Différences entre les versions de « Cloud, vie privée et surveillance de masse - Tristan Nitot »

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Après, il y a une problématique aussi,
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Après, il y a une problématique, aussi, c'est que toute cette collecte de données, elle n'est pas neutre pour les individus, c'est le moins qu'on puisse dire, elle n'est pas neutre pour les entreprises, non plus. Je suppose que vous avez tous entendu parler d'Uber qui dit, j'ai fait un copié-collé de leur site web tout à l’heure, « Uber révolutionne le monde du transport ». Donc cette fameuse société, qui a quelques concurrents en France, qui permet de faire une alternative aux taxis. Et donc Uber révolutionne le monde du transport en mettant en relation utilisateurs et chauffeurs. Donc, ils sont en train de concurrencer les taxis, au point que les taxis font grève, bloquent la circulation, que la police s'en mêle, qu'on change la loi, etc. C'est un gros, gros changement. Ce qui est juste dingue, c'est que le taxi qui est physiquement à Paris, il est à quelques centaines de mètres de moi, eh bien un type, en Californie, avec son application, a réussi à s’intercaler entre le taxi qui est dans la rue et moi. Ça a donné un nouveau mot qui s'appelle « l'ubération », c'est-à-dire se faire disrupter, c'est-à-dire perturber, grâce à cette mise en relation, que j'ai mis en gras, parce que c'est ça, ils commencent à s'insérer en tant qu’intermédiaire, entre la grande société du CAC 40, établie, etc, et l'utilisateur final, le client final. Ils viennent, en fait, perturber cette relation.
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Donc, ce n'est pas juste les individus qui sont touchés, ce sont aussi les grandes entreprises. Alors il y a des prises de conscience de ces choses-là, qui sont épisodiques, des histoires horribles qui frappent les esprits. Ça c’était l'été dernier, en août, où un certain nombre de starlettes qui avaient pris des photos avec leur iPhone, la plupart du temps, des photos extrêmement intimes, et ces photos ont terminé sur Internet. C'est-à-dire que ce qui était extrêmement paradoxal, c’était le fait qu'elles avaient toujours leur téléphone à la main, il n'avait pas disparu leur téléphone, on ne leur avait pas volé le téléphone. Mais les photos prises étaient sauvegardées dans le cloud. Alors le cloud, je précise pour ceux qui ne savent pas, le cloud c'est l’ordinateur de quelqu'un d'autre. C'est juste un joli mot, qui raccourcit, et qui donne un côté vaporeux et sympathique, mais, littéralement, le cloud c'est un ordinateur, c'est l’ordinateur de quelqu'un d'autre. Et donc, effectivement, leurs photos extrêmement intimes, mises sur l'ordinateur de quelqu’un d'autre, lequel avait été piraté, s'est retrouvé, le contenu, sur Internet, ce qui est extrêmement gênant. Moi, je suis allé me documenter, effectivement, j'aurais été embêté de me retrouver avec des photos comme ça, de moi ou de ma femme, sur Internet. Donc c'était une grande prise de conscience, c'est, en fait, même si on ne me vole pas mon téléphone, on peut me voler mes photos ; c'est quand même très bizarre.
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Il y a eu une autre prise qui était un an plus tôt, juin 2013, Edward Snowden. Edward Snowden étant un lanceur d'alerte, qui travaillait pour la NSA, qui est donc les agents secrets américains, et Edward Snowden est parti avec des dizaines de milliers de documents, qui sont encore en train d’être épluchés, deux ans plus tard, par des journalistes, pour comprendre tout ce qu'il y a. Et, en gros, c'était sympa parce que c'était les diapos qui étaient remises à l’état-major de la NSA et on expliquait qu'ils voulaient écouter tout le monde, tout le temps. Le téléphone, l'Internet, tout, tout le monde, tout le temps, parce que ça peut valoir quelque chose, on ne sait pas. On se dit « oui bon, c'est surtout pour les militaires, les terroristes, tout ça ». Non, non, pas du tout. Il est aussi expliqué, dans les mêmes slides, que les clients de la NSA c'est le ministère du Commerce, le ministère de l'Agriculture, des Transports, etc, c'est-à-dire des civils ,qui font de l'intelligence économique sur la base de ce que pompe la NSA, sur nos données.
