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'''Titre :''' Aux origines du web : logiciels libres et argent public
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Publié [https://www.librealire.org/aux-origines-du-web-logiciels-libres-et-argent-public-francois-elie ici] - Mars 2023
 
 
'''Intervenant : ''' François Elie
 
 
 
'''Lieu : ''' Estivales de l'association Institut Humanisme Total
 
 
 
'''Date :''' 9 juillet 2022
 
 
 
'''Durée :''' 1 h 41 min 21
 
 
'''[https://www.youtube.com/watch?v=9Y_fIyv8KdI Vidéo]'''
 
 
 
'''Licence de la transcription :''' [http://www.gnu.org/licenses/licenses.html#VerbatimCopying Verbatim]
 
 
 
'''Illustration :''' à prévoir
 
 
 
'''NB :''' <em>transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.<br/>
 
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.</em>
 
 
 
Transcrit MO
 
 
 
==Transcription==
 
 
 
<b>Loïc Chaigneau : </b>Nous sommes très heureux de recevoir François Elie pour cette première intervention de la journée. J’ai déjà présenté François Elie dans les vidéos précédentes, etc.,on ne va pas s’éterniser vu le temps qu’on a perdu.<br/>
 
Rapidement, François Élie est professeur de philosophie et informaticien amateur, amateur ne voulant pas dire qu’il n’y connaît rien, au contraire, mais, contrairement à d’autres, il enseigne la philosophie pour manger et fait de l’informatique un loisir, ce qui n’est pas forcément le meilleur projet business, à priori, mais, visiblement, ça a fonctionné pour lui. Il est aussi le président de l’ADULLACT, je le laisserai en dire quelques mots mieux que ce que je pourrais dire. Je te rends la parole François.
 
 
 
==Logiciel libre et argent public==
 
 
 
<b>François Elie : </b>Bonjour à tous. Je vais me présenter un peu davantage. Quand je fais la différence entre les amateurs et les professionnels, je rappelle que les amateurs ont fait l’arche de Noé, les professionnels ont fait le Titanic. L’amateur c’est celui qui aime.<br/>
 
Effectivement, j’ai eu la chance, il y a 20 ans, de créer une association qui s’appelle l’ADULLACT, ça se prononce comme ça s’éternue, Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales, on s’habitue. Vingt ans pendant lesquels j’ai essayé de militer pour faire développer des logiciels libres métiers, c’est-à-dire des logiciels libres qui n’existent pas et qu’il faut développer. Même il y a 20 ans le combat qui consiste à dire « utiliser des logiciels libres plutôt que des logiciels propriétaires », oui, d’accord ! Pour citer Marx, « les armes de la critique passent par la critique des armes. » J’expliquais à mes collègues qu’on ne fait pas des exposés sur la révolution anticapitaliste avec Word et sous Windows, problème de logique. Je ne vais pas me fatiguer à expliquer aux gens qu’il faut être logique. Je vais simplement essayer d’orienter l’argent public vers autre chose que du gaspillage.
 
 
 
Je vais donc essayer de vous raconter ce qu’est le logiciel libre, d’une façon peut-être un peu différente de la façon dont on procède d’habitude, en essayant de comprendre comment est venue cette idée bizarre de vendre de l’informatique et comment on pourrait faire autrement.
 
 
 
==D’où je parle ?==
 
 
 
Ça fait 20 ans que je suis dans ce monde-là, mais dans un monde un peu particulier où je ne suis ni du côté du <em>free software</em> où on rêve de communautés qui codent en mangeant des pizzas, la nuit, sans être payées, ni dans le monde <em>open source</em> où on fait du pillage et on récupère, on fait de l’argent avec le code qu’on n’a pas écrit. Je suis dans une communauté qui est un peu différente, celle des clients, les gens qui payent et qui ont peut-être envie de payer autrement ou d’acheter autrement.
 
Je vais essayer de montrer ces trois communautés.
 
 
 
Richard Stallman – c’est lui [photo] il a un peu vieilli, mais il n’a pas changé –, lorsqu’il commence ses conférences en France, il commence toujours avec son accent inimitable : « Je peux expliquer ce qu’est le logiciel libre en trois mots <em>liberté, égalité, fraternité</em> ». Ça a donc un quelconque rapport avec la République, avec les écoles. On pourrait développer, je vous encourage à regarder Stallman qui explique le rapport avec ces trois mots.
 
 
 
Je vais d’abord essayer de balayer quelques sujets fondamentaux. Essayer de comprendre ce qui se joue dans le numérique en général, ensuite essayer de vous raconter un peu l’histoire de l’informatique, ça fait du bien, et puis regarder ces deux points essentiels : la question juridique et la question économique.
 
 
 
Il n’y a aucune différence technique entre les logiciels libres et les logiciels propriétaires, à part qu’ils marchent mieux ! À ma veste j’ai un manchot nain, ce n’est pas un pingouin, c’est un manchot nain. Connaissez-vous la différence entre le manchot nain et le pingouin ? Le manchot nain marche et ne vole pas, comme les bons systèmes d’exploitation. il n’y a pas une différence technique, les différences sont juridiques et économiques.
 
 
 
Je zapperai probablement après sur la commande publique et sur le métier d’informaticien dans les collectivités, ça n’a pas beaucoup d’intérêt ici, par contre, j’essaierai de vous dire quelques changements pour changer le monde si j’avais sous la main un parlementaire pour lui suggérer quelques petits changements qui pourraient changer les choses.
 
 
 
==Fondamentaux==
 
 
 
Quelques fondamentaux.<br/>
 
Nous entrons dans la société de l’information.<br/>
 
2004, c'est le moment où les investissements dans les nouvelles technologies ont dépassé les investissements dans l’automobile. On a quitté le siècle de l’automobile, qui a transformé la géographie, etc., on est rentré dans un siècle de l’information.<br/>
 
Qu’est-ce que ça change ?<br/>
 
Les objets qui traitent l’information devraient des objets dont nous nous préoccupons, le statut des logiciels devrait être extrêmement important. Tout le monde s’en fout ! On regarde, on pirate, on récupère, on achète, on revend. Ah non ! On ne peut pas revendre, c’est vrai ! En fait on n’achète jamais, on loue.<br/>
 
Au 19e siècle, la grande question c’est capital/travail, à qui appartiennent les usines ? Qui fait travailler les gens ? Y a-t-il du travail non payé ? Je dis des choses que vous savez déjà.<br/>
 
Aujourd’hui, qui maîtrise les forges sur lesquelles sont développés des logiciels ? Tiens ! Microsoft a racheté GitHub ! C’est intéressant. Qui maîtrise la feuille de route des logiciels ? C’est quelque chose de tout à fait fondamental.
 
