un véritable problème et qui est, pour moi, un des principaux problèmes sur lesquels on va essayer de travailler nous, sur les prochaines années, dans cette campagne Contributopia. En plus l’immense majorité, à part chez VLC où ils sont payés, je ne crois pas que chez Inskape, Gimp, Diaspora c’est sûr et Etherpad je suis sûr aussi, personne n’est payé là-bas. Chez Thunderbird il y a des salariés, chez VLC il y a des salariés mais, pour le reste, la réponse est non. Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? C’est titre d’un ouvrage qu’on a traduit dans la collection Framabook, donc vous pouvez aller le récupérer, le télécharger librement gratuitement, etc., et le lire ; ça a été écrit par Nadia Eghbal qui entre un petit peu dans le détail et dans le fond de cette problématique-là. Ça c’est une image, c’est l’affiche du film Idiocratie , mais c’est un petit peu la représentation que moi j’ai du Libre communautaire que j’ai en 2018. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien, ça ne veut pas dire que les gens sont nécessairement malheureux, mais concrètement ça se dégrade petit à petit et ce n’est pas la fête.
  • Le logiciel libre est un « commun ».
    Ça c’est une évidence pour moi et du coup il va falloir réussir à en prendre soin.
  • Dernier mensonge, « À la fin c’est nous qu’on gagne ! »
    Je l’entends souvent cette phrase. C’est chouette, elle redonne de l’espoir, etc. C’est comme de dire mais à la fin la planète va s’en sortir ! OK ! Si vous voulez !

14’ 05

Réalité

Pour moi on se fait quand même défoncer la gueule tous les matins au petit déj, que ça soit les lois, que ça soit… – on pourra rentrer dans le détail tout à l’heure je pense de toutes ces problématiques-là –, mais ce que je veux dire c’est que tous les matins arrivent des contre-mesures par rapport au monde qu’on essaye de construire et arrivent des contre-discours par rapport au ??? qu’on essaye d’inventer : le monde du premier de cordée ce n’est pas le mien, le monde de la start-up nation ce n’est pas le mien, le monde de Parcoursup ce n’est pas le mien – oui Parcoursup est hébergé sur Framagit, comme je le disais dans la conférence d’avant on fait la différence entre héberger quelque chose et être contre quelque chose ; enlever 5 euros d’APL, forcément pour des étudiantes et des étudiants qui potentiellement pourraient travailler, eh bien c’est con à dire mais s’il faut qu’ils aillent chercher à bouffer, c’est un peu plus compliqué pour eux et on ne peut pas leur en vouloir de ne pas développer.

On sous-estime systématiquement les opposants à notre modèle.
Je ne suis pas si vieux que ça mais enfin ça fait quand même maintenant quelques dizaines d’années, je peux les compter en deux dizaines, que je suis dans le milieu du logiciel libre et que j’utilise des logiciels libres, et on arrive à parler de nous, on arrive à documenter ce qu’on fait, etc. Je trouve qu’on n’a pas fait un très gros travail de documentation sur les histoires, les objectifs, les dynamiques et les moyens mis en place par les GAFAM, notamment moi je suis assez surpris – alors ça commence à percer il y a des travaux notamment de sociologues et d’économistes qui commencent sur le capitalisme de surveillance, mais ce sont des travaux de recherche, donc ils prennent du temps. Ce sont des gens qui sont bien plus pointus que nous mais du coup le temps que leurs travaux soient publiés ! Je prends par exemple, je vous parlais tout à l’heure dans la conférence d’avant de Shoshana Zuboff qui, on va dire, est un petit peu la spécialiste du capitalisme de surveillance, elle va là publier un livre qui va être en anglais, mais le temps qu’il soit traduit, etc., sur le capitalisme de surveillance, eh bien il se passe beaucoup de temps et en attendant on ne voit pas venir concrètement quelles sont les actions que mettent en place les entreprises du capitalisme de surveillance et les structures du capitalisme de surveillance.

