Concevoir de manière responsable, l'exemple de Fairphone - Ethics by Design 2020

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Titre : Monétisation des données : la data aux œufs d’or

Intervenant·e·s : Agnès Crépet - Alix Dodu - Karl Pineau

Lieu : Ethics by design 2020, en ligne

Date : septembre 2020

Durée : 1 h 10 min

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Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Agnès Crépet : Bonjour à toutes et à toutes.
Aujourd’hui on va vous parler de conception durable à travers l’expérience de Fairphone et on va essayer de vous présenter tous les challenges derrière le fait de concevoir un téléphone durable et éthique.

Qui sommes-nous ?
Je m’appelle Agnès. Chez Fairphone, j’ai plutôt un profil technique, je guide la partie software engineering, donc comment faire des téléphones qui durent en luttant, entre autres, contre les monopoles comme Google, etc., et je suis également cofondatrice, en France, d’une société qui s’appelle Ninja Squad, à la base coopérative, qui fait beaucoup d’open source et des livres à prix libre sans DRM [digital rights management, etc. Je suis également impliquée en France dans deux collectifs, une conférence qui s’appelle MIX'IT, qui a lieu à Lyon, et qui met un fort accent sur l’éthique et la tech ; j’ai également un rôle dans Duchess France qui est un collectif qui essaye de promouvoir les femmes techniques dans l‘IT.

Alix Dodu : Bonjour. Je suis Alix Dodu, je suis moitié néerlandaise, j’habite à Amsterdam, et, en ce moment, je suis analyste et chercheuse pour la mairie d’Amsterdam. J’ai fait mon master à Paris et je suis ensuite restée un an à Paris pour travailler pour une association qui s’appelle Lundi Carotte, qui écrit des articles sur comment sont faits les tee-shirts, les pommes, les smartphones et sur leurs impacts sociaux et environnementaux. J’ai ensuite travaillé pendant près d’un an pour Fairphone ; j’ai fait, entre autres, un projet de recherche sur le recyclage de l’or dans le monde et sur l’économie circulaire et je suis très contente d’être là aujourd’hui et de présenter cette présentation avec Agnès.

Agnès Crépet : Aujourd’hui on vous va parler d’industrie électronique. Même si on prend l’exemple des smartphones, tout s’applique à la globalité de l’industrie. On utilise l’électronique tous les jours, que ce soit dans vos smartphones, dans vos ordinateurs portables, également dans des objets du quotidien, votre cafetière, etc.. Cette industrie électronique est également derrière les solutions dites écologiques. Pourquoi dites écologiques ? Je ne dis pas qu’il ne faut pas utiliser de panneaux solaires ou la voiture électrique, mais je dis juste que ce qu’on va vous raconter sur les minerais de conflit, sur le travail des enfants, sur l’extraction des minerais, etc., ça existe forcément derrière les solutions qui sont présentées ici. L’idée c’est d’essayer, à travers l’exemple des smartphones, d’imaginer l’ampleur des impacts à échelle plus globale. L’approche de Fairphone, qui est aussi la nôtre, c’est le fait de penser une écoconception sans oublier l’humain, parce qu’un objet comme ça [Agnès montre son smartphone, NdT], ça ne pousse pas dans les arbres, un objet comme ça c’est fait par des hommes, des femmes et des enfants. L’idée c’est de pouvoir penser à ces personnes-là quand on achète, quand on décide de garder plus longtemps ces produits, etc.
On parle aussi d’écologie décoloniale, ce terme est apparu il y a quelques années, pour essayer de mettre de la lumière justement sur toutes ces personnes-là, impliquées dans la chaîne d’approvisionnement. On peut s’estimer écolo quand on achète une voiture électrique, mais je pense qu’on peut aussi ne pas oublier ou ne pas mettre le voile sur certains pays d’Afrique, certains pays asiatiques où des gens travaillent dans des conditions qui sont assez dures, dont on parlera assez longtemps dans cette keynote. L’objectif c’est d’essayer de promouvoir une écologie décoloniale et de penser une écoconception en prenant compte de l’humain

