Différences entre les versions de « Blockchain - Les temps électriques - Primavera De Filippi »

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'''Lieu :''' Amicus Radio - Émission <em>Les Temps électriques</em>
 
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'''Date :''' octobre 2018
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'''Date :''' mai 2018
  
 
'''Durée :''' 39 min
 
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Version du 2 novembre 2018 à 17:47


Titre : Blockchain

Intervenants : Primavera De Filippi - Sophie Sontag Koenig - Yannick Meneceur

Lieu : Amicus Radio - Émission Les Temps électriques

Date : mai 2018

Durée : 39 min

Écouter ou enregistrer le podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des orateurs·trices mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Yannick Meneceur : Les temps électriques, l’occasion de s’interroger sur l’avenir de la justice que nous nous préparons. Nous recevrons aujourd’hui Primavera De Filippi chercheuse au CERSA, unité mixte du CNRS et de l’Université Paris II, et chercheuse associée au Berkman Center for Internet & Society à l’université de Harvard pour parler des blockchains. En quoi ces chaînes de blocs informatiques peuvent révolutionner la justice ? Primavera De Filippi a écrit un livre Blockchain and the Law où elle évoque les questions de régulation, les smart contracts et un peu tout ce bazar. Primavera de Filippi merci d’être avec nous. L’émission sera également animée par Sophie Sontag Koenig. Bonjour Sophie.

Sophie Sontag Koenig : Bonjour Yannick.

Yannick Meneceur : Nous tenterons ensemble d’éclairer les débats, des débats assez complexes.

Sophie Sontag Koenig : oui. Bonjour Yannick. Bonjour Primavera De Filippi. C’est effectivement à mon avis plus qu’une simple traduction sémantique dont on va avoir besoin pour, comme vous dites, remettre de l’ordre dans ce bazar. À mon avis l’idée de blocs évoque déjà peut-être à l’esprit de certains auditeurs de célèbres jeux informatiques, peut-être une nouvelle extension de Minecraft, même si l’idée est tout autre. On est très heureux de vous recevoir pour en parler.

Yannick Meneceur : Parce qu’en effet il y a parfois des concepts dans la vie qui claquent, qui sonnent bien, qui sont même fondamentaux pour notre monde mais qui sont impossibles à expliquer autour de nous. Les blockchains, pour moi, entrent assurément dans cette catégorie, car le concept pour l’instant apparaît incompréhensible pour le grand commun des mortels que nous pouvons rencontrer même si, pour ma part, j’essaye à toute occasion de le vulgariser.

Je commence habituellement en parlant de bitcoin ; là les gens connaissent un peu, ils ont entendu plein de choses notamment à la fin de l’année dernière sur toute cette spéculation autour de cette cryptomonnaie, mais ils s’enferment rapidement dans l’idée que ce n’est qu’une monnaie d’échange dématérialisée et ont du mal à voir d’autres applications concrètes.
Après j’ai une autre astuce pour expliquer que l’on peut faire beaucoup plus de choses avec ce bazar, terme que vous avez d’ailleurs employé dans votre bio sur Twitter. Je reprends l’exemple de quelques personnes qui seraient assises autour d’une table, disons six, et qui verraient ensemble qu’il y a une feuille rouge au milieu. Ces personnes seraient ensuite en capacité de témoigner de cela auprès d’autres et, interrogées sur la couleur de la feuille, elles pourraient en témoigner auprès de six autres qui pourraient en parler ensuite chacune à six nouvelles personnes. Au final une communauté entière certifierait de la couleur de la feuille. Et si un petit malin s’amusait à la repeindre en bleu ou à corrompre un maillon de la chaîne tout le monde pourrait relever la supercherie.
On commence à s’approcher du cœur du sujet même si j’ai conscience que tout cela reste encore un peu stratosphérique.