Je prends juste un cas, le Embrace, Extrend & Extinguish qui est une doctrine qui a été dite ou affirmée par un juge lors d’un jugement de Microsoft je crois que c’est en 95 ; un juge américain qui disait « la méthode de Microsoft c’est Embrace, Extrend & Extinguish » donc « adopter, étendre et étouffer », c’est typiquement ce qu’ils vont faire avec GitHub par exemple. On peut se dire on s’en fout, GitHub ce n’est pas un site libre, etc., oui très bien ! On voit bien qu’ils sont en train de récupérer l’open source, donc ils adoptent aujourd’hui les technologies de l’open source parce qu’elles sont efficaces ; ils vont les étendre, comment ? On commence à voir des pistes, mais on voit bien qu’ils vont récupérer un certain nombre de choses. Je discutais avec un des responsables de Microsoft il n’y a pas longtemps et il disait « du modèle Freemium, du modèle où on vous rajoute de l’intelligence artificielle, etc. », sauf que ça sera l’intelligence artificielle de Microsoft. Donc les codes open source déposés sur GitHub vont être traités par de l’intelligence made in Microsoft qui, elle, ne sera pas open source. Donc c’est vraiment : ils ont adopté, ils vont étendre et, à la fin, leur objectif est évidemment d’étouffer le mouvement que nous portons.

Troisième point on ne propose toujours pas ou quasiment pas d’imaginaires positifs ; il y en a quelques-uns qui pointent mais qui sont pour l’instant peu visibles et il faut qu’on arrive à les rendre visibles parce que, pour aujourd’hui, dans le discours et dans le récit ! Là aussi je le disais dans la conférence d’avant, moi pendant trois ans j’ai fait une conférence en expliquant quels étaient les problèmes de la triple domination de Google, de la colonialité qu’ils nous imposent, etc. ; c’est quand même assez emmerdant à la fois pour moi parce que je vous ai dit la charge mentale et l’anxiété que ça peut générer, mais nos imaginaires sont contraignants. OK ! Comment est-ce qu’on peut les rendre moins contraignants ? Ils sont, pour l’instant, souvent très élitistes. Quand on parle du Libre, parfois on s’emballe un petit peu en disant « mais ce n’est pas grave, tu fais sudo apt get install, machin, bidule ». Non ! C’est une forme d’élitisme et il va falloir qu’on puisse réussir à sortir de ça.

Enfin et surtout on ne s’auto-organise quasiment pas. Alors dans nos communautés libristes, dans nos communautés libristes ça va plutôt bien. La problématique c’est comment on s’auto-organise avec les autres ; quand je dis les autres c’est à la fois, je vais y venir, sur la question un petit peu de l’archipellisation du logiciel libre, mais aussi les entreprises du Libre aujourd’hui. Je sais qu’il y en a, je les vois, je suis très copain avec plein de gens qui sont patrons, patronnes d’entreprises du Libre, c’est chouette sauf que quand on me contacte, et ça m’est arrivé, je vais donner une anecdote très concrète : quatre agricultrices en sud Bretagne qui me contactent en me disant « on voudrait faire développer une application mobile pour nos traites des vaches, parce qu’on a une exploitation de vaches qui font du lait bio et aujourd’hui les logiciels qui existent ce n’est que du propriétaire, etc. Est-ce que vous pouvez nous aider ? En plus on est financées par je ne sais plus quoi, quel organisme, etc. » Donc elles ont de l’argent, elles ont un besoin, elles ont surtout une valeur qu’elles veulent porter qui est que ce logiciel doit être libre. Donc je leur fais « Ah, c’est super cool, je vais vous mettre en contact avec des entreprises qui font ça parce que nous, Framasoft, ça on ne le fait pas. » J’ai sollicité différents réseaux en disant entrez en contact et j’ai eu des retours, ça datait d’il y a trois-quatre ans, j’ai eu des retours il y a un an ou deux et on m’a dit « mais en fait finalement ça ne s’est pas fait je crois ! » Voilà ! Pourquoi, comment, etc ? On a du mal à auto-organiser cette réponse et du coup je me dis si elles sont allées chez ??? ou machin, c’est quand même un petit peu dommage.

Mutualisation des moyens de production.
Là aussi c’est pour l’anecdote. J’étais aux états généraux du numérique du parti communiste, c’était au mois de mars. J’intervenais aux côtés d’un élu parisien en charge du logement qui critiquait la problématique de Airbnb qui fait monter le prix des loyers et qui, du coup, génère de la gentrification, etc. Et il a fallu que je lui rappelle ce que c’était, à lui élu communiste, la mutualisation des moyens de production, ce qui m’a plutôt fait rire. Concrètement si Paris était capable de travailler avec Lille ou avec Brest, etc., on pourrait développer du logiciel libre. Évidemment le développer en one-shot c’est compliqué ; c’est moins cher d’aller voir la start-up d’à côté mais pour quel coût à long terme ?

