Changer le monde, un ego à la fois - Pouhiou - PSES2019

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Titre : Changer le monde, un ego à la fois

Intervenants : Pouhiou

Lieu : Pas Sage en Seine - Choisy-le-Roi

Date : juin 2019

Durée : 59 min

Écouter ou télécharger la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription : MO

Description

Je suis entré dans le librisme en m’intéressant aux auteur·ices et leurs droits. J’ai travaillé des années sur l’hégémonie des géants du web.
Je peux résumer le deal qui est proposé à chaque fois en trois mots : Confort Contre Contrôle. Ma liberté résumée à un choix illusoire entre X et Y. Le libre arbitre comme un morceau de sucre pour faire passer le contrôle sur nos actions.
Et si « je » sortais de ma petite individualité pour imaginer ce qu’on pourra faire lorsqu’on sera « nous » ?

Transcription

Bonjour. Bienvenue dans cette conférence qui s’appelle « Changer le monde un ego à la fois ». Je ne sais pas exactement ce dont je vais parler, je ne suis pas sûr de moi, mais je sais que j’en avais très envie. Pour vous prévenir aussi un petit peu en préambule, je déteste les slides donc j’ai essayé de me démerder quand même à faire quelque chose qui me plaisait, mais je ne sais pas si c’est ce qu’il faut faire et, à la limite, je m’en fiche un peu. Donc voilà. !

Mon employeur c’est donc Framasoft, c’est une association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et le mode d’action c’est principalement de créer des outils pratiques, concrets, pour apporter plus de logiciels et de culture libre dans la vie de « les gens » et « les gens » c’est défini de différentes manières au fil du temps. Sauf que cette conférence est inspirée de tout ce que j’ai vécu en tant que salarié au sein de l’association Framasoft et bénévole auparavant ces cinq-sept dernières années, mais il y a aussi des choses très personnelles. Donc on va dire que mon employeur tient à garder l’anonymat. Imaginez que si je dis des trucs vachement bien, eh bien c’est grâce à l’expérience que j’ai vécue au sein de Framasoupe, on va dire, pour garder l’anonymat. Si je dis des conneries ce sont probablement les miennes et si c’est du génie, aller, je vais le prendre pour moi. On a dit qu’on parlait d’ego, non ? Donc voilà c’est parti.
En effet je vais vous parler de moi. Je vais vous parler de moi puisqu’on va parler d’ego et je me dis que j’en ai un gros, donc tout va bien et puis ce n’est pas pour rien que je vais vous parler de moi. Je vais vous dire que les religions qui ont façonné le monde dans lequel j’ai grandi, dans lequel je me suis éduqué, m’ont dit que j’étais important, m’ont dit que j’avais raison d’avoir un gros ego. Il y en a une qui m’a dit que c’est « parce que je le vaux bien ». Attention je ne parle pas juste de l’auréole, je parle plus exactement du capitalisme qui m’a dit que j’étais très important et que je devais avoir un gros ego, être individuel et acheter des choses uniques comme tout le monde. Et puis il y a une autre religion qui m’a dit qu’il m’a fait à son image. Je déterre des super vieilles photos, là c’est un vieux dossier et j’embrasse très fort Noëlle Ballestrero qui est une photographe et une amie qui me manque. Du coup, s’il m’a fait à son image, ça veut que j’ai quelque chose de divin en moi. J’ai bien raison d’avoir mon gros ego.