On va parler beaucoup de smartphones parce que c’est un peu le boulot que je fais, qu’Alix a fait chez Fairphone. Quelques chiffres pour introduire le sujet : aujourd’hui on est on est à 1,5 milliard de téléphones produits par an, c’est hallucinant. Le pire c’est que c’est par an et ça fait longtemps que c’est ce chiffre-là, qu’on a passé la barre du un milliard par. En 2013 on a passé ce seuil qui nous interroge beaucoup et on a l’impression que ça va un petit peu en stagnant, mais pas du tout, ça continue à augmenter. Un chiffre de l’ONU est sorti la semaine dernière qui dit qu’à l’heure actuelle, on a 8 milliards d’abonnements mobiles dans le monde, plus que d’êtres humains parce que, aujourd’hui, la population mondiale est estimée à 7,7/7,8, donc c’est quand même hallucinant.
On achète beaucoup ces téléphones et on les garde peu. On utilise un smartphone un peu plus de deux ans et demi, donc ce n’est quand même pas beaucoup, parce qu’on casse, mais aussi parce qu’on veut suivre la mode, les téléphones qui se plient, etc., des choses qui ne sont pas forcément très utiles. Du coup, l’autre tendance qu’il y a derrière, c’est que la plupart des téléphones qu’on jette ne sont pas recyclés, moins de 20 % sont recyclés – c’est la spécialité de Alix qui en parlera tout à l’heure – et ça produit aujourd’hui, une estimation de 50 millions de déchets électroniques par an. C’est aujourd’hui le flux de déchets qui grandit le plus vite dans le monde, donc il y a forcément quelque chose à faire, et on dit généralement que ça représente 4500 tours Eiffel de déchets électroniques par an.