Stratégie du choc

Concrètement, j’ai un peu l’impression qu’on est toujours en état de sidération, on passe toujours d’états qui sont épuisants entre « ah oui c’est trop bien » ; là du coup « ah la directive copyright, article 13, c’est bien, on a gagné » et puis paf ! Il y a une autre loi qui arrive derrière, etc. Je ne sais pas exactement comment est-ce qu’on s’en sort.

Winter is Coming

D’autant que l’hiver arrive et que ce n’est pas hyper bien barré.
Je vous rassure on a quand même eu quelques victoires. Je ne sais pas si Snowden est une victoire mais en tout cas je pense que je voue une admiration sans borne aujourd’hui à Edward Snowden d’avoir aidé et participé à rendre publiques ces problématiques. Pareil, ce sont toujours des victoires en demi-teinte. Le RGPD, personnellement je ne le traiterais pas nécessairement comme une victoire, mais, en tout cas, c’est un point intéressant sur lequel on peut construire. Bon !

J’ai quand même l’impression que collectivement on a un peu merdé.

J’en viens à un point un petit peu touchy. Ça fait plus de 15 ans maintenant que je suis membre de différents GULL, groupes d’utilisateurs de Logiciels libres et c’est pour ça que je m’inclus dans l’autocritique ; quand je dis que je suis membre, j’ai été adhérent, j’ai été membre du conseil d’administration de différents GULL dans les différentes villes où j’ai habité, etc., mais on arrive et on a toujours ce modèle, je ne sais pas, de l’install party de « tiens je vais te montrer telle ou telle chose, etc. », mais on part très rapidement dans nos guerres de chapelles, alors guerres de chapelles on va dire « mais tu utilises windaube, machin, etc. » Tout ça a été dit 50 fois aux RMLL mais c’est toujours vrai aujourd’hui ! Qu’est-ce qui nous manque pour changer ?

De la politique, oui. Mais laquelle ?

Si on avait été dans une autre forme d’organisation j’aurais bien posé ces deux questions en débat mouvant parce qu’elles vont me servir par la suite. Quel rapport avec le logiciel libre ? Je vais y venir ? Mais deux phrases :
Le changement climatique est un problème majeur et pas uniquement écologique mais aussi politique et économique ». Je trouve que déjà se positionner sur cette question-là ce n’est quand même pas mal.
S’attaquer sérieusement à ce problème (et à d’autres… guerres, pauvreté, etc.) implique une remise en cause profonde de nos modèles économiques et particulièrement de la notion de croissance.
Ces deux phrases sont assez vieilles, elles ont plus de dix ans aujourd’hui ; c’est un groupe de blogueurs qui s’appelle les Freemen je crois qui avaient positionné ces questions pour dire « est-ce qu’on se retrouve autour de ces questions-là ou pas », et je vais y revenir.

Je vais quand même passer là 4 minutes 30 de philosophie, enfin de philosophie, d’un petit extrait d’une conférence de Bernard Stiegler qui aborde un certain nombre de concepts. Il ne les aborde pas tous ici, en 4 minutes 30 c’était un petit peu compliqué. Je remercie nos amis de DataGueule d’avoir réalisé cette vidéo. DataGueule est une petite boîte de production et de journalistes indépendants qui produisaient des formats courts pour France 2 et qui ont là récemment sorti un film qui s’appelle Démocraties au pluriel, que vous pouvez visionner librement sur Internet et sur PeerTube. Alors demo live, du coup il faut que je balance mon VLC. Hop ! Il faut que je vous mette un petit de son, ça va prendre quelques secondes. Hop ! Est-ce que vous entendez ? Ah ben non, ça ne risque pas de marcher si je ne déplace pas… Hop ! Est-ce qu’il va réussir à me le faire !

Public : Tu passes sous Windows !

Pierre-Yves Gosset : Ouais, c’est ça, exactement ! Ça va être dur de viser le 4 minutes 23, mais je peux le faire parce que VLC est un super logiciel. Hop !