Je suis rentré dans le Libre, je suis tombé dans le Libre pas du tout en codant, mais en écrivant des romans. À l’époque c’était un roman blog sur le site noenaute.fr et je bloguais comme ça un épisode par jour, quatre jours par semaine, et le cinquième jour, du coup, c’était plutôt un article de discussion, de coulisses, de choses comme ça et très vite je me suis vraiment rendu compte que le principe de création, diffusion et retour du lectorat, tout ça était extrêmement fluide, extrêmement libre et que si j’y mettais des barrières telles que le droit d’auteur eh bien ça ne me parlait pas. Du coup j’ai mis tout ça dans le domaine public vivant.
À un moment donné, je suis allé voir Framasoft en leur disant « dites, vous avez un gros blog qui s’appelle Framablog Je viens de finir mon roman qui est dans le domaine public, si vous voulez en parler ça fera quelques lecteurs, quelques lectrices de plus. » Ils m’ont dit : « On a une maison d’édition qui s’appelle Framabook. Jusqu’à présent on a fait principalement des manuels, une biographie sur Richard Stallman, des BD, on avait envie de faire du roman, ça te dit qu’on te passe en comité de lecture ? » J’ai fait « banco ». Donc on a sorti le premier roman du domaine public vivant édité par une maison d’édition française. Je suis juste pas peu fier de la chose !
Évidemment, quand on commence à faire des choses comme ça, on met le doigt et puis on se fait bouffer totalement parce qu’on plonge dedans avec délices. J’ai commencé à prendre un peu tous les savoirs que j’avais pris sur le droit d’auteur et à faire des conférences avec et j’avais fait une conférence qui s’appelait « Les droits-d’auteuroliques anonymes » - vous remarquerez l’aspect écolo du recyclage de slides vieilles de cinq ans - aux RMLL 2014, parce que je considérais vraiment le concept du droit d’auteur, le principe, les fondamentaux du droit d’auteur comme une addiction, un peu comme une addiction. C’est qu’il y a un vrai problème et il faut admettre qu’il y a un problème. Tout le monde veut du droit d’auteur, c’est le droit d’auteur qui nourrit la création, les auteurs, les artistes, hou là là il faut les protéger, les nourrir, etc. Donc tout le monde en veut, veut mettre partout du droit d’auteur et, en même temps, ça ne nourrit pas, voire ça affame les artistes qui sont le maillon le moins payé de la chaîne de production et de vente des œuvres culturelles. Je me suis dit « faisons les 12 étapes des alcooliques anonymes ou des addictes anonymes et appliquons-les au droit d’auteur, voir ce que ça donne ». Comme je vous l’ai dit ce n’est pas nourrissant alors qu’on croit que c’est nourrissant - c’est un vieille publicité très problématique [La bière est nourrissante, NdT] - et la douzième étape - je ne ne vais pas vous faire les 12 étapes, rassurez-vous - la douzième étape, s’avouer qu’on est dépassé, s’avouer qu’il y a quelque chose, qu’il y a un problème qui est fondamental là-dedans.
La figure qu’on a d’habitude sur le droit d’auteur c’est Beaumarchais. Beaumarchais qui a inventé les concepts du droit d’auteur en 1780, qui les a fait accepter avec la création de la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatique] par le gouvernement républicain de 1790 et cette image romantique de Beaumarchais auteur défendant les auteurs et inventant le droit d’auteur ! C’est cool !
Maintenant, quand on se penche un peu dessus et ça m’est arrivé, Beaumarchais c’est un homme d’affaires. Il a vendu des armes au général Lafayette pour le compte du roi de France. Beaumarchais était auteur, certes, il voulait défendre les auteurs notamment contre des théâtres peu scrupuleux, certes, mais il était aussi éditeur. Il a d’ailleurs arnaqué les ayants droit de Voltaire sur ses droits d’auteur ; c’est assez croquignolet ! Il était aussi imprimeur-libraire - à l’époque on imprimait dans l’arrière-boutique et on vendait les livres en boutique - et il avait même une papeterie en Normandie, le garçon. Donc c’était un peu la chaîne du livre à lui tout seul. Il avait tout compris. Beaumarchais a réfléchi non pas seulement en auteur mais aussi en commerçant, en commerçant homme, bourgeois, bien né de l’époque, lettré de l’époque, il faut remettre dans ces circonstances-là, et il a créé le droit d’auteur comme un contrat où on dit à l’auteur : « Je t’invente des droits, pouf ! ex nihilo, je t’invente des droits pour que tu puisses les céder à un éditeur et l’éditeur fera tout le boulot de production, de commercialisation, etc. C’est un petit peu le « tu s’occupe de rien, je s’occupe de tout », c’est-à-dire vraiment dire « voilà, écoute, c’est chiant de voir avec les graphistes, de faire la maquette, de se faire chier avec l’imprimeur, de passer du RGB au CMJN, c’est super chiant ! Je vais m’en occuper, promis. Je vais faire des trucs vachement bien, il n’y a pas de souci. Juste te me signes le papier, tu me files tous tes droits, tu me cèdes exclusivement tes droits, je m’occupe de tout et je te reverse quelques sous ». Voilà !
Du coup on a un concept simple qui est « confort contre contrôle » : je te donne tout ton confort, donne-moi le contrôle sur tes droits. Et franchement, quand on est auteur, quand on est artiste, quand on veut se faire chier à se laisser habiter par une œuvre pour arriver à la sortir et tout ça mais c’est trop cool ! J’ai envie de dire que c’est un peu comme de la magie, c’est ma reine la bonne fée qui arrive avec sa baguette magique et qui exhausse tous tes vœux. Donc moi j’avais envie d’y croire. Mais voilà ! Je veux bien croire aux fées, je sais que j’en suis une, sauf que je ne crois plus trop en ma reine. Bref ! J’ai commencé à faire des choses comme ça et je me suis fait embaucher par mon employeur qui souhaite rester anonyme pour des raisons que vous comprendrez.

