Différences entre les versions de « Comment nos villes peuvent-elles contribuer à un monde plus libre - JDLL 2023 »

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche
(Contenu remplacé par « Catégorie:Transcriptions Publié [https://www.librealire.org/comment-nos-villes-peuvent-elles-contribuer-a-un-monde-plus-libre ici] - Janvier 2024 »)
Balise : Contenu remplacé
 
(22 versions intermédiaires par 3 utilisateurs non affichées)
Ligne 1 : Ligne 1 :
 
[[Catégorie:Transcriptions]]
 
[[Catégorie:Transcriptions]]
  
'''Titre :''' Comment nos villes peuvent-elles contribuer à un monde plus libre ? - COIS Antonin - JdLL2023
+
Publié [https://www.librealire.org/comment-nos-villes-peuvent-elles-contribuer-a-un-monde-plus-libre ici] - Janvier 2024
 
 
'''Intervenants :''' Loïc Dayot - Nicolas vivant - Louis Derrac - Antonin Cois
 
 
 
'''Lieu :''' Lyon - JDLL 2023
 
 
 
'''Date :''' 3 avril 2023
 
 
 
'''Durée :''' 3 avril 2023
 
 
 
'''[https://www.videos-libr.es/w/td3SqWpCPaqZfLckqqjjtt Vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration : ''' À prévoir
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
==Description==
 
 
 
Explorons ensemble les enjeux et leviers de politiques publiques en faveur d'un autre numérique.<br/>
 
Fait social total au sens où il impacte nos vies dans toutes ses dimensions, le numérique n'a paradoxalement pénétré que marginalement le débat public comme objet politique. Au contraire, il reste bien souvent cantonné à n'être identifié que dans ses enjeux techniques et technologiques, sur un mode tour à tour enthousiasmant ou inquiétant.
 
Et si l'action de nos communes favorisait l'émergence d'un monde plus libre ?<br/>
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Merci d'être là pour cette petite table ronde, un petit peu décalée, on en a bien conscience, par rapport au programme des JDLL. C'est aussi parce que c'est ma première participation et que j'avais envie d'y proposer tout de suite quelque chose.<br/>
 
Bonjour. Je m'appelle Antonin Cois, je suis adjoint au maire de Villejuif, en région parisienne, dans le 94, et je coordonne un groupe de travail au sein d'une association qui est l’Association des maires ville et banlieue de France, groupe de travail autour des enjeux numériques et accès aux droits.<br/>
 
J'ai réfléchi à cette table ronde en me disant qu’il me semblait assez paradoxal que, d'une part, le numérique soit un fait social total – je vous la fais pas parce que vous la connaissez par cœur – au sens où il impacte nos vies dans toutes leurs dimensions et qu'en même temps il ait pénétré aussi marginalement le débat public et politique, qu’il intéresse aussi marginalement les sphères du débat ou alors dans des sphères extrêmement spécialisées.<br/>
 
Il y a des tables rondes où on cherche la confrontation. Je dois vous avouer que là ce ne sera pas forcément le cas. On a, autour de la table, des acteurs et pas des actrices, je vais y revenir dans quelques instants quand même parce que j'ai envie de m'en expliquer, qui partagent nos convictions.<br/>
 
La première c'est ce que je viens de vous dire, avec cette interrogation, cet étonnement, une erreur fondamentale qui empêche de penser l'évolution technologique de nos modes de vie, qui sont, en fait, la résultante de choix humains et économiques, donc, à ce titre, pleinement perfectibles, pleinement évitables, pleinement critiquables, c'est-à-dire pleinement politiques.<br/>
 
Deuxième, c'est que les acteurs publics peuvent avoir un rôle moteur pour accompagner le développement d'un autre numérique et pour accompagner la prise de conscience de sa possibilité et sa désirabilité. Les leviers qui sont à disposition des acteurs publics – en l'occurrence on va parler des municipalités, vous l'avez compris – sont nombreux : la commande publique, l'éducation populaire, l'action sociale, l'action culturelle, la mobilisation des acteurs associatifs par exemple.<br/>
 
D'où la question : Et si l'action de nos communes pouvait contribuer à un monde plus libre ?
 