Alix Dodu : Agnès l’a très bien dit, l’industrie du smartphone est une très grosse industrie, et, bien sûr un téléphone c’est aussi très important dans nos vies de tous les jours. Dans beaucoup de pays en voie de développement, pour beaucoup de gens, c’est le seul moyen de faire les finances, de faire tourner le business et aussi, bien sûr, de garder contact avec ses amis, sa famille éloignée. Mais l’industrie du smartphone a aussi de gros impacts écologiques et des impacts sociaux. Pourquoi ? Parce qu’un téléphone c’est un peu magique. Personnellement, je trouve que c’est assez impressionnant que ça fonctionne aussi bien vu la complexité de l’électronique qu’il y a derrière. C’est environ 200 composants et ces 200 composants sont fabriqués à partir d’environ 40 matériaux différents. Il y a du plastique, il y a du cobalt, du lithium pour la batterie. Ça c’est intéressant parce qu’il y en a dans la batterie des smartphones, mais il y en a énormément aussi, bien sûr, dans les batteries des voitures électriques. Il y a aussi de l’or, du cuivre pour les composants électriques et il y a aussi plein d’autres choses dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler, de l’yttrium, du germanium, du gallium, du serbium(???), du plomb, du silicium. La plupart de ces matériaux sont minés, le plastique aussi en fait c’est miné, mais c’est une autre histoire, c’est le pétrole. Ils sont minés parce qu’ils sont présents dans la terre et on peut se poser la question de combien de matière il faut pour fabriquer un seul téléphone. France Nature Environnement a estimé qu’il faut environ 70 kg de matière pour fabriquer, utiliser et éliminer un seul téléphone. Pourquoi on a besoin d’autant de matière ? C’est parce que, quand on se trimballe dans une mine d’or ou de cobalt, on ne va trouver pas des gros blocs comme qui se promènent sous la terre. Les matériaux sont intégrés à la roche, à la terre, et il va falloir déplacer de grandes quantités de matière pour récupérer des quantités relativement petites. Donc là on voit le premier gros impact écologique de l’industrie minière c’est qu’il faut détruire les écosystèmes sur des hectares.
Le deuxième gros impact écologique de l’industrie minière, c’est qu’ensuite, quand on va récupérer les minéraux, quand on va dissoudre la roche ou faire dissoudre les minéraux pour ensuite les récupérer – par exemple l’or se dissout dans le mercure, donc on utilise du mercure ou bien on utilise de l’arsenic pour détruire la roche et garder l’or. On utilise donc des produits toxiques – de l’acide pour le serbium c’est de l’acide sulfurique et du nitrique, ce genre de chose. Là, par exemple, on voit un lac d’acide au fond de la cuve, ce n’est pas un lac naturel, on voit un camion d’acide et ces substances toxiques peuvent se retrouver dans la nature.
Ce qu’on voit en haut c’est une mine industrielle, c’est Lode-Star Mining, LSM. Ces produits toxiques sont aussi utilisés dans ce qu’on appelle les mines artisanales. Les mines artisanales ce sont un peu des auto-entrepreneurs si vous voulez, ce sont souvent des gens avec très peu de moyens, qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance, et qui vont, avec leur propre matériel de bord plus ou moins performant, creuser des tunnels, aller chercher l’or dans les rivières avec du mercure. Et là, bien sûr, c’est complètement non régulé et ça se retrouve automatiquement dans la nature. Les deux sont très polluants.
Les mines artisanales, c’est aussi là, bien sûr ,qu’il y a les gros impacts sociaux de l’industrie minière. Déjà ce sont des conditions de travail très difficiles. C’est du travail dur, de longues journées, il fait chaud, on se faufile à quatre pattes dans des tunnels très étroits, il peut y des accidents et on respire des poussières toxiques qui peuvent diminuer la durée de vie. Tout ça se passe dans certaines régions du monde, sur des arrières-fonds de confits armés. Par exemple, en République démocratique du Congo, il y a plusieurs milices qui se partagent le territoire, en fait qui se disputent le territoire, qui prennent possession des mines par la force parce qu’elles sont armées, qui vont imposer des taxes aux mineurs qui n’ont pas vraiment le choix et ces taxes sont ensuite utilisées pour acheter plus d’armes et perpétuent un conflit qui aurait pu, peut-être, s’éteindre.
On parle de conflits armés, mais dans d’autres régions du monde on parle aussi de corruption. Par exemple en Colombie il y a beaucoup d’or dans les rivières, dans la terre, et là ce ne sont pas des milices mais ce sont des guérillas, des mafias, qui vont imposer des taxes. Le gouvernement, colombien par exemple, va combattre ça en considérant les mineurs eux-mêmes, qui souvent font ça depuis toute leur vie, comme illégaux, leur matériel est détruit – là on voit la police qui détruit leur matériel – et ces mineurs se retrouvent coincés entre le gouvernement et ces milices. Ce qui est intéressant aussi de mentionner, c’est qu’en Colombie, par exemple en 2016, il y avait 8 tonnes d’or produit par des mines industrielles et la Colombie a officiellement exporté cette année-là 64 tonnes d’or. Donc tout cet or qui, en fait, est illégal, qui pollue la rivière et les forêts vierges, qui finance les milices, trouve son chemin via des intermédiaires, des faux-papiers dans le système légal.
Agnès va parler du dernier impact, social, des mines.

