Différences entre les versions de « Comment nos villes peuvent-elles contribuer à un monde plus libre - JDLL 2023 »

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche
Ligne 122 : Ligne 122 :
  
 
<b>Loïc Dayot : </b>Pour diversifier, on refait la même chose.<br/>
 
<b>Loïc Dayot : </b>Pour diversifier, on refait la même chose.<br/>
 +
Pour commencer, concernant les agents de la fonction publique, il y a un accompagnement au changement puisqu’il y a des changements, ils sont voulus, quelquefois subis aussi. Pour accompagner ce changement-là et qu'il se passe relativement bien, il y a un intérêt, à chaque fois, de questionner les personnes qui font sur le sens de ce qu'elles font : pourquoi elles sont là, service public ; ce qu'elles font, pourquoi en deux mots, c'est-à-dire à quoi ça sert, de quelle manière le faire, est-ce que telle ou telle tâche est vraiment utile pour concourir au sens ? Et puis, accompagner la montée en compétences, bien sûr, et permettre aussi de donner une priorité à des choses qui ne sont pas automatisables. Je reviens sur ce que tu disais tout à l'heure : ce n’est pas parce qu'on automatise des choses avec du numérique que, derrière, il va falloir sucrer des emplois, pas du tout ! Ça veut dire que, peut-être, on va réussir à mieux accueillir des gens qui en ont le plus besoin et peut-être se libérer un petit peu de temps pour le faire mieux.<br/>
 +
Tout cela s'accompagne, ce ne sont pas tout à fait les mêmes compétences, mais ça oblige à se requestionner sur le sens. Et cette montée en compétences se fait, de préférence, sur des choses qui ne sont pas liées à une marque, un modèle, un logiciel ou quelque chose comme ça, mais une montée en compétences en matière de numérique un petit peu plus général. Ce qui va permettre aussi que, justement, les prochains changements seront peut-être mieux vécus.
 +
 +
La collectivité peut aussi choisir des choses, donc, en particulier, vers le public, tu le disais tout à l'heure, Antonin : les aspects numérique responsable, dans ce qu’il est éthique, environnemental et social, obligent déjà à se poser la question en tant que collectivité, en tant que n'importe quelle administration, même n'importe quelle organisation : on a un projet, on nous demande d'informatiser telle chose, la première question c'est : faut-il le faire ou ne pas le faire ? Quelles sont les alternatives ? Est-ce qu'il y en a toujours ? Même si on informatise quelque chose, est-ce qu’il y aura encore, toujours, une autre porte pour accéder au même service ou au même traitement, mais, peut-être, sans informatique ?<br/>
 +
L'idée c'est un peu de mesurer l'impact de ce qui va arriver avant que ça n'arrive.<br/>
 +
Et puis il y a aussi l'aspect association des utilisateurs en interne, voire en externe, des citoyens, des administrés par de la concertation, de la participation, des groupes de test, des choses comme ça. C'est aussi important à la fois pour accompagner, pour ne pas faire de bêtises et on a un retour avant même que ce soit mis en place, donc c'est assez intéressant.<br/>
 +
C’est ce qu'on a essayé de faire à Villejuif, par exemple pour le numérique éducatif, ça a pris une bonne année élaborer, on a essayé d'élaborer le schéma directeur du numérique éducatif avec des enseignants, avec des associations de parents d'élèves, plus les administratifs, plus des experts externes et des visites dans d'autres villes pour faire ce genre de choses. On est en train d'essayer de le faire pour l’ENT, autour du numérique éducatif, et on l'a fait précédemment pour un portail familles, par exemple.
 +
 +
Je pense que tout ce qu’une collectivité fait est, en fait, une vitrine et porte des valeurs. Donc tout ce qui va être vers le public : un site internet, un poste public qui va être sous tel système ou tel autre – tel, surtout celui-là – c'est aussi important, c'est un message à chaque fois. Ça va surtout faire en sorte que les gens qui sont éloignés connaissent un système, par exemple un GNU/Linux quelconque, n'est-ce pas, se débrouillent en informatique et n’utilisent pas forcément une fenêtre quelconque.<br/>
 +
Je m'arrête là.
 +
 +
<b>Antonin Cois : </b>Ça veut dire qu'il y a un enjeu technique, mais aussi, du coup, un enjeu d'éducation populaire. C'est ce que j'entends en filigrane de ce que tu dis.
 +
 +
<b>Nicolas Vivant : </b>Oui, un enjeu d'éducation populaire qui passe par la médiation, on a des conseillers numériques, des médiateurs numériques qui interviennent et qui tiennent aussi un discours autour du numérique aux habitants. C'est effectivement une façon d'influencer sur la façon dont les gens peuvent percevoir le numérique, les différents outils, tout ça.<br/>
 +
Une autre façon d'influencer, c'est de prendre bien garde à ce que l'informatique municipale reste invisible, notre boulot c'est quand même ça : un réseau qui fonctionne est un réseau dont on ne parle pas, des PC qui fonctionnent sont des PC dont on ne parle pas. On ne va pas faire un article dans le journal ou un communiqué de presse chaque fois qu'on achète 200 PC. Faire un communiqué de presse disant qu’on a mis 200 PC sous GNU/Linux, ce n'est pas très utile. La réalité, c'est qu'il faut avoir les meilleurs services possible, à destination des habitants, à destination des usagers, à destination des agents, et ne pas oublier de communiquer sur le fait que ces trucs qui marchent bien ont été faits avec des logiciels libres. Ça c'est un message qui est entendable par les associations autour, par les autres collectivités.<br/>
 +
Exemple typique : depuis le Covid, énormément de collectivités se sont mises à <em>streamer</em> leur conseil municipal en direct, personne n'y était vraiment préparé, c'est la crise sanitaire qui a imposé ça un peu à tout le monde, donc il y a des solutions qui sont sorties tous azimuts, des plus fermées aux plus ouvertes À Échirolles, nous nous sommes d'abord attachés à avoir le plus beau conseil municipal <em>streamé</em> de l'agglo, avec, chaque fois, un gros plan sur l’élu qui prend la parole, son nom apparaît, la délibération, un bel habillage fait par la com’, un son nickel, des mouvements de caméra invisibles. Et puis, une fois qu'on avait le plus beau conseil, on a dit « maintenant on va vous expliquer : le PC est un PC sous GNU/Linux, le logiciel c'est OBS [Open Broadcaster Software], un logiciel libre, et notre solution est 100 % libre. » Mais ça, c'est après ! À mon sens, c'est parce que c'était après qu'un certain nombre de communes sont venues nous voir en disant « c'est-à-dire que c'est gratuit ? — Pas gratuit parce qu'il a fallu acheter les micros, mais pas très cher. » Et là, tout le monde était très intéressé de venir voir comment on avait fait ça. Imaginez qu'on soit parti sur la même solution libre, aussi vertueuse, aussi revendicable politiquement, et qu'à la fin on ait un conseil pourri avec un son qui grésille, personne ne serait venu nous voir et tout le monde se serait dit « on ne sait pas exactement quelle direction ils ont pris, mais, manifestement, ce n'est pas la bonne ! »<br/>
 +
Il y a donc, aussi, cette façon de prêcher par l'exemple qui est une façon d'influencer sur l'ensemble des acteurs autour de la collectivité, au-delà de l'aspect très important de l'éducation populaire, de tout ce qu'on peut tenir comme discours vis-à-vis des habitants et de nos agents.
 +
 +
<b>Louis Derrac : </b>Sur cette question, je vais juste réagir, vu qu'on est sur des questions un peu internes et que je ne suis pas dans une collectivité. Par rapport à deux choses que vous avez dites, Loïc, par rapport à la question « faut-il informatiser ? » Pour moi, réfléchir à cette question est la preuve d'une maturation qui est impressionnante, donc déjà bravo. Et par rapport à ce qu'on disait plus tôt, je dirais à nouveau que de manière ultra majoritaire, comme la question n'est pas politisée dans les collectivités, notamment les communes, on a pu constater, ces dix dernières années, qu'il y a eu une numérisation accélérée, une accélération sous couvert de la <em>French Tech</em> puis de la <em>Startup Nation</em>, une numérisation avec cette fameuse flèche dont parlait Antonin : numérisons, allons plus vite on ne sait pas où, en tout cas on y va et plus vite et, en plus, avec une certaine forme de numérisation puisqu'elle n'était pas du tout proposée à des associations, elle n'était pas du tout proposée avec du logiciel libre, elle a été proposée aux startups. Si on dissèque l'investissement public au travers de PIA, des Programmes d'investissement d'avenir, si on dissèque toutes les aides données aux <em>French Tech</em> locales, c'est hallucinant. Et c'est une politique publique, avec notre argent !<br/>
 +
J’enfonce encore le clou sur le rôle que peuvent avoir les collectivités qui est d'être un garde-fou. S'il n'y a qu'une seule politique, qu'elle est étatique, et que, en ce moment, elle est pro numérique, pro startups, pas trop pro libre sauf quand il faut de la souveraineté numérique et que là on est content d'en avoir, c'est problématique s'il n'y a pas de garde-fous. Là, l'avantage, c'est que si on se met à avoir de plus en plus de collectivités, quelle que soit leur taille, entre Conseil départemental, régional et municipal, même s'ils sont pas d'accord au moins ils vont en parler, se comparer et réfléchir, parce que là il y aura du débat et je trouve que c'est très sain dans une démocratie.