 
 
Pour en parler, autour de la table, on a donc Loïc Dayot qui est DSI de Villejuif, membre du conseil d'administration de l'April. Bonjour Loïc.<br/>
 
On a Nicolas Vivant, à ses côtés, qui est directeur de la stratégie numérique d'une autre ville, Échirolles. Au départ il devait y avoir Aurélien Farge, qui est l'adjoint au numérique et qui est heureux papa récemment, donc merci à Nicolas d'être avec nous aujourd'hui.<br/>
 
Et Louis Derrac, qui est consultant indépendant, cofondateur d'une association qui s'appelle Resnumerica et auteur, enseignant, c'est vrai pour tout ça, mais tu fais plein de choses
 
 
 
<b>Louis Derrac : </b>Blogueur
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Auteur blogueur, c’est un peu un synonyme.<br/>
 
Je disais que j’allais m'en expliquer, quand même, parce qu’il n’y a que des hommes et pas de femmes à cette table ronde. Ça ne veut pas dire que je me dégage de toute responsabilité, mais j'ai invité, au départ, le même nombre de femmes que d'hommes, il se trouve juste que je n'ai eu que des refus d'un côté et que des acceptations de l'autre et ça nous emmène à cette table-ronde particulière, mais sans complètement me dédouaner de toute responsabilité. En tout cas, c’est un sujet dont je ne me fous pas et qui n'est pas lié à une absence de prise en compte.
 
 
 
Ceci étant dit, je voudrais poser une première question introductive à mes invités. La politique municipale, c'est l'échelon le plus en proximité de la population, plus que d'autres échelons de politiques publiques en contact direct avec les gens. Donc, vous qui êtes en lien, ou en lien indirect avec les collectivités, ou au quotidien dans des collectivités territoriales, si vous deviez identifier un élément qui vous semble central, pour lequel la vie quotidienne a été bouleversée pour le meilleur ou pour le pire et sur lequel la politique municipale pourrait réagir, à votre sens lequel serait-il ? Loïc.
 
 
 
<b>Loïc Dayot : </b>Il faut nommer pour savoir qui commence.
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Je regarde les regards pour savoir qui a envie de commencer.
 
 
 
<b>Loïc Dayot : </b>Je vais être extrêmement pragmatique, presque terre-à-terre en fait. Je pense que la première chose qui pourrait être faite par une ville, s’il n’y en avait qu’une à faire, ça serait au minimum de donner l'accès et l'accompagnement, c'est-à-dire qu’il y a un numérique qui est subi : on n'a pas trop le choix pour prendre un rendez-vous médical ou pour faire n'importe quelle démarche administrative. Dans ce cadre-là, la première chose que doivent faire les villes qui sont effectivement à un échelon de proximité fort, c'est justement cet accompagnement pour pouvoir exercer des droits de citoyens, des droits d'administrés, c'est donc la première chose à faire.<br/>
 
En gros, ce qui, avant, pouvait être fait par un écrivain public du temps où les difficultés n'étaient qu’administratives – écrit, langue ce qui est déjà énorme, culturel, etc. – maintenant l'écrivain devient écrivain public numérique. Première chose.
 
 
 
<b>Nicolas Vivant : </b>Finalement ma réponse va être assez proche. I y a effectivement un certain nombre de décisions qui sont prises, d'évolutions qu'on note et qui ne sont pas de notre fait et, en tant que collectivité, qu’on est obligé de suivre.<br/>
 
Notre erreur serait de dire : il y a un problème lié au numérique parce que tout est dématérialisé et que les gens ne savent pas s’en sortir, donc on va travailler sur le numérique. C'est inclure le numérique comme un objet politique dans un cadre beaucoup plus global : si on a des difficultés avec le numérique, il est bien rare que l'on n’ait des difficultés qu'avec le numérique. En général, au départ, il y a soit des difficultés économiques, soit des difficultés sociales, soit des difficultés de genre, soit des difficultés linguistiques. Bref ! Et si on ne gère que la partie numérique, nous collectivités, eh bien on fait une sorte de pansement sur une jambe de bois, on n'est même pas sûr que ce pansement-là fonctionne, simplement parce qu'on n'aura pas pris en compte l'ensemble de la problématique.<br/>
 
Puisqu'on est aux JDLL, je vais rester côté numérique, si on a une responsabilité, c'est de comprendre que le numérique est un objet politique – Facebook, Google et tout, l'ont compris depuis longtemps –, que c'est à nous de nous en emparer comme d'un objet politique et l'intégrer dans une politique cohérente à l'échelle de la ville pour être efficaces y compris sur cet aspect-là et pas seulement sur cet aspect-là.
 