Agnès Crépet : Forcément le travail des enfants, je pense qu’il y a eu pas mal de communication dans les médias sur le sujet.
Si je prends juste l’exemple du cobalt, 50 % de la production mondiale de cobalt est faite en RDC, donc au Congo, et on estime à peu près à 20 % le nombre de mines artisanales, ce dont tu parlais tout à l’heure Alix, qui sont les premiers vecteurs de cette extraction du cobalt. Dans ces mines-là, artisanales, on retrouve à peu près 40 000 enfants sur les 250 000 mineurs, ce qui est énorme. Globalement, le travail des enfants aujourd’hui dans le monde sur l’extraction des minerais, donc les enfants mineurs, mineurs au sens je vais dans les mines, est à peu près de un million, donc c’est relativement énorme. C‘est principalement en Afrique, mais pas que. Il y a aussi le même genre d’exactions ailleurs et les conditions sont exactement les mêmes que celles que tu as décrites, Alix, en pire, parce que souvent les décès ne sont pas référencés, les salaires sont moindres – on parle souvent de un ou deux euros par jour – et les conditions générales n’ont rien à envier aux jeunes ouvriers du 19e siècle.
Là on a beaucoup parlé de l’extraction des minerais. Vous imaginez bien qu’une fois que vous avez fait votre extraction, vous allez raffiner le minerai, au bout d’un moment il va finir dans un composant électronique et ces composants il faut les assembler et il faut en faire, pour l’exemple du téléphone, un produit fini.
La production mondiale de l’assemblage, du produit final, a principalement lieu en Chine. C’est un petit peu en train de changer, mais on va dire que c’est principalement fait en Chine, évidemment parce que la main-d’œuvre est un peu moins chère – ça devient un peu moins vrai mais c’est encore le cas – et parce qu’il y a des minerais. On s’est beaucoup focalisé sur l’Amérique du Sud et l’Afrique dans le début de la présentation, mais il faut se dire qu’il y a beaucoup de minerais en Chine.
Des usines qui sont derrière la production il y en a une qui est très connue, dont on parle un petit peu depuis une dizaine d’années, qui s’appelle Foxconn. Ces usines-là ont des conditions de travail qui ne sont pas les mêmes mais tout aussi difficiles : les ouvriers vont passer parfois plus de dix heures par jour à bosser sur l’assemblage des composants. Le profil de ces personnes-là : ce sont des personnes dont les parents habitent à la campagne, qui sont venues dans certaines grosses villes pour pouvoir avoir des salaires plus élevés. Souvent ce sont des gens qui sont loin de chez eux, loin de leur famille. Pourquoi je le mentionne ? Parce que quand on vous parlera de Fairphone et de ce qu’on fait avec eux et tout ça, on ne se limite pas aux conditions de travail en atelier, on essaye aussi de prendre le cadre de vie. C’est un truc qui nous a un peu surpris. Oui, on parle de dortoirs, on parle de cantines, parce que ça fait partie du cadre de vie c’est important pour eux et elles.
Aujourd’hui Foxconn c’est 1,3 million d’employés. Il y a des villes Foxconn. C’est assez impressionnant et du coup, évidemment qu’on en entend parler des conditions de travail parce qu’il y a de masse de personnes qui bossent là-bas et on en entend parler pas forcément dans le bon sens du terme. Début 2010, 2011, il y a eu des campagnes de suicides à la chaîne. Des gens qui, littéralement, se sont jetés des toits de l’usine pour dénoncer les campagnes de suicides. C’est quand même arrivé dans les milieux occidentaux, mais il a quand même fallu ça. Il faut dire qu’on ne sait pas si les conditions se sont vraiment améliorées, il y a un peu moins de suicides, mais il y en a encore, dont on parle moins d’ailleurs.
La deuxième chose c’est l’emploi d’enfants de moins de 16 ans. Aujourd’hui, à l’heure actuelle en Chine, les enfants de plus de 16 ans ont le droit de travailler mais c’est interdit pour les moins de 16 ans. Évidemment Focxconn emploie des soi-disant stagiaires qu’on paye moins, qui ont 14 ans. Ils ont fait ça, ça a été dénoncé, pour être à l’heure pour lancer un des derniers iPhones, juste pour info.
Voilà pour la partie production et quand on passe la production on a la fin de vie, le recyclage, etc.

14’ 27

Alix Dodu : Je vais vous parler de recyclage