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Alors quel rapport entre Edward Snowden et ce qui nous intéresse, parce qu'Edward Snowden nous dit « mais vos données, elles sont pompées, en tout cas la NSA veut les pomper, et elle a des budgets énormes, mais quand même pas au point de mettre sur écoute trois milliards d'internautes, avec trois milliards de capteurs dans chacun des trois milliards d'ordinateurs et de smartphones des trois milliards d'internautes, ça coûterait trop cher. Alors qu'est-ce qu'ils font ? Eh bien, tout simplement, ils vont mettre des micros chez Google, Facebook, Apple, etc, Yahoo, Microsoft, et vous mettez une bonne douzaine de gros, des micros virtuels, vous allez pomper les données dans ce qui est, finalement, un paquet de silos, et donc, au lieu d'aller surveiller des individus, chacun chez soi, vous allez surveiller quelques gros géants, ici Google, Facebook, Yahoo, Microsoft. Il y en a d'autres, mais je n'ai trouvé qu'une photo avec quatre silos. Je suis passé devant, il y avait quatre silos. Bon, peut-être qu'ils en ont mis plus depuis, mais, il n'y a pas que eux.
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Donc, voilà le problème, c'est que cette centralisation des données, dans les grands silos, elle rend économiquement possible la surveillance de masse. C’est-à-dire que si on était chacun chez soi, ça serait très compliqué de nous surveiller, mais comme on met toutes nos données au même endroit, ça devient, finalement, trivial. D'autant que, en fait, ces données elles sont aussi analysées par Google, Facebook, etc, pour nous vendre de la publicité ciblée et nous profiler. Donc en fait, déjà, sans le voir, ces géants de l'Internet nous profilent, et la NSA n'a plus qu'à prendre les fruits qui tombent de l'arbre.
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Là où c'est dramatique, c'est qu'en France, ça c'est une photo du Sénat, qui n'est pas très loin, a été votée, donc au Sénat, la semaine dernière, et puis la commission mixte paritaire entre l'Assemblée nationale, a voté aussi un texte de loi, le projet de loi renseignement, où, en France, au nom de la modernisation de la loi des services de renseignement, on autorise la surveillance de masse. Si vous demandez à Manuel Valls, ou à Bernard Cazeneuve, s'il fait de la surveillance de masse, il vous jurera que non, que cette histoire de boîte noire ce ne sont que des illuminés, comme moi, qui vous racontent des histoires. Le fait c'est que, en gros, dans la loi, il y a des provisions pour mettre des équipements sur le réseau internet, en vue de surveiller des pans entiers de l’internet français, pour détecter des mouvements suspects. Moi j'ai commencé à communiquer sur la chose, en tant que membre du Conseil National du Numérique, en disant « écoutez, là », je n'ai pas dit là vous yoyotez, mais c'est ce que je pensais, « ça ne va pas, la surveillance de masse, ce n'est pas une très bonne idée », parce que je suis resté poli, quand même. J'ai été convoqué à Matignon. On m'a expliqué que je n'avais rien compris, mais dès que je posais une question on me répondait « je ne peux pas vous répondre, c'est secret défense ». Donc on ne sait pas ce que c'est que les algorithmes des boîtes noires, on ne sait pas sur quoi ça porte. Le code source, évidemment, n'est pas ouvert. À quoi ressemble un mouvement suspect, je n'en rien. Je leur ai dit « mais