 
 
Il y a aussi des enjeux de souveraineté, plus localement. Ici vous avez le fac-similé de la lettre de Jacques Perret qui propose le nom « ordinateur » pour désigner ces trucs qui gèrent de l’information. La France était un très grand pays de l’informatique, c’est aujourd’hui un nain. On s’est fait complètement déshabiller. On pourrait se demander pourquoi, comment ça s’est produit. Ce serait trop long ici. On avait le Minitel, c’était formidable le Minitel, et puis nous nous sommes fait déshabiller par la peur, l’angoisse de ne pas utiliser les mêmes choses que tout le monde. Bon !
 
 
 
Fondamentalement, qu’est-ce qu’un objet numérique ? Un objet numérique c’est un objet dont l’original est identique à la copie. On quitte le monde platonicien où il faut se méfier des imitations, où les idées sont différentes des choses ; il y a le monde des choses et puis il y a des idées et, précisément, nous sommes dans le monde des idées, dans un monde où on peut échanger sans être obligé de re-produire. On pourrait donc rentrer dans une économie de biens non-rivaux. En économie les biens non-rivaux ce sont les biens que l’on peut partager sans les prendre à quelqu’un d’autre, comme la radio. Vous écoutez la radio, vous ne privez votre voisin de son émission favorite. On peut produire les biens non-rivaux, on peut les financer autrement, on peut les financer en amont et ensuite on peut partager.
 
 
 
Le meilleur exemple que je connaisse pour expliquer ce qu’est le logiciel libre, ce sont les mathématiques. Comme professeur de philosophie, il se trouve que je raconte à mes élèves, en septembre, que les mathématiques ont commencé par être propriétaires. Pythagore, dans les grottes de Crotone, dans le sud de l’Italie, avait une secte, les pythagoriciens, divisée en deux parties : les mathématiciens, ceux qui produisaient des théorèmes, et puis les acousmaticiens, ceux qui écoutaient derrière un rideau des paroles oraculaires. On leur expliquait « si tu veux vérifier qu’il y a un angle droit, alors tu fais des nœuds à une corde et si tu as trois, quatre, cinq, tu auras un angle droit ». Un jour quelqu’un que j’aime bien, il s’appelle Hippase de Métaponte, a livré le grand secret. Le secret c’est qu’il n’y a pas de secret et que tout le monde peut faire des mathématiques.<br/>
 
Aujourd’hui, il paraît évident que nous avons sur les mathématiques, les mêmes libertés que celles qui définissent le logiciel libre : nous pouvons exécuter librement les théorèmes pour tous les usages, on peut même utiliser un livre de mathématiques pour caler une armoire, ça marche très bien ; nous pouvons étudier les théorèmes, regarder comment les adapter ; nous pouvons les redistribuer ; nous pouvons les améliorer. Il y a une seule chose qui est très impolie, c’est de les revendiquer comme siens, c’est le théorème de Pythagore.
 
 
 
Ce monde du logiciel est gouverné par le droit d’auteur et ce droit d’auteur donne à l’auteur le droit de donner. Je ne peux donner que ce que j’ai ; des gens choisissent de donner ce qu’ils ont.
 
 
 
Au passage une petite remarque sur les formats ouverts. Il faut se méfier de la compatibilité, compatibilité qui nous emmène dans des formats standards, souvent propriétaires. Il faut plutôt préférer l’interopérabilité autour de formats ouverts dont les spécifications sont publiques, qui peuvent être définis, qui sont quelquefois maîtrisées par des entreprises privées, PDF est un format ouvert, les formats Esri dans le domaine de l’information géographique sont des formats ouverts. Il y a des entreprises qui, au contraire, ne livrent pas leurs standards qui nous compliquent la vie et il faut être compatible avec des standards de fait, c’est très embêtant.
 
 
 
==11’16==
 
==Une vision de l’histoire==
 
 
 
Après ces quelques fondamentaux, je vais essayer de vous raconter la manière dont je vois l’histoire de l’informatique. Je crois que c'est important de voir les choses de manière diachronique pour ne pas avoir le nez sur le guidon et pour comprendre ce qui se joue.
 
 
 
Tout commence en 1971, c’est une année formidable. On invente les trois fondamentaux de l’informatique : d’abord la portabilité. Avant on branchait une machine, après l’avoir programmée elle vomissait son résultat, on l’éteignait et puis on passait à autre chose. L’idée de la portabilité, c’est l’idée de passer un programme d’une machine à une autre, ça s’appelle le C, Unix.<br/>
 
Deuxième invention formidable, le microprocesseur, on va pouvoir miniaturiser les objets.<br/>
 
Et puis la naissance des réseaux, l’idée de mettre les machines en réseau.
 
 
 
Je développe très rapidement. Des gens comme Thompson et Ritchie sont des gens très formidables, ils ne sont pas aussi riches que Bill Gates, mais ils sont bien plus importants ; ce sont ces gens-là qui ont fait l’informatique. Le langage C est encore le langage dans lequel on code 60 % des programmes.<br/>
 
Unix c'est l’informatique sérieuse, au début des années 70. Linux, c'est Unix libre qui revient.
 
 
 
J’en profite pour faire une petite parenthèse. Dans l’esprit des gens on a l’impression que le petit manchot nain vient mordre les grosses bottes de l’informatique propriétaire, mais c’est le contraire ! On va le voir dans les années 80 : des petits programmes sont nés, de la micro-informatique, qui infestent aujourd’hui nos entreprises, nos administrations, c’est de l’informatique pas sérieuse !<br/>
 
D’ailleurs sur cette machine, je suis désolé de vous le dire, ça fait 25 ans qu’il n’y a pas d’antivirus. Je suis désolé pour ceux qui mangent une partie de la puissance de leur machine avec des antivirus, je suis désolé pour eux ! Ils ne doivent pas avoir le même système d’exploitation ; système d’exploitation, intéressant comme mot.<br/>
 
Microprocesseur, je passe.<br/>
 
Les réseaux, voici le premier dessin du réseau Arpanet sur un coin de table.<br/>
 
Et puis, je le disais à l’instant, milieu des années 80, l’arrivée du PC. On pourrait faire un quiz pour savoir si vous reconnaissez ces machines : le ZX80 de Sinclair, un kilo de mémoire, j’avais acheté un kilo de mémoire additionnelle, on se fait peur !<br/>
 
Et puis, dix ans après, l’Internet se met en réseau. Mars 96 c'est le moment où le nombre de machines sur Internet commence à doubler tous les mois. Je ne sais pas si vous jouez aux échecs, mais quand ça commence à doubler, c’est que très rapidement la planète va se mettre en réseau. La planète se met en réseau, pourquoi j’en parle ? Dans les URL vous avez http://, ce n’est pas \, c’est /, c’est le / d’Unix, ce n’est pas l’\ de ceux qui ont essayé de se rendre intéressants en inversant les /.
 