 
 
<b>Louis Derrac : </b>Je suis tout à fait d'accord. Comme on le disait, je pense qu'on sera assez souvent d'accord et plutôt à chercher du complément. Je suis d'accord avec ce que tu disais, Nicolas, sur le fait que, en général, la question n'est pas uniquement numérique, mais il se trouve que c'est notre sujet. Je pense que les villes peuvent et doivent être un lieu d'agora et de débat permanent sur les questions liées, en l'occurrence, au numérique, mais pas que ! Pour le coup, ce sont effectivement les espaces de vie proches des citoyens et des citoyennes, ce que ne sont pas d'autres organes qui sont plus lointains, on peut penser juste au Conseil départemental ou au Conseil régional et encore plus, finalement, à l'État. Donc, pour le coup, la ville peut être ce lieu d'agora, on pourrait imaginer qu'il y ait des organisations permanentes de débats sur telle nouvelle technologie, ChatGPT. Pourquoi pas ? Avoir des villes qui organisent, de manière assez dynamique, un mercredi soir, une fois par mois, un débat pour aborder un sujet technologique qui peut ne pas être que numérique.<br/>
 
Pour répondre à ta première question, Antonin, j’irai sur ce côté-là : agora et débats permanents entre citoyens et pas en se limitant aux compétences de la ville – on y reviendra un petit peu après. La ville n’est pas du tout responsable de tout, elle peut faire des choses. Par contre, est peut être ce lieu d'organisation parce qu'elle a des lieux, elle peut trouver des associations ou des acteurs qui font ce travail d'animation de débats, de vulgarisation quand il faut, etc.
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>On va progressivement faire un petit focus sur les compétences de la ville en allant du général au particulier dans la table ronde.<br/>
 
Je viens d'entendre que vous êtes tous d'accord pour dire qu’il faut que ça soit un objet politique et c'est vrai : quand on préparait la table ronde on se disait que le fait de ne pas le poser comme tel, ce qui est souvent le cas, c'est-à-dire de se contenter de se dire que le sujet numérique est une affaire d'abord technique, ce qui peut être encore la réalité dans un certain nombre de collectivités – une réponse technique à des besoins techniques –, ça renvoie à des impensés et, en réalité, à des imaginaires politiques qui sont, en fait, très forts et qui empêchent complètement de se saisir de l'importance du sujet. On en avait identifié trois quand on avait discuté ensemble :<br/>
 
le premier, c'est l'imaginaire de l'outil numérique neutre. Avec un marteau on peut faire une maison, on peut tuer quelqu'un ; l'informatique ce serait la même chose, donc le sujet ne serait pas tant l'outil en tant que tel que son usage, là on oublie de parler de logiciel libre, forcément ;<br/>
 
deuxième imaginaire, celui de la flèche du progrès : le monde va vers un progrès technologique constant qui est aussi un progrès moral constant, donc ce qui est nouveau est mieux. Là on ne se pose pas la question de la manière dont l'évolution de la société et l'évolution technologique de la société impacte la société elle-même ;<br/>
 
à l'autre bout du spectre il y a des imaginaires extrêmement négatifs, du type imaginaires complotistes et autres qui, s’ils ne sont pas interrogés de la même manière, peuvent conduire à des réponses qui sont complètement en décalage avec le réel.<br/>
 
Donc, dans ce contexte, on s'était dit qu'il fallait effectivement une volonté, un discours politique, d'abord pour une collectivité, pour agir pour un numérique plus désirable.<br/>
 
De votre point de vue d'acteurs, toujours, à votre sens quels sont les objectifs politiques, les choix politiques principaux sur lesquels une municipalité doit pouvoir s'interroger, doit pouvoir se positionner en tant que telle, pour pouvoir faire rentrer, justement, le numérique dans le débat public comme objet du débat public permanent ? Qui veut commencer ? On n'est pas obligé de faire toujours le même ordre, c’est comme vous voulez. Loïc.
 