 +
 +
Par rapport à ce que tu disais, Nicolas, juste un petit point de désaccord quand même, comme on en a peu : tu disais qu’un réseau qui fonctionne c'est un réseau qui ne plante pas. Je pense qu'il faut aussi revoir cette mythologie d'un numérique qui serait infaillible, qui serait magique, en fait. D'ailleurs on dit que toute technologie suffisamment avancée devient indiscernable de la magie, je crois que une citation est d’Arthur Clarke. ; en fait, on en est là.<br/>
 +
Mon premier problème, moi qui suis dans les enjeux éducatifs, c'est de matérialiser le numérique. On parle souvent de dématérialisation avec tous ces termes, « nuage », le <em>cloud</em> la « dématérialisation ». Un des premiers enjeux qu'on a vis-à-vis des publics, notamment pour politiser le numérique, voire le géopolitiser, puisqu’une fois qu'on l'a politisé il faut comprendre comment fonctionnent les câbles, en ce moment il faut comprendre ce qui passe sur la géopolitique de l'IA, bref, ça passe par cette matérialisation. Pour moi, passer par cette matérialisation, c'est aussi renoncer à un numérique qui serait indestructible, un numérique qui est assuré à 99,99 %, dans l'immense majorité dans des <em>datacenters</em>, je trouve très intéressante l'approche alternative que proposent notamment les chatons, ils sont en haut au deuxième, et je pense qu'ils sont plusieurs à vous dire : on ne vous garantit pas du tout 99,99 %, et ils ont raison, mais il faut l'expliquer. Il faut dire que 99,99 % ça coûte tant, que ça demande tant d'humains qui travaillent tout le temps en astreinte, etc. Revenir sur le coût économique, humain, environnemental d'un numérique infaillible.<br/>
 +
C'était juste pour dire qu’une collectivité peut aussi dire, je pense, « on va faire en sorte que ça marche, mais on décide, politiquement, de ne plus promettre le côté tout le temps disponible ». Maisl faut l'accompagner, il faut que ça rentre dans sa vision politique.
 +
 +
<b>Nicolas Vivant : </b>Je n'ai pas dit « infaillible », j'ai dit « invisible ». Ce n'est pas du tout pareil ! C’est dire qu'il y a une partie de l'informatique qui ne se voit pas. De fait, le réseau ne se voit pas jusqu'à ce qu'il tombe en panne et là tout le monde se rend compte qu’il y a un réseau et qu'il y a des machines.
 +
 +
Il y a quand même quelque chose autour du logiciel libre. Le passage au Libre, dans quelque structure que ce soit, c'est un changement culturel à opérer. Il y a un certain nombre de préjugés, d'idées préconçues sur les logiciels libres, qu'il faut faire tomber absolument avant d'entamer un passage au Libre. Parmi celles-ci il y a « ça marche moins bien, c'est de moins bonne qualité, c'est gratuit en plus, donc c'est de moins bonne qualité ». Donc comment lève-t-on les différents freins qui permettent de faire du numérique autrement ?<br/>
 +
Déjà, première chose, tu as changé et ça ne se voit pas ! ! Personne ne te dira que c'est moins bien, et si c'est mieux, c'est encore plus fort. C'est tout ce que je dis ! C'est même plus que ça : il faut communiquer dessus, il faut dire « vous voyez, notre truc magnifique, là, c'est du Libre ! »
 +
Quand je dis in visible c'est au sens de ….
 +
 +
[Inaudible 40 min 37]
 +
 +
<b>Nicolas Vivant : </b>Voilà, c'est ça ! Moi je ne suis pas super admiratif des blogs moches, ultra vertueux, qui font 1 k, qui ne ressemblent à rien, les trucs sont illisibles, tu ne retrouves pas les infos, je suis pas hyper admiratif de ça. Par contre, si tu arrives à faire vertueux et aussi beau que le blog le plus le plus moisi en termes d'impact environnemental, en termes de logiciels fermés et tout ça, que tu arrives à faire la même chose et c'est du Libre, ça a un autre un autre impact sur les gens, parce que tu crées quelque chose qui est désirable, du coup. Tu dis « je peux faire aussi bien que ceux qui font des beaux trucs, sauf que, politiquement, je suis capable de revendiquer ce qui a été fait ». C'est quelque chose vers lequel il faut tendre, je ne dis pas que c'est l'alpha et l'oméga, mais c'est en cela que je dis que c'est invisible, que ça doit être invisible.<br/>
 +
J'ai un blog sur SPIP, j'ai connu WordPress, qui est libre, et puis j'ai connu des solutions propriétaires avant. Eh bien SPIP, il faut y aller ! J’ai galéré ! Mon objectif c'est que mon blog soit au moins aussi beau qu'un blog sous WordPress mais sous SPIP, <em>responsive</em>, machin, il est beaucoup plus léger, mais les gens ne voient pas tout ça. Je suis capable de dire c'est du SPIP, c'est français, j'ai fait l'effort. Mais si je disais à tout le monde « regardez, génial, mon blog est sous SPIP » et, à la fin, on a un truc tout pourri avec des gifs animés et une police moisie, je ne vais convaincre personne.
 +
 +
<b>Antonin Cois : </b>Loïc, on finit le tour dans l'autre sens du coup, on innove.
 +
 +
<b>Loïc Dayot : </b>Pas du tout sur le même sujet. Louis évoquait le côté rendre matériel le numérique qui, dans le sens commun, est justement dématérialisé. Ça m'a fait penser à un projet qu’on a évoqué à Villejuif, je vais y revenir, et que, pour une autre partie, a mis en place Toulouse. Se dire que ce qui était à la mode à une époque, les villes intelligentes, <em>smart cities</em> – heureusement ça retombe un peu, ça fait le retour à la première question –, c'est vraiment un choix politique, bien sûr. Ce qui ce qui est envisagé c'est d'en faire un objet d'appropriation pour les citoyens. L'idée c'est que dès qu'on aura un <em>fab lab</em> – j'espère que ça arrivera bientôt – on fasse construire à des habitants des petits capteurs autonomes qui vont aller prendre des données environnementales de pollution, de bruit, des températures, des choses comme ça, et que les données remontent dans un portail qui serait, lui, avec données ouvertes et consolidées. La ville de Toulouse a fait cette deuxième partie et ça leur permet de voir, par exemple, les îlots de chaleur qu'on n'aurait pas pu connaître avant parce que Météo France n'a pas un nombre suffisant de capteurs à l'échelle des micro-quartiers pour voir où peuvent être, éventuellement, les problèmes.<br/>
 +
Ça matérialise, en plus c’est du matériel libre, une chaîne qui peut être entièrement libre aussi et une appropriation par les habitants, ce qui participe aussi de l'éducation populaire sur cet aspect-là, sur le numérique.
 +
 +
<b>Antonin Cois : </b>C'est vrai que ça change des méga-marchés publics des premières <em>smart cities</em> à grands frais de communication politique. Pas très loin d'ici, à Dijon, ils avaient fait ça : très gros marché public, je sais plus quelle grosse boîte du numérique l'a remporté pour prendre des données et des citoyens et des capteurs de feux tricolores et tout, pour rendre la ville plus fluide, la <em>smart city</em> plus intelligente, etc. C'est vrai que c'est une autre approche qui est proposée. Une approche plus éducation populaire, on peut le dire, et ça renvoie à la question suivante.<br/>
 +
Louis, tu parlais tout à l'heure des choix politiques, d'aller mobiliser justement l'innovation numérique à travers les startups à renfort de millions d'euros. S'il y a bien un sujet sur lequel c'est arrivé, ça continue d'arriver tous les jours, d'ailleurs un sujet où on a l'habitude de se croiser avec Louis, c'est l'éducation. Tout le secteur de la Ed Tech bénéficie largement de cette réflexion-là. Or, la question de l'éducation est partiellement, en tout cas, une compétence municipale ; partiellement puisque, évidemment, l'éducation est nationale, les programmes sont nationaux mais, pour autant, les municipalités ont des enjeux importants, des chantiers importants, celui de l'équipement scolaire pour commencer, l'équipement scolaire renvoie à l'équipement numérique des écoles et au choix d'équipement ; celui des temps périscolaires et de la pause méridienne qui renvoient aux enjeux de projets éducatifs locaux, projets éducatifs locaux qui sont, à peu près dans toutes les villes, des expressions partagées d’enjeux éducatifs conçus comme essentiels, qui s'inscrivent dans les temps périscolaires, donc le centre de loisirs, la cantine, etc., et, dans les cas les plus avancés, en lien avec l'école, quand ça marche bien ; et puis d'éducation populaire au sens plus large du terme, tel qu'on l'a évoqué en filigrane depuis le début, des enjeux d'aller partager, avec les citoyens de la ville, les enjeux essentiels de ces sujets-là. Donc « éducation » peut recouvrir un champ quand même relativement large sur lequel la ville a son mot à dire et des enjeux importants et structurants.<br/>
 +
C'est donc sur ces enjeux-là que j'aurais aimé vous entendre maintenant. Allez on change, on continue d'innover, on commence par Louis.
 +
 +
==46’ 47==
 +
 +
<b>Louis Derrac : </b>Parlons d'innovation