alors, je vais chercher Djihad, sur Wikipédia, c'est un mouvement suspect ? ». « Ah, euh ». Ils ne répondent, mais, enfin bon, ils font des mines, et tout, genre « arrêtez de me prendre pour un con ». Et je dis « mais alors dans la foulée, je vais prendre, je ne sais pas moi, je vais prendre un voyage en Turquie. Je regarde Djihad et je vais faire un week-end en Turquie. Et là, c'est bon ? Je suis dedans ou je ne suis pas dedans ? ». là Ils font moins les malins, quand même. Et on ne sait pas. Et c'est un vrai problème de ne pas savoir ce que c'est qu'un comportement suspect, parce que, du coup, on se dit « ah non, je ne vais pas regarder Djihad sur Wikipédia ». Si on commence à se dire qu'on ne peut plus regarder Wikipédia partout sans être, éventuellement, fliqué par des barbouzes, ça commence à être gênant. Si quand je prends un billet d'avion pour Istanbul je me dis « eh, c'est peut-être suspect, etc ». C'est une vraie intrusion, en fait, dans nos libertés.
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Alors on dit « oui, mais vous n'avez rien à cacher, monsieur Nitot. Vous n'avez rien à cacher ! ». Eh bien si, j'ai des trucs à cacher et je parie que vous tous, dans la salle, vous avez des choses à cacher. On ne va pas refaire l'exercice de vous faire lever, mais qui n'a pas de loquet à ses toilettes ? Dénoncez-vous, levez la main. OK. Il y a un monsieur qui se lève. Alors monsieur, c'est très bien d’être innovant dans sa vie sexuelle, mais ça ne nous intéresse pas. Donc, on a tous des loquets à nos toilettes, parce que c'est important d'avoir des moments d'intimité, et ce n'est pas illégal d'avoir un loquet dans ses toilettes. Et je ne pense pas que vous ayez, chez vous, dans vos toilettes, une activité illégale. Alors peut-être, parfois, on s'enferme dans les toilettes, on fume des trucs pas autorisés, mais c'est vraiment la limite, quoi. Normalement ce n'est pas illégal. Deuxième exemple. Moi, j'ai une famille, une femme, deux enfants, je ne vais rentrer dans le détail, j'en suis très fier, mais on a fait des enfants, ma femme et moi, et on va s’arrêter là. D’accord ? Je suis marié, j'ai bien fait tout dans les règles, seulement j'ai mis des rideaux à ma fenêtre, parce que je n'ai pas très envie que les gens sachent comment je fais les enfants avec ma femme. Et c'est même recommandé de faire des enfants, parce qu'on en a besoin, mais ce n'est pas illégal. Et pourtant, c'est secret. Enfin, il y a des gens, je ne sais pas si vous en faites partie monsieur qui n'a pas de loquet, après vous pouvez vous filmer aussi, si vous voulez, mais ce n'est pas obligé. Moi je préfère ne pas filmer. Et puis j'ai changé d'emploi il n'y a pas longtemps et, évidemment, j'ai envoyé des CV, et je n'avais pas envie qu'ils sachent, c’était secret, mais ce n'était pas illégal, parce si changer de boulot devient illégal, là, on est mal. Donc, vous voyez, des tas de choses qui sont secrètes et qui ne sont pas, pour autant, illégales. Je vais vous donner un dernier exemple, quand je suis sous la douche je chante atrocement faux. Mais alors, atrocement faux. Et c'est parce que je suis tout seul. Mais si j'entends la porte de l'appartement claquer, ma femme qui rentre des courses, là, ça coupe tout, net quoi, parce que je ne peux pas chanter aussi faux que ça, parce que, objectivement, c'est ridicule, j'ai même un peu de mal à vous en parler maintenant, mais je n'ai pas envie qu'on m'entende être aussi mauvais que ça. Voilà. Et pourtant j'ai le droit de chanter sous la douche, c'est important pour moi, ne serait-ce que pour un jour, peut-être, j'oserai prendre le micro dans un karaoké, et chanter moins faux que si je ne m'étais pas entraîné avant sous la douche. Donc on a tous quelque chose à cacher.
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Ce que vous voyez ici c'est une prison, à Cuba.