Il faut commencer en réalité par concevoir les blockchains comme une sorte de registre géant, totalement décentralisé et transparent, dans lequel pourraient être consignés tous types de transactions. De la cryptomonnaie, comme l’on dit, mais aussi tout échange nécessitant la certification d’un tiers de confiance, voire des contrats et l’exécution de ces contrats.
J’espère que cela commence à devenir un peu plus concret. Rajoutons donc une couche de complexité en se posant une question évidente, mais pourquoi parle-t-on de chaîne de blocs ? Je vous arrête tout de suite, cela n’a rien à voir avec un jeu vidéo, Sophie, ni des briques en plastique assemblables à volonté et je ne cite aucune marque.

En fait, cela renvoie au fonctionnement même de cette technologie, assemble des groupes de transactions en blocs et qui sont certifiés par ces fameuses personnes réunies autour d’une table, décrites tout à l’heure. On appelle même ces gentils opérateurs des mineurs. Là aussi c’est assez imagé, il n’y a pas grand-chose de commun avec le temps des corons, quoique, et il faut, je pense, concevoir ces mineurs qui se trouveraient à différentes intersections d’un réseau constitué par tous les participants de la blockchain. Ces nœuds sont en fait des ordinateurs, suffisamment puissants, dédiés à la certification. Et l’originalité vient du fait qu’il n’y a pas qu’une seule autorité de centralisation mais tout un réseau d’autorités interconnectées, sans hiérarchie.

Pour reprendre le principe, on va dire que A veut effectuer une transaction vers B ; que cette transaction est ajoutée est ajoutée à plusieurs autres transactions en cours et assemblées dans un bloc. Le bloc est validé par les mineurs ; ensuite, avec des moyens cryptographiques, le bloc est ajouté à la chaîne de blocs diffusée aux autres nœuds et B reçoit la transaction de A. Ouf ! À partir de là les potentialités sont énormes et du fait de l’inviolabilité supposée en tout cas du système, on peut distinguer trois grandes catégories d’applications aujourd’hui, on pourrait peut-être en trouver d’autres, mais résumons cela à trois idées principales :

  • le transfert de monnaie, titres, actions, etc. ;
  • les fonctions de registre, immobilier, industrie, ??? même peut-être ;
  • les smart contracts qui sont des programmes autonomes qui effectuent automatiquement les termes d’un contrat sans autre intervention humaine.

Mais naturellement, comme pour toute technologie, il y a tout de même une certaine réflexion à conduire pour en mesurer les enjeux.

Alors chère Primavera De Filippi à ma connaissance vous n’êtes pas encore allée forger de la cryptomonnaie au fond une mine de charbon mais vous avez approfondi la question de l’impact de ces nouveaux modes de transaction, de leurs limites, notamment dans le domaine de la justice.

Commençons par revenir sur le fonctionnement même de cette technologie. J’ai conscience moi-même d’avoir été relativement théorique et vous le ferez certainement mieux que moi, est-ce juste de définir la blockchain comme un gros registre décentralisé ?

Primavera De Filippi : Oui, c’est correct d’une certaine façon. Après je pense qu’on peut être un petit peu plus spécifiques, c’est-à-dire que, d’une certaine façon, une analogie assez simple c’est de dire qu’en fait la blockchain c’est une base de données, mais c’est une base de données qui a des caractéristiques spécifiques, notamment elle est décentralisée, elle est certifiée et elle est incorruptible. Donc la particularité de cette base de données c’est que, une fois que des informations ou que des données sont enregistrées sur cette base, ces informations ne peuvent plus être modifiées ni effacées par personne. Et en plus de ça, dans les bases de données traditionnelles en fait il y a le mode lecture et le mode écriture, alors que la blockchain c’est une base de données particulière qui intègre aussi le mode exécution ; c’est-à-dire qu’on va pouvoir intégrer au sein de la base de données même des scripts ou des applications, des logiciels, qui vont s’exécuter automatiquement lorsque certaines conditions sont remplies.

Yannick Meneceur : Oui, c’est ça. On y reviendra sur la notion de smart contracts déclencheurs, en tout cas qui permettent de gérer automatiquement, en effet, des actions.