Version du 13 janvier 2024 à 08:46


Titre : Comment nos villes peuvent-elles contribuer à un monde plus libre ? - COIS Antonin - JdLL2023

Intervenants : Loïc Dayot - Nicolas vivant - Louis Derrac - Antonin Cois

Lieu : Lyon - JDLL 2023

Date : 3 avril 2023

Durée : 3 avril 2023

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Explorons ensemble les enjeux et leviers de politiques publiques en faveur d'un autre numérique.
Fait social total au sens où il impacte nos vies dans toutes ses dimensions, le numérique n'a paradoxalement pénétré que marginalement le débat public comme objet politique. Au contraire, il reste bien souvent cantonné à n'être identifié que dans ses enjeux techniques et technologiques, sur un mode tour à tour enthousiasmant ou inquiétant. Et si l'action de nos communes favorisait l'émergence d'un monde plus libre ?

Transcription

Antonin Cois : Merci d'être là pour cette petite table ronde, un petit peu décalée, on en a bien conscience, par rapport au programme des JDLL. C'est aussi parce que c'est ma première participation et que j'avais envie d'y proposer tout de suite quelque chose.
Bonjour. Je m'appelle Antonin Cois, je suis adjoint au maire de Villejuif, en région parisienne, dans le 94, et je coordonne un groupe de travail au sein d'une association qui est l’Association des maires ville et banlieue de France, groupe de travail autour des enjeux numériques et accès aux droits.
J'ai réfléchi à cette table ronde en me disant qu’il me semblait assez paradoxal que, d'une part, le numérique soit un fait social total – je vous la fais pas parce que vous la connaissez par cœur – au sens où il impacte nos vies dans toutes leurs dimensions et qu'en même temps il ait pénétré aussi marginalement le débat public et politique, qu’il intéresse aussi marginalement les sphères du débat ou alors dans des sphères extrêmement spécialisées.
Il y a des tables rondes où on cherche la confrontation. Je dois vous avouer que là ce ne sera pas forcément le cas. On a, autour de la table, des acteurs et pas des actrices, je vais y revenir dans quelques instants quand même parce que j'ai envie de m'en expliquer, qui partagent nos convictions.
La première c'est ce que je viens de vous dire, avec cette interrogation, cet étonnement, une erreur fondamentale qui empêche de penser l'évolution technologique de nos modes de vie, qui sont, en fait, la résultante de choix humains et économiques, donc, à ce titre, pleinement perfectibles, pleinement évitables, pleinement critiquables, c'est-à-dire pleinement politiques.
Deuxième, c'est que les acteurs publics peuvent avoir un rôle moteur pour accompagner le développement d'un autre numérique et pour accompagner la prise de conscience de sa possibilité et sa désirabilité. Les leviers qui sont à disposition des acteurs publics – en l'occurrence on va parler des municipalités, vous l'avez compris – sont nombreux : la commande publique, l'éducation populaire, l'action sociale, l'action culturelle, la mobilisation des acteurs associatifs par exemple.
D'où la question : Et si l'action de nos communes pouvait contribuer à un monde plus libre ?

Pour en parler, autour de la table, on a donc Loïc Dayot qui est DSI de Villejuif, membre du conseil d'administration de l'April. Bonjour Loïc.
On a Nicolas Vivant, à ses côtés, qui est directeur de la stratégie numérique d'une autre ville, Échirolles. Au départ il devait y avoir Aurélien Farge, qui est l'adjoint au numérique et qui est heureux papa récemment, donc merci à Nicolas d'être avec nous aujourd'hui.
Et Louis Derrac, qui est consultant indépendant, cofondateur d'une association qui s'appelle Resnumerica et auteur, enseignant, c'est vrai pour tout ça, mais tu fais plein de choses

Louis Derrac : Blogueur

Antonin Cois : Auteur blogueur, c’est un peu un synonyme.
Je disais que j’allais m'en expliquer, quand même, parce qu’il n’y a que des hommes et pas de femmes à cette table ronde. Ça ne veut pas dire que je me dégage de toute responsabilité, mais j'ai invité, au départ, le même nombre de femmes que d'hommes, il se trouve juste que je n'ai eu que des refus d'un côté et que des acceptations de l'autre et ça nous emmène à cette table-ronde particulière, mais sans complètement me dédouaner de toute responsabilité. En tout cas, c’est un sujet dont je ne me fous pas et qui n'est pas lié à une absence de prise en compte.

Ceci étant dit, je voudrais poser une première question introductive à mes invités. La politique municipale, c'est l'échelon le plus en proximité de la population, plus que d'autres échelons de politiques publiques en contact direct avec les gens. Donc, vous qui êtes en lien, ou en lien indirect avec les collectivités, ou au quotidien dans des collectivités territoriales, si vous deviez identifier un élément qui vous semble central, pour lequel la vie quotidienne a été bouleversée pour le meilleur ou pour le pire et sur lequel la politique municipale pourrait réagir, à votre sens lequel serait-il ? Loïc.

Loïc Dayot : Il faut nommer pour savoir qui commence.

Antonin Cois : Je regarde les regards pour savoir qui a envie de commencer.