Version du 3 août 2015 à 14:06


Titre : Cloud, vie privée et surveillance de masse

Intervenant : Tristan Nitot

Lieu : 8ème Rencontre Nationale des Directeurs de l’Innovation

Date : Juin 2015

Durée : 47 min 15

Lien vers la vidéo


00' transcrit MO

Je vais me présenter très brièvement, je m'appelle Tristan Nitot, j'ai quarante-huit ans, je suis un citoyen français, je suis Chief Product Officer chez Cozy Cloud, une startup française, je suis membre du Conseil National du Numérique, et je travaille sur un livre que je publie, au fur et à mesure, sur mon blog, sur la problématique de vie privée, surveillance de masse et la problématique du cloud. Donc, en gros, vous allez avoir accès, en partie, à ce contenu, à ce livre, sachant que, normalement, en septembre, si tout se passe bien, il existera en version papier.

Comme c'était, quand même, une longue journée, on va commencer par un tout petit peu d’exercice, et je vais demander aux utilisateurs de Facebook, de Google Search, les recherches Google, ou d'un service Yahoo de se lever. Donc si vous utilisez un de ces services, merci de vous lever. C'est bienvenu un peu d'exercice ! Restez debout ! Hou là là, attendez, l'exercice n'est pas terminé. Je vois qu'il y a des personnes qui n'ont pas compris les instructions, ou qui n'écoutent pas, il y a un monsieur qui est au téléphone, que je dérange beaucoup visiblement, là. Restez debout. Maintenant, ceux qui utilisent ces services sans payer, peuvent se rasseoir, sans payer. Si vous ne payez pas pour ces services, rasseyez-vous. Voilà. D'accord donc il y a quand même, monsieur hésite, est-ce qu'il a payé ? Vous avez envoyé votre chèque à Facebook le mois dernier ou pas ? Non, finalement il se rassoit. Bon d'accord ! Il y en a quatre qui n'ont pas compris les instructions, même pas. Donc tout le monde peut se rasseoir maintenant. Non, mais il y a un monsieur qui a compris les instructions, mais il veut rester debout. Voilà.

Cet exercice est intéressant, c'est qu'on utilise tous ces services, peut-être qu'il y a une exception, sans payer, c'est-à-dire que Google Search vous ne payez pas, Facebook vous ne payez pas, Yahoo vous ne payez pas. Il y a un adage qui dit « si c'est gratuit, c'est vous le produit ». Effectivement. Donc vous voyez, là c'est une ferme industrielle de cochons, et on ne comprend pas toujours très bien, mais le cochon, je vous le dis tout de suite, le cochon n'est pas le client du fermier. Il y a un moment où il faut revenir sur la base. C'est-à-dire que le cochon, il est nourri gratuitement, mais aucun de nous d'ailleurs, nous ne sommes pas des cochons, donc on peut avoir une certaine distance vis-à-vis du sujet, nous savons, indéniablement, que le cochon n'est pas le client du fermier. Le client c'est celui qui mange le saucisson. Il y a un parallèle intéressant, d'ailleurs, entre le cochon et nous, utilisateurs du numérique, je n'ai pas dit clients du numérique, mais utilisateurs du numérique, c'est que, finalement, on va peut-être finir en saucissons.

Pourquoi, au-delà de cet exemple qui est un peu amusant, il y a une problématique à comprendre, c'est que les données c'est le pétrole du 21e siècle. Ça c'est Los Angeles en 1908, et, au milieu des pavillons, c'est bourré de derricks. Pourquoi il y a ces derricks qui pompent du pétrole comme on le faisait il y a presque cent dix ans en Californie ? EH bien, je vais vous donner un exemple, ça c'est l'application de Facebook qui j'ai commencée à installer sur mon téléphone Android. Finalement, je n'ai pas accepté, parce que ce n'est pas acceptable, d'après moi, que Facebook, pour que je puisse m'en servir et lui donner mes données, il me demande d'avoir accès à tous mes SMS, mes photos, ma position par GPS, la liste de tous mes contacts, mon agenda, et l'historique de l'appareil des applications que j'utilise, autres que Facebook. Donc ça, vous voyez, ça c'est un derrick dans ma poche. En fait, les sociétés, les grandes sociétés du numérique aujourd'hui, Google, Facebook, Yahoo, etc, et Microsoft, ce sont des gens qui viennent mettre des derricks dans nos jardins, c'est-à-dire qu'ils viennent pomper nos données.