 
 
Trois personnages jouent un rôle très important dans cette histoire.<br/>
 
Richard Stallman, 1984, il travaille au MIT et il écrit au fabricant de son imprimante – il a le projet de lui faire faire les lieds au mur – il demande le code source du driver de l’imprimante et le fabricant refuse en disant « non, non, secret de fabrication ». Stallman comprend très vite que si jamais on ne peut plus accéder au code source, alors l’informatique est perdue. On est dans un monde où on ne vend pas encore de logiciels. Qu’est-ce que qu’on vend ? On vend des ordinateurs et des informaticiens, des ingénieurs en régie. L’idée de vendre des logiciels ne vient à l’esprit de personne dans ces moments-là. L’informatique ce sont des maths. D’ailleurs ça se démontre, il y a un isomorphisme, l’isomorphisme Curry-Howard qui montre que résoudre un problème de mathématiques et programmer un programme d’informatique c’est exactement, structurellement la même chose.<br/>
 
Richard Stallman se dit que si jamais on ne peut plus accéder au code source, si on retourne dans les grottes de Crotone avant la révolution du savoir ouvert par les philosophes, c’est foutu. Donc il crée la <em>Free Software Foundation</em>, il lance le projet GNU, <em>GNU’s Not UNIX</em>, pour essayer de libérer, sous la forme d’Unix libre, de l’informatique sérieuse.
 
 
 
Deuxième personnage. Pour expliquer aussi pourquoi on partage. Tim Berners-Lee, au CERN, a besoin d’un hypertexte. L’hypertexte est une vieille idée, Ted Nelson a inventé l’hypertexte dans les débuts des années 60, mais là il a besoin d’un hypertexte distribué sur plusieurs machines. Il invente HTML et HTTP pour le transporter. Et il le donne parce qu’il est chercheur, il est physicien, il travaille au CERN, une des trois institutions qui vont gouverner l’Internet naissant. Il y avait le MIT, le CERN et l’Inria en France, les trois institutions qui ont porté sur les fonts baptismaux le Web. Tim Berners-Lee donne comme on a donné TCP/IP, le standard de l’Internet à l’époque où en France on préférait X25 et le Minitel.<br/>
 
Donc habitude de donner parce que c’est comme de la science, ça se partage. La valeur ne se fait pas en vendant la science, elle se fait en partageant la science et en travaillant dessus. Mes élèves qui veulent faire de l’argent ne font pas de philosophie, n’est-ce pas ! Ils vont faire des mathématiques ; ils savent très bien que les mathématiques sont libres, mais que les mathématiciens sont quelquefois un peu chers ; on arrive à vivre très bien avec des mathématiques libres.
 
 
 
Et puis troisième personnage. 1991, alors que le projet GNU avance petit à petit, très lentement, Linus Torvalds envoie un post sur un <em>newsgroup</em> sur Usenet. Il dit : « Je suis en train d’écrire un système d’exploitation, j’ai déjà le système de fichiers, le compilateur, est-ce que vous voulez me donner un coup de main ? ». À ce moment-là des informaticiens du monde entier vont donner un coup de main. En deux ans Linux devient équivalent, en termes de stabilité, aux Unix propriétaires qui commençaient à se vendre. On a commencé à vendre de l’informatique au milieu des années 80, ce sont des jeux vidéo qui ont commencé, ce sont eux qui nous ont contaminés et qui ont donné cette idée folle de vendre du logiciel. Et puis tout le monde s’y est mis, on a vendu des jeux, des trucs comme ça, Windows, des jeux !
 
 
 
Et puis des gens ont montré qu’une autre informatique était possible, qu’on pouvait faire la même chose et très vite, dès 94/95, on pouvait acheter un CD, installer librement une machine aussi solide qu’un Unix.
 
 
 
Ça fait des années qu’on surveille, aujourd’hui les 500 plus grosses machines du monde tournent toutes sous Linux. La messe est dite ! Utiliser certains systèmes pour des usages autres que pour jouer, c’est une faute professionnelle. Les 32 000 satellites qu’Elon Musk a envoyé dans l’espace tournent tous Linux et pas seulement parce qu’on ne peut pas ouvrir les fenêtres dans l’espace !
 
 
 
J’ajoute un autre personnage, Eric Raymond.<br/>
 
Dans ce monde-là il y a des gens très différents. Richard Stallman est plutôt un libertaire avec chemise à fleurs et sandales. Eric Raymond, lui, est libertarien, pour le port d’armes. Deux idées très différentes de la liberté, par contre, ils sont tous les deux des amoureux de la liberté. C’est un très bon programmeur – programmateur c’est pour les machines à laver, programmeur c’est pour les ordinateurs, pour les logiciels. Un jour Eric Raymond reçoit une lettre de Microsoft qui voulait l’inviter à travailler pour eux, parce que Microsoft a racheté GitHub, ils savent très bien qu’un jour il faudra libérer l’informatique, ils le savent depuis très longtemps. Eric Raymond, toujours lui, a capturé un jour des rapports qu’on appelle <em>The Halloween documents</em>, vous pouvez très facilement les retrouver, ce sont des rapports internes à Microsoft. À l’époque, Bill Gates était patron de Microsoft. Il pose des questions à ses ingénieurs. Première questio :est-ce qu’il faut se méfier de ce qui ne s’appelle pas encore l’<em>open source</em>, mais est-ce qu’il faut se méfier de <em>free software</em> ? Deuxième question, il devait déjà connaître la réponse : si jamais il fallait s’en méfier que faudrait-il faire pour les empêcher de le faire ? Évidemment la première question reçoit une réponse très rapide « on ne peut pas rivaliser, ça va trop vite ». Et, deuxième question, que faut-il faire ? Eh bien les attaquer sur le terrain juridique, il faut les empêcher de le faire, il faut que ça devienne interdit. Il ne faut pas pouvoir partager, il faut mettre des brevets, il faut faire quelque chose. Je reviendrai sur cet enjeu.
 