Loïc Dayot : Je vais être extrêmement pragmatique, presque terre-à-terre en fait. Je pense que la première chose qui pourrait être faite par une ville, s’il n’y en avait qu’une à faire, ça serait au minimum de donner l'accès et l'accompagnement, c'est-à-dire qu’il y a un numérique qui est subi : on n'a pas trop le choix pour prendre un rendez-vous médical ou pour faire n'importe quelle démarche administrative. Dans ce cadre-là, la première chose que doivent faire les villes qui sont effectivement à un échelon de proximité fort, c'est justement cet accompagnement pour pouvoir exercer des droits de citoyens, des droits d'administrés, c'est donc la première chose à faire.
En gros, ce qui, avant, pouvait être fait par un écrivain public du temps où les difficultés n'étaient qu’administratives – écrit, langue ce qui est déjà énorme, culturel, etc. – maintenant l'écrivain devient écrivain public numérique. Première chose.

Nicolas Vivant : Finalement ma réponse va être assez proche. I y a effectivement un certain nombre de décisions qui sont prises, d'évolutions qu'on note et qui ne sont pas de notre fait et, en tant que collectivité, qu’on est obligé de suivre.
Notre erreur serait de dire : il y a un problème lié au numérique parce que tout est dématérialisé et que les gens ne savent pas s’en sortir, donc on va travailler sur le numérique. C'est inclure le numérique comme un objet politique dans un cadre beaucoup plus global : si on a des difficultés avec le numérique, il est bien rare que l'on n’ait des difficultés qu'avec le numérique. En général, au départ, il y a soit des difficultés économiques, soit des difficultés sociales, soit des difficultés de genre, soit des difficultés linguistiques. Bref ! Et si on ne gère que la partie numérique, nous collectivités, eh bien on fait une sorte de pansement sur une jambe de bois, on n'est même pas sûr que ce pansement-là fonctionne, simplement parce qu'on n'aura pas pris en compte l'ensemble de la problématique.
Puisqu'on est aux JDLL, je vais rester côté numérique, si on a une responsabilité, c'est de comprendre que le numérique est un objet politique – Facebook, Google et tout, l'ont compris depuis longtemps –, que c'est à nous de nous en emparer comme d'un objet politique et l'intégrer dans une politique cohérente à l'échelle de la ville pour être efficaces y compris sur cet aspect-là et pas seulement sur cet aspect-là.

Louis Derrac : Je suis tout à fait d'accord. Comme on le disait, je pense qu'on sera assez souvent d'accord et plutôt à chercher du complément. Je suis d'accord avec ce que tu disais, Nicolas, sur le fait que, en général, la question n'est pas uniquement numérique, mais il se trouve que c'est notre sujet. Je pense que les villes peuvent et doivent être un lieu d'agora et de débat permanent sur les questions liées, en l'occurrence, au numérique, mais pas que ! Pour le coup, ce sont effectivement les espaces de vie proches des citoyens et des citoyennes, ce que ne sont pas d'autres organes qui sont plus lointains, on peut penser juste au Conseil départemental ou au Conseil régional et encore plus, finalement, à l'État. Donc, pour le coup, la ville peut être ce lieu d'agora, on pourrait imaginer qu'il y ait des organisations permanentes de débats sur telle nouvelle technologie, ChatGPT. Pourquoi pas ? Avoir des villes qui organisent, de manière assez dynamique, un mercredi soir, une fois par mois, un débat pour aborder un sujet technologique qui peut ne pas être que numérique.
Pour répondre à ta première question, Antonin, j’irai sur ce côté-là : agora et débats permanents entre citoyens et pas en se limitant aux compétences de la ville – on y reviendra un petit peu après. La ville n’est pas du tout responsable de tout, elle peut faire des choses. Par contre, est peut être ce lieu d'organisation parce qu'elle a des lieux, elle peut trouver des associations ou des acteurs qui font ce travail d'animation de débats, de vulgarisation quand il faut, etc.

Antonin Cois : On va progressivement faire un petit focus sur les compétences de la ville en allant du général au particulier dans la table ronde.
Je viens d'entendre que vous êtes tous d'accord pour dire qu’il faut que ça soit un objet politique et c'est vrai : quand on préparait la table ronde on se disait que le fait de ne pas le poser comme tel, ce qui est souvent le cas, c'est-à-dire de se contenter de se dire que le sujet numérique est une affaire d'abord technique, ce qui peut être encore la réalité dans un certain nombre de collectivités – une réponse technique à des besoins techniques –, ça renvoie à des impensés et, en réalité, à des imaginaires politiques qui sont, en fait, très forts et qui empêchent complètement de se saisir de l'importance du sujet. On en avait identifié trois quand on avait discuté ensemble :
le premier, c'est l'imaginaire de l'outil numérique neutre. Avec un marteau on peut faire une maison, on peut tuer quelqu'un ; l'informatique ce serait la même chose, donc le sujet ne serait pas tant l'outil en tant que tel que son usage, là on oublie de parler de logiciel libre, forcément ;
deuxième imaginaire, celui de la flèche du progrès : le monde va vers un progrès technologique constant qui est aussi un progrès moral constant, donc ce qui est nouveau est mieux. Là on ne se pose pas la question de la manière dont l'évolution de la société et l'évolution technologique de la société impacte la société elle-même ;
à l'autre bout du spectre il y a des imaginaires extrêmement négatifs, du type imaginaires complotistes et autres qui, s’ils ne sont pas interrogés de la même manière, peuvent conduire à des réponses qui sont complètement en décalage avec le réel.
Donc, dans ce contexte, on s'était dit qu'il fallait effectivement une volonté, un discours politique, d'abord pour une collectivité, pour agir pour un numérique plus désirable.
De votre point de vue d'acteurs, toujours, à votre sens quels sont les objectifs politiques, les choix politiques principaux sur lesquels une municipalité doit pouvoir s'interroger, doit pouvoir se positionner en tant que telle, pour pouvoir faire rentrer, justement, le numérique dans le débat public comme objet du débat public permanent ? Qui veut commencer ? On n'est pas obligé de faire toujours le même ordre, c’est comme vous voulez. Loïc.

Loïc Dayot : Pas tellement comme acteur mais déjà comme citoyen, je pense que faire quelque chose ou, d'ailleurs, choisir de ne rien faire, donc laisser faire, c'est déjà politique. On peut choisir d'y réfléchir et de construire quelque chose, ce n’est pas une réponse mais une volonté politique, ou de ne pas en faire, c'est déjà un choix.
Il n'y a rien de spécifique au numérique par rapport à d'autres questions qui pourraient être l'urbanisme ou le social ou je ne sais quoi. En fait, ça va correspondre à des valeurs, à la mise en œuvre de valeurs sur un sujet qui est le numérique en l'occurrence. Les valeurs, qui vont guider justement les choix politiques, vont dépendre de l'opinion politique ou des tendances politiques des uns et des autres.
Pour illustrer, d'une manière générale, si je reprends, par exemple, la devise de la France Liberté, égalité, fraternité, on sent bien que si on les reprend simplement, dans la liberté on pourrait se poser la question de savoir si le numérique enferme ou s’il émancipe. Ce n’est pas si évident que ça. Si on laisse faire peut-être que !
L'égalité, bien sûr les mesures contre l'exclusion, mais aussi le choix ou l'explication des algorithmes qui vont guider la vie des gens au travers du numérique. Éventuellement le choix de socialiser, socialiser n'est pas forcément nationaliser, mais ça pourrait, ça pourrait aussi faire devenir coopératifs ou associatifs un certain nombre de services qui sont privés mais qui deviennent d'intérêt public, on peut donc se poser la question. À une époque, les chemins de fer étaient publics, c'était d’intérêt public. On peut se poser la question pour le numérique, même s’il ne vient pas du public au départ.
Et puis, pour l'aspect fraternité, je pense à des politiques qui vont encourager la coopération et je pense aussi à l'aspect fraternité entre les générations, donc l'aspect développement durable pour les générations futures.