 
 
<b>Loïc Dayot : </b>Pas tellement comme acteur mais déjà comme citoyen, je pense que faire quelque chose ou, d'ailleurs, choisir de ne rien faire, donc laisser faire, c'est déjà politique. On peut choisir d'y réfléchir et de construire quelque chose, ce n’est pas une réponse mais une volonté politique, ou de ne pas en faire, c'est déjà un choix.<br/>
 
Il n'y a rien de spécifique au numérique par rapport à d'autres questions qui pourraient être l'urbanisme ou le social ou je ne sais quoi. En fait, ça va correspondre à des valeurs, à la mise en œuvre de valeurs sur un sujet qui est le numérique en l'occurrence. Les valeurs, qui vont guider justement les choix politiques, vont dépendre de l'opinion politique ou des tendances politiques des uns et des autres.<br/>
 
Pour illustrer, d'une manière générale, si je reprends, par exemple, la devise de la France <em>Liberté, égalité, fraternité</em>, on sent bien que si on les reprend simplement, dans la liberté on pourrait se poser la question de savoir si le numérique enferme ou s’il émancipe. Ce n’est pas si évident que ça. Si on laisse faire peut-être que !<br/>
 
L'égalité, bien sûr les mesures contre l'exclusion, mais aussi le choix ou l'explication des algorithmes qui vont guider la vie des gens au travers du numérique. Éventuellement le choix de socialiser, socialiser n'est pas forcément nationaliser, mais ça pourrait, ça pourrait aussi faire devenir coopératifs ou associatifs un certain nombre de services qui sont privés mais qui deviennent d'intérêt public, on peut donc se poser la question. À une époque, les chemins de fer étaient publics, c'était d’intérêt public. On peut se poser la question pour le numérique, même s’il ne vient pas du public au départ.<br/>
 
Et puis, pour l'aspect fraternité, je pense à des politiques qui vont encourager la coopération et je pense aussi à l'aspect fraternité entre les générations, donc l'aspect développement durable pour les générations futures.
 
 
 
Pour illustrer pour Villejuif, en fait les élus ont choisi trois orientations politiques d'une manière générale pour la collectivité, pour l'ensemble de la politique pour le mandat, qui sont assez classiques de nos jours, mais quand même, ils le déploient après : l'aspect social, l'aspect citoyenneté et l'aspect développement durable et environnemental. Il y a une feuille de route du numérique qui a été définie, beaucoup par l'élu au numérique, avec quelques élus, je ne dirais pas que c'est partagé par l'ensemble de l'exécutif qui a pourtant voté, bien sûr, pour. Il manquerait que ce soit un peu plus approprié et que ça arrive bien dans l'ensemble de l'administration et des partenaires. La traduction, en fait, se traduit en souveraineté numérique, en interopérabilité, l'aspect interopérabilité est un aspect assez fort.<br/>
 
Donc le côté durable, la citoyenneté numérique et l'inclusion numérique. On verra sur l'exclusion/inclusion ; Louis aura des choses à dire là-dessus, je ne suis pas assez spécialiste.<br/>
 
Pour ce qui nous rassemble sur ce week-end, la traduction de ces éléments-là c'est que, effectivement, il y a une vraie préférence pour le logiciel libre, que ce soit pour l'apporter vers le public ou dans le choix de ce qui va être proposé à l'intérieur de la collectivité.
 
 
 
==15’ 11==
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Pour le coup, ça fait un complément assez clair avec ce qui se passait à Échirolles, je crois.
 
 
 
<b>Nicolas Vivant : </b>Oui, tout à fait, donc je ne vais pas reprendre ce qui a été dit sur la feuille de route numérique, puisque, en gros, on a la même avec les mêmes priorités données à l'inclusion numérique, à la sobriété aussi, c'est-à-dire prendre en compte l'impact environnemental du numérique.<br/>
 
Dire que les logiciels libres c'est effectivement une partie très importante et c'est sur comment on fait ça parce qu'on pourrait tout à fait travailler sur l'inclusion avec des logiciels propriétaires, travailler sur la sobriété avec des logiciels propriétaires, sauf qu'il y a un choix politique : quand on parle de souveraineté numérique, quand on parle de responsabilisation des acteurs publics sur les données des administrés, typiquement ça veut dire de l'auto-hébergement et tout ça, à ce moment-là, les logiciels libres deviennent une arme incroyable, surtout dans un contexte budgétaire des collectivités qui est aujourd'hui ultra-contraint. Donc je rejoins complètement Loïc là-dessus.<br/>
 