Primavera De Filippi : Exactement.

Yannick Meneceur : Ce qui m’interpelle naturellement c’est la question de sécurité du système tout d’abord. Là aussi les profanes ont pu voir que sur le bitcoin il y avait eu peut-être des difficultés de sécurité, je ne suis pas du tout spécialiste du domaine. Est-ce que sur ces questions de cryptographie on sait que tout peut-être cracké ou quasi, en tout cas il y a des mesures à toute contre-mesure, qu’elles sont les faiblesses en termes de sécurité de ce type de système ?

Primavera De Filippi : Ça fait désormais neuf ans que bitcoin n’a pas encore été cracké, ce qui est assez impressionnant, on va dire, en considérant la quantité d’argent qui est derrière et donc les grandes motivations que les gens ont pour essayer justement de…

Yannick Meneceur : On a une idée du volume financier ?

Primavera De Filippi : La capitalisation actuelle de bitcoins c’est plusieurs milliards. Donc en fait plus le temps passe et plus la valeur de bitcoin augmente, plus il y a évidemment une incentivisation d’essayer de cracker ce système et en neuf ans personne n’y a réussi, donc en fin de compte c’est quand même la cryptographie de base. Après il y a bien sûr tous les 12 cours autour de la mécanique quantique, etc., qui pourraient effectivement poser des problèmes, mais pour l’instant le mécanisme, le protocole de bitcoin n’a jamais été cracké.

Après par contre, évidemment, les problèmes de sécurité existent quand même ; mais en fait ils n’existent pas au niveau de l’infrastructure même, donc au niveau de la blockchain, ils existent autour. C’est-à-dire qu’il y a des applications qui vont utiliser la blockchain ou qui vont intermédier en fait. Il y a aussi les individus qui vont utiliser le réseau et ce qui se passe, puisque justement il y a ce processus de désintermédiation d’un certain côté, mais de ré-intermédiation d’un autre, ça veut dire qu’en fait tous les hacks et tous les vols, les fraudes qui ont été réalisés c’est soit parce que ces nouveaux intermédiaires, que ce soit les échanges, que ce soit les porte-monnaies en ligne, etc., en fait eux ne vont pas implémenter les mesures de sécurité nécessaires, donc on va hacker ce service.

Yannick Meneceur : Par rebond, en fait quelque part.

Primavera De Filippi : Voilà. Mais l’infrastructure en fait n’a jamais été cracker. Après, il y a aussi tout le problème c’est-à-dire que puisqu’on désintermédie, ça veut dire que tous les individus, les utilisateurs de bitcoin, doivent apprendre à sécuriser leur propre compte en banque.

Yannick Meneceur : Bien sûr.

Primavera De Filippi : Donc aujourd’hui personne n’a besoin d’avoir aucune connaissance en sécurité pour s’assurer que son argent est bien protégé dans une banque, avec bitcoin, si on ne veut pas utiliser ces intermédiaires, ça veut dire qu’il faut sécuriser son réseau, il ne faut pas perdre la clef privée, etc., donc évidemment…

Yannick Meneceur : Les fondamentaux de tout technicien en sécurité informatique c’est que le problème souvent se trouve entre la chaise et le clavier.

Primavera De Filippi : Absolument. Exactement.

Yannick Meneceur : C’est ce qu’on dit ; ce serait l’humain.
Pour résumer on va essayer de rester sur des termes naturellement assez peu techniques ; une infrastructure très sécurisée, peut-être la plus sécurisée aujourd’hui que l’informatique ait été capable de concevoir, et on entend assez facilement, pour revenir dans le domaine juridique, qu’un système aussi sécurisé pourrait naturellement aujourd’hui avoir d’autres applications que la simple cryptomonnaie. Et c’est vrai que la généralisation des systèmes aujourd’hui dans des professions qui exercent ces fonctions de tiers de confiance, je pense aux huissiers, aux notaires, semble une opportunité extraordinaire.
Est-ce que vous avez à votre connaissance des applications très concrètes dans ces types de métiers et quelles pourraient être les applications ?