Pour illustrer pour Villejuif, en fait les élus ont choisi trois orientations politiques d'une manière générale pour la collectivité, pour l'ensemble de la politique pour le mandat, qui sont assez classiques de nos jours, mais quand même, ils le déploient après : l'aspect social, l'aspect citoyenneté et l'aspect développement durable et environnemental. Il y a une feuille de route du numérique qui a été définie, beaucoup par l'élu au numérique, avec quelques élus, je ne dirais pas que c'est partagé par l'ensemble de l'exécutif qui a pourtant voté, bien sûr, pour. Il manquerait que ce soit un peu plus approprié et que ça arrive bien dans l'ensemble de l'administration et des partenaires. La traduction, en fait, se traduit en souveraineté numérique, en interopérabilité, l'aspect interopérabilité est un aspect assez fort.
Donc le côté durable, la citoyenneté numérique et l'inclusion numérique. On verra sur l'exclusion/inclusion ; Louis aura des choses à dire là-dessus, je ne suis pas assez spécialiste.
Pour ce qui nous rassemble sur ce week-end, la traduction de ces éléments-là c'est que, effectivement, il y a une vraie préférence pour le logiciel libre, que ce soit pour l'apporter vers le public ou dans le choix de ce qui va être proposé à l'intérieur de la collectivité.

15’ 11

Antonin Cois : Pour le coup, ça fait un complément assez clair avec ce qui se passait à Échirolles, je crois.

Nicolas Vivant : Oui, tout à fait, donc je ne vais pas reprendre ce qui a été dit sur la feuille de route numérique, puisque, en gros, on a la même avec les mêmes priorités données à l'inclusion numérique, à la sobriété aussi, c'est-à-dire prendre en compte l'impact environnemental du numérique.
Dire que les logiciels libres c'est effectivement une partie très importante et c'est sur comment on fait ça parce qu'on pourrait tout à fait travailler sur l'inclusion avec des logiciels propriétaires, travailler sur la sobriété avec des logiciels propriétaires, sauf qu'il y a un choix politique : quand on parle de souveraineté numérique, quand on parle de responsabilisation des acteurs publics sur les données des administrés, typiquement ça veut dire de l'auto-hébergement et tout ça, à ce moment-là, les logiciels libres deviennent une arme incroyable, surtout dans un contexte budgétaire des collectivités qui est aujourd'hui ultra-contraint. Donc je rejoins complètement Loïc là-dessus.
Juste apporter un petit élément d'information pour dire que ça c'est la feuille de route politique, ensuite, pour qu'elle soit déclinée au niveau opérationnel de façon efficace, c'est-à-dire, en gros, concrètement, qu’il y ait des projets qui naissent, des choses qui changent et qu'on soit efficaces, typiquement qu’il n’y ait pas un retour en arrière complet lors d'un changement de majorité municipale, ça veut dire qu'il faut pas oublier que l'objectif numéro un c'est que le service aux habitants soit rendu et qu'il soit de qualité, que les agents municipaux puissent travailler et qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions et après, pour le reste, tout un tas de gens vous diront que la partie logiciel libre c'est votre cuisine interne, vous vous débrouillez, ce qu’ils veulent c'est une messagerie qui marche.
Donc ne pas perdre de vue que la priorité numéro un c'est ça et ce n'est pas l'objectif politique. L'objectif politique nous indique comment on va faire les choses.
Et enfin, la dernière chose c'est un projet à l'échelle de la ville, ce n'est pas un projet du service informatique, parce qu'à partir du moment où on fait de l'auto-hébergement, il faut qu'on ait des gens compétents pour pouvoir installer, paramétrer et maintenir les machines. Ça veut dire aussi qu'au niveau des ressources humaines il y a un investissement de la commune pour que ce soient les bons profils qui soient recrutés. Si vous ne prenez que des ingénieurs certifiés Microsoft et que vous voulez faire du Libre, ça risque évidemment d'être un peu compliqué.
Il y a donc toute cette partie structuration, on va dire d'une organisation, qui va permettre la déclinaison opérationnelle de cette volonté politique.
Après la feuille de route politique, je complète vraiment ce que vient de dire Loïc, il y a cette étape, à mon avis indispensable, de structuration de l'administration pour pouvoir concrétiser ça en actes.

Antonin Cois : Louis, puisqu'on parle d'auto-hébergement des données, dans la préparation tu faisais un parallèle entre la décentralisation des politiques publiques, c'est-à-dire l'idée qu’au fond, si les municipalités sont là et ont un rôle politique, c'est parce que, à un moment donné, on a décidé de leur en confier un, de pouvoir faire des décisions politiques sur un certain nombre de champs, en disant qu’il y a peut-être quelque chose à jouer dans l'histoire de l'informatique et de la décentralisation.

Louis Derrac : Merci beaucoup Antonin. J'avoue que j'étais en train d’oublier un petit peu la question exacte, donc c'est bien de me la remettre.
Avant de répondre, j'aimerais insister à nouveau sur ce que tu as dit dans le début de ta question qui est effectivement la base – on a deux collectivités qui l'ont, pour le coup, vraiment appliquée – c'est de partir sur le fait qu’on pense le numérique comme un objet politique dès le départ. C'est quelque chose qui est, aujourd'hui, ultra majoritairement un impensé. On peut dire la même chose de la grande majorité des associations. C’est pour cela, d'ailleurs, que des initiatives commencer à se monter, je pense par exemple à Emancip’asso qui est co-porté par Framasoft, parce qu’il y a un constat que des associations qui ont des projets politiques, clairs, ne considèrent pas leurs outillages et leur communication numérique comme faisant partie de cet objet politique, ce qui est une dissonance cognitive importante, sauf quand on ne se dit même pas que le numérique est politique, donc il y a un parallèle.
Pour répondre plus précisément à ta question, j'ai noté trois choses.
On a effectivement dans le numérique un ensemble de technologies qui sont intéressantes, parce que, contrairement à des technologies centralisatrices – des auteurs comme Illich ou Gorz parlent souvent de la technologie nucléaire ; je suis pas un expert de la question, s'il y en a, n'hésitez pas à compléter plus tard – en tout cas disent, en gros, que c'est une technologie tellement complexe qu'elle nécessite un État fort, voire un État policier, puisque c'est complexe, c’est dangereux, ce n'est clairement pas quelque chose qu'on pourrait confier à une ville et si l'État tombait, un peu dans une hypothèse d'effondrement total, on aurait un vrai problème avec les centrales parce que, aujourd'hui encore, on ne sait pas tout à fait les démanteler. On a un contre-exemple intéressant avec le numérique, qui est un ensemble de technologies qui ont été pensées pour être fortement décentralisées et, de fait, il existe des réseaux locaux. On pourrait imaginer des réseaux locaux, municipaux, etc., qui pourraient fonctionner si un jour l'Internet mondial tombait pour plein de raisons qui, aujourd'hui, d'un point de vue géopolitique, ne paraissent pas non plus hallucinantes, quand on voit ce qui se passe en Russie qui coupe son Internet, en Chine qui a depuis longtemps protégé l'accès à son Internet, aux États-Unis qui sont parfois, avec nous, dans des situations parfois de conflits commerciaux, etc. Donc, effectivement, la municipalité est à un échelon où elle peut s'interroger : une fois qu'elle a admis que le numérique est ultra politique, elle peut s'interroger sur sa place dans cette décentralisation. Autant elle ne pourrait pas du tout dire «  je veux ma place dans la stratégie nucléaire », elle peut dire « je veux ma place dans la stratégie numérique », elle peut ramener à elle, organiser dans son territoire des hébergements, des centres de données, avec ses valeurs écologiques, humaines, etc., elle peut ramener à elle un tissu de compétences qui sont très nombreuses, on le sait, dans la filière numérique ; il y a aussi d’énormes enjeux dans les filières de recyclage, on peut donc inventer des choses. Sur tous ces éléments, c'est vrai qu'on peut se dire que là, pour le coup, la municipalité est un échelon où elle peut faire des choses.