Juste apporter un petit élément d'information pour dire que ça c'est la feuille de route politique, ensuite, pour qu'elle soit déclinée au niveau opérationnel de façon efficace, c'est-à-dire, en gros, concrètement, qu’il y ait des projets qui naissent, des choses qui changent et qu'on soit efficaces, typiquement qu’il n’y ait pas un retour en arrière complet lors d'un changement de majorité municipale, ça veut dire qu'il faut pas oublier que l'objectif numéro un c'est que le service aux habitants soit rendu et qu'il soit de qualité, que les agents municipaux puissent travailler et qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions et après, pour le reste, tout un tas de gens vous diront que la partie logiciel libre c'est votre cuisine interne, vous vous débrouillez, ce qu’ils veulent c'est une messagerie qui marche.<br/>
 
Donc ne pas perdre de vue que la priorité numéro un c'est ça et ce n'est pas l'objectif politique. L'objectif politique nous indique comment on va faire les choses.<br/>
 
Et enfin, la dernière chose c'est un projet à l'échelle de la ville, ce n'est pas un projet du service informatique, parce qu'à partir du moment où on fait de l'auto-hébergement, il faut qu'on ait des gens compétents pour pouvoir installer, paramétrer et maintenir les machines. Ça veut dire aussi qu'au niveau des ressources humaines il y a un investissement de la commune pour que ce soient les bons profils qui soient recrutés. Si vous ne prenez que des ingénieurs certifiés Microsoft et que vous voulez faire du Libre, ça risque évidemment d'être un peu compliqué.<br/>
 
Il y a donc toute cette partie structuration, on va dire d'une organisation, qui va permettre la déclinaison opérationnelle de cette volonté politique.<br/>
 
Après la feuille de route politique, je complète vraiment ce que vient de dire Loïc, il y a cette étape, à mon avis indispensable, de structuration de l'administration pour pouvoir concrétiser ça en actes.
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Louis, puisqu'on parle d'auto-hébergement des données, dans la préparation tu faisais un parallèle entre la décentralisation des politiques publiques, c'est-à-dire l'idée qu’au fond, si les municipalités sont là et ont un rôle politique, c'est parce que, à un moment donné, on a décidé de leur en confier un, de pouvoir faire des décisions politiques sur un certain nombre de champs, en disant qu’il y a peut-être quelque chose à jouer dans l'histoire de l'informatique et de la décentralisation.
 
 
 
<b>Louis Derrac : </b>Merci beaucoup Antonin. J'avoue que j'étais en train d’oublier un petit peu la question exacte, donc c'est bien de me la remettre.<br/>
 
Avant de répondre, j'aimerais insister à nouveau sur ce que tu as dit dans le début de ta question qui est effectivement la base – on a deux collectivités qui l'ont, pour le coup, vraiment appliquée – c'est de partir sur le fait qu’on pense le numérique comme un objet politique dès le départ. C'est quelque chose qui est, aujourd'hui, ultra majoritairement un impensé. On peut dire la même chose de la grande majorité des associations. C’est pour cela, d'ailleurs, que des initiatives commencer à se monter, je pense par exemple à Emancip’asso qui est co-porté par Framasoft, parce qu’il y a un constat que des associations qui ont des projets politiques, clairs, ne considèrent pas leurs outillages et leur communication numérique comme faisant partie de cet objet politique, ce qui est une dissonance cognitive importante, sauf quand on ne se dit même pas que le numérique est politique, donc il y a un parallèle.<br/>
 