25’ 44

Projection d’un extrait d’une vidéo réalisée par DataGueule

Bernard Stiegler : L’employé le mieux payé du monde s’appelait Alan Greenspan et c’est lui qui l’a dit le 23 octobre 2008 lorsqu’il a dû, auditionné par le Sénat américain, expliquer pourquoi ça ne fonctionnait pas. Eh bien il a expliqué qu’en fait il ne comprenait pas comment ça marchait ; qu’il était là pour servir le système et que plus personne ne comprenait comment ça marchait.
J’ai appelé ça « le prolétaire le mieux payé du monde. » C’était le président de la réserve fédérale des États-Unis, c’est-à-dire patron de la finance mondiale et ce qu’il disait c’est « je n’y comprends rien ». C’est ça la prolétarisation. Vous servez un système, vous ne savez pas comment il fonctionne, vous ne pouvez pas le changer, vous ne pouvez pas le critiquer.

On est arrivé à un niveau d’hyper-prolétarisation, d’extrême rationalisation, d’extrême taylorisation qui aboutit finalement maintenant à un énorme problème : c’est que c’est tellement parcellisé les tâches, tellement formalisé, qu’on n’a plus besoin des employés, on peut les remplacer de plus en plus par des algorithmes ou par des robots.
À partir du moment où les robots remplacent les employés, les employés n’ont plus de salaire donc ils n’ont plus de pouvoir d’achat. Les robots produisent, mais il y a de moins en moins de gens pour acheter ce qu’ils produisent. À partir de là il y a un effondrement macro-économique inéluctable.

La disparition de l’emploi doit être transformée en chance. Ce que nous soutenons c’est qu’il faut faire de la redistribution sur un autre critère que l’emploi et qu’est-ce que nous appelons le travail ?
Pour beaucoup de gens, le travail être l’emploi c’est la même chose ; pas pour nous. Pour nous un travail c’est ce qui ne peut pas être automatisé. Un travailleur qui a un vrai savoir produit de la différentiation, de la diversité, ce qui permet d’augmenter la complexité, la diversification d’un système pour le rendre plus résilient.
Il faut, aujourd’hui, produire d’intelligence collective parce que nous sommes en train de foncer vers de très gros problèmes et nous devons résoudre ces problèmes. À partir de là il faut se dire la perte de l’emploi c’est une chance à condition de la transformer en économie du travail qu’on appelle le travail contributif dans une économie contributive et basé sur un revenu contributif.

Tout ça est rendu possible par la technologie qui s’appelle la technologie numérique et, en effet, la technologie numérique c’est ce que, depuis Socrate, on appelle un pharmacon : c’est à la fois un poison et un remède. Si on n’en a pas de politique, si on ne prescrit pas de nouvelles façons de s’en servir, si on ne donne pas aux gens la possibilité d’avoir une intelligence de ce que c’est que cette technique, pas simplement une intelligence individuelle mais une intelligence collective, alors on permet à des prédateurs comme Uber par exemple, ou d’autres, finalement de capter toute la valeur possible tout en détruisant les sociétés, parce que c’est ce qui se passe.
Ou bien on peut au contraire dire on va s’emparer de cette technologie pour reconstruire une société mais sur des bases toute à fait nouvelles ; mais ça il faut s’en donner les moyens. Je vous donne un exemple sur le problème du remplacement. On pJ’espère ne pas trop avoir cassé l’ambiance et en plus ça va être pire après. Magnifique ! J’ai pris cet extrait, j’aurais pu en prendre plein d’autres, etc., il se trouve qu’on est amenés à travailler ou à participer de façon assez proche sur les travaux de Bernard Stiegler qui organise, notamment en Seine-Saint-Denis, une expérience qui s’appelle Plaine-Commune qu’on suit avec intérêt. Je ne trouve pas du tout ce qui tout ce qu’il là-dedans, on pourrait rediscuter la snart city by Orange, mais ce qui me paraît intéressant c’est de repensr les quelks sont les problèmes et comment est-ce qu’on peut les travailler.

La question de ce qarle beaucoup des Smart Cities aujourd’hui, moi-même je m’y intéresse beaucoup. Il y a deux manières de voir les Smart Cities : la manière ultra-dominante, c’est-à-dire on remplace toutes les décisions par des algorithmes et on automatise absolument tout : les flux d’automobiles, les transports publics, la surveillance du crime, enfin toutes ces choses-là ; ça c’est le modèle dominant qui repose sur les big data. Et puis il y a un autre modèle tout à fait différent ; le premier a m’en avoir parlé s’appelle Jean-François Caron, c’est le maire d’une toute petite commune de 8 000 habitants, Loos-en-Gohelle dans le bassin minier et qui m’a dit : « Moi j’ai travaillé avec Orange pour mettre en place des capteurs – les capteurs c’est la base des Smart Cities –, mais ça ne sert pas du tout à déclencher des algorithmes, automatismes, tout ça, ça sert à convoquer des réunions d’habitants. C’est-à-dire que ça permet de faire que les habitants, à un moment donné, soient tous informés de par, exemple, l’état de la consommation d’un quartier, etc., et ça convoque une réunion et ça fournit des informations aux gens pour qu’ils discutent et qu’ils prennent une décision.
Ça c’est une vraie Smart City, c’est une ville vraiment intelligente où les habitants augmentent leur intelligence collective.