Alors, là on va dire « il a une dent contre Facebook ». Non, pas du tout ! Enfin si, mais pas seulement. Ça, ce sont des informations que j'ai trouvées sur un serveur de Google. Un serveur de Google, donc ce n’était pas dans mon ordinateur. C'est un serveur de Google. Si vous utilisez Google Maps, et que vous avez, comme tout le monde, lu les conditions générales d’utilisation, je ne vous fais pas lever, tout le monde les a lues les conditions générales d'utilisation de Google Maps, je ne vais pas vous faire cet affront, évidemment. Je lisais d'ailleurs récemment que, en fait, si on lisait toutes les conditions générales d’utilisation de tous les services en ligne qu'on utilise, il faudrait des dizaines d'années, à raison de huit heures par jour pour les lire et les analyser, vous voyez, donc on ne le fait pas, forcément. Eh bien donc, en utilisant Google Maps, Google Maps collecte des données sur mes déplacements. Et c'est ainsi qu'on voit que le 2 décembre 2014, je me suis promené, je suis allé faire un tour dans le 16e, je suis allé faire un tour du côté du canal Saint Martin, et du côté du boulevard Montmartre. Et quand ça fait des lignes droites, c'est que je prends le métro et il ne peut pas me repérer par GPS. Et ça, ces données, elles sont envoyées automatiquement à Google. Alors, du coup, je me suis dis, je vais désactiver le GPS et la géolocalisation. Et là, il me dit, vous pouvez désactiver le GPS et la géolocalisation, et le wifi, mais sachez quand même qu'on va détecter les bornes wifi autour de vous, et on va les stocker pour plus tard. Vous pouvez aller, c'est très compliqué, les chercher dans les préférences, l'endroit où vous pouvez désactiver ça, et puis, forcément, votre téléphone marche beaucoup moins bien après, donc, non, on ne le fait pas. Donc c'est ça, c'est « je pompe tes données ou tu crèves », quoi, ou, en tout cas, ça ne marche.

Donc voilà pour Facebook, voilà pour Google. Je ne vous les fais pas tous, je crois qu'on a compris le système. Et, évidemment, les grands services nous disent « ah non, mais ne vous en faites pas, les utilisateurs sont extrêmement conscients de ça, ils sont ravis d'échanger des données personnelles contre des services gratuits. Ils ont des services de relations presse et relations publiques, qui expliquent ça, à longueur de journée, comme quoi c'est un très bon accord.

Moi, en fait, ça m'évoque plutôt l'accord, où c'est comme quand qu'on achetait des esclaves contre des verroteries. Vous voyez, c'est un bon accord. On allait en Afrique, on donnait des verroteries et on embarquait des esclaves. Et les gens étaient contents, regardez des verroteries. C'est vrai que des verroteries, quand vous vous étiez en Afrique occidentale, vous n'en voyiez pas beaucoup, il y a deux siècles, et on était content de faire des échanges. C'était quand même une arnaque. Ou, des Indiens d'Amérique, à qui on achetait des terres en échange de verroteries, parce que pour eux le notion même de propriété de la terre leur était impossible, et on les arnaquait de la même manière. Donc c'est exactement le même genre d’arnaque, et je pense que, dans quelques dizaines d’années, on regardera la période d'aujourd'hui avec effroi, en disant « mais comment les gens ont-ils pu donner des données personnelles en échange de services aussi bon marché ».

Parce que j'ai fait le calcul si vous regardez les comptes, la comptabilité de Facebook, qui est en partie publique, parce que, évidemment, ils sont cotés en bourse, vous regardez que un utilisateur Facebook, pendant un an, ça coûte cinq euros, pour faire fonctionner Facebook pour une personne, cinq euros. Donc, en fait, vous échangez toutes vos données dans Facebook pour un service qui vaut cinq euros, en gros pour le prix de deux expressos au comptoir, vous avez donné toutes vos données personnelles. J'aime beaucoup le café, mais à ce prix-là, je préférerais payer directement Facebook, que avoir cet échange de dupes. D'ailleurs ça a commencé à se voir. Il y a un rapport qui est sorti, il y a une dizaine de jours, qui s'appelle The Tradeoff Fallacy, qui explique que, en gros, il y a l'immense majorité, plus des deux tiers des gens, trouvent que c'est une arnaque, c’est-à-dire que les sociétés internet en savent trop sur nos données, mais, de toutes façons, comme on ne peut absolument rien faire genre Google Maps, genre Facebook, autant en tirer un service gratuit. Donc, bon an, mal an, un peu déçus par ce procédé pas très loyal, tant qu'à se faire pomper les données, autant avoir un service gratuit en échange.