Pour répondre plus précisément à ta question, j'ai noté trois choses.<br/>
 
On a effectivement dans le numérique un ensemble de technologies qui sont intéressantes, parce que, contrairement à des technologies centralisatrices – des auteurs comme Illich ou Gorz parlent souvent de la technologie nucléaire ; je suis pas un expert de la question, s'il y en a, n'hésitez pas à compléter plus tard – en tout cas disent, en gros, que c'est une technologie tellement complexe qu'elle nécessite un État fort, voire un État policier, puisque c'est complexe, c’est dangereux, ce n'est clairement pas quelque chose qu'on pourrait confier à une ville et si l'État tombait, un peu dans une hypothèse d'effondrement total, on aurait un vrai problème avec les centrales parce que, aujourd'hui encore, on ne sait pas tout à fait les démanteler. On a un contre-exemple intéressant avec le numérique, qui est un ensemble de technologies qui ont été pensées pour être fortement décentralisées et, de fait, il existe des réseaux locaux. On pourrait imaginer des réseaux locaux, municipaux, etc., qui pourraient fonctionner si un jour l'Internet mondial tombait pour plein de raisons qui, aujourd'hui, d'un point de vue géopolitique, ne paraissent pas non plus hallucinantes, quand on voit ce qui se passe en Russie qui coupe son Internet, en Chine qui a depuis longtemps protégé l'accès à son Internet, aux États-Unis qui sont parfois, avec nous, dans des situations parfois de conflits commerciaux, etc. Donc, effectivement, la municipalité est à un échelon où elle peut s'interroger : une fois qu'elle a admis que le numérique est ultra politique, elle peut s'interroger sur sa place dans cette décentralisation. Autant elle ne pourrait pas du tout dire «  je veux ma place dans la stratégie nucléaire », elle peut dire « je veux ma place dans la stratégie numérique », elle peut ramener à elle, organiser dans son territoire des hébergements, des centres de données, avec ses valeurs écologiques, humaines, etc., elle peut ramener à elle un tissu de compétences qui sont très nombreuses, on le sait, dans la filière numérique ; il y a aussi d’énormes enjeux dans les filières de recyclage, on peut donc inventer des choses. Sur tous ces éléments, c'est vrai qu'on peut se dire que là, pour le coup, la municipalité est un échelon où elle peut faire des choses.
 
 
 
La deuxième chose que j'ai notée c'est la question de la mutualisation. Ça me ramène à une question qui est surtout environnementale et humaine. On sait maintenant que le numérique a de plus en plus un impact énorme sur la planète, sur le vivant en général. Je ne vais pas rentrer dans les détails de tout ça, mais si ça vous intéresse on pourra en discuter après avec plaisir. Et on sait, pour vous donner un chiffre ultra simpliste, que 70 % à 80 % de cet impact c'est lors de la fabrication. On doit donc se poser la question de la mutualisation et, encore une fois, je pense que les villes sont un échelon hyper intéressant. On pourrait imaginer, par exemple, qu’une ville qui a des espaces comme cet espace-là, des bibliothèques, des écoles, peut organiser la mutualisation de ses équipements, elle peut imaginer le prêt aux usagers de certains équipements que certains des usagers n'ont peut-être pas besoin d'avoir tout le temps. Je pense notamment à des usagers qui ont des usages numériques très limités, souvent liés, d'ailleurs, à des démarches administratives, à qui, aujourd'hui, on impose l'achat d'un équipement numérique, alors qu'on pourrait leur prêter, je caricature, le jour où il faut payer ses impôts, voire, je dirais, ne pas leur demander de payer leurs impôts sur un outil numérique. Mais, comme le disaient mes camarades précédemment, de les accompagner sur cette démarche. Vraiment mutualisation, je pense qu'on peut inventer beaucoup de choses.<br/>
 
J'avais fait un atelier très intéressant que je vous recommande, le LifePhone. On imagine le smartphone viable, ce qui n'est pas une mince affaire parce que le smartphone c'est quand même loin d'être facilement viable, et on se disait qu’une des possibilités serait de faire comme Vélo'v à Lyon ou Vélib' à Paris avec les smartphones. De prendre son smartphone à la demi-journée, à l'heure, quand on sort en ville et qu'on a besoin d'être un, joignable, et deux d'avoir un GPS.<br/>
 
En fait, on peut imaginer plein de choses.
 
 
 
La troisième chose à laquelle je pensais, c'est que la ville peut aussi se positionner, ça revient un peu à ce que je disais plus tôt, sur l'intrication qu'il y a entre humain et numérique. Maintenant on sait bien, les associations s'en rendent compte, plein de gens s’en rendent compte, que les technologies numériques seules ne sont pas du tout suffisantes pour mettre en mouvement des collectifs, pour mettre en mouvement des structures, qu’il y a profondément besoin d’humain, qu’il y a besoin de temps de rencontre, qu’il y a besoin de temps avec de la facilitation. Donc, là encore, les villes peuvent être facilitatrices, elles peuvent mettre à disposition des lieux, en tout cas elles peuvent aider des lieux à se monter. Aujourd'hui, il y a pas mal de <em>fab labs</em> ou de tiers-lieu qui jouent, par exemple, ce genre de rôle. C'est une troisième chose, faire le lien entre le côté numérique et le côté vraiment humain dont on a besoin autour. Je pense que la ville peut avoir un vrai rôle, toujours près de ses citoyens et citoyennes.
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Vas-y, Nicolas, si tu veux compléter.
 