 
 
Eric Raymond est celui qui a essayé d’expliquer cette surprise : des informaticiens qui travaillent en mode cathédrale comme de moines isolés, par exemple Richard Stallman est quelqu’un qui a écrit emacs. Emacs est un éditeur surpuissant, il l’a fait quasiment tout seul en Lisp, un héros. Donald Knuth, un des très grands gourous de l’informatique, a écrit TeX qui a donné LateX, quasiment tout seul, c’est le mode cathédrale ; on pourrait peut-être diviser en projets, sous-projets. Mais il y a un autre modèle qui est le modèle du bazar. Il se trouve qu’Eric Raymond s’est retrouvé en charge d’un projet – je ne vais pas développer, un projet qui concerne les circulations de mails sur les réseaux – et il observe qu’il a à faire à des gens qui programment aux quatre coins de la planète. Il se demande comment il est possible que ce bazar puisse être plus efficace, plus solide, plus pérenne que d’autres modes de développement. C’est intéressant de lire ça [<em>La Cathédrale et le Bazar</em>. Et, sur les modèles économiques, je vous encourage vivement à lire son article, « Le Chaudron magique », qui essaie de comprendre comment faire de l’argent avec du gratuit, qu’est-ce que c’est que ce chaudron magique qui produit de la valeur en partageant ds objets.
 
 
 
==22’ 56==
 
 
 
==Enjeux juridiques==
 
 
 
Après avoir revisité cette histoire et surtout rappelé que c’est une aberration de vendre des logiciels, que c’est quelque chose de transitoire, que bientôt il n’y en aura plus. Il y a quelques années, j’étais invité à une table ronde et j’avais avec moi un personnage qui était un des responsables de l’informatique européenne propriétaire. Le journaliste me tend le micro et me demande « comment voyez-vous l’informatique dans dix ans ? » Je réponds : « Je pense que dans dix ans il n’y aura plus de logiciels propriétaires ». Le journaliste, très content, tend le micro à l’autre et lui dit que « répondez-vous à cette provocation ? ». Il répond « moins de dix ans ». Autrement dit ils savent qu’on fait la dernière levée, parce qu’il y a des gens qui ne savent pas bien jouer, on fait la dernière levée et on ratisse tout le monde ! Mais, en réalité, il faudra revenir sur cette idée absurde de vendre des logiciels.
 
 
 
Quels sont les enjeux juridiques?<br/>
 
En fait, si on regarde bien, les logiciels libres donnent tous les droits, redistribuer et, peut-être même, interdire de refermer. On pourrait détailler entre logiciel libre et <em>open source</em>, cette dualité est très utile historiquement pour que le développement collaboratif contamine le développement propriétaire. Cette ambiguïté, ces doubles licences sont très intéressantes.<br/>
 
En réalité, il faut voir que les bibliothèques, les <em>libraries</em>, sont ouvertes parce que les gens, en informatique, détestent réinventer la roue. On ne va pas refaire ce qui a déjà été fait ! La première chose que fait un mathématicien quand il veut résoudre un problème c’est de chercher si quelqu’un l’a déjà résolu. Il arrive qu’on tombe sur des os et qu’on arrive, finalement, à trouver quelqu’un qui a le même problème que soi, à ce moment-là on se tutoie, on fait ensemble, on va le résoudre ensemble. L’idée de réinventer la roue est insupportable. Donc, juridiquement, on va inventer des moyens de ne pas réinventer la roue.
 
 
 
Ce signe, copyleft, c’est celui qui traduit cette idée que je disais tout à l’heure, le droit d’auteur, le copyright, quasiment pareil mis à part le droit moral, cette idée que je suis détenteur, je suis titulaire de l’autorité sur le logiciel, c’est moi qui modifie, c’est moi qui arbitre les évolutions, eh bien je peux aussi, parce que c'est à moi, le donner et je peux même empêcher quelqu’un de le donner. Comment peut-on faire de l’argent ? Eh bien, il faut le vendre très cher la première fois, puisque vous ne pouvez pas, ensuite, empêcher de le donner. Ça nous emmènerait trop loin, mais je pourrais vous expliquer toutes les stratégies pour essayer de vendre quand même en faisant du chantage auprès des gens, « ne le partagez pas trop, vous n’y avez pas trop intérêt », ça nous emmènerait trop loin.
 
 
 
En fait, sur le terrain juridique, il y a trois types de licences sur des logiciels libres.<br/>
 
Il y a des logiciels libres qui sont sans copyleft du tout, qui pourront être mélangés avec d’autres logiciels. Toutes les bibliothèques JavaScript, par exemple, sont dans des licences très permissives, type MIT, qui permettent de les mélanger à n’importe quoi et là ce sont typiquement des bibliothèques qui ont le même statut que les mathématiques, on en fait ce qu’on veut, on peut même les revendre.
 
 
 
Après il y a des copylefts faibles qui permettent de faire ce chemin entre ces deux mondes, entre le monde propriétaire et le monde libre, qui permettent que ce soit un peu la même informatique.
 
 
 
Et puis du copyleft fort, on peut dire contaminant, c’est la vision qu’ont les gens du propriétaire, « comment !, c’est comme un virus, comme une maladie ! ». En fait c’est un moyen : tout ce que je touche devient libre, tout ce que je touche devient partagé.
 
 
 
Je reviens un instant sur un évènement majeur. En juillet 2005, s’est produit à Strasbourg un vote historique. La Commission européenne avait pour projet de présenter un processus de brevetabilité du logiciel en Europe. Ça n’intéressait personne puisque la majorité du Parlement, à l’époque, avait laissé ça à l’opposition. Michel Rocard s’est retrouvé avec ce dossier sur les bras. Heureusement quelques-uns, dont un Bordelais qui s’appelle François Pellegrini, ont convaincu Michel Rocard que c’était très important, que c’était un petit peu comme si on voulait breveter les mathématiques. D’ailleurs, quand il a écrit à l’Office américain des brevets, Donald Knuth a utilisé cette analogie avec les mathématiques en disant « c’est un petit peu comme si on voulait breveter le théorème de Pythagore, on ne pourrait plus faire de mathématiques si on devait payer à chaque usage du Théorème de Pythagore, c’est absurde ! ». Rocard se bat comme un chien pour défendre l’idée qu’il ne faut pas breveter le logiciel. Juillet 2005, la directive est repoussée, l’informatique européenne est sauvée.<br/>
 
Vous avez ici la photo de la bataille navale. Sur la passerelle du Parlement européen les parlementaires ont vu les riches qui défendaient les brevets et les geeks avec des teeshirts jaunes qui avaient pris tout ce qui pouvait flotter à Strasbourg. On voyait bien que les brevets ça tue l’innovation, que ce n’est pas du tout quelque chose qui est demandé par les gens qui inventent, pas du tout !
 