Si vous permettez, je vais chercher une petite bouteille. Excusez-moi pour cet intermède

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Après, il y a une problématique, aussi, c'est que toute cette collecte de données, elle n'est pas neutre pour les individus, c'est le moins qu'on puisse dire, elle n'est pas neutre pour les entreprises, non plus. Je suppose que vous avez tous entendu parler d'Uber qui dit, j'ai fait un copié-collé de leur site web tout à l’heure, « Uber révolutionne le monde du transport ». Donc cette fameuse société, qui a quelques concurrents en France, qui permet de faire une alternative aux taxis. Et donc Uber révolutionne le monde du transport en mettant en relation utilisateurs et chauffeurs. Donc, ils sont en train de concurrencer les taxis, au point que les taxis font grève, bloquent la circulation, que la police s'en mêle, qu'on change la loi, etc. C'est un gros, gros changement. Ce qui est juste dingue, c'est que le taxi qui est physiquement à Paris, il est à quelques centaines de mètres de moi, eh bien un type, en Californie, avec son application, a réussi à s’intercaler entre le taxi qui est dans la rue et moi. Ça a donné un nouveau mot qui s'appelle « l'ubération », c'est-à-dire se faire disrupter, c'est-à-dire perturber, grâce à cette mise en relation, que j'ai mis en gras, parce que c'est ça, ils commencent à s'insérer en tant qu’intermédiaire, entre la grande société du CAC 40, établie, etc, et l'utilisateur final, le client final. Ils viennent, en fait, perturber cette relation.

Donc, ce n'est pas juste les individus qui sont touchés, ce sont aussi les grandes entreprises. Alors il y a des prises de conscience de ces choses-là, qui sont épisodiques, des histoires horribles qui frappent les esprits. Ça c’était l'été dernier, en août, où un certain nombre de starlettes qui avaient pris des photos avec leur iPhone, la plupart du temps, des photos extrêmement intimes, et ces photos ont terminé sur Internet. C'est-à-dire que ce qui était extrêmement paradoxal, c’était le fait qu'elles avaient toujours leur téléphone à la main, il n'avait pas disparu leur téléphone, on ne leur avait pas volé le téléphone. Mais les photos prises étaient sauvegardées dans le cloud. Alors le cloud, je précise pour ceux qui ne savent pas, le cloud c'est l’ordinateur de quelqu'un d'autre. C'est juste un joli mot, qui raccourcit, et qui donne un côté vaporeux et sympathique, mais, littéralement, le cloud c'est un ordinateur, c'est l’ordinateur de quelqu'un d'autre. Et donc, effectivement, leurs photos extrêmement intimes, mises sur l'ordinateur de quelqu’un d'autre, lequel avait été piraté, s'est retrouvé, le contenu, sur Internet, ce qui est extrêmement gênant. Moi, je suis allé me documenter, effectivement, j'aurais été embêté de me retrouver avec des photos comme ça, de moi ou de ma femme, sur Internet. Donc c'était une grande prise de conscience, c'est, en fait, même si on ne me vole pas mon téléphone, on peut me voler mes photos ; c'est quand même très bizarre.