Du coup on a travaillé sur une petite chose, avec Framasoft, qui s’appelle Dégooglisons Internet. Dégooglisons Internet c’est connu aujourd’hui comme une proposition de 34 services alternatifs aux services des géants du Web. Une alternative à Google, à Skype, à Minecraft, à Google Docs, à ceci, à cela. Et des alternatives qui sont éthiques. Donc ça c’est la contre-proposition dans Dégooglisons Internet. Mais dans Dégooglisons, il y avait aussi tout un volet extrêmement important et sur lequel j’ai travaillé en tant que communiquant qui a été d’informer, d’éduquer aux enjeux. C’est passé évidemment par la production d’articles de blogs, de prints, de flyers, de choses comme ça, mais aussi de conférences où on expliquait un peu pourquoi c’était problématique que des grands géants centralisent nos données, nos attentions et des informations sur nous.

Comme j’adore les moments de conférence, puisque mon ego aime bien être au-dessus de vous et que vous vous taisez, du coup j’ai prévu un moment de démocratie participative, juste pour faire le lien avec la conférence d’avant qui était super bien, il faut la regarder si vous ne l’avez pas vue, c’est un petit peu comme chez l’ophtalmo, il va falloir lire les lettres, donc donnez moi les noms de la première ligne. Google, OK. Ensuite ? Ouais, Oui, ouais… OK. [Apple, Facebook. Amazon, Microsoft, NdT]
Attention, plus on avance dans les lignes, plus c’est compliqué. Ensuite ? Netflix, oui. Airbnb, Ouais. Uber, ouais. Uber un peu moins déjà. Donc GAFAM, NATU. Attention l’occidental n’aime pas trop la Chine bizarrement, on ne sait pas trop ce qui se passe en Chine, on est chez les Chinois, Baidu, ouais. Alibaba. Tencent, ouais et Xiaomi, donc les BATIX. Comme quoi, en fait, Google c’est juste un symbole et même si on démantèle les GAFAM, il y en aura d’autres qui naîtront. Le problème c’est plus un problème mécanique, un problème systémique. Ça travaille en fait, là-dessus, sur cette envie de baguette magique « tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout ». L’e-mail c’est compliqué. Je vais te faire un Gmail magnifique, ça va être trop beau, en plus tu pourras cliquer partout, tu auras un espace de stockage absolument incroyable et à chaque fois on en rajoute et tout ça. « Tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout » et là, encore une fois, on est sur le fameux « confort contre contrôle ». Et vraiment encore une fois, on est sur ma reine la bonne fée qui est en train de nous offrir comme ça quelque chose d’absolument magique.