Primavera De Filippi : Comme vous avez dit au début, il y a ces trois typologies d’applications. La première c’est notamment tout ce qui touche au transfert de valeurs et donc les applications financières d’une certaine façon, et une autre application extrêmement intéressante de la blockchain c’est vraiment de l’utiliser comme cette forme de registre décentralisé, certifié, incorruptible, etc. Donc effectivement, tout ce qui touche à la notarisation, donc le fait d’enregistrer des données, de pouvoir en garantir l’intégrité, l’authenticité, etc., ce sont évidemment des applications extrêmement intéressantes. Après il faut faire attention parce qu’il y a beaucoup de gens qui commencent à discuter est-ce que ça va indiquer la fin des notaires, la fin des huissiers, etc. Pas vraiment ! C’est-à-dire que, d’une certaine façon – et je pense que c’est vrai pour toutes les technologies donc ce n’est pas que la blockchain, – la blockchain, dans ce cas d’application particulière, en fait elle va permettre pas de remplacer, mais elle va permettre à ces professions d’identifier quelle est leur vraie valeur ajoutée. La vraie valeur ajoutée d’un notaire ce n’est pas celle d’enregistrer le fait qu’un contrat a été fait, c’est d’interagir avec les parties d’un contrat, de comprendre si elles ont effectivement compris de quoi il s’agit ensuite d’enregistrer.
Si la blockchain peut être utilisée tout simplement pour enregistrer évidemment ça veut dire que les notaires, en fait, se libèrent de cette fonction qui n’est pas vraiment la vraie valeur ajoutée du notaire, pour pouvoir se concentrer sur ce qu’ils sont vraiment censés faire.

Sophie Sontag Koenig : Pour aller dans le prolongement de ce que vous dites, puisque vous abordez la question du notaire et finalement de la nouvelle ré-intermédiation de ce nouveau rôle, et dans le prolongement de ce que Yannick vous demandait tout à l’heure en termes de responsabilité, j’ai bien compris que la sécurité, à l’heure actuelle, est quand même assez garantie, malgré tout, quel acteur serait susceptible d’engager sa responsabilité pour l’ouverture d’un réseau qui serait illicite, à ce niveau, au niveau des blockchains ?

Primavera De Filippi : C’est-à-dire un réseau illicite ?

Sophie Sontag Koenig : Si on cracke cette fameuse sécurité qui semble infaillible dont vous parliez, en termes de responsabilité juridique qui pourrait endosser la responsabilité juridique de l’utilisation frauduleuse qui pourrait en être faite ?

Yannick Meneceur : Est-ce que c’est le notaire qui s’engagerait ? Est-ce que c’est le concepteur de la blockchain ?

Sophie Sontag Koenig : Est-ce que c’est le notaire ? On parle des tiers de confiance et de la redéfinition de leur rôle. Est-ce que, à l’heure actuelle, on aurait une responsabilité de tiers de confiance qui aurait pu agir, mal agir ou en tout cas manquer à ses devoirs au niveau professionnel si on redéfinit le rôle de ces tiers de confiance et qu’on est donc sur une approche complètement différente des relations ? Qui pourrait à ce moment-là être responsable ?

Yannick Meneceur : Si le notaire ??? est-ce que c’est sa responsabilité qui est engagée, si demain on a un système décentralisé dont personne en réalité n’est propriétaire ?

Sophie Sontag Koenig : N’est propriétaire ! Tout fonctionne sur l’anonymat, Yannick a introduit le sujet à cet égard, tout fonctionne sur l’anonymat des relations au sein de ces blocs, au sein de cette chaîne, donc finalement en termes de responsabilité, qui devient responsable de ce qui s’opère ?

13’ 55

Primavera De Filippi : J’essaie de m’assurer que j’ai compris la question posée.