La deuxième chose que j'ai notée c'est la question de la mutualisation. Ça me ramène à une question qui est surtout environnementale et humaine. On sait maintenant que le numérique a de plus en plus un impact énorme sur la planète, sur le vivant en général. Je ne vais pas rentrer dans les détails de tout ça, mais si ça vous intéresse on pourra en discuter après avec plaisir. Et on sait, pour vous donner un chiffre ultra simpliste, que 70 % à 80 % de cet impact c'est lors de la fabrication. On doit donc se poser la question de la mutualisation et, encore une fois, je pense que les villes sont un échelon hyper intéressant. On pourrait imaginer, par exemple, qu’une ville qui a des espaces comme cet espace-là, des bibliothèques, des écoles, peut organiser la mutualisation de ses équipements, elle peut imaginer le prêt aux usagers de certains équipements que certains des usagers n'ont peut-être pas besoin d'avoir tout le temps. Je pense notamment à des usagers qui ont des usages numériques très limités, souvent liés, d'ailleurs, à des démarches administratives, à qui, aujourd'hui, on impose l'achat d'un équipement numérique, alors qu'on pourrait leur prêter, je caricature, le jour où il faut payer ses impôts, voire, je dirais, ne pas leur demander de payer leurs impôts sur un outil numérique. Mais, comme le disaient mes camarades précédemment, de les accompagner sur cette démarche. Vraiment mutualisation, je pense qu'on peut inventer beaucoup de choses.
J'avais fait un atelier très intéressant que je vous recommande, le LifePhone. On imagine le smartphone viable, ce qui n'est pas une mince affaire parce que le smartphone c'est quand même loin d'être facilement viable, et on se disait qu’une des possibilités serait de faire comme Vélo'v à Lyon ou Vélib' à Paris avec les smartphones. De prendre son smartphone à la demi-journée, à l'heure, quand on sort en ville et qu'on a besoin d'être un, joignable, et deux d'avoir un GPS.
En fait, on peut imaginer plein de choses.

La troisième chose à laquelle je pensais, c'est que la ville peut aussi se positionner, ça revient un peu à ce que je disais plus tôt, sur l'intrication qu'il y a entre humain et numérique. Maintenant on sait bien, les associations s'en rendent compte, plein de gens s’en rendent compte, que les technologies numériques seules ne sont pas du tout suffisantes pour mettre en mouvement des collectifs, pour mettre en mouvement des structures, qu’il y a profondément besoin d’humain, qu’il y a besoin de temps de rencontre, qu’il y a besoin de temps avec de la facilitation. Donc, là encore, les villes peuvent être facilitatrices, elles peuvent mettre à disposition des lieux, en tout cas elles peuvent aider des lieux à se monter. Aujourd'hui, il y a pas mal de fab labs ou de tiers-lieu qui jouent, par exemple, ce genre de rôle. C'est une troisième chose, faire le lien entre le côté numérique et le côté vraiment humain dont on a besoin autour. Je pense que la ville peut avoir un vrai rôle, toujours près de ses citoyens et citoyennes.

Antonin Cois : Vas-y, Nicolas, si tu veux compléter.

Nicolas Vivant : Je vais rajouter un petit mot sur la partie mutualisation. Il faut faire très attention à la mutualisation.
La mutualisation peut être un piège, c'est-à-dire qu'on peut se retrouver dans une situation où on mutualise un certain nombre de choses, mais ce n'est pas parce qu'on va mutualiser un certain nombre de fonctions qu'on va pouvoir, automatiquement, se séparer des agents qui les faisaient auparavant. On peut donc se retrouver dans des situations où, par exemple, on double les coûts en réalité.
Ou alors on mutualise, on met une partie de son informatique dans l'organisme de mutualisation quelconque, et puis on n'est pas satisfait, on note une baisse de la qualité de service parce qu'il y a un éloignement des utilisateurs, on peut donc avoir tendance à recommencer à faire des trucs un peu de son côté au nom de cette qualité de service et se retrouver, finalement, à doubler son infrastructure, donc les coûts. Bref !
La mutualisation, c'est quelque chose qui, à mon sens, est effectivement intéressant. Il faut juste ne pas associer systématiquement, et c'est très associé dans l'esprit des gens, mutualisation et centralisation. Si on associe les deux systématiquement, on rentre en dissonance cognitive, on va dire, avec l'objectif de décentralisation dont on parlait tout à l'heure. On se retrouve à centraliser des choses, alors que la décentralisation est vertueuse, que ce soit du point de vue de la résilience, du point de vue de tout un tas de sujets.
Je pense qu'on peut imaginer des systèmes de mutualisation décentralisés qui ont une tout autre efficacité et dans les logiciels libres c'est quelque chose qu'on connaît bien. Pour les gens qui s'intéressent aux réseaux sociaux : ActivityPub permet de fédérer aussi bien Mastodon qu'un serveur BigBlueButton pour la vidéo, qu'un serveur Nextcloud pour le partage de fichiers, permet de mutualiser un certain nombre de chose pour, à la fin, obtenir un réseau gigantesque qui permet à des millions de gens d’échanger sans pour autant qu'on ait une infrastructure centralisée derrière.
Tu parlais d'impensé tout à l'heure. À mon sens, la mutualisation décentralisée, est un impensé de la mutualisation, qui est beaucoup plus vertueuse à la fois au niveau écologique, en termes de sécurité, de résilience et d'impact environnemental.

Antonin Cois : Merci.
Cette première question nous a emmenés assez loin finalement. On a évoqué un certain nombre de sujets sur lesquels on va revenir, par ailleurs, dans la suite de l'échange.
Je propose de faire quelques petits focus sur des éléments qui nous ont semblé, en tout cas dans l'échange préparatoire, un peu centraux quand une collectivité met en place une politique publique autour des enjeux du numérique.
Premier focus sur les enjeux internes à la collectivité, même si vous allez voir que ça dépasse un peu, simplement, les municipalités. En fait, une de leurs réalités fortes c'est qu'elles sont employeuses, mais pas un petit peu, elles le sont massivement. Si je prends les chiffres de l’INSEE, c'est 1 500 000 personnes qui travaillent dans la fonction publique à l'échelle municipale, c'est-à-dire une personne sur 25 en âge de travailler, c'est important. C’est donc un levier de transformation qui n’est pas négligeable si on est capable de changer les pratiques numériques des collectivités, d'autant moins négligeable que les municipalités équipent les écoles, donc impact sur les enseignants et les élèves, elles proposent des services à leurs citoyens, donc impact sur les citoyens qui utilisent ces services, elles travaillent avec des associations auxquelles elles attribuent des subventions, avec lesquelles elles sont engagées dans des logiques partenariales. Bref ! Les effets de bords d'une politique un peu structurée à l'échelon communal de transformation de l'outil informatique et numérique ne sont pas négligeables du tout.
De ce point de vue-là, comment nos collectivités peuvent-elles se saisir de cet enjeu, de cette réalité et avec quel impact ? Loïc, on continue le même tour, ça marche.

28’ 21

Loïc Dayot : Pour diversifier, on refait la même chose.
Pour commencer, concernant les agents de la fonction publique, il y a un accompagnement au changement puisqu’il y a des changements, ils sont voulus, quelquefois subis aussi. Pour accompagner ce changement-là et qu'il se passe relativement bien, il y a un intérêt, à chaque fois, de questionner les personnes qui font sur le sens de ce qu'elles font : pourquoi elles sont là, service public ; ce qu'elles font, pourquoi en deux mots, c'est-à-dire à quoi ça sert, de quelle manière le faire, est-ce que telle ou telle tâche est vraiment utile pour concourir au sens ? Et puis, accompagner la montée en compétences, bien sûr, et permettre aussi de donner une priorité à des choses qui ne sont pas automatisables. Je reviens sur ce que tu disais tout à l'heure : ce n’est pas parce qu'on automatise des choses avec du numérique que, derrière, il va falloir sucrer des emplois, pas du tout ! Ça veut dire que, peut-être, on va réussir à mieux accueillir des gens qui en ont le plus besoin et peut-être se libérer un petit peu de temps pour le faire mieux.
Tout cela s'accompagne, ce ne sont pas tout à fait les mêmes compétences, mais ça oblige à se requestionner sur le sens. Et cette montée en compétences se fait, de préférence, sur des choses qui ne sont pas liées à une marque, un modèle, un logiciel ou quelque chose comme ça, mais une montée en compétences en matière de numérique un petit peu plus général. Ce qui va permettre aussi que, justement, les prochains changements seront peut-être mieux vécus.