 
 
J’insiste parce que cette menace du retour des brevets est permanente. Ils ne rêvent que de ça, c’est-à-dire nous empêcher de partager.
 
 
 
L’effet juridique principal de ce monde du Libre, c’est la séparation entre la prestation et la solution. En fait, ce sont les mêmes logiciels, mais lorsqu’on se fournit, qu’un marché public ou une entreprise se fournit en logiciel, eh bien on achète une solution et puis on se verrouille avec une entreprise qui va assurer du service, de la maintenance, de l’évolution de cette solution. Et quand l’entreprise est mauvaise, on change de solution. C’est idiot ! On ferait mieux de garder la solution et prendre une meilleure entreprise.<br/>
 
L’effet juridique majeur du logiciel libre c’est de séparer les deux. Le logiciel n’appartient pas à une entreprise, il appartient à tous et une entreprise peut très bien faire de l’argent et il y en a qui font beaucoup d’argent en faisant du service sur des logiciels parfaitement ouverts. Je prends un exemple PostgreSQL, un système de base de données concurrent, équivalent à Oracle, est libre, vous pouvez l’installer librement, aucun souci, Par contre, je vous assure que payer quelqu’un qui est capable de vous administrer une base PostgreSQL ça coûte des sous, comme acheter un bon mathématicien. Un prof de maths ne fait pas ça gratuitement la nuit en mangeant des pizzas, il vend ses cours.
 
 
 
==Modèles économiques==
 
 
 
Ma spécialité dans ce domaine c’est de regarder quels sont les modèles économiques.br/>
 
Je reviens au fondamental des biens non-rivaux. Si le monde du numérique est un monde où les objets se diffusent à coût marginal nul, si, à la différence des objets physiques, on peut copier sans re-produire, on produit une fois, ensuite on partage. Bien sûr, certains vont me dire « ça fait fumer les ficelles, les réseaux se fatiguent » ; c’est l’épaisseur du trait. De la même façon que ça fait vibrer l’air de donner des idées à quelqu’un, bien sûr, c’est l’épaisseur du trait.
 
 
 
J’en profite pour vous dire que si vous voulez économiser la planète, le mode sombre ne sert à rien, faites durer vos machines et les logiciels libres vous permettront de les faire durer plus longtemps.
 
 
 
Il y a deux scénarios possibles, deux sociétés de l’information possibles.<br/>
 
Il y a une société dans laquelle on reste dans le monde des choses. On va s’arranger juridiquement pour qu’il soit tout à fait impoli de copier des logiciels. Pensez à cette formidable occasion qu’a été le piratage de la musique – DADVSI, Hadopi ; ils ont réussi à faire croire que copier ce n’est pas bien. Bien sûr, copier sur son voisin ce n’est pas bien ! Mais copier quand c’est autorisé c’est bien. Il y a donc ce travail sur le langage, c’est Humpty Dumpty d’<em>Alice au pays des merveilles</em> qui dit que le problème ce n’est pas de savoir le sens des mots, le problème est de savoir qui décide du sens des mots. De la même façon qu’ils ont inventé le mot « numérique » pour faire disparaître le mot « informatique ». Numérique ça ne s’apprend plus puisque vous avez eu des cours d’informatique intra-utérins, vous savez de toute éternité ce que c’est que l’informatique et puis numérique ne vous en occupez pas, on s’occupe de tout ! De la même façon, cette idée de copier devient « ce n’est pas bien, ce sont des pirates ! ». Il a fallu expliquer à des parlementaires que le peer-to-peer n’est pas un truc qui a té inventé pour pirater, ça sert à équilibrer des réseaux, c’est technique. Ils s’apprêtaient à interdire le peer-to-peer ! Idiot !
 
 
 
Scénario 2 : on pourrait faire l’inverse, c’est-à-dire repérer les freins, les difficultés juridiques pour permette de créer de la valeur à partir de ce partage. À ce moment-là on rentrerait dans la société de l‘information. En fait on est au tout début de l’informatique. On est dans un moment où on patauge dans des absurdités, où la valeur se fait sur le pillage de nos données, ce genre de choses, mais pas du tout sur la valeur des logiciels. On fabrique des logiciels de plus en plus gourmands, de plus en plus mal écrits pour vendre des machines, pour vendre de la mémoire, pour occuper les réseaux, pas du tout pour faire des choses intelligentes !
 
 
 
Sur cette économie, des gens vont très vite comprendre qu’il y a quelque chose à faire.<br/>
 
1998, Bernard Lang. Pendant des années j’allais aux conférences autour du logiciel libre et je voyais Bernard Lang passer comme un gourou, depuis c’est devenu un ami, c’est une des meilleures choses que j’ai faites de ma vie. Et puis vous avez Jean-Claude Guédon, quelqu’un qui a inventé le mot courriel, un Canadien, c’était un littéraire qui a tout de suite vu qu’il y avait un enjeu dans le logiciel libre. Très tôt, ces gens-là voient qu’il y a des enjeux économiques autour du logiciel libre, que ce n’est pas du gratuit ou, plutôt, il y a de la valeur à faire avec du gratuit.
 
 
 
Par hasard, il y a quelques années, j’ai envoyé un message sur une liste de diffusion. J’avais le projet d’écrire de cinq pages en anglais et, sur cette liste de diffusion, une éditrice de chez Eyrolles m’a dit « tu m’en fais 200 pages et on publie chez Eyrolles ». Par hasard je me suis retrouvé à écrire ce petit livre [<em>Économie du logiciel libre</em>] qui n’existe plus en papier, qu’on doit pouvoir trouver, vous tapez le titre et PDF, vous devez pouvoir le trouver, il a été piraté le lendemain !
 
 
 
Qu’est-ce qui m’amène à réfléchir sur ces problèmes d’économie ?
 