Il y a eu une autre prise qui était un an plus tôt, juin 2013, Edward Snowden. Edward Snowden étant un lanceur d'alerte, qui travaillait pour la NSA, qui est donc les agents secrets américains, et Edward Snowden est parti avec des dizaines de milliers de documents, qui sont encore en train d’être épluchés, deux ans plus tard, par des journalistes, pour comprendre tout ce qu'il y a. Et, en gros, c'était sympa parce que c'était les diapos qui étaient remises à l’état-major de la NSA et on expliquait qu'ils voulaient écouter tout le monde, tout le temps. Le téléphone, l'Internet, tout, tout le monde, tout le temps, parce que ça peut valoir quelque chose, on ne sait pas. On se dit « oui bon, c'est surtout pour les militaires, les terroristes, tout ça ». Non, non, pas du tout. Il est aussi expliqué, dans les mêmes slides, que les clients de la NSA c'est le ministère du Commerce, le ministère de l'Agriculture, des Transports, etc, c'est-à-dire des civils ,qui font de l'intelligence économique sur la base de ce que pompe la NSA, sur nos données.

Alors quel rapport entre Edward Snowden et ce qui nous intéresse, parce qu'Edward Snowden nous dit « mais vos données, elles sont pompées, en tout cas la NSA veut les pomper, et elle a des budgets énormes, mais quand même pas au point de mettre sur écoute trois milliards d'internautes, avec trois milliards de capteurs dans chacun des trois milliards d'ordinateurs et de smartphones des trois milliards d'internautes, ça coûterait trop cher. Alors qu'est-ce qu'ils font ? Eh bien, tout simplement, ils vont mettre des micros chez Google, Facebook, Apple, etc, Yahoo, Microsoft, et vous mettez une bonne douzaine de gros, des micros virtuels, vous allez pomper les données dans ce qui est, finalement, un paquet de silos, et donc, au lieu d'aller surveiller des individus, chacun chez soi, vous allez surveiller quelques gros géants, ici Google, Facebook, Yahoo, Microsoft. Il y en a d'autres, mais je n'ai trouvé qu'une photo avec quatre silos. Je suis passé devant, il y avait quatre silos. Bon, peut-être qu'ils en ont mis plus depuis, mais, il n'y a pas que eux.

Donc, voilà le problème, c'est que cette centralisation des données, dans les grands silos, elle rend économiquement possible la surveillance de masse. C’est-à-dire que si on était chacun chez soi, ça serait très compliqué de nous surveiller, mais comme on met toutes nos données au même endroit, ça devient, finalement, trivial. D'autant que, en fait, ces données elles sont aussi analysées par Google, Facebook, etc, pour nous vendre de la publicité ciblée et nous profiler. Donc en fait, déjà, sans le voir, ces géants de l'Internet nous profilent, et la NSA n'a plus qu'à prendre les fruits qui tombent de l'arbre.

Là où c'est dramatique, c'est qu'en France, ça c'est une photo du Sénat, qui n'est pas très loin, a été votée, donc au Sénat, la semaine dernière, et puis la commission mixte paritaire entre l'Assemblée nationale, a voté aussi un texte de loi, le projet de loi renseignement, où, en France, au nom de la modernisation de la loi des services de renseignement, on autorise la surveillance de masse. Si vous demandez à Manuel Valls, ou à Bernard Cazeneuve, s'il fait de la surveillance de masse, il vous jurera que non, que cette histoire de boîte noire ce ne sont que des illuminés, comme moi, qui vous racontent des histoires. Le fait c'est que, en gros, dans la loi, il y a des provisions pour mettre des équipements sur le réseau internet, en vue de surveiller des pans entiers de l’internet français, pour détecter des mouvements suspects. Moi j'ai commencé à communiquer sur la chose, en tant que membre du Conseil National du Numérique, en disant « écoutez, là », je n'ai pas dit là vous yoyotez, mais c'est ce que je pensais, « ça ne va pas, la surveillance de masse, ce n'est pas une très bonne idée », parce que je suis resté poli, quand même. J'ai été convoqué à Matignon. On m'a expliqué que je n'avais rien compris, mais dès que je posais une question on me répondait « je ne peux pas vous répondre, c'est secret défense ». Donc on ne sait pas ce que c'est que les algorithmes des boîtes noires, on ne sait pas sur quoi ça porte. Le code source, évidemment, n'est pas ouvert. À quoi ressemble un mouvement suspect, je n'en rien. Je leur ai dit « mais alors, je vais chercher Djihad, sur Wikipédia, c'est un mouvement suspect ? ». « Ah, euh ». Ils ne répondent, mais, enfin bon, ils font des mines, et tout, genre « arrêtez de me prendre pour un con ». Et je dis « mais alors dans la foulée, je vais prendre, je ne sais pas moi, je vais prendre un voyage en Turquie. Je regarde Djihad et je vais faire un week-end en Turquie. Et là, c'est bon ? Je suis dedans ou je ne suis pas dedans ? ». là Ils font moins les malins, quand même. Et on ne sait pas. Et c'est un vrai problème de ne pas savoir ce que c'est qu'un comportement suspect, parce que, du coup, on se dit « ah non, je ne vais pas regarder Djihad sur Wikipédia ». Si on commence à se dire qu'on ne peut plus regarder Wikipédia partout sans être, éventuellement, fliqué par des barbouzes, ça commence à être gênant. Si quand je prends un billet d'avion pour Istanbul je me dis « eh, c'est peut-être suspect, etc ». C'est une vraie intrusion, en fait, dans nos libertés.