 
 
<b>Nicolas Vivant : </b>Je vais rajouter un petit mot sur la partie mutualisation. Il faut faire très attention à la mutualisation.<br/>
 
La mutualisation peut être un piège, c'est-à-dire qu'on peut se retrouver dans une situation où on mutualise un certain nombre de choses, mais ce n'est pas parce qu'on va mutualiser un certain nombre de fonctions qu'on va pouvoir, automatiquement, se séparer des agents qui les faisaient auparavant. On peut donc se retrouver dans des situations où, par exemple, on double les coûts en réalité.<br/>
 
Ou alors on mutualise, on met une partie de son informatique dans l'organisme de mutualisation quelconque, et puis on n'est pas satisfait, on note une baisse de la qualité de service parce qu'il y a un éloignement des utilisateurs, on peut donc avoir tendance à recommencer à faire des trucs un peu de son côté au nom de cette qualité de service et se retrouver, finalement, à doubler son infrastructure, donc les coûts. Bref !<br/>
 
La mutualisation, c'est quelque chose qui, à mon sens, est effectivement intéressant. Il faut juste ne pas associer systématiquement, et c'est très associé dans l'esprit des gens, mutualisation et centralisation. Si on associe les deux systématiquement, on rentre en dissonance cognitive, on va dire, avec l'objectif de décentralisation dont on parlait tout à l'heure. On se retrouve à centraliser des choses, alors que la décentralisation est vertueuse, que ce soit du point de vue de la résilience, du point de vue de tout un tas de sujets.<br/>
 
Je pense qu'on peut imaginer des systèmes de mutualisation décentralisés qui ont une tout autre efficacité et dans les logiciels libres c'est quelque chose qu'on connaît bien. Pour les gens qui s'intéressent aux réseaux sociaux : ActivityPub permet de fédérer aussi bien Mastodon qu'un serveur BigBlueButton pour la vidéo, qu'un serveur Nextcloud pour le partage de fichiers, permet de mutualiser un certain nombre de chose pour, à la fin, obtenir un réseau gigantesque qui permet à des millions de gens d’échanger sans pour autant qu'on ait une infrastructure centralisée derrière.<br/>
 
Tu parlais d'impensé tout à l'heure. À mon sens, la mutualisation décentralisée, est un impensé de la mutualisation, qui est beaucoup plus vertueuse à la fois au niveau écologique, en termes de sécurité, de résilience et d'impact environnemental.
 
 
 
<b>Antonin Cois : </b>Merci.<br/>
 
Cette première question nous a emmenés assez loin finalement. On a évoqué un certain nombre de sujets sur lesquels on va revenir, par ailleurs, dans la suite de l'échange.<br/>
 
Je propose de faire quelques petits focus sur des éléments qui nous ont semblé, en tout cas dans l'échange préparatoire, un peu centraux quand une collectivité met en place une politique publique autour des enjeux du numérique.<br/>
 
Premier focus sur les enjeux internes à la collectivité, même si vous allez voir que ça dépasse un peu, simplement, les municipalités. En fait, une de leurs réalités fortes c'est qu'elles sont employeuses, mais pas un petit peu, elles le sont massivement. Si je prends les chiffres de l’INSEE, c'est 1 500 000 personnes qui travaillent dans la fonction publique à l'échelle municipale, c'est-à-dire une personne sur 25 en âge de travailler, c'est important. C’est donc un levier de transformation qui n’est pas négligeable si on est capable de changer les pratiques numériques des collectivités, d'autant moins négligeable que les municipalités équipent les écoles, donc impact sur les enseignants et les élèves, elles proposent des services à leurs citoyens, donc impact sur les citoyens qui utilisent ces services, elles travaillent avec des associations auxquelles elles attribuent des subventions, avec lesquelles elles sont engagées dans des logiques partenariales. Bref ! Les effets de bords d'une politique un peu structurée à l'échelon communal de transformation de l'outil informatique et numérique ne sont pas négligeables du tout.<br/>
 
De ce point de vue-là, comment nos collectivités peuvent-elles se saisir de cet enjeu, de cette réalité et avec quel impact ? Loïc, on continue le même tour, ça marche.
 
 
 
==28’ 21==
 
 
 
<b>Loïc Dayot : </b>Pour diversifier, on refait la même chose.<br/>
 

Dernière version du 19 janvier 2024 à 18:56


Publié ici - Janvier 2024