<em>Free software</em>, ce sont des gens qui aiment l’informatique, qui partagent, des amateurs, ils ne s’occupent pas trop d’argent et puis <em>open source</em>, ce sont des gens qui trouvent qu’on peut vendre des choses, pas nécessairement en empêchant de partager, on peut partager, mais on peut vendre du service, de la maintenance, de l’évolution. Le problème c’est qu’il y a des abeilles qui contribuent au bon miel, aux bons logiciels, et puis il y a des gens qui se rétribuent, comme les apiculteurs qui volent le travail non payé des abeilles. Le travail non payé, c’est une vieille idée !<br/>
 
On pourrait dessiner autrement : il y a des gens qui en ont assez de contribuer et qui n’obtiennent que de la déception. Il y a des gens qui ont lu Proudhon !
 
 
 
En fait, si on veut comprendre ce qui se passe en termes d’économie, il faut être un peu informaticien et savoir qu’il y a trois types très différents d’informatique :<br/>
 
il y a les couches basses que sont les réseaux, les protocoles, ce qui est à la cave, avec des informaticiens un peu autistes, qu’on croise rarement, on ne comprend absolument pas ce qu’ils disent, ils lisent des livres, c’est très bizarre, un peu comme des  rôlistes, un truc bizarre ;<br/>
 
deuxième informatique : les composants, les bibliothèques, <em>libraries</em>, les briques qu’on n’a pas envie de réinventer, les systèmes à partir desquels on va fabriquer des logiciels ;<br/>
 
les logiciels, des logiciels métier, ceux qu’on peut utiliser, ceux que vous connaissez.<br/>
 
En réalité ces trois informatiques obéissent à des logiques très différentes en termes de communautés métiers et d’économie.
 
 
 
Ce sont trois acteurs, trois communautés très différentes. Souvent, dans le monde du logiciel libre, on parle de LA communauté. Je ne me suis pas fait beaucoup d’amis en disant que la communauté n’existe pas, il y a DES communautés. Et, comme dans toutes les communautés, il y a des conflits. Ce qui est intéressant dans les communautés ce n’est pas <em>Youkaidi Youkaida</em>, on est bien ensemble, on est dans la même famille, non ! Ce qui est intéressant c’est quand on se dispute, ce sont les conflits qui sont intéressants.
 
 
 
En fait, il y a trois communautés, je les ai mises dans l’ordre d’apparition.<br/>
 
Première communauté : les hackers bénévoles, ceux qui codent parce que c’est sympa, parce qu’ils aiment ça, ils ne se préoccupent pas de savoir comment ils seront payés, en général ils sont informaticiens d’une université et ils font ça comme on fait des maths pour son plaisir, ils ne s’occupent pas de savoir s’ils seront payés.<br/>
 
Ensuite vous avez des marchands coalisés, qui ont intérêt à éviter de réinventer la roue, en particulier ils ont intérêt à faire des économies dans la recherche et le développement. Ce n’est pas du tout la même chose, ce ne sont pas du tout les mêmes informaticiens.<br/>
 
Et puis, enfin, il y a des gens qui ne sont pas informaticiens du tout, qui ne font même pas de marketing, qui sont simplement des utilisateurs, des utilisateurs qui aimeraient bien payer le vrai prix.
 
 
 
Je voudrais essayer de vous décrire l’histoire de l’informatique à partir de ces trois libérations successives.
 
 
 
Première libération. À la fin du siècle dernier, quelque chose arrive sur le terrain des serveurs, des couches basses, <em>free software</em>. Pour ceux que ça intéresse, je vais utiliser un modèle qu’on appelle le modèle de la métastabilité. En physique, un objet métastable est un objet qui est stable mais qui peut changer de stabilité. Si vous savez jouer aux billes vous savez que la bille est dans le trou, mais elle peut sortir. Il y a un moment où c’est bon, c’est gagné, sauf que ce n’est pas gagné pour tout, ce n’est gagné que pour les couches basses, pour les informaticiens qui font des trucs très confidentiels, ils sont dans une cabine téléphonique marquée GNU, ils sont tout seuls et ils ont gagné. Non !<br/>
 
En réalité, des gens comme Eric Raymond, comme Tim ??? [40 min 05] vont dire que ça pourrait intéresser l’entreprise. Ces modèles de développement collaboratif sont bougrement efficaces, on pourrait dire au monde propriétaire de l’informatique que c’est ce modèle-là qui peut faire développer du logiciel sérieux. Ils vont dire on va appeler ça <em>open source</em> pour éviter de croire que c’est libertaire, pour que les gens puissent arriver dans des conseils d’administration avec la bonne cravate, le bon costume et sans sandales. À ce moment-là, on s’aperçoit que pour passer dans le deuxième trou, le frein c’est l’idéologie, il faut faire disparaître cette idéologie et l’accélérateur c’est l’intérêt.<br/>
 
Qu’est-ce qui va se passer dans ce premier moment ? Les hackers bénévoles sont des gens qui codent parce qu’ils aiment ça.
 
 
 
Mais, au début du 21e siècle, il va se passer une révolution silencieuse qui va laisser un conflit ouvert, conflit entre <em>free software</em> et <em>open source</em>. Si vous prononcez le mot <em>open source</em> devant Richard Stallman, il va dire « il ne faut pas dire <em>open source</em>, il faut dire <em>free software</em> », vous allez vous faire allumer parce que ce conflit subsiste et les marchands coalisés vont se dire que c’est une bonne idée de développer ensemble, d’habitude on réinvente la roue. <br/>
 
Qui sont-ils ? Par exemple à la Fondation Apache, qui travaille sur Java, XML, vous avez des gens qui payent 60 000 dollars pour pouvoir s’asseoir au <em>board</em> et faire travailler leurs ingénieurs ensemble. Ils sont tous là : Apple, Microsoft, Oracle. Ils ne vous le disent pas. C’est ce qu’on appelle de la coopétition ; ils coopèrent pour fabriquer des armes et, ensuite, ils s’entre-tuent sur le marché mais avec les mêmes armes. Ils ont fait des économies en fabriquant ensemble des choses qui sont moins chères que s’ils les développaient séparément.
 
 
 
Deuxième exemple : OW2. OrientWare a rencontré ObjectWeb, ils ont fait ensemble, ils ont réalisé la mutualisation et vous avez ici de très grosses entreprises qui travaillent ensemble. On a l’impression qu’elles sont concurrentes, mais, en fait, elles coopèrent sans arrêt.
 