La collectivité peut aussi choisir des choses, donc, en particulier, vers le public, tu le disais tout à l'heure, Antonin : les aspects numérique responsable, dans ce qu’il est éthique, environnemental et social, obligent déjà à se poser la question en tant que collectivité, en tant que n'importe quelle administration, même n'importe quelle organisation : on a un projet, on nous demande d'informatiser telle chose, la première question c'est : faut-il le faire ou ne pas le faire ? Quelles sont les alternatives ? Est-ce qu'il y en a toujours ? Même si on informatise quelque chose, est-ce qu’il y aura encore, toujours, une autre porte pour accéder au même service ou au même traitement, mais, peut-être, sans informatique ?
L'idée c'est un peu de mesurer l'impact de ce qui va arriver avant que ça n'arrive.
Et puis il y a aussi l'aspect association des utilisateurs en interne, voire en externe, des citoyens, des administrés par de la concertation, de la participation, des groupes de test, des choses comme ça. C'est aussi important à la fois pour accompagner, pour ne pas faire de bêtises et on a un retour avant même que ce soit mis en place, donc c'est assez intéressant.
C’est ce qu'on a essayé de faire à Villejuif, par exemple pour le numérique éducatif, ça a pris une bonne année élaborer, on a essayé d'élaborer le schéma directeur du numérique éducatif avec des enseignants, avec des associations de parents d'élèves, plus les administratifs, plus des experts externes et des visites dans d'autres villes pour faire ce genre de choses. On est en train d'essayer de le faire pour l’ENT, autour du numérique éducatif, et on l'a fait précédemment pour un portail familles, par exemple.

Je pense que tout ce qu’une collectivité fait est, en fait, une vitrine et porte des valeurs. Donc tout ce qui va être vers le public : un site internet, un poste public qui va être sous tel système ou tel autre – tel, surtout celui-là – c'est aussi important, c'est un message à chaque fois. Ça va surtout faire en sorte que les gens qui sont éloignés connaissent un système, par exemple un GNU/Linux quelconque, n'est-ce pas, se débrouillent en informatique et n’utilisent pas forcément une fenêtre quelconque.
Je m'arrête là.

Antonin Cois : Ça veut dire qu'il y a un enjeu technique, mais aussi, du coup, un enjeu d'éducation populaire. C'est ce que j'entends en filigrane de ce que tu dis.

Nicolas Vivant : Oui, un enjeu d'éducation populaire qui passe par la médiation, on a des conseillers numériques, des médiateurs numériques qui interviennent et qui tiennent aussi un discours autour du numérique aux habitants. C'est effectivement une façon d'influencer sur la façon dont les gens peuvent percevoir le numérique, les différents outils, tout ça.
Une autre façon d'influencer, c'est de prendre bien garde à ce que l'informatique municipale reste invisible, notre boulot c'est quand même ça : un réseau qui fonctionne est un réseau dont on ne parle pas, des PC qui fonctionnent sont des PC dont on ne parle pas. On ne va pas faire un article dans le journal ou un communiqué de presse chaque fois qu'on achète 200 PC. Faire un communiqué de presse disant qu’on a mis 200 PC sous GNU/Linux, ce n'est pas très utile. La réalité, c'est qu'il faut avoir les meilleurs services possible, à destination des habitants, à destination des usagers, à destination des agents, et ne pas oublier de communiquer sur le fait que ces trucs qui marchent bien ont été faits avec des logiciels libres. Ça c'est un message qui est entendable par les associations autour, par les autres collectivités.
Exemple typique : depuis le Covid, énormément de collectivités se sont mises à streamer leur conseil municipal en direct, personne n'y était vraiment préparé, c'est la crise sanitaire qui a imposé ça un peu à tout le monde, donc il y a des solutions qui sont sorties tous azimuts, des plus fermées aux plus ouvertes À Échirolles, nous nous sommes d'abord attachés à avoir le plus beau conseil municipal streamé de l'agglo, avec, chaque fois, un gros plan sur l’élu qui prend la parole, son nom apparaît, la délibération, un bel habillage fait par la com’, un son nickel, des mouvements de caméra invisibles. Et puis, une fois qu'on avait le plus beau conseil, on a dit « maintenant on va vous expliquer : le PC est un PC sous GNU/Linux, le logiciel c'est OBS [Open Broadcaster Software], un logiciel libre, et notre solution est 100 % libre. » Mais ça, c'est après ! À mon sens, c'est parce que c'était après qu'un certain nombre de communes sont venues nous voir en disant « c'est-à-dire que c'est gratuit ? — Pas gratuit parce qu'il a fallu acheter les micros, mais pas très cher. » Et là, tout le monde était très intéressé de venir voir comment on avait fait ça. Imaginez qu'on soit parti sur la même solution libre, aussi vertueuse, aussi revendicable politiquement, et qu'à la fin on ait un conseil pourri avec un son qui grésille, personne ne serait venu nous voir et tout le monde se serait dit « on ne sait pas exactement quelle direction ils ont pris, mais, manifestement, ce n'est pas la bonne ! »
Il y a donc, aussi, cette façon de prêcher par l'exemple qui est une façon d'influencer sur l'ensemble des acteurs autour de la collectivité, au-delà de l'aspect très important de l'éducation populaire, de tout ce qu'on peut tenir comme discours vis-à-vis des habitants et de nos agents.

Louis Derrac : Sur cette question, je vais juste réagir, vu qu'on est sur des questions un peu internes et que je ne suis pas dans une collectivité. Par rapport à deux choses que vous avez dites, Loïc, par rapport à la question « faut-il informatiser ? » Pour moi, réfléchir à cette question est la preuve d'une maturation qui est impressionnante, donc déjà bravo. Et par rapport à ce qu'on disait plus tôt, je dirais à nouveau que de manière ultra majoritaire, comme la question n'est pas politisée dans les collectivités, notamment les communes, on a pu constater, ces dix dernières années, qu'il y a eu une numérisation accélérée, une accélération sous couvert de la French Tech puis de la Startup Nation, une numérisation avec cette fameuse flèche dont parlait Antonin : numérisons, allons plus vite on ne sait pas où, en tout cas on y va et plus vite et, en plus, avec une certaine forme de numérisation puisqu'elle n'était pas du tout proposée à des associations, elle n'était pas du tout proposée avec du logiciel libre, elle a été proposée aux startups. Si on dissèque l'investissement public au travers de PIA, des Programmes d'investissement d'avenir, si on dissèque toutes les aides données aux French Tech locales, c'est hallucinant. Et c'est une politique publique, avec notre argent !
J’enfonce encore le clou sur le rôle que peuvent avoir les collectivités qui est d'être un garde-fou. S'il n'y a qu'une seule politique, qu'elle est étatique, et que, en ce moment, elle est pro numérique, pro startups, pas trop pro libre sauf quand il faut de la souveraineté numérique et que là on est content d'en avoir, c'est problématique s'il n'y a pas de garde-fous. Là, l'avantage, c'est que si on se met à avoir de plus en plus de collectivités, quelle que soit leur taille, entre Conseil départemental, régional et municipal, même s'ils sont pas d'accord au moins ils vont en parler, se comparer et réfléchir, parce que là il y aura du débat et je trouve que c'est très sain dans une démocratie.