Alors on dit « oui, mais vous n'avez rien à cacher, monsieur Nitot. Vous n'avez rien à cacher ! ». Eh bien si, j'ai des trucs à cacher et je parie que vous tous, dans la salle, vous avez des choses à cacher. On ne va pas refaire l'exercice de vous faire lever, mais qui n'a pas de loquet à ses toilettes ? Dénoncez-vous, levez la main. OK. Il y a un monsieur qui se lève. Alors monsieur, c'est très bien d’être innovant dans sa vie sexuelle, mais ça ne nous intéresse pas. Donc, on a tous des loquets à nos toilettes, parce que c'est important d'avoir des moments d'intimité, et ce n'est pas illégal d'avoir un loquet dans ses toilettes. Et je ne pense pas que vous ayez, chez vous, dans vos toilettes, une activité illégale. Alors peut-être, parfois, on s'enferme dans les toilettes, on fume des trucs pas autorisés, mais c'est vraiment la limite, quoi. Normalement ce n'est pas illégal. Deuxième exemple. Moi, j'ai une famille, une femme, deux enfants, je ne vais rentrer dans le détail, j'en suis très fier, mais on a fait des enfants, ma femme et moi, et on va s’arrêter là. D’accord ? Je suis marié, j'ai bien fait tout dans les règles, seulement j'ai mis des rideaux à ma fenêtre, parce que je n'ai pas très envie que les gens sachent comment je fais les enfants avec ma femme. Et c'est même recommandé de faire des enfants, parce qu'on en a besoin, mais ce n'est pas illégal. Et pourtant, c'est secret. Enfin, il y a des gens, je ne sais pas si vous en faites partie monsieur qui n'a pas de loquet, après vous pouvez vous filmer aussi, si vous voulez, mais ce n'est pas obligé. Moi je préfère ne pas filmer. Et puis j'ai changé d'emploi il n'y a pas longtemps et, évidemment, j'ai envoyé des CV, et je n'avais pas envie qu'ils sachent, c’était secret, mais ce n'était pas illégal, parce si changer de boulot devient illégal, là, on est mal. Donc, vous voyez, des tas de choses qui sont secrètes et qui ne sont pas, pour autant, illégales. Je vais vous donner un dernier exemple, quand je suis sous la douche je chante atrocement faux. Mais alors, atrocement faux. Et c'est parce que je suis tout seul. Mais si j'entends la porte de l'appartement claquer, ma femme qui rentre des courses, là, ça coupe tout, net quoi, parce que je ne peux pas chanter aussi faux que ça, parce que, objectivement, c'est ridicule, j'ai même un peu de mal à vous en parler maintenant, mais je n'ai pas envie qu'on m'entende être aussi mauvais que ça. Voilà. Et pourtant j'ai le droit de chanter sous la douche, c'est important pour moi, ne serait-ce que pour un jour, peut-être, j'oserai prendre le micro dans un karaoké, et chanter moins faux que si je ne m'étais pas entraîné avant sous la douche. Donc on a tous quelque chose à cacher.

20' 20

Ce que vous voyez ici c'est une prison, à Cuba.