 
 
Et puis il y a les clients. Jusqu’à présent ça ne change rien. Le propriétaire est fait à base d’<em>open source</em>, il a le goût de l’<em>open source</em>, la saveur de l’<em>open source</em>, mais le prix du propriétaire, ça ne change rien pour les clients. Ce qui est en train de se passer c’est que les clients coalisés se disent « au lieu de faire des clubs d’utilisateurs où on va geindre pour attendre la prochaine version, on va reprendre la main ». On laissera un conflit ouvert entre la mutualisation par l’offre et la mutualisation par la demande parce que les clients et les marchands ce n’est pas la même communauté. Un jour, dans une conférence, j’expliquais devant des gens qui étaient tous à fond pour le Libre, que les clients et les marchands n’ont pas les mêmes intérêts. « Ah bon ! On n’est pas copains ? ». À la fin, un DSI d’une très grande ville m’a dit merci parce qu’il y en a marre qu’ils nous vendent des trucs en disant qu’on est copains. Non ! On n’est pas copains. C’est donc l’enjeu des logiciels métiers libres.
 
 
 
Qu’est-ce que c’est que ces clients mutualistes ? Je vais prendre un exemple. Tous les communicants utilisent des logiciels de la société Adobe ; si vous leur parlez d’autre chose ils vont vous dire « ah ! », en plus sur Mac parce que ça fait mieux. C’est l’effet Veblen : j’achète un truc très cher parce que ça me donne de la valeur ; si j’ai le dernier iPhone c’est moi qui de la valeur. C’est pathétique ! Donc les communicants utilisent ces logiciels qui sont très chers. Il m’est arrivé d’en rencontrer. À Angoulême, au Pôle image, il y a des écoles de l’image, il y a des gens qui utilisent ces logiciels, ils étaient entre eux en train de dire « c’est cher » ; ils étaient tous ensemble. Je leur ai dit : vous vous mettez ensemble, à l’échelle de la planète. Imaginez tous les clients : les écoles de design, les écoles de dessin, les studios de cinéma, les services comm’, enfin c’est monstrueux. Ils se mettent ensemble, ils gèrent le problème de la gouvernance, ils achètent le logiciel, ils maîtrisent la feuille de route, ils divisent les prix par dix et, en plus, un retour sur investissement en deux ou trois ans. Le problème c’est le problème de la gouvernance. Pour se libérer, le prix c’est la gouvernance ; il faut s’organiser. C’est tellement plus simple de ne rien faire et de payer ! Donc la liberté a un prix, celui de s’organiser.<br/>
 
C’est compliqué. Un ami m’a donné cette formule : c’est celui qui met la pièce dans le juke-box qui choisit la musique, c’est-à-dire que c’est celui qui paye qui devrait décider. On achète des logiciels et on ne décide pas de la feuille de route ! C’est n’importe quoi !
 
 
 
C’est complètement l’idée de l’ADULLACT. Depuis 20 ans, nous essayons de dire aux collectivités, aux administrations : on se met ensemble et on arrache le truc.<br/>
 
C’est plus compliqué que prévu. Au départ, je me disais qu’avec cette idée, très rapidement on va développer ensemble. En fait, il y a des problèmes de calendrier, il y a des problèmes d’egos surdimensionnés. Je sais que les collèges élus sont préoccupés aussi de leur image. Quand on leur dit « vous allez développer un logiciel en marque blanche, que tout le monde pourra utiliser », « oh ! Moi je voudrais que ce soit mon logiciel, de ma région ! ». Très compliqué !
 
 
 
On a quand même réussi. On a monté une coopérative parce qu’on n’arrivait pas à les faire financer ensemble, donc on a fait sur fonds propres, on a emprunté aux banques ; aucune difficulté, les banques ont très vite compris que c’était une bonne idée.<br/>
 
Je vous donne un exemple, le contrôle de légalité. Quand on a fini un conseil municipal, on envoie les délibérations à la préfecture et la préfecture vérifie qu’il y a un vague rapport avec la loi avant de pouvoir rendre ces délibérations exécutoires. Ce contrôle de légalité est fait de manière informatisée, transmission par des réseaux. La Caisse des dépôts et consignations avait prévu de faire un logiciel pour faire ça, en propriétaire, format fermé. On a écrit à la Direction générale des collectivités locales au ministère de l’Intérieur : on aimerait bien avoir les mêmes possibilités que la Caisse des dépôts pour travailler sur ce segment qui s’appelle @CTES, le projet de contrôle de légalité. Réponse polie : « Vous êtes gentils, mais vous êtes des nains. La Caisse des dépôts c’est quand même la Caisse des dépôts ! Vous êtes gentils mais ce n’est pas possible. » On a écrit une deuxième lettre, en recommandé, en expliquant que l’Europe aime la concurrence. Ils ont tout de suite compris le message. Nous avons été invités, nous avons eu exactement les mêmes possibilités d’accès aux infrastructures pour des tests. Le logiciel de la caisse des dépôts s’appelle FAST. Pour faire des économies de publicité nous avons appelé le nôtre S<sup>2</sup>LOW. Nous sommes aujourd’hui devant en termes de flux. Ce logiciel est libre, il est partagé, des entreprises différentes et concurrentes font du service sur ce logiciel et, en termes de flux, nous sommes devant FAST. On a divisé les prix par dix. Ça a un effet intéressant.
 
 
 
On pourrait montrer beaucoup d’autres exemples de logiciels qui ont été faits par des collectivités pour d‘autres collectivités. Par exemple la ville d’Arles a développé en interne un logiciel que j’aime beaucoup, qui s’appelle openCimetière. C’est intéressant parce qu’on comprend bien qu’on a dans toutes les communes de France, malheureusement, cette compétence cimetières, mais on achète 36 000 fois des choses différentes alors l’argent public ne payer qu’une fois. À Arles ils ont fait openCimetière, la <em>killer application</em> pour rouler à tombeau ouvert vers le logiciel libre.
 
 
 
Le problème essentiel c’est de faire travailler ensemble ces trois communautés. C’est trouver le moyen de mobiliser les gens qui ont envie de coder sans les décevoir, de mobiliser les gens qui ont envie de faire de la R&D ensemble en essayant de mobiliser leur énergie et pas simplement en les arrosant de subventions. Dès qu’on me demande de participer à un projet pour demander des sous, je dis non : l’argent public n’est pas la vache à lait pour subventionner des entreprises. Il faut s’organiser pour qu’elles aient intérêt à faire bien.
 
 
 
Et puis la communauté des clients.
 
 
 
C’est comme cette image des anneaux borroméens. Si un des anneaux ne marche pas, tout s’effondre. Le problème de l’informatique libre, ce n’est pas claquer des doigts en disant « on va tout libérer ». Non !, il va falloir changer des habitudes, des habitudes de développement, de marketing, d’achat et tout ça est un peu compliqué.
 