Moi je commence à me poser la question de quand est-ce que le carrosse redevient citrouille, parce qu’il y a peut-être un petit problème. Mais bon je ne fais pas que bosser dans ma vie, je ne fais pas que aller sur du numérique, il y a des moments où je mange. Je mange plutôt végétarien, cuisine-libre.fr c’est vachement cool comme site si vous ne connaissez pas. Ce n’est pas tous les soirs comme ça chez moi ! J’adore les lasagnes aux champignons, c’est un super recette, je vous la recommande, c’est super cool, mais il y a des moments où j’ai juste la flemme, nous sommes bien d’accord, je ne fais pas tous les soirs un plat de lasagnes.
Le problème c’est que quand je me lâche en mode confort et tout ça, eh bien les lasagnes préparées, il y a quelque chose d’un peu dangereux avec. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce scandale chez Findus où la viande de bœuf dans les lasagnes pré-préparées se retrouvait être de la viande de cheval. Sauf qu’en fait on est sur la même chose au niveau de la bouf industrialisée, de l’agroalimentaire et tout ça, on est en fait sur la même mécanique. Et là on se dit que si la magie ça revient à bouffer du petit poney, il y a peut-être un problème, quand même, à un moment donné !
Finalement c’est quelque chose, c’est une mécanique que je commence à retrouver un peu partout. C’est-à-dire que quand on me demande de choisir entre deux têtes d’affiche, parce que, sérieusement, j’ai bien écouté toutes les discussions politiques de toutes les élections de ces dix dernières années et autour de moi, les gens me parlent extrêmement rarement d’idées ou de programmes, par contre c’est « lui je n’ai pas confiance, il a l’air d’avoir un peu un trop gros ego ; elle, elle a un peu l’air d’une connasse ». On parle de gens, on ne vote pas pour des idées ou des personnes, techniquement je n’ai pas vu de personnes faire ça ou alors à la marge. En fait on est encore une fois sur ce même truc de « tu sais quoi, donne-moi ton bulletin, donne-moi ton mandat ; pendant cinq ans tu ne t’occupes de rien, je m’occupe de tout. Donne-moi le contrôle et tu auras le confort de ne pas t’emmerder avec les questions politiques ».
Et là, à un moment donné, on se dit que la magie ! Il y a quelque chose de foireux dans ce délire-là ! Parce que finalement si on parle de liberté, on parle souvent de reprendre le contrôle. Mais reprendre le contrôle, eh bien ça signifie, du coup, quand on est dans cette vision-là, perdre du confort. Et là on est sur une problématique qui n’est pas facile, parce que ce n’est pas facile de perdre du confort ou même, en tant que militants qui veulent inciter les personnes ou en tout cas leur proposer une possibilité d’avoir une meilleure hygiène numérique, de faire un autre monde, de vivre un peu autrement que ce qui nous est proposé, le fait de dire « c’est cool ce qu’on propose, il y a des valeurs, c’est chou et tout ça, par contre vous allez perdre du confort ».

C’est ce qu’on a essayé de faire avec la feuille de route de Framasoft après Dégooglisons Internet, on a parlé de Contributopia. Il y a plusieurs notions dans cette feuille de route et il y a une notion d’effort, il y a une notion où on dit « on va essayer d’outiller la société de contribution ». Ça demande de la contribution, ça demande un effort, ça ne va pas être facile ou pratique tout le temps, pas aussi facile ou aussi pratique que les entreprises les plus riches du monde, par exemple, qui peuvent offrir un contrôle qu’on n’a pas.

14’ 38

Du coup comme la conférence