L’économie, au sens premier, c’est prendre soin de sa maison, c’est l’économie domestique dont parlent, par exemple, les Grecs ou Aristote et économiser ça veut d’abord dire « prendre soin », au départ. Aujourd’hui non parce qu’aujourd’hui c’est devenu une économie ultra-spéculative qui veut dire à peu près le contraire. Mais nous nous disons qu’il faut reconstruire une économie qui repose sur des savoirs et les savoirs sont des façons de prendre soin, à travers ce que l’on sait des objets de ce savoir. Donc oui c’est une manière de redévelopper du soin collectivement, à l’échelle de tout un territoire, et de réorganiser la société sur cette base pour redévelopper aussi ce que Émile Durkheim appelait de la « solidarité organique » c’est-à-dire le fait de partager des savoirs, de travailler ensemble et de reconstituer des sociétés très liées, très fortement liées. Aujourd’hui la société est totalement atomisée, ce n’est plus vraiment une société ; c’est ce qu’un économiste qui s’appelle Jacques Généreux appelait une « dissociété » ; la « dissociété » c’est très dangereux.

30’ 24

Pierre-Yves Gosset : Hop ! J’espère ne pas trop avoir cassé l’ambiance et en plus ça va être pire après. Magnifique ! J’ai pris cet extrait, j’aurais pu en prendre plein d’autres, etc., il se trouve qu’on est amenés à travailler ou à participer de façon assez proche sur les travaux de Bernard Stiegler qui organise, notamment en Seine-Saint-Denis, une expérience qui s’appelle Plaine-Commune, qu’on suit avec intérêt. Je ne trouve pas du tout que tout ce qu’il dit là-dedans est juste, on pourrait rediscuter la Smart City by Orange, mais ce qui me paraît intéressant c’est de repenser quels sont les problèmes et comment est-ce qu’on peut les travailler.
La question de ce qu’il appelle le revenu contributif est une idée intéressante qui vient compléter d’autres idées, que ça soit le revenu de base, le revenu universel, etc. Du coup ça permettait de réfléchir à est-ce qu’on est quand même un petit peu dans la merde ? Oui. Et comment est-ce qu’on peut y répondre ? Déjà pas juste en restant entre libristes et en allant s’intéresser aux travaux de gens qui font de la recherche et autres.

Reprendre le pouvoir (pour mieux le détruire ?)

Reprendre le pouvoir pour mieux le détruire, nous sommes clairs, c’est plutôt pour mieux le réorganiser. Si jamais il y a des graphistes dans la salle je pense qu’il y a des choses à faire sur Bookchin et Blockchain. Murray Bookchin est un éco-anarchiste décédé il y a quelques années qui avait beaucoup travaillé et écrit sur cette question de comment est-ce qu’on peut s’auto-organiser, se réorganiser sur des petits groupes et comment ces petits groupes peuvent interagir les uns avec les autres.
Si je le mets face à la blockchain – la blockchain, encore une fois c’est une technique, une technologie pardon, je n’ai pas d’avis particulier –, mais ce qu’on souhaite avec la blockchain c’est décentraliser sauf que nous, en tant que libristes, on travaille beaucoup cette question de la blockchain – ça apparaissait quand même un certain nombre de fois dans le programme des RMLL –, mais est-ce qu’on travaille sur comment est-ce qu’on peut faire travailler ces technologies-là avec d’autres et dans quels buts politiques et c’est pour ça que je trouvais que les mots accolés ne sonnaient pas mal. C’était le point graphisme, parce que là c’est beaucoup moins graphique.

Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux.

« Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux. » C’est un titre que je pompe à Benjamin Bayart qui a écrit un article il y a quelques mois, voire quelques années maintenant, « Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux », et je reprends du coup les propos de Francesco Casabaldi qui a écrit un article qui s’appelle « Vers une fédération des communes libres ». Je vais vous le lire parce que, de toutes façons, si j’attends que vous le lisiez, j’ai peur d’en perdre et d’en endormir quelques-uns au passage

« Alors puisque décidément les vies qu’on nous propose sont trop étroites pour y loger nos rêves, puisque décidément l’organisation politique, économique et sociale de ce(s) pays est pour nous chaque jour un peu plus insupportable, puisque même l’air ambiant sent tellement le fascisme rampant et les gaz lacrymogènes qu’il en est devenu irrespirable, puisque rester ici un jour de plus, c’est finalement continuer à collaborer à l’exploitation et à la destruction de la planète et de l’humanité, puisque les libertés qu’on nous jette sous la table sont trop maigres pour notre dignité, puisque enfin, nous sommes encore vivants et bien, partons. Entendons nous bien. On vit ici, on habite ici, on reste ici.
Mais le temps est venu d’assembler tous ces petits bouts de liberté, d’autonomie que nous avons su construire, conquérir ou préserver, de déclarer l’autonomie de ce patchwork, et de faire simplement, calmement, sécession. »

Ce que je trouvais intéressant là-dedans, alors c’est très lyrique, ça peut en toucher certains et en laisser froides d’autres, à la limite peu importe, c’était le « et bien partons » qui moi m’intéresse et que je vous soumets comme idée.
J’ai repris ici la carte de Game of Thrones ; j’étais sur une thématique Game of Thrones dans ces slides. Il était tard hier !
Du coup, si je repends maintenant ce que je viens de vous présenter, qui n’est pas du tout de moi, on a d’un côté une société de surconsommation, donc des enclosures, de l’individualisme, de la standardisation, etc. et, de l’autre, des modèles de société de contribution qu’on n’a pas explorés. C’est pour ça que j’ai pris la carte de Game of Thrones, honnêtement j’aurais pu prendre n’importe quelle cartographie, ça aurait pu le faire, ce qui m’intéressait c’est que dans Game of Thrones, pour ceux qui ont suivi, il y a quelque chose voilà ! Tout se passe quasiment sur un continent, etc. En fait, on s’aperçoit sur la carte que c’est beaucoup plus grand et on se dit « mais putain, c’est chiant de rester coincés dans cette histoire-là, de se retrouver engoncés sur ce continent-là alors que si ça se trouve il se passe plein d’autres histoires hyper intéressantes ailleurs et que, eh bien on ne les voit pas ou très peu. » Il y a même un troisième continent pour vraiment les fans, dont je ne fais pas spécialement partie, mais les fans de Game of Thrones ont peut-être vu qu’il y a un troisième continent dont il n’est absolument pas question dans la série.

Ce qui m’intéresse c’est, du coup, qu’est-ce qui nous bloque ? C’est quoi les freins qui nous empêchent d’aller vers cette société de contribution ?
Au départ je présentais cette carte sans lire ce texte et il manquait quelque chose ; les gens disaient « ouais, mais on ne va pas quitter la société de consommation demain ! » Effectivement c’est compliqué, ça réclame un effort ; la société de contribution est une société de l’effort ; ça ne va pas être simple, mais quand on dit « partons », ce qui est important c’est le reste de la phrase c’est, en fait, partons mais en restant là ! Donc comment est-ce qu’on peut mettre en relation ces expériences qui ont lieu autour des communs, autour des collectifs, autour de la liberté, autour de la collectivisation, de la coopération ; autour de l’intérêt général et de l’économie générative ; du mouvement associatif ? Etc. Comment est-ce qu’on relie ces actions-là ?

Il me reste une dizaine de minutes pour vous dire comment est-ce que nous on s’y prend.


Comment on fait, concrètement ?

La réponse de Framasoft (et uniquement de Framasoft)

Chacun fera bien comme il le veut.
La première chose c’est qu’on s’est dit que dégoogliser ne suffit pas, tout comme composter ne suffit pas, tout comme donner ne suffit pas, tout comme faire sa part ne suffit pas, tout comme manifester ne suffit pas, tout comme « bénévoler » ne suffit pas et tout comme être végan ne suffit pas.
Tout ça c’est très bien, mais ce ne sera jamais suffisant. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire, tout au contraire, mais ça ne sera jamais suffisant.