 
 
==50’ 05==
 
 
 
==Focus sur la commande publique==
 
 
 
J’avais prévu de faire un focus sur la commande publique. Très rapidement.<br/>
 
On a vécu dans les collectivités, c’est principalement le segment qui m’occupe, trois moments.<br/>
 
Il y a un moment, l’âge du spécifique où tout le monde code chacun dans son coin et c’est catastrophique parce qu’on réinvente la roue, personne ne travaille pour soi, on ne travaille pas ensemble, on est séparés, les réseaux n’existent pas encore. Ceux qui se souviennent de cet âge s’en souviennent avec effroi. Par bonheur, on voit arriver le progiciel. Des gens font des trucs pour nous, des trucs qui marchent ! Il n’y a plus besoin de coder. Plus besoin de coder ! Aujourd’hui le monde de l’informatique, enfin du <em>procurement</em> informatique, en général, maintenant, c’est quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il vend qui vend à quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il achète. Ce qui est terrible c’est que nous sommes dans un monde où des gens qui ont fait bac + 4 en informatique font des devis ou des factures, ils ne touchent plus au clavier pour coder, ils n’aiment plus coder. Pourquoi fait-on de l’informatique ? Je referme la parenthèse, c’est effrayant !
 
 
 
C’est très bien. Le progiciel ça mutualise pour nous par l’offre. Malheureusement très vite s’installe une situation de client captif où le marchand fait ce qu’il veut, décide de manière unilatérale d’abandonner le support sur XP pour vendre autre chose ; Oracle décide « maintenant on va compter les licences d’Oracle sur le nombre de processeurs ». Vous n’aviez pas prévu, tant pis ! Des changements et on se retrouve dans une situation de client captif. Aujourd’hui, le problème c’est de reprendre la main et de refaire communauté en essayant de lutter contre ceux qui font croire que c’est impossible et en luttant aussi contre ceux qui voudraient empêcher de partager. La Cour des comptes insiste sur le fait que la mutualisation, pour l’instant, coûte, elle n’a pas donné ses effets.<br/>
 
La clef c’est surtout d’acheter ensemble, c’est de faire ensemble. Acheter tout seul c‘est idiot. Il faut donc essayer de savoir si d’autres ont les mêmes besoins que nous et ne pas acheter de solutions, on n’achète pas un logiciel, d’ailleurs quand on l’achète on croit l’acheter, on le loue. On achète de la maintenance, de la sécurité, mais on n’achète pas le logiciel.
 
 
 
==Quels changements pour le métier==
 
 
 
Ça change tout pour le métier. Je ne vais pas développer trop. Il faut recommencer à coder. Il faut former les gens, il faut leur laisser le temps de faire de la veille pour voir ce qui existe. Il faut arrêter de faire des factures et des progiciels.<br/>
 
Mais le plus important, si jamais il y a de futurs parlementaires ici j’en profite bassement pour leur dire quelles sont les petites choses, dans la loi, qui pourraient faire que tout change.
 
 
 
D’abord, au début du 21ᵉ siècle, on s’est posé la question : est-ce qu’il faut s’obliger à faire du logiciel libre ou est-ce qu’il faut contraindre ? Il faut s’obliger. C’est une ardente obligation de faire que l’argent public produise du logiciel libre, d’ailleurs c’est dans la loi. 2016, la loi pour une République numérique impose que l’argent public ne produise que du logiciel libre. Le problème de la loi c’est qu’il faut expliquer, il faudrait la lire, il faudrait l’appliquer, c’est très long.
 
 
 
Un truc tout bête : obliger à publier les connecteurs entre les logiciels pour éviter que les clients les repayent 50 fois. La plupart des entreprises vendent des trucs qui sont déjà vendus 10 fois, 100 fois, avec des marges qui sont à plus de 90 %. C’est formidable !
 
 
 
On pourrait faire des déclarations d’intention d’appels d’offres pour décourager ceux qui achètent tout seuls. « Comment ? Vous avez acheté tout seul, alors que les autres avaient le même besoin que vous ! ». C’est ce qu’ils commencent à faire dans l’État. La DINUM, la DSI de l’État, regarde les grands marchés pour dire « attendez, vous n’allez pas acheter deux systèmes qui font la même chose ! ».
 
 
 
Un tout petit changement qui aurait de gros effets. Actuellement, quand on achète un logiciel, un logiciel qui est en fait une location, eh bien on le paye en investissement, comme si c’était quelque chose qui était du patrimoine et quand on fait développer du logiciel libre, qui est en fait du vrai patrimoine, on le paye en fonctionnement, ce qui est une horreur pour les élus parce que moins on paye en fonctionnement, mieux on se porte. En fait il faudrait faire l’inverse ! C’est de la location : fonctionnement ; c’est du patrimoine : investissement. À ce moment-là par intérêt, je crois beaucoup à l’intérêt, eh bien ils vont faire propre.<br/>
 
L’intérêt c’est redoutable. À Angoulême, je m’occupe des RH et je remarque que pour l’emploi des travailleurs en situation de handicap, la peur de l’amende a rendu les gens extrêmement philanthropes. De la même façon pour la construction de logements sociaux : l’inquiétude de payer l’amende a rendu philanthropes. La mixité sociale doit beaucoup à cette philanthropie. Donc l’intérêt ça marche très bien.
 
 
 
Et puis je termine sur le pantouflage. À l’intérieur de l’État, il y a des gens qui rêvent de passer dans le privé pour récupérer les services et ils ont exploré ; je ne veux pas dénoncer, mais il y a des gens qui font des allers-retours très bizarres. À un moment il faut dire stop. Je suis un libéral, ces gens qui détestent les monopoles publics et privés, et, à un moment, il faut savoir que ce n’est pas la même chose, des deux cotés, public et privé, on n’a pas la même fonction. Ce jeu qui consiste à utiliser l’argent public pour engraisser des sociétés est un jeu qui doit cesser et ça peut passer par la loi.
 
 
 
==Merci de votre attention==
 
 
 
Je termine souvent par cette formule que je prête à Confucius, quand on ne sait pas de qui c’est, on dit que c’est de Confucius : « Souvenez que quand vous ferez quelque chose vous aurez contre vous ceux qui voulaient faire la même chose, ceux qui voulaient faire le contraire et surtout ceux, très nombreux, qui ne voulaient rien faire. »<br/>
 
Merci de votre attention.
 
 
 
==Applaudissements==
 
 
 
==57’ 05==
 

Dernière version du 21 mars 2023 à 15:01


Publié ici - Mars 2023