Par rapport à ce que tu disais, Nicolas, juste un petit point de désaccord quand même, comme on en a peu : tu disais qu’un réseau qui fonctionne c'est un réseau qui ne plante pas. Je pense qu'il faut aussi revoir cette mythologie d'un numérique qui serait infaillible, qui serait magique, en fait. D'ailleurs on dit que toute technologie suffisamment avancée devient indiscernable de la magie, je crois que une citation est d’Arthur Clarke. ; en fait, on en est là.
Mon premier problème, moi qui suis dans les enjeux éducatifs, c'est de matérialiser le numérique. On parle souvent de dématérialisation avec tous ces termes, « nuage », le cloud la « dématérialisation ». Un des premiers enjeux qu'on a vis-à-vis des publics, notamment pour politiser le numérique, voire le géopolitiser, puisqu’une fois qu'on l'a politisé il faut comprendre comment fonctionnent les câbles, en ce moment il faut comprendre ce qui passe sur la géopolitique de l'IA, bref, ça passe par cette matérialisation. Pour moi, passer par cette matérialisation, c'est aussi renoncer à un numérique qui serait indestructible, un numérique qui est assuré à 99,99 %, dans l'immense majorité dans des datacenters, je trouve très intéressante l'approche alternative que proposent notamment les chatons, ils sont en haut au deuxième, et je pense qu'ils sont plusieurs à vous dire : on ne vous garantit pas du tout 99,99 %, et ils ont raison, mais il faut l'expliquer. Il faut dire que 99,99 % ça coûte tant, que ça demande tant d'humains qui travaillent tout le temps en astreinte, etc. Revenir sur le coût économique, humain, environnemental d'un numérique infaillible.
C'était juste pour dire qu’une collectivité peut aussi dire, je pense, « on va faire en sorte que ça marche, mais on décide, politiquement, de ne plus promettre le côté tout le temps disponible ». Maisl faut l'accompagner, il faut que ça rentre dans sa vision politique.

Nicolas Vivant : Je n'ai pas dit « infaillible », j'ai dit « invisible ». Ce n'est pas du tout pareil ! C’est dire qu'il y a une partie de l'informatique qui ne se voit pas. De fait, le réseau ne se voit pas jusqu'à ce qu'il tombe en panne et là tout le monde se rend compte qu’il y a un réseau et qu'il y a des machines.

Il y a quand même quelque chose autour du logiciel libre. Le passage au Libre, dans quelque structure que ce soit, c'est un changement culturel à opérer. Il y a un certain nombre de préjugés, d'idées préconçues sur les logiciels libres, qu'il faut faire tomber absolument avant d'entamer un passage au Libre. Parmi celles-ci il y a « ça marche moins bien, c'est de moins bonne qualité, c'est gratuit en plus, donc c'est de moins bonne qualité ». Donc comment lève-t-on les différents freins qui permettent de faire du numérique autrement ?
Déjà, première chose, tu as changé et ça ne se voit pas ! ! Personne ne te dira que c'est moins bien, et si c'est mieux, c'est encore plus fort. C'est tout ce que je dis ! C'est même plus que ça : il faut communiquer dessus, il faut dire « vous voyez, notre truc magnifique, là, c'est du Libre ! » Quand je dis in visible c'est au sens de ….

[Inaudible 40 min 37]

Nicolas Vivant : Voilà, c'est ça ! Moi je ne suis pas super admiratif des blogs moches, ultra vertueux, qui font 1 k, qui ne ressemblent à rien, les trucs sont illisibles, tu ne retrouves pas les infos, je suis pas hyper admiratif de ça. Par contre, si tu arrives à faire vertueux et aussi beau que le blog le plus le plus moisi en termes d'impact environnemental, en termes de logiciels fermés et tout ça, que tu arrives à faire la même chose et c'est du Libre, ça a un autre un autre impact sur les gens, parce que tu crées quelque chose qui est désirable, du coup. Tu dis « je peux faire aussi bien que ceux qui font des beaux trucs, sauf que, politiquement, je suis capable de revendiquer ce qui a été fait ». C'est quelque chose vers lequel il faut tendre, je ne dis pas que c'est l'alpha et l'oméga, mais c'est en cela que je dis que c'est invisible, que ça doit être invisible.
J'ai un blog sur SPIP, j'ai connu WordPress, qui est libre, et puis j'ai connu des solutions propriétaires avant. Eh bien SPIP, il faut y aller ! J’ai galéré ! Mon objectif c'est que mon blog soit au moins aussi beau qu'un blog sous WordPress mais sous SPIP, responsive, machin, il est beaucoup plus léger, mais les gens ne voient pas tout ça. Je suis capable de dire c'est du SPIP, c'est français, j'ai fait l'effort. Mais si je disais à tout le monde « regardez, génial, mon blog est sous SPIP » et, à la fin, on a un truc tout pourri avec des gifs animés et une police moisie, je ne vais convaincre personne.

Antonin Cois : Loïc, on finit le tour dans l'autre sens du coup, on innove.

Loïc Dayot : Pas du tout sur le même sujet. Louis évoquait le côté rendre matériel le numérique qui, dans le sens commun, est justement dématérialisé. Ça m'a fait penser à un projet qu’on a évoqué à Villejuif, je vais y revenir, et que, pour une autre partie, a mis en place Toulouse. Se dire que ce qui était à la mode à une époque, les villes intelligentes, smart cities – heureusement ça retombe un peu, ça fait le retour à la première question –, c'est vraiment un choix politique, bien sûr. Ce qui ce qui est envisagé c'est d'en faire un objet d'appropriation pour les citoyens. L'idée c'est que dès qu'on aura un fab lab – j'espère que ça arrivera bientôt – on fasse construire à des habitants des petits capteurs autonomes qui vont aller prendre des données environnementales de pollution, de bruit, des températures, des choses comme ça, et que les données remontent dans un portail qui serait, lui, avec données ouvertes et consolidées. La ville de Toulouse a fait cette deuxième partie et ça leur permet de voir, par exemple, les îlots de chaleur qu'on n'aurait pas pu connaître avant parce que Météo France n'a pas un nombre suffisant de capteurs à l'échelle des micro-quartiers pour voir où peuvent être, éventuellement, les problèmes.
Ça matérialise, en plus c’est du matériel libre, une chaîne qui peut être entièrement libre aussi et une appropriation par les habitants, ce qui participe aussi de l'éducation populaire sur cet aspect-là, sur le numérique.

Antonin Cois : C'est vrai que ça change des méga-marchés publics des premières smart cities à grands frais de communication politique. Pas très loin d'ici, à Dijon, ils avaient fait ça : très gros marché public, je sais plus quelle grosse boîte du numérique l'a remporté pour prendre des données et des citoyens et des capteurs de feux tricolores et tout, pour rendre la ville plus fluide, la smart city plus intelligente, etc. C'est vrai que c'est une autre approche qui est proposée. Une approche plus éducation populaire, on peut le dire, et ça renvoie à la question suivante.
Louis, tu parlais tout à l'heure des choix politiques, d'aller mobiliser justement l'innovation numérique à travers les startups à renfort de millions d'euros. S'il y a bien un sujet sur lequel c'est arrivé, ça continue d'arriver tous les jours, d'ailleurs un sujet où on a l'habitude de se croiser avec Louis, c'est l'éducation. Tout le secteur de la Ed Tech bénéficie largement de cette réflexion-là. Or, la question de l'éducation est partiellement, en tout cas, une compétence municipale ; partiellement puisque, évidemment, l'éducation est nationale, les programmes sont nationaux mais, pour autant, les municipalités ont des enjeux importants, des chantiers importants, celui de l'équipement scolaire pour commencer, l'équipement scolaire renvoie à l'équipement numérique des écoles et au choix d'équipement ; celui des temps périscolaires et de la pause méridienne qui renvoient aux enjeux de projets éducatifs locaux, projets éducatifs locaux qui sont, à peu près dans toutes les villes, des expressions partagées d’enjeux éducatifs conçus comme essentiels, qui s'inscrivent dans les temps périscolaires, donc le centre de loisirs, la cantine, etc., et, dans les cas les plus avancés, en lien avec l'école, quand ça marche bien ; et puis d'éducation populaire au sens plus large du terme, tel qu'on l'a évoqué en filigrane depuis le début, des enjeux d'aller partager, avec les citoyens de la ville, les enjeux essentiels de ces sujets-là. Donc « éducation » peut recouvrir un champ quand même relativement large sur lequel la ville a son mot à dire et des enjeux importants et structurants.
C'est donc sur ces enjeux-là que j'aurais aimé vous entendre maintenant. Allez on change, on continue d'innover, on commence par Louis.

46’ 47

Louis Derrac : Parlons d'innovation