Donc on s’est bien aperçus que dégoogliser ne suffisait pas. Les attentes sont complètement énormes par rapport à Dégooglisons Internet, je le traitais dans la conférence d’avant. Les gens veulent toujours plus : « Attaquez-vous à l’Éducation nationale ; vous n’avez qu’à vendre du service premium – elle est pour toi spéciale dédicace David ; Framamail c’est pour quand ? » Etc. Oui. OK !
Mais en fait les moyens sont indigents ; ça je vous l’ai présenté juste avant. On nous dit « embaucher des designers, etc. », oui, mais nous on a choisi de rester une petite asso.

D’autre part s’organiser ça prend du temps. Donc là je reviens au Collectif CHATONS, moi je trouvais que ça avançait très lentement et puis en discutant avec des gens qui travaillent dans des réseaux d’éducation à l’environnement ils me disent « 60 structures en 18 mois, ça va, ce n’est pas mal ! »

Donc autocritique effectivement.
Nous sur Dégooglisons Internet on n’a absolument pas changé le système. C’est ce que je disais tout à l’heure. Je repense aux propos d’une psychiatre qui disait « moi on m’apprend à soigner les gens qui ont un burn-out, en fait le problème ce n’est pas que les gens qui aient un burn-out ; le problème c’est le travail, c’est le système. En tant que psy ça me donnera toujours du boulot parce que j’aurais toujours des gens en burn-out. À partir du moment où les conditions de travail deviennent de plus en plus dures, les gens sont de plus en plus épuisés donc on me les envoie ; moi je les soigne et je les renvoie au front, etc. Et puis il y en a qui craquent, il y en a que je ne peux pas soigner, etc. Mais le problème n’est pas là, le problème c’est le système. »
Sur Dégooglisons Internet pour moi c’est exactement ça. OK, super ! On a dégooglisé, on a 34 services, waouh ! Super ! Pour quoi faire au final ? C’est une vraie question. Ce n’était pas pour faire un truc dramatique, pour quoi faire !

Continuer à écoper ?

Ceux qui sont arrivés à la fin de la conférence ont déjà vu celle-là [la vidéo du chat qui remonte inlassablement son chaton qui glisse sur une pente]. Nous on continue effectivement à écoper, mais du coup cette allégorie, on finit un service, c’est bien on est contents, on a libéré un truc, trop bien, machin et tout, et puis on y retourne ! Mais ça ne marche pas !

Quel monde voulons-nous ?

Là vous avez un texte qui a été écrit par un des membres de Framasoft qui s’appelle Gee, que certains connaissent parce qu’il a fait un certain nombre de conférences aux RMLL – je lui dis « bonjour Gee » –, qui est un des administrateurs de Framasoft et qui a écrit un texte qui s’appelle « Quel est votre rêve ? », que je vous encourage à aller voir donc j’ai mis, ce n’est pas trop compliqué https://grisebouille.net/quel-est-votre-reve/, que je trouvais assez intéressant parce que, là aussi, ça a déjà écrit peut-être 100 fois, mais c’est écrit par un libriste. Du coup on perçoit le message différemment : les personnes qui lisent le blog de Gee ne sont pas nécessairement des éco-anarchistes.

(re)définition en cours…

Une fois qu’on s’est dit « bon eh bien OK, c’est cool, quel est notre rêve ? », on s’est dit il faut qu’on redéfinisse et on s’est posé un temps et encore, c’est complètement toujours en cours, sur un certain nombre de points.

Le premier point c’était nos valeurs. C’est quoi les valeurs de Framasoft ? C’est l’éthique, c’est l’émancipation, inclusivité, non culpabilisation, partage, positivité, pacifisme ; donc ça veut dire qu’on ne va pas aller brûler les banques demain. Le faire, la bienveillance, le soin.

On a interrogé notre raison d’être. Ce qu’on veut faire c’est quoi ? Le but de Framasoft ? Pourquoi est-ce qu’on est là ?
Ce qu’on eut faire, nous, c’est l’émancipation numérique. On veut Software To The People. Comment est-ce qu’on redonne le logiciel aux gens ? Comment est-ce qu’on les rend maîtres de leurs outils ? Comment est-ce qu’on change le monde un octet à la fois ? C’est peut-être sans fin, mais on sait qu’on peut passer par ce chemin-là.

Dans nos objectifs, je l’ai mis en version troll, outiller numériquement la société de contribution, ce qui peut se traduire en start-up nation novlangue ; digitaliser la disruption des acteurs à impact social d’intérêt général. On a refait un choix sur : c’est quoi notre objectif ?

41’ 37

Sur les moyens.